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06.11.2024

Si tu te dégonfles, tu te trump

Ce matin, beaucoup de gens étaient choqués par le résultat des élections présidentielles aux États-Unis d’Amérique. On avait annoncé un résultat serré. Mais les instituts de sondage ont confirmé qu’ils sont totalement incapables d’analyser sérieusement par avance une élection : monsieur Trump a gagné, très nettement. Même s’ils n’adhèrent pas à la diabolisation à laquelle se sont livrés les démocrates, beaucoup voient néanmoins en M. Trump un personnage dangereux et imprévisible, Sans doute pouvons-nous penser qu’il l’est en effet, et par conséquent qu’il y aura une montée des tensions dans le monde entier. Mais comme les États-Unis d’Amérique sont la première puissance mondiale, il faut examiner tout ce qui est mis en jeu dans son proche avenir. Notamment pour ce qui concerne le futur immédiat : c’est précisément son statut de première puissance du monde. Les États-Unis ne le sont plus sur le plan économique. Mais ils le sont sur le plan militaire et sur le plan monétaire. Ce sont donc les deux domaines dans lesquels on va observer la montée en tension.

Monsieur Trump a gagné nettement ! Il a gagné au vote populaire. Aux États-Unis d’Amérique, on peut avoir un nombre de votes majoritaires. Mais vous n’avez pas pour autant la majorité des délégués qui, au collège électoral national, élisent à la fin le président de la République. C’est comme ça que M. Trump avait gagné contre madame Clinton alors qu’il était minoritaire au vote populaire. Mais il était majoritaire au vote dans le collège électoral et il avait été élu. Cette fois-ci, il est majoritaire au vote populaire et au vote pour le collège électoral. Les démocrates ont perdu lourdement. C’est la première fois depuis 1988 que les Républicains, la droite américaine qui, avec M. Trump, est plutôt une droite extrême, gagne au vote populaire.

Cet événement en dit beaucoup. Le Parti démocrate s’est effondré. Il est censé être la gauche telle que la sociale démocratie européenne en rêve. Dans les années quatre-vingt en particulier, les socialistes français et en particulier Monsieur Hollande, était le bon élève de M. Bill Clinton dont il avait repris les principaux thèmes et l’idéologie dans une tribune publiée en 1983 sous le titre « pour être moderne, soyons démocrates ». Il a abandonné l’idée qu’il y ait une lutte pour la répartition de la richesse dans la société. Il prônait la compassion où l’on oublie les droits sociaux, etc. J’en avais parlé dans mon livre En quête de gauche, que j’avais écrit à l’époque où les Clinton, Hollande et les autres sociaux-démocrates européens gouvernaient chacun leur pays et appliquaient cette ligne politique qui a conduit toutes les gauches au désastre.

Dans cette élection, les États-Unis d’Amérique n’ont pas pu choisir la gauche parce qu’il n’y en avait pas. Madame Kamala Harris se situait dans le sillage de M. Biden et a donc approuvé absolument tout ce qu’il avait fait. Mais aussi tout ce qu’il n’avait pas fait, surtout à propos du génocide à Gaza. Car il l’a laissé se dérouler dans tous ses aspects, mois après mois, pendant plus d’un an dorénavant. Et à présent, il laisse faire l’invasion du Liban et les frappes dans tous les pays autour. Les démocrates sont donc directement et personnellement responsables du génocide. Et cela soulève de l’indignation dans tous les pays du monde. Comment un pays aussi puissant, aussi riche, modèle politique pour tant de monde, qui arme et finance à 70 % la guerre de M. Netanyahu n’a-t-il pu rien faire contre ce génocide ? Cela a pesé très lourd pour démobiliser les catégories populaires et d’une manière générale, les gens qui ont une conscience humaine sensible aux malheurs des autres.

Trump a gagné parce que Kamala Harris et cette gauche américaine ont été incapable de mobiliser l’électorat populaire. On peut même dire qu’elle l’a tenu à distance pour mieux câliner les électeurs adverses. Pourtant, la société a montré dans les référendums tenus en même temps que l’élection présidentielle, combien elle a un certain tonus de gauche. Puisque même dans des États où Trump a gagné, dans les référendums sur l’interdiction volontaire de grossesse, le vote « pour » l’a emporté. Dans les États où l’on a mis en débat dans des référendums des questions de salaire ou de qualité de la vie, le plus souvent, la solution de gauche l’a emporté. On a donc bien, aux États-Unis comme en France, une droitisation. Mais par le sommet médiatico-politique. Ce sont les élites des deux camps qui se ressemblent, avec leurs journaux, avec leurs sondeurs, qui voient la société plus à droite qu’elle ne l’est en réalité. C’est dévastateur quand la gauche ne s’assume plus : la droite a le champ libre sur son terrain et la gauche populaire se démobilise. Il n’y a pas eu d’expression politique possible pour ceux qui votaient dans les différents États en faveur des mesures de gauche. La candidature Harris à la présidentielle n’en a pas été le relais. Alors les électeurs n’y ont pas voté. Ils ont laissé tomber. Par exaspération, certains ont même dû voter pour Trump. Mais je pense que c’est résiduel.

Madame Harris a expliqué aux gens que, puisque tous les chiffres étaient bons en matière d’économie, c’est donc que leur vie était meilleure. Et c’est là que l’on touche du doigt une autre dimension du résultat de ce vote. Aux États-Unis d’Amérique, comme en France, quand M. Macron faisait ses vantardises, on a dit sur tous les tons que tout allait mieux. Moins de chômage, augmentation du niveau des revenus, etc. Mais les gens du commun, ceux qui vivent de leur travail, eux ne voient pas du tout les choses de la même manière. La masse des Américains sait que son salaire n’a pas progressé. La masse des Américains voit qu’il faut travailler toujours plus pour vivre moins bien, travailler toujours plus pour gagner plus, mais pour payer des choses qui avec l’inflation valent de plus en plus cher comme l’alimentation. Mais aussi toutes les choses de la vie courante dont on ne parle jamais ! Car si on parle des prélèvements obligatoires pour dénoncer les cotisations sociales, les impôts, on ne dit jamais rien des impôts privés. Le profit, les dividendes, c’est un impôt privé sur la production. Eux n’ont cessé d’augmenter au profit de quelques-uns, tandis que l’impôt public profite à tous. C’est une réalité. Combien d’autres coûts sont à prendre en compte qui ne sont jamais comptés dans les prélèvements obligatoires ? Vous êtes obligés d’assurer votre voiture, vous êtes obligés d’assurer votre appartement, vous êtes obligé d’acquérir un certain nombre de choses sans lesquelles vous pouvez être puni de ne pas les avoir. Tout ça a augmenté !

Si bien que si vous travaillez plus, peut-être gagnez-vous plus, mais vous vivez moins bien et de façon de plus en plus difficile. Et pour terminer, vous vivez dans un océan de pauvreté. Même si vous avez votre petit chez-vous tranquille, c’est bien votre droit, en revanche, en passant dans les rues, vous allez voir des gens qui dorment par terre. Vous allez trouver toutes sortes de signaux extérieurs de la détresse humaine, qui vous blessent, qui vous meurtrissent, car vous ne passez pas à côté sans vous en rendre compte. Et surtout vous vous en sentez menacés vous-même.

Voilà pourquoi ce qui vient de se passer aux États-Unis d’Amérique est annonciateur de ce qui va se passer dans toutes les démocraties. Aujourd’hui les dirigeants se droitisent, prennent pour bouc émissaire les immigrés, les jeunes, enfin bref, la vie, pour la dénoncer elle et ses risques. Tout en disant que les gens sont des ingrats parce que la situation s’améliore. Ceux-là vont être de plus en plus cruellement punis électoralement.

Mais la situation des puissants ne change pas. Trump est un milliardaire, il est entouré de milliardaires. Il a encore l’intention de baisser les impôts. Il a encore l’intention d’augmenter les droits de douane qu’il a décidé d’imposer dans son pays contre les marchandises qui arrivent de l’extérieur, avec l’idée qu’il finira par créer une situation où ça sera plus intéressant de les fabriquer sur place. Il a un protectionnisme qui n’est pas le protectionnisme dont nous nous réclamons, nous les insoumis. Nous nous voulons un protectionnisme « solidaire ». C’est-à-dire certes aider une production parce qu’on en a besoin sur place. Par exemple, pour faire de l’agriculture maraîchère, on a besoin de la protéger des importations. Mais dans d’autres domaines, il faut cesser de s’abandonner aux marchés comme on est en train de le faire en ce moment. Et on voit les usines fermer les unes après les autres, parce qu’elles ne sont pas capables de tenir le choc sur le marché mondial face à des prix plus faibles ailleurs sur le plan de la protection environnementale et sociale.

Monsieur Trump va faire augmenter les prix de son pays s’il impose les droits de douane qu’il a prévus pendant toute la période pendant laquelle les États-Unis ne produiront pas à la place des autres. Ce n’est pas très difficile à comprendre : toutes ces marchandises vont coûter plus cher. Vous ne pouvez pas vous en passer et elles ne sont pas produites localement, donc vous paierez plus cher. Et il espère que c’est ça qui va vous faire tourner, dit-il aux Américains vers les productions locales. On croise les doigts pour qu’il y en ait. Pour ma part, je crois que les États-Unis d’Amérique ne sont pas capables de recréer une base productive capable de les remettre en situation de compétition avec l’atelier du monde que sont la Chine et le reste des pays d’Asie. Et ceci vaut aussi pour nous, les Français.

De tout cela, retirons plusieurs leçons. La première est que pour faire vivre la démocratie, il doit y avoir une vraie confrontation de programmes, pas simplement des catchs de castings et de personnes. Quand les candidats disent tous la même chose, on ne peut parler de rien d’autre. Et c’est pourquoi, à la fin, ça se termine par des insultes et par un spectacle pitoyable. C’est ce qui s’est passé aux États-Unis d’Amérique. Il faut donc que les programmes permettent un choix politique. Il faut interpeller l’intelligence de la société qui en regorge plutôt que de faire appel simplement à des mouvements de rejet, de haine, de disqualification de l’autre. Il y a deux visions du monde qui se trouvent face à face. Aux États-Unis d’Amérique comme partout. Et la base de la société l’a compris. Est-ce que c’est « chacun pour soi », ou bien est-ce que c’est « tous ensemble » ? On peut en discuter et on doit en discuter, mais à la fin on tranche. Mais on a tranché en sachant de quoi on parle et en opposant des choses qui sont opposables. C’est l’heure des choix. Pas celle de répéter tous la même chose.

On doit en tirer aussi une conclusion stratégique. Il faut proposer des choix alternatifs à la société. C’est pourquoi nous assumons d’être appelés la gauche radicale. Ce n’est pas l’idée qu’on se fait de nous-même les insoumis. Mais au moins chacun comprend que nous proposons autre chose. Sinon, il est clair que les gens désertent le vote politique. Ou bien, ils choisissent d’aller toujours plus à droite, toujours plus vers la chasse aux boucs émissaires.

La deuxième leçon, c’est qu’il ne suffit pas d’avoir des bons ou des mauvais chiffres de l’économie pour convaincre de voter de son côté. Ceux à qui on a dit que les chiffres étaient très bons, c’était pour leur dire qu’ils n’avaient pas d’autre choix que de faire ce qu’on leur disait de faire, c’est-à-dire de voter pour qu’on continue comme avant. Parce que ce n’est pas vrai. Et les gens savent que dans le capitalisme, leur vie ne peut pas s’améliorer. Et qu’en revanche, leur environnement peut être entièrement détruit et saccagé. Et il y a ceux qui ont des mauvais chiffres et qui s’en servent pour dire qu’on ne peut rien faire non plus, précisément à cause de cela comme c’est le cas en France. Si bien que l’on se vante de bons chiffres ou qu’on brandisse des mauvais chiffres, si à chaque fois la conclusion est toujours la même. Mais si on fait continuellement comme auparavant, alors nous marchons à la catastrophe. Il ne peut pas y avoir de victoire remportée contre la logique de « chacun pour soi » sans qu’on soit capables d’expliquer pourquoi « tous ensemble » doit l’emporter. Une élection doit être un projet de futur global.

Le monde entre dans une phase dangereuse. À chaque étape, il faut réfléchir sur ce qui vient de se passer pour en tirer des leçons. Jusqu’au moment suivant où de nouvelles épreuves se présentent et où il faut à nouveau réfléchir à la lumière de ces leçons et faire des choix.

Madame Kamala Harris est comme le président Joe Biden, responsable personnellement du génocide des Palestiniens. Parce qu’ils ont armé les bras de ceux qui tuent, parce qu’ils ont laissé faire alors qu’ils avaient les moyens d’arrêter cette hécatombe. Madame Kamala et M. Biden, sont responsables une fois de plus de s’être moqué du monde et de n’avoir apporté aucune des réponses que le peuple travailleur peut attendre d’un Parti démocrate qui veut être la gauche des États-Unis d’Amérique. Les Américains doivent desserrer l’étau de ce bipartisme abominable qui les étouffent et qui les empêchent de faire des choix progressistes. Je déplore que Bernie Sanders et la gauche du Parti démocrate aient continué à vouloir porter les sacoches de Kamala Harris et de ce Parti démocrate. 

Partout, il faut avoir le courage de ses idées ! Partout, il faut tenir bon. Et quand on perd parce qu’on n’a pas convaincu, du moins on s’est battus. Le pire est de perdre à la fois sur ses idées et sur les élections. C’est pourquoi les insoumis doivent tirer une leçon. Et d’une manière générale, tous ceux qui veulent rompre avec le cadre dans lequel nous évoluons aujourd’hui, devez tirer une leçon. Politiquement, socialement, écologiquement. Tous doivent se dire qu’il faut tenir bon, ne faire aucune concession pour paraître plus acceptable par vos adversaires comme l’a fait madame Kamala Harris. Il faut dire que ce monde est insupportable pour la majorité de ceux qui y vivent. Donc il faut qu’un autre futur soit possible pour qu’il soit supportable. Et il faut s’en occuper personnellement. Il faut s’engager soi-même, ne pas laisser les évènements rouler sans rien y faire. Ou en versant des larmes avant et après. Avant pour faire peur. Ensuite parce qu’on a tout perdu.

En France, l’alternative qu’incarnent les insoumis et le Nouveau Front Populaire, est le moyen de changer radicalement le cours de l’histoire. Si nous avons dans ce pays un gouvernement, un pouvoir qui choisit de tourner le dos à la logique de guerre, qui exige et obtient l’arrêt du massacre qui a lieu contre les Palestiniens et au Liban, qui est capable de mettre en place une autre politique sur le plan écologique et social, alors vous verrez que la contagion se propagera à la terre entière. C’est pourquoi, si nous changeons la vie dans un pays aussi décisif que le nôtre, nous pouvons changer le monde. Et voilà la leçon qu’il faut tirer de la lamentable conclusion de l’élection aux Etats-Unis d’Amérique. Un autre futur est possible, à condition qu’on s’en occupe soi-même.

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