Censure : la vérité est dans le calendrier

Les interventions du président de la commission des Finances de l’Assemblée nationale, Eric Coquerel, sont une aide précieuse à la compréhension des événements. Sans lui on se perd dans le jeu de rôle médiatico politique où les gentils font assaut entre eux de « moi je suis responsable donc je discute ». Certes ceux qui suivent de près voient bien la comédie et le vide. Mais aussi l’impréparation de certains protagonistes qui disent souvent des, des…, des… approximations, parfois surprenantes ou contradictoires entre elles. Mais pour combien d’entre eux, la lumière médiatique étant prise, c’est un résultat suffisant.

Rappelons d’abord qu’Eric Coquerel est élu président de la commission des Finances parce qu’il est membre de l’opposition. Son rôle n’est donc pas de boucler le budget pour le compte du gouvernement. Son rôle est de garantir que les missions de contrôle parlementaire de l’exécutif ne soient pas complaisantes. Mais aussi de permettre à la Commission de pouvoir faire des propositions dans le débat de toute l’Assemblée. Donc ce jour-là, Eric Coquerel se fait défier par un animateur de télé avec la phrase qui tue : nous (LFI) serions « la gauche du tout ou rien, c’est-à-dire du rien pour finir ». Évidemment, c’est encore une de ces formules dont raffolent nos partenaires pour se mettre à distance des insoumis. Ce genre de formule creuse est censée mettre en lumière le « grain à moudre » que seraient en train de traiter les « gens responsables qui discutent ». Et Coquerel de répondre : le budget de Bayrou sera obligatoirement pire que celui de Barnier. Du coup, à côté de la prétendue gauche « du tout ou rien », il y a pire. C’est la gauche « du rien et rien ». Car la prétendue négociation n’existe pas. Et elle ne peut pas exister. Pour des raisons politiques mais aussi à cause de la procédure parlementaire engagée qui la rend impossible. 

Les raisons politiques, tout le monde les connaît. Si par hasard Bayrou voulait céder quelque chose à gauche pour avoir des voix de députés de gauche, il perdrait aussitôt celles de la droite de l’hémicycle. C’est déjà un lourd verrou. Voyons le reste. Bayrou a décidé de repartir de la discussion budgétaire telle qu’elle a été interrompue par la censure. Donc il repart du budget tel qu’il est au Sénat. Cela entraîne des conséquences incontournables sur le plan du déroulement de la suite des évènements. Pourquoi ? Parce que la première partie du budget ne peut plus être changée avant son retour à l’Assemblée après avoir été votée au Sénat. Il s’agit des recettes de l’Etat, (les impôts et taxes). Ce blocage est appelé l’effet « entonnoir » dans la discussion budgétaire. Il le faut bien si on veut éviter que tout recommence tout le temps à zéro à chaque passage dans une des deux assemblées. Puisque le Sénat a déjà voté sur cette partie, elle reste telle quelle pour revenir à l’Assemblée. La discussion à présent ne peut plus porter que sur la partie « dépenses » non votée encore au Sénat. Et là encore il y a un cliquet bloquant. Vous vous souvenez que nous avions obtenu à l’Assemblée beaucoup de recettes nouvelles prises sur l’impôt sur la fortune, les super profits, le patrimoine des plus riches ? Nous ramenions le déficit à moins de 3%. Tout cela a été annulé au Sénat en amendements et votes sur la partie recette. Conséquences ? Telle que l’affaire est engagée, si Bayrou reprend les dépenses prévues par Barnier, le déficit dépassera les 5%. Mais Bayrou a annoncé plus de 50 milliards « d’économie ». Davantage que Barnier. Où peut-il les trouver ? Un seul endroit ! Dans la partie « dépenses », puisque c’est la seule qui n’a pas encore été votée au Sénat. Cela veut dire qu’il doit tailler encore plus vif dans les dépenses des services publics. Donc le budget Bayrou « sera pire que celui de Barnier » dit Coquerel. Aucune échappatoire n’existe. Dire le contraire c’est mentir. Coquerel a rétabli la vérité. Mais vous voyez que cela ne s’explique pas en deux secondes dans le format à buzz de la télé. Sur le budget au Sénat, il n’y a rien à négocier. Juste parce que la composition politique de droite du Sénat ne le permet pas.

Un mot encore sur les « négociations » sur les retraites. Là encore, le président du Sénat a prévenu : « ni suspension ni abrogation ». Au demeurant la suspension pour six mois n’aura aucun effet sur les personnes concernées comme l’a montré Michael Zemmour. Et sinon : ouvrir le débat sur la retraite à points ?  Alors même que le projet a déjà été repoussé en 2020 par la mobilisation populaire ! Un « débat » qui bien sûr ne mène nulle part non plus puisqu’à part la CFDT (et encore) aucune autre centrale syndicale n’est d’accord avec ça. Le seul intérêt de cette « discussion » est pour le MEDEF et la droite car ils auraient ainsi sur un plateau une division de la gauche et des syndicats. Kanner et un autre dirigeant PS sur Sud-radio ont assumé l’idée après que Faure ait lui-même parlé de « changer de système de retraite ». Le lendemain, Boris Vallaud déclare, sans rougir que c’est une invention de la part de LFI. Et même une « fake new » pérore-t-il ! Preuve du niveau de confusion qui existe dans son parti et entre ses porte-paroles.

Replaçons tout ça dans un calendrier concret. Le budget tel que le Sénat va le voter va arriver à l’Assemblée le 20 janvier. Quoiqu’il se passe, il sera soumis au vote final de l’Assemblée. Elle le repoussera, compte tenu de la composition politique de l’Assemblée. C’est donc le retour du scénario qui a conduit à la censure de Barnier. Face à un tel budget, les oppositions pourraient-elles laisser Bayrou gouverner en appliquant ce budget ? Non évidemment. Il fera donc 49.3. Il l’a déjà annoncé. Et les insoumis déposeront une motion de censure. Parce que c’est la règle du jeu constitutionnel sauf quand l’opposition cesse de l’être et soutient un gouvernement. Non évidemment. La discussion sur la censure est donc enfermée dans deux dates : ou bien le 16 janvier après la déclaration de politique générale, ou bien fin janvier quand le budget revient au vote de l’Assemblée. Quelle opposition laissera passer le budget ? Aucune ! J’en prend le pari. Car ce serait aussitôt changer de statut. En effet, le vote du budget trace la frontière entre gouvernement et opposition. 

Pourquoi perdre son temps ? C’est ce que nous disons depuis le début. Pourquoi donner l’impression de soutenir Bayrou et Macron juste pour « rassurer » (on ne sait qui) alors même qu’on sait que tout cela n’a pas d’issue ? Le 14, Bayrou présente son programme, le 16 arrive notre motion de censure. Le discours soit-disant « raisonnable » sur le mode « voyons d’abord ce qu’il va faire, etc. » est juste une duperie car on sait déjà ce « qu’il » va faire. Ne pas voter la censure du 16 c’est une posture pour essayer de sauver Macron contre des promesses venteuses et une division terrible de la gauche. Mais le principe de réalité est le plus fort. Il s’appelle calendrier. Faire les gentils le 16 ne pourra pas empêcher de devoir se décider une semaine après.

Ne perdons pas de vue l’essentiel : ceux qui refusent la censure valident le coup de force de Macron en juillet dernier refusant le résultat des élections. Est donc en jeu quelque chose d’important : la forme républicaine de l’Etat. Et,  à un autre niveau, il s’agit de la définition du fonctionnement d’une cohabitation quand le Président n’a plus la majorité parlementaire. Dire comme le fait François Hollande qu’un Président « doit toujours pouvoir aller au bout de son mandat en toute hypothèse » est inacceptable. Hollande croit formuler un propos d’apaisement et de « stabilité » ? C’est tout le contraire. Cela signifie que le Président recevrait un nouveau pouvoir considérable: le droit d’ignorer le résultat des législatives qu’il convoque par dissolution ! 

Mais l’effondrement du sentiment démocratique et l’égarement de la vigilance républicaine dans l’obsession islamophobe fait ce résultat : personne ne demande à un ancien président de la République si c’est bien cela qu’il propose. Personne ne demande à cinq présidents de groupes parlementaires (2 PS, 1 EELV et 2 PCF) comment leurs « négociations » trouvent une place dans le calendrier constitutionnel de vote d’un budget de l’Etat. En revanche les éditos sur la « confusion au NFP » et bien sûr « Mélenchon furieux » « les insoumis menacent » etc., ça y va allègrement ! 

Avec ce type de presse on paye pour moins bien comprendre ce qui se passe. Au moins, mon blog est gratuit et mes infos sont sérieuses. Et comme elles ne prétendent pas être neutres politiquement, votre liberté intellectuelle est mise en alerte. Je vous respecte. Ils vous prennent pour des imbéciles. Et quand vous savez que « Libération » qui bombarde sans relâche LFI perd un million par mois et que son propriétaire milliardaire vient de remettre au pot quatorze millions de sa poche, vous comprenez que ça ne peut pas être un hasard. 

PS : Rien « d’anti-journaliste » dans tout ça. Juste de la bataille d’idées avec la droite. D’ailleurs, merci aux syndicats de journalistes qui ont salué la présence des élus insoumis à la belle commémoration qu’ils avaient organisée pour Charlie Hebdo. Il est vrai que les LFI étaient les seuls parlementaires à y être allés à leurs côtés.

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