Panique, « grande coalition », présidentielle

Une campagne catastrophiste sur les finances publiques tourne à plein régime. Elle sert de toile de fond pour justifier, sous prétexte du danger, la formation d’une « grande coalition » gouvernementale allant de la macronie au PS, en passant par au moins un accord de non-censure avec la droite LR. Comme en Allemagne et divers autres pays. Pour y arriver, les metteurs en scène agissent comme s’ils souhaitaient attirer sur le pays le poids des foudres de la finance mondiale, en dévalorisant la crédibilité financière de notre pays. C’est avec cette pression que des gouvernements « techniques » ou « d’union nationale » ont été imposés dans nombre de régions du monde pour briser les résistances populaires contre la destruction de leurs acquis.

Dans ce contexte, Bayrou n’est donc jamais contesté sur le point qu’il rabâche comme une ritournelle : accepter son diagnostic désastreux sur la situation des finances publiques. Au contraire, comme dans son interview de dimanche soir, les journalistes, parfois, en rajoutent à droite. Bayrou peut donc pérorer l’air entendu contre les « irresponsables » qui refusent cette mise en scène. Alors, il nous faut argumenter. Les intervenants Insoumis le font sur tous les médias où ils interviennent. Ils le font au milieu d’une foule de catastrophistes qui se donnent des airs de sérieux en prescrivant des doses diverses de destructions des acquis sociaux du peuple. Notre avis, en résumé : le mal, ce n’est pas la dette, mais la politique qui l’a engendrée, nuisible en tous points. Surtout pour la population, davantage que pour les comptes publics. La dette actuelle est maîtrisée et maîtrisable sans mal, si l’on change de politique économique.

Mais, je voudrais aussi venir à une question qui me semble n’avoir pas toujours retenu l’intérêt qu’elle mérite. À quoi aura servi cette dette que tous déplorent ? Personne n’en parle jamais. Pourquoi ?

Rappel de la divergence. Commençons par des rappels utiles pour comprendre notre refus global du diagnostic que pose François Bayrou. À notre avis, même si on peut évidemment discuter de l’usage fait des dépenses publiques, le montant de la dette n’a pas la nature catastrophique que le Premier ministre lui attribue. En effet, en toute hypothèse, comme on le sait, l’État ne paie jamais sa dette et ne la paiera jamais. Il la fait « rouler ». C’est-à-dire qu’il emprunte pour pouvoir rembourser à échéance la part due aux prêteurs. Rien de plus ! La somme à payer chaque année, la fameuse « charge de la dette », est la seule existence réelle de cette dette dans la vie réelle. Cette « charge », elle est aujourd’hui égale à 2 % de la masse totale de ce qui est produit dans le pays en une année. Rien de plus. En 2007, elle était de 2,7 % de la production annuelle. Elle est en baisse de ce point de vue. Enfin, argument anti-panique : le taux d’emprunt pour la France n’est que très légèrement supérieur à l’inflation. Celle-ci continue donc à faire fondre une bonne part du montant dû. Et ce taux d’intérêt pour les emprunts de l’État reste bien plus bas que ce qu’il était il y a 20 ans.

Dans tous les cas, la présentation de la dette publique est l’objet d’une forme d’escroquerie. En effet, on rapporte le montant de la dette totale à la production du pays pour un an. Pourquoi ? Cela n’a pas de sens. Cela n’en a que si l’on accepte de croire encore à une thèse de deux économistes, désormais rejetée par ses propres auteurs. Selon ces deux économistes, à partir du moment où la dette représente plus de 90 % de ce qui est produit dans une année par un pays, alors elle provoque un phénomène d’atonie de l’économie du pays concerné. Cette thèse date de 2010. Elle a été récusée dès 2013. Elle ne s’est vérifiée nulle part et elle ne se vérifiera jamais, parce qu’elle est inexacte de l’avis même de ceux qui l’avaient d’abord formulée. Un seul exemple : le Japon est endetté à 240 % de son PIB annuel et son économie fonctionne toujours. Il est absurde de rapporter à un an de production seulement la dette globale. Pour être très concret : qui a une dette inférieure à une année de ses revenus après avoir emprunté pour acheter son appartement ou sa voiture ? Personne, jamais. Ce serait absurde et tout le monde le comprend. On calcule toujours la part que vont représenter les remboursements par rapport à l’ensemble de la période de la durée de la dette. La dette de la France est faite d’emprunts remboursables en un peu plus de huit ans. Par conséquent, c’est sur huit ans qu’il faut calculer ce que représente le montant de la dette du pays, en le comparant au total des richesses produites pendant cette même période. Dans ces conditions, et par ce calcul, la dette ne représente nullement 113 % de la richesse du pays, mais seulement 13 % de celle-ci, produite pendant ces huit années. On voit bien que l’effet affolement ne fonctionne plus dans ce cas.

Ensuite, il faudrait comparer le montant de la dette du pays au total de ce qu’il possède comme biens mobilisables, éventuellement en garantie de paiement. Exactement comme on le ferait pour évaluer la solidité financière d’une personne endettée, en vérifiant ses revenus et son patrimoine. Encore une fois, cela afficherait une bonne santé et crédibilité sans nuance pour la France. Ce pays a un des États les plus fortunés d’Europe.

Enfin, bien sûr, nous affirmons que la clef du problème posé est ailleurs : la dette est le résultat d’une insuffisance de recettes dans le budget de l’État. Ce manque vient du fait que l’imposition sur les revenus du capital est bien inférieure à ce qu’elle devrait être par comparaison avec les revenus du travail. Dans notre analyse, les libéraux ont volontairement appauvri l’État pour justifier leur politique de destruction des services publics au profit du secteur privé.

Ces arguments, et quelques autres, nous les avons déjà développés bien des fois dans les vingt ans qui viennent de passer. C’était, à chaque fois, pour enrayer une crise de panique que cherchait à déclencher le gouvernement pour faire avaler la potion amère de nouvelles coupes dans les dépenses publiques. Personne n’a jamais été capable de nous faire une contre-démonstration.

LA DETTE A ENRICHI LA FRANCE. Je veux à présent interroger la dette d’une autre façon. J’ai été élu municipal et départemental. Je sais donc comment, dans les budgets des collectivités, il y a obligation de financer le fonctionnement sans créer de déficit. Seul l’investissement peut donner lieu à de l’emprunt. D’aucuns sous-entendent que la dette de l’État serait le résultat des coûts de fonctionnement de l’État lui-même. Vieux mythe de « l’État parasitaire ». Déjà, cette thèse est très idéologique. Car tout ce que l’État verse en salaires repart immédiatement, à la fois dans la production par la consommation des salariés et dans ses propres caisses de l’État, sous forme d’impôt sur le revenu ou de TVA. Vérité simple : le salaire est à l’origine de la consommation populaire. Et cette consommation populaire, en général, représente un formidable propulseur économique : 53 % du total du montant de la croissance annuelle de l’économie.

Une fois tout cela établi, on peut néanmoins se poser la question. À quoi a servi la dette ? Je devine la réponse : à l’augmentation des biens communs. Pour le prouver, je me suis demandé ce que représenterait le total cumulé des investissements faits par l’État par rapport au montant total de la dette cumulée pendant la même période ? C’est une autre manière de demander si la dette a été utile à tous ou seulement destinée au financement du fonctionnement de l’État lui-même. Choisissons la durée de vingt ans en arrière pour faire ce calcul, même si la dette est plus ancienne. Commençons par rappeler une autre évidence : l’investissement public, ce sont les infrastructures que l’État a financées : trains, routes, hôpitaux, satellites, et bien d’autres aussi où il est co-financeur avec des régions ou avec des communes. Cette dépense augmente le patrimoine collectif : on crée un bien utilisable pendant plusieurs années, parfois plusieurs décennies. Cette dette-là enrichit donc l’État par ce qu’elle permet de réaliser et améliore la vie des gens par son fonctionnement. D’ailleurs, les économistes distinguent la « bonne dette » (finançant un bien concret, collectif, utile et durable) de la « mauvaise dette » (finançant uniquement la consommation courante ou les intérêts à payer).

Le montant de ces dépenses en investissement est identifiable et disponible. Dans les comptes publics, elles s’appellent « formation brute de capital fixe des administrations publiques » (FBCF). Dès lors, on peut aussi identifier toutes les étapes de la formation de la « bonne dette » en analysant les dépenses des différents ministères. Car elles sont enregistrées et identifiées au fur et à mesure. Donc, si l’origine du déficit n’est pas fléchée dans le budget, à la fin, la dépense l’est forcément : l’argent a bien été dépensé et l’on sait pour qui et pourquoi…

Revenons donc à présent au calcul à faire pour savoir quelle part la dette a prise dans le financement des équipements publics du pays. Pour le faire, un calcul simple suffit. Il faut d’abord trouver le montant supplémentaire de la dette du pays depuis vingt ans, puisque c’est la durée choisie ici. Puis totaliser les dépenses en investissements par les administrations publiques et l’État (FBCF). Enfin, calculer la proportion de l’une par rapport à l’autre.

Le résultat est impressionnant. Car on constate alors que 90 % du montant de la dette publique accumulée équivalent (donc correspondent) à des financements d’investissements publics.

On peut alors poser des questions simples à François Bayrou : quel investissement le Premier ministre regrette-t-il ? Quelle route, quelle voie ferrée, quel train, quel barrage, quelle station d’épuration aurait-il refusé à l’époque où ils furent financés ? Autre demande faite aux pourfendeurs de l’État : qui, d’autre que lui, aurait pu réaliser ces dépenses nécessaires à la société ? Et demandons aussi si les actionnaires des entreprises concernées regrettent les profits que les dépenses de ce client leur ont permis !

Cette lecture de la dette dément donc la dramatisation. Elle montre surtout que la France s’est aussi enrichie en formant un capital public fixe correspondant aux neuf dixièmes de sa dette. Quand on entend la formule disant que l’État lègue « 50 000 euros de dette à chaque Français », on peut retourner la phrase et dire : « l’État donne à chaque Français un patrimoine de 50 000 euros ».

La conclusion est que la France est saine financièrement dans la durée. Et que le recours aux marchés financiers est un racket du peuple.

LA MACRONIE ORGANISE LA CRISE FINANCIÈRE. Tout se passe comme si le numéro de catastrophisme de Bayrou et de ses répondeurs automatiques n’a pas pour but d’épargner un désastre, mais de le provoquer. De fait, quand des discours de cette nature émanent du gouvernement lui-même, il va de soi que les marchés peuvent en effet s’inquiéter, et les taux d’intérêt augmenter comme effet de leur panique. Le but du soi-disant diagnostic de Bayrou espère donc créer une pression de panique dans l’opinion pour lui faire accepter de nouvelles confiscations de ses acquis sociaux. Et cela sous l’égide d’un gouvernement « d’union nationale » formé au nom du « salut commun », de la « stabilité » et autres boniments.

Évidemment, les insoumis n’ont rien à voir avec cette tambouille politicienne. Ni aujourd’hui, ni demain. On retrouvera le cortège des « sérieux et responsables » qui diront, la tête penchée et l’air important : « voyons d’abord ce que le nouveau gouvernement fait avant de juger ». Comme s’il y avait un mystère ! Ce genre d’épisodes calamiteux va se succéder dans un enthousiasme médiatique prévisible. On connaît cette musique ! Évidemment, il pleuvra des outrages contre LFI, mais cela ne change guère de ce que nous vivons habituellement.

SEULE LA PRÉSIDENTIELLE PEUT RÉGLER LA CRISE. Le fond de l’affaire, si la « grande coalition » à l’allemande se fait, est grave. Cela signifie qu’il n’y aura aucun changement de politique économique. Il n’y aura même pas de discussion sur ce sujet devenu question centrale selon le Premier ministre. Car si l’on en croit le Premier ministre, dorénavant le PS et le RN ont confirmé à Bayrou leur accord sur son diagnostic dramatique. D’ailleurs, le plan du PS ne correspond à rien d’autre qu’une simple révision comptable, à la baisse, des coupes budgétaires prévues dans le plan Bayrou.

Dans ces conditions, une dissolution de l’Assemblée ne correspond pas à la question politique posée. S’agit-il de choisir entre les candidats Premiers ministres ou entre des politiques globales opposées ? Bien sûr, si la dissolution a lieu, nous y participerons avec le but de la gagner, avec l’espoir (sans garantie) que Macron respecte le résultat. Mais nous pensons qu’une dissolution ne permettra pas de tourner la page du chaos créé par Macron avec cette dissolution dont il a refusé le résultat. Elle ne produira pas une nouvelle légitimité politique reconnue par tous. Car la macronie a été battue déjà en 2022, puis en 2024 aux européennes et aux législatives, sans que cela ne change rien dans les choix politiques du président et des gouvernements qu’il nomme.

C’est pourquoi nous souhaitons une présidentielle anticipée pour permettre de faire le choix entre deux politiques économiques fondamentalement opposées. D’un côté, la politique de l’offre, par la baisse du prix du travail et l’extension du domaine du marché en remplacement des services publics, officiellement adoptée depuis François Hollande. De l’autre, la politique de la demande, à partir des besoins populaires et de la souveraineté nationale, telle que nous la formulons : faire la relance écologique et sociale. C’est ce choix de fond qu’il faut faire, et seul un vote d’ensemble, sur la circonscription présidentielle unique qu’est tout le pays de la même manière, peut se prononcer en fixant le cap.

Une dissolution laisserait le choix sans changement, et le pouvoir resterait aux mains de celui qui a créé la crise par sa politique économique et par son refus de respecter le résultat des urnes qui voulait en changer. Mais une élection présidentielle permettrait aussi de trancher les questions de fond que l’impasse actuelle a mises en lumière. Et d’abord celle des limites atteintes par la Cinquième République, et la nécessité du passage à une Sixième République combinant les moyens de la stabilité et le pouvoir d’intervention populaire. Mais aussi celle du refus ou non de la guerre en préparation. Et celle du refus de la vassalisation de la France par les États-Unis ou l’Allemagne. Bref, parvenue à la croisée des chemins, du fait d’une gestion calamiteuse du pays et de ses relations internationales, le peuple français doit pouvoir affirmer les principes qu’il veut mettre au poste de commande.

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