Cet article a été publié sur mon blog Europe
La semaine passée, on a voté au Parlement européen la mise en place d’une commission d’enquête sur les Panama Papers. Ça tombe bien. Il y avait aussi une petite série de votes sur le thème de la finance en Europe. Au cours de chaque session du Parlement à Strasbourg, nous voyons passer des textes et des rapports qui visent à organiser l’activité de la finance dans l’Union européenne. Le mouvement général qui se conforte de mois en mois, c’est celui de la dérégulation, on le devine. En général, les documents commencent tous par d’amples considérations à vocation bienfaisantes. Puis viennent les mesures préconisées qui vont à l’inverse. Toutes vont évidemment dans le sens d’une plus grand « fluidité » de la circulation des capitaux. Par moment arrivent des textes spécialement dangereux comme celui qui a autorisé la « titrisation » des dettes des entreprises. La technique consiste à découper un prêt en petits bouts puis à loger chaque petit bout dans un titre qui en contient quelques autres déjà. De cette façon on pense étaler le risque en le disséminant, tout en réalisant l’exploit de vendre de la dette incertaine a des gens qui ne le savent pas. C’est de cette façon qu’en cas de faillite à un bout de la chaîne, on peut la voir se propager de façon tout à fait surprenante dans des dizaines d’autres compartiments de l’économie et faire couler des dizaines de possesseurs de ce genre de « papier ».
Mais il arrive aussi qu’à peine décidées, des mesures paraissent finalement trop contraignantes. Dans ce cas, les lobbies se déchaînent pour bloquer le dispositif. On découvre alors que certains textes ne sont toujours pas appliqués à la date prévue et que rien n’est prêt pour cela. Le Parlement est alors sollicité pour reporter la date d’application. Ainsi pour ce « cadre » qui fait obligation aux « plates-formes de négociation » de fournir aux autorités compétentes des données financières qui décrivent les caractéristiques de chacun de ces petites potages mortels dont je viens de parler et que l’on nomme ici des « instruments financiers ». L’Autorité européenne des marchés financiers (AEMF) était tenue de créer, conjointement avec les autorités nationales compétentes, un système de données de référence pour organiser la surveillance. Patatras ! Rien n’est prêt un an après. Un rapport propose donc de reporter de 12 mois, soit au 3 janvier 2018, la mise en place de ce règlement. En clair : les quelques règles tentant de réguler les marché financiers ne seront pas en place avant quelques temps. Si elles ne sont pas reportées de nouveau, cela va de soi. À quoi bon les avoir votées alors ? À, rien sans doute.
Même sort mais plus grave peut-être, cet ensemble de règles décidées pour l’agrément et la surveillance du fonctionnement des fonds d’investissement, des marchés réglementés et des prestataires de services de communication de données. Bref : la finance pure et dure. Ces règlements introduisaient aussi des règles sur les transactions à haute fréquence ! Il s’agit de cette folie de la cotation en continu nuit et jour et par ordinateurs communicants entre eux et faisant une évaluation des titres échangés à la nano-seconde. Des règles bien modestes devaient améliorer la surveillance de ces marchés financiers et même harmoniser les sanctions administratives. En les étudiant de près, on pouvait découvrir qu’elles concernaient évidemment les spéculations sur les matières premières et même aussi celles sur les matières premières agricoles. Vous voyez ? Il s’agit de ces moissons vendues plusieurs fois avant d’être récoltées et plusieurs fois pendant leur transport ! Le document connaissait les risques immenses de telles spéculations non seulement sur le système tout entier mais sur la paix sociale dans de nombreux pays où elles peuvent déclencher des pénuries et des famines. Le texte prévoyait donc que dès la mise en place de ces directives « un État pourra introduire des limites sur les contrats qu’un investisseur détient sur des dérivés de matières premières (blé, soja, sucre), compte tenu de leur impact potentiel sur la formation des prix ». C’était trop beau ! Un rapport a donc été présenté pour multiplier les dérogations possibles et repousser d’un an la mise en œuvre de ces règlements. Décidé en 2013 et appliqué en 2018… Et encore n’est-on pas au bout du feuilleton. Je parie que dans un an, quelqu’un viendra pleurer que le règlement est trop compliqué, trop bourré de pages, en oubliant de dire que la longueur est liée aux dérogations exigées à grands cris. Comme pour le code du travail.
Cette série lamentable ne pouvait finir sans un ridicule encore plus grand. Il est arrivé quand le Parlement a délibéré à propos de la nécessité d’une réforme des normes internationales d’information financière (IFRS), rien de moins. Il s’agissait pour lui d’agir « en vue d’une transparence, d’une meilleure gouvernance des systèmes économiques et d’une comparabilité accrues » selon le sabir bureaucratique européen. L’imagination n’est pas au pouvoir… Car l’Union européenne a délégué l’élaboration desdites normes au « Conseil des normes comptables internationales » (IASB). Merveilleux, n’est-il pas ? Évidemment, nous sommes en Europe ne l’oublions pas, il s’agit d’un organisme privé. Il est tout aussi évidemment et de ce seul fait réputé « indépendant ». Et bien sûr, il est spécialisé dans les recommandations « d’autorégulation ». Mais malheureusement, à l’heure actuelle, 116 pays, dotés de structures juridiques, réglementaires et économiques différentes, imposent déjà l’utilisation d’autres normes. Les oligarques européens n’aiment pas cette situation. Ils trouvent que la marge de manœuvre pour la prise en compte des « spécificités européennes » est donc bien limitée au grand dam des bureaucrates impérialistes de notre chère Union. Le rapport plaide donc pour « un renforcement de l’influence européenne aux stades précoces du développement des normes comptables ». Traduire : agir et manipuler avant que le cadre international ne soit irréversible. Après quoi, se souvenant, quand même, que les rapporteurs ne peuvent pas se contenter de recopier les recommandations des lobbys, tombent comme un cheveu sur la soupe des regrets inhabituels dans ces lieux. En effet le rapport émet également quelques critiques sur la gouvernance de l’IASB, soulignant qu’il est « dominé par des acteurs privés », que « les PME ne sont pas représentées du tout » et que « le risque de conflits d’intérêts » est bien présent. Incroyables aveux ! Certes tout cela est sans conséquence. Mais c’est tellement dans le style irresponsable de l’Union européenne ! Les bras m’en tombaient. Au moment du vote, je me suis donc abstenu en dépit du ridicule de ce texte, juste pour encourager cette pusillanime protestation de fin de rapport. Ainsi va votre chère Europe qui nous protège !