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Lettre à François Hollande, premier secrétaire du PS

Paris le 23 mai 2006

Monsieur le premier secrétaire, cher François,

Nous avons appris avec beaucoup de surprise que le porte-parole de notre Parti, Julien Dray, avait demandé lors du dernier Secrétariat national des « sanctions claires et fermes » contre nous deux à la suite de la parution d’un appel à un « rassemblement antilibéral de la gauche et à des candidatures communes ».

Tu as souhaité lors de cette réunion que cette question soit inscrite à l’ordre du jour du Bureau National de ce soir. Nous nous attendions donc à être contactés. Jusqu’à cette heure, il n’en a rien été. Nous le regrettons car la discussion permet souvent de dissiper les malentendus, pour peu qu’on en ait la volonté. Cette volonté est en tout cas la nôtre. C’est pourquoi nous souhaitons te faire connaître par écrit notre position au sujet de cet appel. Tu dois désormais savoir que nous ne l’avons pas signé. Mais plusieurs de nos amis l’ont fait. Nous voulons te dire ici pourquoi nous les comprenons et les approuvons.
Cet appel ne constitue pas une opération contre le Parti socialiste. Nous ne l’approuverions pas. Nous militons pour renforcer la gauche non pour la diviser. C’est de la réalité de la gauche qu’il faut partir selon nous. C’est un fait incontournable qu’il y aura des candidats de gauche en même temps que celui du PS. Pour qu’il en soit autrement, à notre avis, il aurait fallu au moins que le Congrès du Mans enregistre la victoire du « non » et n’adopte pas une date de désignation du candidat PS aussi tardive. La seule question posée est donc de savoir combien de candidats de gauche se présenteront en même temps que celui du PS et quelle sera leur attitude en ce qui concerne le second tour éventuel.

Tu as vu en le lisant que la démarche de l’appel ne pousse pas à l’émergence de candidats supplémentaires. Ni à de candidats hostiles au rassemblement de la gauche. C’est pourtant ce qu’avaient fait des élus socialistes qui ont donné en 2001 leur parrainage à Olivier Besancenot pour qu’il se présente à l’élection présidentielle, alors même qu’à l’époque il refusait de se désister au second tour. Permets-nous d’ailleurs de noter que ceux-ci n’ont jamais été critiqués ni inquiétés. Au contraire leur démarche a été suscitée et encouragée au plus haut niveau de notre parti. Tu ne pouvais l’ignorer.

L’appel qui nous est reproché vise au contraire à éviter la multiplication des candidatures. Il demande un candidat de rassemblement de la gauche des ruptures dont il indique qu’il devra appeler sans aucune ambiguïté à voter à gauche au deuxième tour, si lui-même n’y accède pas.

En quoi un tel cas de figure serait-il défavorable au PS ? En 2002, la dispersion de la gauche a provoqué son élimination au second tour. Les sondages prédisent aujourd’hui le contraire ? Mais ils disaient déjà la même chose en 2002 avant que les résultats du premier tour ne les démentent sans appel.

En 2007, un éparpillement de la gauche des ruptures briderait sévèrement toute dynamique de rassemblement au second tour. Une partie de la gauche, niée et humiliée électoralement, se tiendrait à l’écart du combat. Sa défection se traduirait par une difficulté considérable à mobiliser en faveur de la gauche les milieux populaires qui se sont détournés de notre parti mais qui se sont massivement mobilisés le 29 mai 2005 contre son choix. Les ingrédients du désastre au premier tour ou de la défaite au second seraient alors réunis.

Telle est notre analyse. Rien de plus, rien de moins. Il n’est pas raisonnable de répondre à ce raisonnement précis et argumenté par des menaces. Dès lors, pourquoi certains en font-ils ? Elles ont un sens politique. Toutes les voix qui se sont élevées pour réclamer des sanctions contre nous émanent de partisans actifs de la candidature de Ségolène Royal. Pourquoi ? Pensent-ils que le positionnement politique de leur candidate laisse un tel espace à gauche qu’un candidat de rassemblement de la gauche des ruptures pourrait la devancer au premier tour ? A moins que leur hostilité au rassemblement de cette gauche ne soit destinée à pouvoir plaider, le moment venu, des circonstances atténuantes au rapprochement avec François Bayrou ? Pour cela, ils ne veulent de candidat du Non de gauche ni dehors ni dedans. Ils visent en effet un rassemblement où le Non de gauche doit être impuissant.

Nous avons ainsi entendu Julien Dray déclarer à propos d’un gouvernement avec Bayrou : « à ce stade-là, non, car sur le plan social les divergences sont profondes » mais « dans le cadre d’une élection présidentielle à venir et d’un repositionnement politique, tout est ouvert et tout est possible ». Peu de temps auparavant, Gérard Collomb déclarait : « on ne saurait exclure qu’un certain nombre de centristes, d’hommes de droite de bonne volonté, puissent demain venir rejoindre les rangs de la gauche » en faisant explicitement référence à l’hypothèse « d’un rassemblement des démocrates pour faire face par exemple à un candidat comme Le Pen au second tour ».

Nous ne croyons pas un instant que ces propos aient été tenus sans que leurs auteurs en mesurent pleinement la portée.

Un tel changement d’alliance serait facilité par une configuration électorale présentant d’un côté une UDF forte et de l’autre une gauche des ruptures en mille morceaux. A plus forte raison en cas de second tour où Le Pen, seul porte-parole autorisé du mécontentement populaire, serait parvenu à se qualifier au détriment de la droite.

Tu le vois nos raisons sont graves et sérieuses. Nous demandons à être écoutés comme socialistes et non stigmatisés par sectarisme.

Nous sommes donc tout à fait favorables à une discussion sérieuse sur ces questions. Les prises de position des membres les plus éminents de ton équipe, et du porte-parole de notre parti, appellent en effet une clarification rapide. Nous sommes pour notre part tout à fait hostiles à leur stratégie d’éradication de la gauche des ruptures. Elle ne peut avoir aucune autre signification que le recentrage politique de notre parti et risque d’entraîner la défaite de la gauche en 2007.

Nous te prions de croire, cher François, en l’expression de nos sentiments socialistes dévoués,

Jean-Luc Mélenchon
François Delapierre
Membres du Bureau national

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