outre-mer melenchon

L’Outre-mer comme station d’engraissement fiscal

Au cours de mon déplacement aux Antilles, en Martinique et en Guadeloupe, j’ai été naturellement interrogé sur le crédit d’impôt dont bénéficient ceux qui « investissent » dans ces deux îles. Voilà bien  toute l’aberration d’un système devenu fou à force de croire aux contes à dormir debout de la doxa libérale. Ici, pour assurer l’épanouissement d’un territoire, surtout « ultra-périphérique », seule compterait l’initiative individuelle, extralucide et bienveillante. En France outre-mer, l’État dépense donc plus en cadeaux fiscaux qu’en investissement. Il s’agit, bien entendu, de « stimuler l’investissement »…blablabla. À la fin, les exonérations fiscales pour les entreprises et les ménages dépassent le montant des crédits de paiement de la mission outre-mer du budget de l’État. Il pleut des cadeaux publics dans les poches privées. Sans contre-partie, cela va de soi entre gens de bonne compagnie.

Un milliard d’euros d’allégements pour les entreprises (dont CICE). Puis encore plus d’1 milliard d’euros d’allègements pour les particuliers. C’est notamment grâce au dispositif « Girardin » que ce père Noël permanent est possible. Il permet depuis 2003 de déduire environ 40% de son investissement (industrie, immobilier…) de l’impôt sur le revenu que l’on doit. Son appartement face mer, son bateau à mettre en location, ses actions dans l’hôtel du coin ? 40% moins cher. Les contribuables sont heureux d’en payer eux mêmes près de la moitié aux inventifs qui ont pensé à les acquérir. Deux milliards de cadeaux personnels. Et pendant ce temps, deux autres milliards seulement en 2016 pour tout le reste de l’action de l’État avec ses crédits pour l’« Outre-mer » !

On ne peut pas dire que ce soit sans qu’il y ait eu des alertes en bonnes et dues formes contre un tel système ! La Cour des Comptes par exemple a sévèrement dénoncé cette politique de défiscalisation. Elle critiquait tout à la fois le coût, l’inefficacité et le profit sans raison qu’en tirent les ménages métropolitains les plus aisés. Elle proposait de supprimer le principal dispositif, le « Girardin ». Le ton était policé mais parfaitement clair et tranchant. « Le coût de ces défiscalisations apparaît ainsi disproportionné par rapport à celui d’autres modes d’intervention de l’État, car aux financements apportés à l’outre-mer s’ajoute la part importante conservée par les contribuables [bénéficiaires de l’avantage fiscal], qui ne profite pas à l’outre-mer. »  Et pour qu’il n’y ait pas de doute sur ce que vaut ce système la Cour écrit : « Aucune des diverses tentatives d’évaluation n’a pu conclure à l’efficacité de ces aides. En revanche, plusieurs ont montré des effets contraires aux résultats recherchés (…), ou bien le manque d’efficacité (…). » C’est cher, on ne constate pas de résultats et quand on en constate ils sont a l’inverse de l’effet attendu ! Quel bilan ! Un échec total. La Cour enfonce le clou : «  Ces aides ne peuvent être allouées de façon optimale aux investissements les plus utiles au développement de l’outre-mer car elles vont d’abord aux investissements les moins risqués ou les plus rentables (…). Ces aides profitent également à des entreprises qui n’en ont pas besoin pour investir. »

C’était en 2012. Hollande venait d’entrer en fonction. Quelle conclusion en tira-t-il ? En faire davantage dans la même direction, avec la même foi magique dans la main invisible du marché et la bonne allocation de la ressource par l’initiative privée. Pour les entreprises, le CICE a été fixé à 9% de la masse salariale outre-mer. Il est de 6% en métropole (7% en 2017). Pour les particuliers, Hollande a prolongé le principal avantage fiscal (Girardin) jusqu’en 2020. Et il a protégé les défiscalisations outre-mer du plafonnement global des niches sur l’impôt sur le revenu. Le plafond de ces privilèges est fixé à 10 000 euros par an. Mais en cas d’investissement en Outre-mer il est porté à 18 000€ !

Petite revue sur ces sujets des candidats déclarés pour la prochaine présidentielle. Morne tournée. Ils se sont prononcé banalement pour que tout continue comme jusqu’à présent. Et des fois même pour alourdir la facture. Macron, Fillon, Le Pen se sont tous prononcés publiquement pour continuer ces cadeaux fiscaux coûteux et inefficaces. On peut le comprendre de Macron qui est a la fois un libéral et l’ancien ministre de l’Économie qui a soutenu et amplifié a ses divers postes de responsabilité les dégrèvements fiscaux mesures au cours du quinquenat. Mais les deux autres ? Le Pen : « les dispositifs de défiscalisation, les dispositifs de baisse de charges, oui c’est bien pour l’Outre-mer ». (28 novembre 2016, à la Réunion). C’est clair : le pillage continuerait avec elle. De son côté, Fillon veut carrément « des dispositifs de défiscalisation plus ambitieux ». Les systèmes actuels seront « à la fois pérennisé et renforcé ». C’est clair ? Et ce n’est pas tout : de « nouvelles zones franches comprendront des déductions totales d’impôts directs pour les entreprises ». On ne saurait rêver pire effet d’aubaine.

Que dire d’un tel modèle économique ? Il est cohérent avec les plans et la vision de la Commission à Bruxelles. Pour elle il s’agit là de région « ultra-périphérique ». Leur destin est d’être le bout du tuyau par lequel se déverseront les marchandises européennes sur les continents voisin. L’avenir de ces territoires est d’être une « économie de service », sans production puisque l’export européen doit pourvoir à tout. C’est donc une économie de comptoir. Toutes les productions locales, quand il y en a de significatives doivent être tournées vers l’export. C’est le cas pour la banane, le sucre et autres produits de l’agriculture productiviste héritée du modèle colonial.

Le plan que nous mettons en débat part du point de vue inverse. À nos yeux, les obligations que comporte la situation insulaire fonctionnent comme un miroir grossissant à la fois pour ce qu’il faut faire et ne pas faire. Dès lors, le progrès local insulaire doit servir de modèle pour les départements enclavés de métropole. Il doit se déployer dans le cadre de la planification écologique. L’idée est de partir de deux objectifs de premier plan clair et précis : l’autonomie énergétique et l’autonomie alimentaire. Le troisième volet du plan concerne le redéploiement dans la région comme partie prenante des ensembles politiques régionaux dans la caraïbes et sur le continent. Évidemment, cette façon de voir annule totalement la politique des cadeaux fiscaux et replace l’action de l’État au premier plan, la main dans la main avec les collectivités locales et les consultations populaires.

DERNIERS ARTICLES

Rechercher