Si on lit l’actualité avec les lunettes du passé, on ne peut rien comprendre à ce qui est en cours. Ceux qui croient que le pouvoir en place a des marges de manœuvres se trompent totalement. Macron agit sous la contrainte terrible de son choix d’allégeance inconditionnelle aux traités européens. Déjà acceptés par ses deux prédécesseurs qui ont été tous les deux déchiquetés pour cela. Parti sur un pied « d’européen inconditionnel », Macron a mis à son tour le doigt dans l’engrenage : défaire la France pour faire l’Europe. Ce qui commence pour lui par une urgence : sortir du processus d’excommunication européenne lancé contre la France « pour déficit abusif ». Si cette procédure aboutissait, elle se conclurait par une amende infligée à notre pays. On imagine quelle bombe ce serait. Non seulement une résistance a l’humiliation s’organiserait aussitôt, prenant les grands chefs en tenaille entre le peuple et la Commission. Mais on interpellerait sans difficulté la Commission sur les raisons qui l’ont conduite à ne jamais lancer de procédure contre l’Allemagne pour ses excédents commerciaux excessifs pourtant déloyaux et condamnables selon la lettre des traités et ainsi de suite.
Peut-être même demanderait-on à récupérer les 7 milliards de solde net que la France offre généreusement chaque année au budget européen pour aider les pays qui pratiquent contre elle le dumping social et fiscal. En attendant, cette procédure de chantage a déjà permis à la Commission d’obtenir quelques beaux dépeçages de la France. Services publics détruits (« compétitivité »), faveurs sans fin pour les plus riches (« attractivité »), code du travail en miette (« flexibilité ») et ainsi de suite. Toutes les mesures les plus odieuses et les plus mal vécues à juste titre par le pays viennent des injonctions de « l’Europe qui nous protège ». Il n’y a pas un aspect de ce que fait Macron qui n’en découle directement. Dans ces conditions, la stratégie de réplique que nous menons doit en tenir compte. Elle doit intégrer que le rythme du calendrier d’agression générale lancé par Macron ne vient pas seulement de ses convictions fondamentalement acquises au monde que veut dessiner la politique libérale en Europe. Elle dépend du fouet manié par les « commissaires » de Bruxelles.
En ce moment commence le changement de contexte que j’évoquais la semaine passée. L’effet boule de neige est commencé. Après le retour de Force Ouvrière dans la bataille contre les ordonnances s’ajoute dorénavant la participation de la CFDT elle-même à l’action intersyndicale et interprofessionnelle initiée par la CGT et Solidaire. Il n’y a pas meilleure nouvelle pour nous. C’est exactement ce que demandait mon discours place de la République le 23 septembre. Nous nous alignerons donc derrière les syndicats comme nous l’avions fait le 12 et le 21 septembre. Mais cette fois-ci, nous avons le sentiment que la vague à déclencher tous ensemble peut emporter la décision en ouvrant une séquence entièrement nouvelle. C’est pourquoi notre mouvement s’efforce de prendre sa part partout où il le peut et sous toutes les formes possibles à la mobilisation à construire. Le 10 octobre va fonctionner comme un test qui va nous permettre d’évaluer la motivation au combat des fonctionnaires et des professions qui s’associent à leur journée d’action. On va aussi évaluer les effets dynamiques de l’intersyndicalisme qui va se montrer ce jour-là. Nous arc-boutons nos forces pour aider de toutes les façons possibles le rassemblement.
C’est dans ce contexte qu’il faut placer le sens de l’incroyable charge médiatique que nous subissons. Le système redoute la jonction du mouvement social et de l’action de l’opposition politique dont nous sommes la pointe avancée. Chaque jour, donc, et parfois deux fois par jour, nous faisons l’objet d’un buzz préfabriqué. D’une façon générale, il s’agit d’une entreprise de dénigrement. Elle est destinée à nous disqualifier sous le poids d’accusations infâmes comme cet « islamo-gauchisme » que nous imputent l’extrême-droite de l’Assemblée nationale avec le renfort de personnages aussi douteux que Manuel Valls.
L’entrée en lice de ce masque de haine se comprend comme sa contribution au système macroniste. Il n’est pas sûr que celui-ci en soit si content car Valls incarne ce qu’une bonne partie de « La République en marche » ne supporte pas davantage que nous. Valls endosse avec zèle le rôle. Il a sa raison. Son objectif est de communautariser la prochaine élection à Evry si le scandale de la précédente est bien sanctionné par le Conseil constitutionnel comme le pressentent de nombreux observateurs. Ce choix de mener une campagne violente et clivante oblige tous ses clients locaux et nationaux à un rude alignement. Il a une origine. Valls a fait ce choix en fin de campagne déjà. Depuis, après avoir trahi une partie de son propre appareil aux sénatoriales, il s’est considérablement isolé localement. Là bas, un nombre conséquent de PS ne supportent plus ni le personnage, ni sa brutalité, ni son usurpation de l’identité socialiste locale, ni la communautarisation de la politique locale.
Tout se tient. Aussitôt surgit du bois la phalange bien connue des miliciens de tous les communautarismes dans leurs divers déguisements. C’est eux qui nous affrontent de nouveau en ce moment. Les mêmes que sur le Vénézuélaaaaaa. Je n’évoque que cet aspect de la campagne que nous subissons. Mais j’aurais pu revenir sur la campagne raciste contre Danielle Obono ou l’ignoble machisme qui accable semaine après semaine Raquel Garrido. Et je ne dis rien non plus de ce que je dois subir, quoi que ce soit d’une moindre intensité que mes camarades femmes, comme d’habitude. Parfois c’est très rude. On remarquera que n’importe quels arguments, même les plus vils et personnels, sont autorisés contre nous. Mais la moindre réplique mobilise des bataillons de plumitifs dégoulinant de haine anti-populaire.
Au milieu de toutes ces infamies on se souviendra spécialement des supplétifs les plus ahuris des macronistes. Ceux qui sont venus nous agresser sur la place de la République le 23 septembre pour essayer de briser notre marche contre les ordonnances. Ce risible petit groupe de fils-à-papa qui s’amusent en politique, et que repoussèrent aux cris de « non aux fascistes » les braves gens arrivés les premiers sur la place, restera dans les annales de la stupidité en politique. On notera aussi le silence des faux amis de toujours. Ceux qui se tiennent à distance mais n’hésitent jamais pour un petit coup de poignard dans le dos en pleine bataille. Sans oublier tous ceux qui « préparent le congrès » dans les divers partis et désertent les devoirs de l’action « ici et maintenant ». Ceux-là attendent en silence que cela leur profite sans comprendre rien au fond de ce qui se joue dans ce bras de fer. Car c’est pourtant juste le droit d’être une opposition politique qui est en cause. Si nous n’existions pas, il n’y en aurait pas. Rien ne serait visible ni audible. Si nous sommes vaincus, c’est-à-dire si nous sommes réduits au silence par lassitude ou souffrance, qui serait renforcé ? Qui ? Macron doit se marrer de voir cette galerie des fantômes du passé en train de se dévorer le nombril, de la droite conventionnelle au PS.
Deux choses m’amusent cependant dans cette ambiance glauque. La première est cet aveu de quelques « journalistes » de sites internet. Pour garder leur part de marché publicitaire et honorer leur part de contrat avec les annonceurs, ils doivent maintenir une moyenne de fréquentation et de clics. Ils m’ont appris qu’en fin de séquence, si la moyenne des clics est sous la ligne du nombre promis au client, il existe une manière de booster la consommation. C’est de déclencher un buzz avec mon nom dans le titre. Naturellement cette information ne change rien à ma situation de harcelé. Mais elle me remplit du bonheur de pouvoir mépriser avec tranquillité d’esprit la meute d’esclaves lancée à mes trousses pour d’aussi misérables motifs.
L’autre chose qui me réjouit ce sont les éructations des chroniqueurs politique du journal Les Echos. À part ça, je veux dire a part le niveau lamentable digne du café du commerce des éditorialistes politique, c’est un bon journal plein d’informations économiques sérieuses et documentée. Mais là comme ailleurs, il y a deux ou trois bons à rien qu’on occupe aux sujets frivoles comme le commentaire de la scène politique. Nous ne sommes pas vraiment concernés. Car, bien sur, rares sont ceux de mes amis et du peuple avec qui nous agissons qui lisent Les Echos. Par conséquent aucune de ces vitupérations ne les atteindra jamais. Mais ceux qui payent pour acheter ce journal ? Quel intérêt peuvent-ils trouver à de tels simplismes caricaturaux ? Je ne suis même pas sûr que cela leur fasse du bien au moral. Je suis heureux qu’ils paient pour lire des diatribes sur mon compte qui ne leur apprennent rien et les traitent eux-mêmes comme un bétail inculte. Je suis heureux que leurs propres sentinelles leur fassent croire que nous n’avons aucune proposition ni aucun programme concernant le partage des richesses et l’écologie. Pris par surprise, le moment venus, ils seront moins réactifs. La vieille gauche a assez fait payer à toute la gauche le prix de l’auto-aveuglement pour que nous n’apprécions pas à sa juste valeur le travail d’abrutissement que ces éditorialistes réalisent à droite pour notre compte.