On a encore bien amusé le vain peuple avec ce « sommet social » en Suède. Et la posture de notre Jupiter de poche a été amplement encensée sans aucune retenue ni examen critique. Pourtant le « socle européen des droits sociaux » a été proclamé dans une ambiance hébétée d’ennui sur place. Personne n’y croyait. D’ailleurs il n’y avait aucun représentant du gouvernement allemand. Normal : il n’y a pas encore de gouvernement allemand ! Mais le sommet avait si peu de sens concret qu’on pouvait se passer de l’avis de la première économie du continent. Il a fallu donc bien de l’énergie pour réchauffer les apparences par un passage correcteur dans les tuyaux du système de propagande médiatique français. Il est vrai qu’y pullule une masse active d’euros-béats pavloviens. Et tous ne sont pas de purs esprits sans intérêt bien matériels dans l’Euro-business officiel. Personne ne saura donc que le « socle » en question est une déclaration sans aucune valeur législative ou contraignante. Le club de philatélistes de votre quartier peut donc en adopter une autre et cela n’aura pas plus d’effets. Personne ne saura non plus qu’un tel « socle » a déjà été promulgué en 1989 !
Ça s’appelait « charte des droits fondamentaux des travailleurs ». Adoptée par le Conseil européen de décembre 1989, elle était présentée comme le pendant de l’Acte unique. Elle était autrement plus ambitieuse que le texte adopté au sommet de Göteborg. Par exemple, elle s’opposait au principe même du travail détaché pourtant adopté sept ans plus tard par « l’Europe qui nous protège ». Le texte affirmait : « Le droit à la libre circulation permet à tout travailleur d’exercer toute profession ou tout métier dans la Communauté selon les principes de l’Égalité de traitement, pour l’accès au travail, les conditions de travail ainsi que la protection sociale du pays d’accueil. » Cette charte posait aussi l’objectif de la convergence sociale par le haut. Elle prônait le « rapprochement dans le progrès des durées de travail, des congés payés annuels et des protections concernant la santé des travailleurs ». Tout cela est bien fini. Le coup de bluff de Göteborg sera d’avoir fait passer une régression pour une avancée. Avec la participation active de tous les bourreurs de crane, staff de communicants, et responsables politiques qui lisent des fiches au dernier moment sans précaution ni recul.
Adieu donc « la charte » qui faisait trop déclamatoire et vive le « socle » plus techno ! Sublime. Personne ne fera la comparaison entre les deux textes. Trop long coco ! Et personne ne se hasardera non plus à comparer avec quoi que ce soit d’autre, d’une façon générale. Ce n’est pas le sujet le sujet, coco ! Le sujet c’est Jupiter, ses pompes et ses œuvres ! Les petits curieux n’apprendront donc que de moi que la nouvelle déclaration signée par le très grand champion du rêve européen a un contenu moins ambitieux que la charte sociale européenne du « conseil de l’Europe ». Encore faut-il savoir que le Conseil de l’Europe existe. Ça embrouille coco ! Il faut donc rappeler qu’il s’agit d’un organisme différent de l’Union Européenne ! Ça embrouille à mort, coco ! Et qu’il contient 47 pays dont la totalité des membres de l’Union européenne et… la Russie ! Oui, la Russie ! Et personne ne le sait ! Mais que fait Jean-Michel Aphatie qui dénonçait le statut d’observateur de la Russie dans l’Alba et supporte que la France de Macron soit encore membre du Conseil de l’Europe à égalité avec la Russie ? Donc, ce conseil dispose d’une déclaration sociale. Elle date de 1961, certes. Mais elle est plus ambitieuse que celle de cette année 2017 signée par le pétaradant président français ! On voit qu’on avance !
L’Europe nous protège de plus en plus ! Merci qui ? Admettons une critique : en 1961 c’était encore l’URSS et le bourgeois lâchait du lest pour ne pas tout perdre ! Objection rejetée ! Car la déclaration de 1961 a été mise à jour en 1999 ! Hélas, à cette époque-là, le bourgeois ne craignait plus rien ou presque ! Donc, la déclaration de 2017 des gugusses de « l’Union européenne » est moins ambitieuse que celle signée par les mêmes gugusses en 1999. L’Europe, quelle magnifique machine à remonter le temps social ! Dommage, en 1999 le texte parlait de réduire le temps de travail comme conséquence des gains de productivité ! Incroyable non ? Aujourd’hui on est enfin raisonnable ! Le texte institue des conceptions plus saines et modernes. Ses recommandations sont émouvantes comme un discours du MEDEF. Voici l’Europe sociale en marche avec son nouveau « socle » : « la flexibilité nécessaire aux employeurs pour s’adapter rapidement aux changements du contexte économique doit être garantie. ». Douce et respectueuse pour les travailleurs la nouvelle déclaration sait les distinguer des fainéants de chômeurs indemnisés. « Ces prestations ne doivent pas avoir un effet dissuasif pour un retour rapide à l’emploi. » proclame la nouvelle déclaration ! Et même :« Pour ceux qui peuvent travailler, les prestations de revenu minimum devraient être combinées à des incitations à (ré)intégrer le marché du travail. » Bon…. Il est vrai qu’il n’y a plus d’URSS et que « La France insoumise » n’a pas gagné l’élection présidentielle.
Mais que faut-il penser des impétueuses déclarations du président français ? Doit-on, comme le propose le parti médiatique, chanter des alléluias ? On commencera plutôt par s’étonner. Que fait cet homme à ce sommet s’il n’y vient que pour signer un texte qui ne comporte aucune des propositions qu’il fait à la fin ? On se demandera donc si ce texte a vraiment été travaillé par les Français avant le sommet. Ou bien peut-être s’agit-il d’une comédie. Il signe le texte et se donne des airs en proposant des idées supplémentaires dont il sait qu’il n’en fera rien. À vous, chers lecteurs de choisir une interprétation d’un tel comportement si désinvolte.
Mais la curiosité nous a conduit plus loin. Car Macron est un homme habile dans l’art de la gesticulation communicationnelle, certain qu’il est de ne jamais être troublé par les « décodeurs », « décrypteurs » et autres spécialistes plutôt axé sur le pinaillage contre la LFI. Par exemple, si je parle des 29 États de l’Union, il n’y a pas une pompe à buzz qui ne fasse entendre son ricanement ! Mais quand Macron propose une police des frontières en Europe, un office des réfugiés etc. personne ne relève que tout ça existe déjà. Macron sait que personne ne lui demande de compte. Il l’avait vérifié à l’occasion de son discours à la Sorbonne sur l’Europe. Aucun des grands esprits qui veillent sur la doctrine de la foi n’avait relevé que nombre des « propositions concrètes » du grand homme de l’Europe existaient déjà ou n’avaient aucun sens concret. Il sait donc qu’il peut dire n’importe quoi sans craindre d’être démenti par les médias de la vraie religion. Il s’y abandonne donc sans retenue.
Ce fut le cas cette fois-ci encore jusque dans les mouvements de mentons. « Je suis pour conditionner les fonds structurels à la convergence sociale. On ne peut pas laisser se développer un « business model » de dumping fiscal et social financé par les fonds européens ». Sublime, non ? Il propose donc deux critères. Voyons le premier : « l’existence d’un salaire minimum ». Malin, car ça ne contrarie personne. En effet les pays qui n’ont pas de salaire minimum légal ne sont pas ceux qui font du dumping social. Il s’agit de l’Italie et de la Suède. En revanche il existe un salaire minimum en Bulgarie. Il est de 235 euros mensuels ! Vous avez dit dumping social ? Deuxième critère de Macron, l’homme qui ne plaisante pas sur les critères sociaux de l’Europe qui protège : il s’agit cette fois ci d’établir une fourchette de taux d’impôt sur les sociétés. Hors de la fourchette, pas de fonds structurels européens ! Malin le gars ! Ça ne dérange personne car les États concernés ne sont pas impliqués. Le fonds de cohésion n’est ouvert ni à l’Irlande, ni au Luxembourg, ni aux Pays-Bas qui sont les trous noirs par où passe le flux de la fraude et de l’évasion fiscale à l’intérieur de l’Union Européenne. Quant aux autres fonds disponibles, ils sont distribués au niveau régional et donc déconnectés des responsabilités des politiques nationales. Littéralement cela signifie : « parler pour ne rien dire ».
Voilà une illustration de la ligne communicationnelle déjà expérimentée à l’occasion du cinéma sur le statut des travailleurs détachés. Jupiter et ses porte-voix médiatiques avaient proclamés avoir obtenu un durcissement de la directive travailleurs détachés. Quelle victoire ! avait béé tout le parti médiatique ! Il s’agissait de la réduction de la durée maximum d’un contrat de travailleur détaché à 12 mois au lieu de 24 ! Trompe l’œil parfait. En effet la durée moyenne du détachement en France est de 47 jours. Et le secteur le plus exposé, celui des transporteurs routiers a été exclu de cette nouvelle version de la directive. Mais pendant ces effets de tape à l’œil, l’essentiel du cœur de la directive reste intact. En effet, les cotisations sociales du travailleur détaché continuent d’être payées dans le pays d’origine du détaché. S’il y a un « business-plan » fondé sur le dumping social, c’est bien celui-ci. Mais Macron est resté muet sur le sujet quand il était sur la table de la négociation !
Après quoi il ne reste plus qu’à voir le dernier trompe l’œil de l’affaire. Macron veut « Créer une Agence du travail européen pour contrôler le respect des règles sociales ». C’est beau comme une revendication sociale-démocrate. Evidemment l’impétrant n’en pense pas un mot et ne croit pas une seconde que cela pourrait avoir le moindre sens pratique. En tous cas pas en France. Car dans ce pays, depuis 2009 on a déjà supprimé 1800 postes d’inspecteurs du travail. Et l’actuel projet de loi de finance prévoit d’autres suppressions.