L’entretien du président de la République diffusé dimanche soir sur France 2 était un modèle du journalisme de révérence et de complaisance. La séquence était entièrement construite à la gloire du président de la République. Les « questions qui fâchent » étaient ici absentes. Cette impertinence sadique n’était-elle pas le prétexte de France 2 pour justifier le traquenard de « L’Émission politique » à laquelle j’ai participé ? Même sans être aussi abjecte, la séquence aurait pourtant eu matière à aller plus loin que les rites du passe-plat.
Ainsi du dialogue entre Laurent Delahousse et Emmanuel Macron sur l’écologie. Le Président y adopte clairement une position pro-finance, il parle de « la finance au chevet du climat ». Une position pour le moins étonnante. En effet, entre 2014 et 2017, les grandes banques ont financé pour 630 milliards de dollars des entreprises du charbon. Les banques françaises ont même augmenté depuis 2015 leurs investissements dans le charbon de 135%. Ces chiffres sont publics. Ils ont été publiés par des ONG le jour de la tenue du sommet climat-finance qui était aussi le jour d’enregistrement de l’interview. Emmanuel Macron n’y sera pas confronté par un Laurent Delahousse préférant commenter : « c’est votre héroïsme en politique qui revient, là ? ».
De même, le président peut affirmer vouloir rester dans le nucléaire parce qu’il veut développer les énergies renouvelables sans qu’on lui fasse remarquer l’incohérence cette position. Rester dans le nucléaire signifie dépenser 100 milliards d’euros pour le grand carénage des centrales. Autant d’argent qui ne sera donc pas investi dans les énergies renouvelables. Aucune réaction non plus de la part du journaliste lorsqu’il qualifie de « grande avancée » la décision européenne sur le glyphosate. Tout le monde sait pourtant que cette décision était une défaite de la France.
Une autre partie de l’entretien a porté sur la politique internationale. On peut d’abord s’étonner qu’il ne fut pas du tout question d’un des sujets fétiches des journalistes politiques de France 2 : le Venezuela. Pourtant, celui qui est décrit comme le plus proche conseiller d’Emmanuel Macron, Ismaël Emelien, n’a-t-il pas participé directement à la campagne de Maduro en 2014 ? Le service public a permis au président de s’exprimer sur la situation en Syrie, ce qu’il m’avait refusé. Il faut noter qu’Emmanuel Macron s’est sur ce sujet rapproché de la position défendue depuis le début par « La France insoumise » sous les quolibets, à l’époque, des brosses à reluire de la chaîne publique : discuter avec tous les acteurs présents sur le terrain pour trouver une solution politique durable en Syrie. Il est vrai que ce n’est autre que la position qui est contenue dans les résolutions de l’ONU.
Là encore, des incohérences auraient pu être soulevées entre ces paroles et les actes posés par le gouvernement. Ainsi, alors que Laurent Delahousse, par ses questions, tentait de faire passer Emmanuel Macron pour le contrepoids à Donald Trump sur la scène internationale, le président soutient la création d’une Europe de la défense totalement imbriquée dans l’OTAN, l’alliance militaire dirigée par les États-Unis. Ce ne sont pas là des interprétations mais ce qu’ont affirmé les dirigeants européens eux-mêmes dans leur lettre d’intention sur l’Europe de la défense et lors d’un sommet UE-OTAN le 5 décembre. On ne saura pas non plus comment peuvent s’accorder la volonté d’avoir une position équilibrée au Moyen-Orient et les déclarations hostiles à l’égard de l’Iran prononcées par le ministre français des Affaires étrangères depuis l’Arabie Saoudite.
Cet entretien s’est aussi illustré par les questions totalement ignorées. Pas un mot sur la réforme de l’Université qui rompt avec le principe du droit de choisir ses études pour tous les bacheliers. L’entretien a été enregistré à deux jours du Conseil européen de fin d’année mais cela n’a pas donné lieu à une seule question. Le budget en faveur des riches va être voté définitivement la semaine prochaine, alors qu’un rapport sur l’explosion des inégalités au niveau mondial est publié mais cela n’a pas fait partie des thèmes retenus par France 2. Certes, tous les sujets ne peuvent pas être abordés en 45 minutes mais Laurent Delahousse et Emmanuel Macron ont eu le temps d’échanger sur l’ameublement du bureau et la durée des nuits présidentielles.
La comparaison entre cet entretien et le traitement dont j’ai été la victime pendant l’émission politique est cruelle pour France 2. Elle montre où en est le média public. Un tel état de fait est problématique en République. Les médias devraient permettre le débat contradictoire en traitant de la même manière les différents courants politiques. Ici, certains sont présentés avec une hostilité systématique quand le pouvoir jouit d’une très grande complaisance. Il convient, dans l’intérêt du débat démocratique de rééquilibrer les choses. Je crois que la création d’un conseil de déontologie du journalisme sera un premier pas dans cette voie.