Lettre de Jean-Luc Mélenchon aux éditions Fayard.
Chère Éditrice,
Nos succès d’édition, l’estime et l’amitié personnelle que je vous porte, le respect que m’ont toujours inspiré votre culture et votre sensibilité littéraire me permettent de vous dire sans détour et publiquement l’horreur que m’inspire une décision d’édition dont il se dit que votre maison se rendrait bientôt responsable.
J’ai appris par la presse que vous projetiez d’éditer en 2016 Mein Kampf d’Adolf Hitler. Je veux vous dire mon opposition totale à ce projet.
Ce livre est le texte principal du plus grand criminel de l’ère moderne. Responsable de la plus grande guerre que le monde ait connu dans son histoire, coupable de ce fait de dizaines de millions de morts, il est de plus le fondateur d’une idéologie de « solution finale» organisant méthodiquement et industriellement le massacre génocidaire des populations juives et tziganes, le meurtre de masse des homosexuels, de ses opposants politiques francs-maçons, communistes, syndicalistes, socialistes qui eurent le malheur de tomber entre les mains de son régime et de ses collaborateurs. Mein Kampf est l’acte de condamnation à mort de 6 millions de personnes dans les camps nazis et de 50 millions de morts au total dans la deuxième Guerre Mondiale. Il est la négation même de l’idée d’humanité universelle.
Votre volonté d’une édition critique, avec des commentaires d’historiens ne change rien à mon désaccord. Editer, c’est diffuser. La simple évocation de votre projet a déjà assuré une publicité inégalée à ce livre criminel. Rééditer ce livre, c’est le rendre accessible à n’importe qui. Qui a besoin de le lire ? Quelle utilité à faire connaître davantage les délires criminels qu’il affiche ? Qui n’a été assez à l’école ou n’a jamais parlé avec les témoins des générations directement impliquées pour connaître et ressentir au plus profond de soi l’abomination du nazisme et des crimes d’Adolf Hitler annoncés dans Mein Kampf ?
Que le livre tombe dans le domaine public rendant possible n’importe quelle édition n’est pas un argument convaincant. Cela ne saurait vous exonérer de votre responsabilité personnelle et morale d’en assumer la diffusion, et sans aucun doute possible, la publicité.
Vous n’y avez aucune responsabilité mais vous savez que la maison Fayard avait déjà édité ce livre abject en 1938. Pourquoi renouveler une aussi méprisable initiative ? Cela ne peut qu’ajouter le mal au mal qu’il contient. Comment oublier que cette édition fut faite à l’époque avec l’accord personnel d’Adolf Hitler et en accédant à sa demande de falsification des passages les plus hostiles à la France pour mieux faire passer sa propagande antisémite. Le découvrir en apprenant votre volonté de le rééditer l’an prochain me glace. Sous l’ombre mortelle que l’histoire projette sur votre maison, le rappel de cette responsabilité prise dans le passé doit vous interpeller. Même si l’affaire est bonne, perdez de l’argent plutôt que l’honneur de refuser de concourir si peu que ce soit aux crimes que notre époque contient de nouveau. Car vous savez aussi bien que moi dans quel contexte cette édition va intervenir : dans toute l’Europe et en France, l’ethnicisme le plus ouvert et barbare s’affiche de nouveau. La leçon du bilan nazi et des incitations criminelles de Mein Kampf s’efface des consciences à l’heure où recommencent des persécutions antisémites et anti-musulmanes. Ce monde sans mémoire voit même un Premier ministre d’Israël nier la responsabilité de l’Allemagne nazie et de son guide dément dans la Shoah ! Ce monde sans mémoire voit le service public de télévision et combien d’autres promouvoir sans fin les nouveaux visages de l’ethnicisme dans notre pays y propageant le venin de la haine des autres et les germes de la guerre civile.
Je ne prétends nullement vous imposer mes vues, cela va de soi. Je crois qu’une maison d’édition est davantage qu’un commerce de la lecture. La vertu, la brûlante exigence pour l’esprit de se sentir responsable de tout et d’abord des autres, la célébration des enseignements humains fondamentaux doivent commander à ceux qui ont l’honneur d’être les « pousse à penser » de leur lecteurs. Mais je tiens à vous faire part de mon opposition personnelle, politique et philosophique à ce projet. Je vous demande donc solennellement de renoncer à cette publication. Chère Éditrice, je vous ai confié l’an dernier l’édition de mon livre L’Ere du peuple. Son sens est a l’exact opposé de l’idéologie ethniciste criminelle de Mein Kampf. Chère Éditrice, je ne veux rien avoir à faire avec qui s’abaisserait à ce nouveau crime contre l’esprit et le devoir le plus ardent à la mémoire de ceux que ce livre a assassiné. Ne nous exposez pas à la honte d’avoisiner l’édition de cette ignominie.
Avec ma fidèle amitié.