Après les dénonciations prononcées par de nombreuses associations féministes, je veux à mon tour contribuer à l’information de qui me lit : les femmes seront les premières victimes de la loi El Khomri. C’est ce qu’ont dénoncé coup sur coup de nombreuses militantes féministes dans une tribune et c’est l’avis officiel sur le projet de loi du Conseil supérieur de l’égalité professionnelle rattaché au ministère du Droit des femmes ! Ce n’est pas surprenant. Tout ce qui renforce la précarité précarise encore plus les salariés les plus précaires, c’est-à-dire les femmes.
Car 82% des salariés à temps partiel sont des femmes ! Or, deux mesures vont frapper durement les salariés à temps partiel. Les salariés à temps partiel rêvent de temps plein ou d’heures supplémentaires pour améliorer leur situation. Or, comme pour les heures supplémentaires des salariés à temps plein, le projet de loi prévoit une baisse de la majoration des heures complémentaires, c’est-à-dire les heures supplémentaires des salariés à temps partiel. La conséquence du projet de loi est donc pire pour ces salariés. Car il ramène la majoration des heures complémentaires de 25% à 10% ! Cela se traduira très vite en baisse sur les feuilles de paye de nombreuses femmes embauchées à temps partiel et qui ont un quota d’heures complémentaires.
Une autre mesure va rendre encore plus compliquée la vie des salariés à temps partiel et notamment des femmes. Je veux parler de la réduction incroyable du délai que doit respecter un employeur pour changer les horaires d’un salarié à temps partiel. On appelle cela le « délai de prévenance ». Changer les horaires de quelqu’un ce n’est pas un petit changement dans l’organisation de sa vie pratique ! Aujourd’hui, ce délai est de 7 jours. En théorie, votre employeur doit vous prévenir une semaine à l’avance que vous commencerez plus tôt ou finirez plus tard un jour prochain. Je dis en théorie car cette règle n’est déjà pas appliquée correctement partout. Mais demain, ce sera pire ! Vous pourrez n’être prévenu que trois jours à l’avance ! Cette mesure est typiquement une mesure anti-femmes.
D’abord parce que l’essentiel des salariés concernés sont des femmes comme je l’ai dit. Mais aussi parce que ce sont les femmes qui seront le plus mises en difficulté par ces changements d’horaire de dernière minute. Pourquoi ? Parce que ce sont les femmes qui assurent aujourd’hui encore l’essentiel des tâches ménagères et s’occupent notamment des enfants. Or, quand les horaires de travail changent, les horaires de la crèche, de la garderie ou de l’école, eux ne changent pas ! Souvent, commencer le travail une demi-heure plus tôt ou finir une demi-heure plus tard est un casse-tête logistique. Sans parler de l’angoisse d’un parent qui se demande si ses enfants sont bien rentrés de l’école.
Il en va ainsi pour toutes les mesures de flexibilisation du temps de travail. Qu’il s’agisse de la tri-annualisation du temps de travail sur trois ans qui deviendra possible en cas d’accord de branche. Cette hausse de la flexibilité horaire frappera d’abord les femmes qui assument la majorité des charges de famille et tâches ménagères. Ou encore du recours facilité au décompte du temps de travail au forfait-jour plutôt qu’en heures dans les PME même s’il sera un peu plus encadré que dans la première version du projet de loi. Déjà dans mon intervention au Sénat contre le principe du temps de travail au forfait-jour en 1999, j’avais pointé le risque aggravé que constitue ce système pour les femmes.
« Un déséquilibre apparaît dans ce texte en défaveur des salarié(e)s et singulièrement des femmes ». C’est ce que dit le très officiel Conseil supérieur de l’égalité professionnelle rattaché au ministère du Droit des femmes dans son avis sur le projet de loi El Khomri. Il complète : « même si ces mesures ne visent pas explicitement une dégradation de la situation des femmes, elles auront un impact négatif sur elles. Il s’agit bien d’un risque de discrimination indirecte. » Et il pointe plusieurs autres mesures encore plus défavorables pour les femmes en particulier qu’elles ne le sont déjà pour tous les salariés en général.
Le projet de loi fait ainsi peser un « risque de licenciement plus grand pour les femmes » écrit ce Conseil. Pourquoi ? Parce que l’extension des accords de compétitivité va permettre de licencier encore plus facilement un salarié qui refuse la modification de son salaire ou de ses horaires de travail. Or, écrit le Conseil supérieur de l’égalité professionnelle, « ces mesures sont particulièrement défavorables aux femmes, pour qui cela peut signifier d’être obligée de renoncer à son emploi. Car du fait d’autres charges qu’elles assument, elles ont beaucoup moins de possibilités d’adaptation » de leur horaire ou temps de travail. Elles subiront donc une double peine, professionnelle et sociale, comme leurs collègues masculins, mais aussi personnelle.
Et les artifices du gouvernement ne masqueront pas cette réalité. Le gouvernement veut faire croire que tous ces reculs n’en seront pas vraiment car la plupart sont conditionnés à des accords de branche ou d’entreprise. C’est déjà abandonner les salariés à un rapport de force moins favorable qu’au niveau national. Et faire primer le chantage patronal sur une loi protectrice et égale pour tous. Mais c’est un argument particulièrement malhonnête concernant les risques encourus par les femmes. Pourquoi ? Parce que les femmes « sont plus nombreuses dans les secteurs les moins couverts syndicalement » et donc où le rapport de force sera moins favorable écrit le Conseil supérieur de l’égalité professionnelle. Ainsi, le renforcement et la primauté des accords d’entreprise sur les accords de branche ou sur la loi nuiront encore plus aux femmes qu’aux salariés en général, pourtant déjà bien menacés.