Dans mon intervention devant le Parlement européen à propos des « Panama papers », j’ai cité le cas d’Antoine Deltour qui va être jugé le 26 avril prochain au Luxembourg. Il est accusé de violation du secret professionnel et du secret des affaires. Son crime ? Avoir révélé des preuves d’un système méthodique d’organisation de l’évasion fiscale des multinationales vers le Luxembourg pendant les 18 années du pouvoir de Jean-Claude Juncker. Il risque jusqu’à 10 ans de prison et un million d’euros d’amende. Dans le même temps, le responsable du scandale a été élu président de la Commission européenne. Et deux sessions de la commission d’enquête du Parlement européen sur cette affaire n’ont abouti à rien !
Ce n’est pas aussi incroyable que cela en a l’air. Juncker, comme Premier ministre du Luxembourg, ne violait pas la loi de son pays quand il accordait des faveurs fiscales à chaque entreprise qui en demandait pour installer son siège au Luxembourg. Il ne violait pas non plus la loi européenne puisque celle-ci interdit l’harmonisation fiscale européenne. En fait il se comportait comme un « bon élève de la classe », comme dirait Hollande en utilisant les ressorts de l’Union pour duper tous ses partenaires et faire de l’argent fiscal sur leur dos. Exactement comme le gouvernement allemand fait du dumping social sur le dos de tous ses partenaires et accumule les excédents commerciaux.
Mais Deltour est français. Que fait le grand président François Hollande dans cette affaire ? Rien, bien sûr, comme d’habitude. Mais alors quelle hypocrisie d’avoir affirmé au lendemain de l’explosion du « Panama papers » vouloir « remercier » et « protéger les lanceurs d’alertes. C’est grâce à un lanceur d’alertes que nous avons maintenant ces informations. Ces lanceurs d’alertes font un travail utile pour la communauté internationale. Ils prennent des risques, ils doivent donc être protégés ». Hollande protecteur des lanceurs d’alerte ! Quelle mascarade de plus ! Car que fait-il pour protéger ceux qui sont actuellement poursuivis ? Pourquoi a-t-il refusé d’accorder l’asile politique en France à Edward Snowden ou Julian Assange ? Qu’a-t-il à dire à tous les lanceurs d’alertes pourchassés et sanctionnés dont parle la journaliste Eloïse Lebourg dans sa série documentaire et dans le dernier épisode de mon émission « Pas vu à la télé » sur ma chaîne YouTube ? Et que fait le gouvernement français pour « protéger » Antoine Deltour, le lanceur d’alerte à l’origine des révélations du Luxleaks ? Rien. Antoine Deltour sera jugé le 26 avril prochain au Luxembourg.
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Antoine Deltour est un ancien membre d’un cabinet de conseil. C’est lui qui a sorti les informations sur ce système très organisé entre le gouvernement du Luxembourg et 340 entreprises multinationales. Il a dévoilé 28 000 pages de 548 accords entre le Luxembourg et ces firmes ! Ces accords ont permis aux plus grosses firmes transnationales comme Apple, Amazon ou Disney, et plusieurs banques, de réduire considérablement leurs impôts en organisant la remontée de leurs bénéfices vers le Luxembourg et en « encadrant » les impôts payés dans ce pays. L’administration fiscale du Luxembourg délivrait, et délivre toujours, un « rescrit fiscal » à l’entreprise, c’est-à-dire un document fixant les règles fiscales applicables et protégeant de tout redressement en cas d’erreur. L’évasion fiscale ainsi organisée se chiffre en centaines de milliards d’euros !
Antoine Deltour est français. Il risque plusieurs années de prison, et plus d’un million d’euros d’amende. C’est notamment lui qui a fourni ces éléments à l’émission Cash Investigation de France2. Que fait le gouvernement pour lui venir en aide ? Un site internet de soutien a été ouvert. Une pétition de soutien a recueilli plusieurs dizaines de milliers de signatures. De très nombreuses personnalités soutiennent Antoine Deltour. Je le soutiens également sans réserve. Son acte était un acte citoyen, défendant l’intérêt général. Qu’il soit poursuivi alors que l’instigateur de cette évasion fiscale dirige la Commission européenne est un symbole terrifiant du fonctionnement de l’Union européenne. Bien sûr, aucune entreprise bénéficiaire n’est poursuivie puisque ce système était, et reste toujours, légal en Europe.
Dans ce domaine il y a du neuf en Europe. On se souvient que j’ai plaidé pour un statut protecteur des lanceurs d’alerte mardi. Dès jeudi j’ai eu ma réponse. Le parlement européen a été saisi d’une directive présentée par la Commission européenne pour « protéger le secret des affaires » contre les « divulgations illicites ». On croit rêver ! N’écoutant ni les oppositions des journalistes, ni des syndicalistes de tout le continent, restant sourd aux appels de la société civile et de nombreux lanceurs d’alerte, il a décidé de passer en force. Cette directive vise à introduire un système harmonisé de protection « des secrets d’affaire et des savoirs faire » en Europe. Ainsi « Les personnes physiques et morales auront la possibilité d’empêcher que des renseignements licitement sous leur contrôle ne soient divulgués à des tiers ou acquis ou utilisés par eux sans leur consentement et d’une manière contraire aux usages commerciaux honnêtes ».
Vous ne comprenez pas facilement la langue de béton européenne ? Lisez une seconde fois. On voit qu’il s’agit en fait de donner aux multinationales des moyens d’attaquer les citoyens qui oseraient dénoncer leurs agissements. Les procès et poursuite contre les lanceurs d’alerte ayant révélés LuxLeaks, SwissLeaks, Dieselgate en seraient hautement facilités. Les défenseurs de ce texte arguent qu’il permettrait aux petites entreprises de défendre leurs processus de production et leurs inventions face aux grandes multinationales. Dire cela, c’est être en dehors des réalités du système financier mondialisé. Ce texte ne bénéficiera justement qu’aux grands groupes désirant utiliser les secrets d’affaires pour contourner les législations et garde-fous sanitaires et sociaux mis en place par les Etats membres. Les artisans, les PME n’ont en réalité rien à y gagner.
Notez aussi que cette directive européenne coïncide justement avec une initiative similaire prise par le gouvernement des États-Unis. Car la protection des « secrets commerciaux » permettrait aux entreprises européennes et américaines de coopérer plus étroitement sans craindre les malveillants lanceurs d’alerte et autres énergumènes. Le cadre du TTIP se met en place de bien des manières. Et ce n’est pas rassurant car de lourds précédents existent aux États-Unis. Là bas, les produits chimiques toxiques utilisés pour l’exploration et l’exploitation du gaz de schiste ne peuvent être rendus publics car ils sont justement classés « secrets d’affaires ». Et lorsque sortent les « Panama Papers », Mossack Fonseca, le cabinet d’avocat panaméen responsable de cette fraude sans précédent à l’impôt, se permet de menacer de poursuites les journalistes qui relayent l’information, justement au nom du secret d’affaires.
J’ai voté contre ce texte cela va de soi. Mais le PS a voté pour après des explications embrouillées ou l’orateur socialiste a bafouillé a toute vitesse des mantras sans queue ni tête « … protéger les TPE, PME et les lanceurs d’alerte, la Commission doit proposer une autre fois et donc j’appelle à voter pour ce texte ».