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« La révolution citoyenne a déjà commencé » – L’interview des interview

L’interview des interviews est le recueil thème par thème du meilleur de ce qui m’a été demandé et du meilleur de ce que j’ai répondu dans les divers grands entretiens que j’ai donnés à la presse en 2016. Pour certains d’entre vous, cette lecture peut fonctionner comme un récapitulatif sur les arguments que j’ai développés en réponse à des questions que beaucoup se posent encore sur la campagne, la démarche « France insoumise », le programme en préparation et ma façon de penser le futur. Bonne lecture et bonnes vacances !

Sommaire

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FACE À LA CRISE ECOLOGIQUE

Avec leur participation contrariée au gouvernement et la disparition de leur groupe parlementaire à l’Assemblée après l’affaire Baupin, Europe Écologie-Les Verts semble dans un état de délitement avancé. Est-ce le bon moment pour vous qui portez depuis de nombreuses années le thème de l’éco-socialisme ?

EELV ne présente plus trop d’intérêt : les cabrioles de leurs dirigeants ont tout détruit. Les indispensables ce sont les milliers de militants écologistes engagés sur le terrain comme à Notre-Dame-des-Landes ou dans les actions pour la sortie du nucléaire, contre les pesticides… Ces gens ont des caractères trempés, on ne les séduit pas, on les convainc. Ça se mérite. Nous sommes sur le terrain depuis de nombreuses années donc nous avons fait la preuve de notre sincérité écologiste par notre implication dans les luttes. L’écologie, ce n’est pas un chapitre de mon programme, c’est sa trame. On peut faire équipe dans une élection. («La Révolution citoyenne a déjà commencé» – Les Inrocks – 25 mai 2016)

Après cinq mois de campagne, et par rapport à 2012, votre liberté de parole, en dehors des contraintes du Front de gauche, compense-t-il à vos yeux le déficit probable de structuration militante, de financement, de parrainages ?

Je veux d’abord commencer par ce qui est le plus important : cette campagne a pour moi une signification qui va au-delà de l’aspect purement électoral et immédiat. L’enjeu, c’est aussi l’installation d’un nouveau progressisme écologiste et social, d’un nouvel humanisme politique en France comme courant à vocation majoritaire en France.

Le vieux courant progressiste s’est effondré sur lui-même. Il a laissé des pièces et des morceaux très divers que des politiciens assemblent sans imagination ni cohérence pour aller aux élections. La première tâche consiste à reformuler notre cadre programmatique au sens historique du terme. Je ne parle pas ici de l’ensemble des mesures à mener lorsqu’on est élu, mais du projet pour changer l’histoire de la civilisation humaine, après le rêve socialiste. J’ai répondu à cette question par un cheminement spécifique qui s’est traduit dès le lendemain de 2012, avec les assises de l’éco-socialisme et la publication de mes livres La Règle verte puis L’Ère du peuple. C’est pour moi un changement de paradigme articulé autour du « peuple » comme acteur de l’histoire, la planification écologique, et une stratégie révolutionnaire appuyée sur la convocation d’une assemblée constituante.

Pour moi, l’écologie politique est le pivot du nouveau projet historique de l’humanisme progressiste. C’est le point de départ du raisonnement. Il n’y a qu’un écosystème compatible avec la vie humaine et cet écosystème est mis en danger. Par exemple, nous savons que les événements climatiques extrêmes sont déjà là, qu’ils vont s’amplifier, que leur progression ne sera pas linéaire. Ils nous mettent au pied du mur : tous ensemble ou chacun pour soi ? La rupture essentielle à opérer est donc avec le productivisme. Mais le productivisme est un tout où le social, l’écologie et la démocratie et la culture sont encastrés dans le système global que forme le nouvel âge du capitalisme financiarisé. («Si je suis élu, j’abrogerai la loi El Khomri» – Mediapart – 3 juillet 2016)

Y a-t-il un fait particulier qui vous a amené à ce cheminement vers la priorité écologique ?

Non, c’est un tout depuis 2007 et mes premiers textes sur le sujet. Il y a aussi des chocs qui viennent au renfort de votre prise de conscience. Nous sommes aujourd’hui 7 milliards d’humains. Quand je suis né, nous n’étions que 2 milliards et nous serons bientôt 10 milliards. C’est une pression sur l’écosystème spectaculaire ! Exemple : la mer Méditerranée se transforme en égoût : quand j’étais gamin, il n’y avait pas besoin de se faire vacciner pour aller se baigner ! Et quand vous montez dans un avion, vous allez à dix mille kilomètres de là et vous avez l’impression d’être toujours dans le même aéroport et la même ville, parce que la civilisation humaine a uniformisé les goûts et les couleurs en vue de ses productions de masse, même les plus inutiles.

Ma campagne sera donc la mise en scène de cette manière de voir les choses et de ses conséquences pratiques. À partir de là, on règle le problème de l’emploi, de la santé, de l’alimentation, dans un sens « collectiviste » en prenant comme point de départ un nouvel humanisme. Ma vision centralise l’être humain : je ne suis pas un environnementaliste, ou un naturaliste. Je pars du fait que c’est le seul écosystème compatible avec l’être humain.

J’ai aussi essayé de tirer des leçons de l’Amérique latine. On y a vu comment la seule redistribution des richesses, sans interroger ce qu’est une richesse aboutit à une situation absurde : on tire des millions de gens de la pauvreté qui deviennent classe moyenne en s’autodéfinissant par des modes de consommation ostentatoires sans fin et contre-productifs. Dès lors, je ne ferai plus de concessions. Ma campagne marchera sur deux jambes : ce nouvel humanisme et l’indépendantisme français. («Si je suis élu, j’abrogerai la loi El Khomri» – Mediapart – 3 juillet 2016)  

Que représente l’écologie dans votre démarche ?

L’écologie, c’est le point de départ et le point d’arrivée. On ne peut plus faire de la politique comme avant, et comme moi-même j’en ai fait toute ma vie. Il y a un rapport au temps qui n’est plus le même. On pensait que, quoi qu’il arrive, on avait le temps. Mais la civilisation humaine est entrée dans une crise de l’écosystème et de l’augmentation vertigineuse de la dette écologique. Les événements climatiques extrêmes ne sont plus une probabilité, mais une certitude. Le changement climatique est commencé, ce n’est pas un futur.

Nous sommes dans des processus sur lesquels on ne peut pas revenir. La loi, la Constitution, sont des processus réversibles. Mais les conséquences de la dégradation des écosystèmes, elles, sont irréversibles. Cette dimension d’urgence irréversible doit être au point de départ de la campagne.

Il faut partir de ça, en tenant compte de qui nous sommes : ce n’est pas la même responsabilité quand vous êtes la sixième puissance du monde que lorsque vous êtes la cent-quarantième. Nous avons une responsabilité devant l’humanité universelle. Cela vaut pour chaque peuple, mais nous en particulier en tant que peuple éduqué, avec une capitalisation extraordinaire. L’éducation est importante, car cela veut dire que nous avons les gens pour faire la mutation de la matrice productive du pays. («L’urgence écologique doit être au point de départ de ma campagne» – Reporterre – 3 juin 2016)

Concrètement, qu’allez-vous proposer ?

La question, c’est comment allumer le moteur. Si on propose une réforme de la Constitution, ce n’est pas seulement pour abolir la monarchie présidentielle, mais aussi pour inscrire des droits nouveaux – qui deviennent aussitôt des devoirs pour tout le monde – avec parmi les principes fondateurs, la règle verte : la France se donne pour objectif de ne jamais prendre plus à la nature que ce qu’elle peut reconstituer. Les esprits simples et les rustres croient que cela signifie arrêter de produire pour revenir à la caverne et aux bougies. Non, c’est un défi technique et scientifique majeur. On peut y faire face si on se donne le premier des moyens : la planification.

La planification écologique, c’est l’outil de cette transition réussie. Si on se contentait de faire une politique de l’offre « écologiquement soutenable », je ne vois pas pourquoi le marché la sélectionnerait dans la mesure où la matrice productive à laquelle nous pensons est nécessairement plus consommatrice de capital et de travail que l’actuelle. La bifurcation écologique du modèle économique, dans un premier temps, consomme beaucoup de capital et de travail. Il faut donc y faire face et l’organiser. C’est-à-dire rapprocher les différents compartiments des activités qui vont y concourir : la formation, la main d’œuvre disponible, le capital à rassembler pour changer les processus de production, et la direction du travail.

Pour tout cela, il me fallait un objet d’appui, un point d’application, qui amène que l’aval justifie la réévaluation de l’amont. C’est la question de l’économie de la mer. Je pense que c’est un horizon extraordinairement stimulant pour la jeune génération technicienne. Je crois aux techniciens. Je connais la critique de Jacques Ellul : mais si je ne crois pas à la neutralité de la technique, pour autant, je ne condamne pas la technique.

Il faut transformer la matrice productive dans une dynamique créative qui se fait dans l’enthousiasme du savoir et de la recherche. Par exemple, si on fait des machines qui travaillent sur la différence entre le froid du fond des mers et le chaud de la surface. Il y a dans la mer soixante-quinze fois l’énergie nécessaire aujourd’hui. («L’urgence écologique doit être au point de départ de ma campagne» – Reporterre – 3 juin 2016)

Vous parlez souvent d’« expansion », de « conquête », du potentiel des ressources naturelles, voire de « keynésianisme moderne ». N’est-ce pas contradictoire avec l’antiproductivisme que vous revendiquez ?

J’utilise les images qui me permettent de parler à l’esprit de mes contemporains. J’ai dit « keynésianisme » parce que cela renvoie à quelque chose qu’ils connaissent. J’essaye de crédibiliser une démarche, c’est pédagogiquement compliqué. C’est déjà beaucoup ce que je viens de vous dire, il y a de quoi être rangé sous l’étiquette des utopistes. («L’urgence écologique doit être au point de départ de ma campagne» – Reporterre – 3 juin 2016)

Nous y sommes habitués…

Vous, oui, vous êtes des lanceurs d’alerte, des éclaireurs, des déclencheurs. Moi, il faut que j’arrive à convaincre des gens de voter pour moi pour pouvoir le faire, et pas seulement pour le dire. Donc mon vocabulaire ne sera jamais exempt… je suis à la recherche des mots. Ce n’est pas simple : si vous dites « Entrer en mer », tout le monde trouve ça sympa mais personne n’y comprend rien. Donc je parle de conquête d’un espace nouveau, et une conquête n’est pas forcément une catastrophe. («L’urgence écologique doit être au point de départ de ma campagne» – Reporterre – 3 juin 2016)

Être écologiste aujourd’hui, est-ce nécessairement une affaire de compromis avec la culture de gauche ?

Oui. Il faut la faire comprendre, la rendre intelligible, essayer de ne pas paraître fulminer des certitudes à la face du monde en attendant que tout le monde se prosterne devant. C’est un appel à réfléchir. Et moi, je me crois bien placé pour faire ça, parce que j’ai mon âge. J’ai connu un monde où respirer ne rendait pas malade, où on pouvait boire l’eau d’une rivière, où on allait d’un endroit à l’autre sans que ce soit partout pareil. Je sais que le monde dont je parle n’est pas une utopie. J’essaye de prendre toutes les images qui entraînent et qui convainquent, pas seulement la jeune génération qui est sans doute plus sensible que l’ancienne, mais aussi l’ancienne. À qui il faut dire que c’est le bon chemin, à qui cela bouscule beaucoup de certitudes et beaucoup de tranquillité – tellement qu’on ne peut pas tout passer en revue sinon on affole tout le monde. («L’urgence écologique doit être au point de départ de ma campagne» – Reporterre – 3 juin 2016)

Comme le nucléaire ?

C’est une question-clé, parce qu’elle engage la sécurité du pays. On ne peut pas accepter d’aller devant des événements climatiques extrêmes et faire comme si on ne savait pas que la centrale nucléaire du Blayais, à 50 km de Bordeaux, est condamnée à être noyée… On pourrait avoir le même raisonnement avec la centrale de Nogent, puisque nous sommes la seule capitale du monde qui s’offre une centrale nucléaire en amont du fleuve qui la dessert !

Je le répète, il s’agit de la sécurité du pays. Ce n’est pas une lubie qui me prend un matin, parce que je me suis réveillé en me disant que les écolos étaient sympas ou qu’il y avait des parts de marché – j’aimerais bien savoir où elles sont, d’ailleurs, ces parts de marché politique, parce qu’aux dernières élections présidentielles, ils ont fait 2 %.

Aujourd’hui, sortir des énergies carbonées, tout le monde a compris et dit oui, comme si c’était une opération dont la simplicité était telle qu’on pouvait tomber d’accord en cinq minutes. Par contre, quand on parle de sortir du nucléaire, toute la salle se partage en deux… Pourtant, ce n’est pas le plus compliqué. A condition de le vouloir. Je suis naturellement pour interrompre les grands chantiers dont celui de Flamanville et je ne suis pas d’accord pour qu’EDF s’occupe de construire une centrale de même nature en Angleterre. On a perdu un quinquennat pour rien en matière de nucléaire. Il ne faudrait pas en perdre deux, au risque de rentrer dans la zone rouge où la probabilité de l’accident augmente. («L’urgence écologique doit être au point de départ de ma campagne» – Reporterre – 3 juin 2016)

Parlez-vous de réduire les consommations d’énergie ?

(Silence) Je ne fais pas comme ça.

Mais le pensez-vous ?

J’ai déjà dit qu’on adoptait le scénario Négawatt parce qu’on n’en a pas d’autre à proposer qui tienne la route. Ce qui est important, c’est de fonctionner sur des choses concrètes. La radicalité concrète, ce n’est pas de rabaisser ses rêves, au contraire, c’est les faire entrer dans le réel. Donc, OK pour Négawatt, mais ça n’interdit pas de penser quant à soi. («L’urgence écologique doit être au point de départ de ma campagne» – Reporterre – 3 juin 2016)

Votre grand projet écologique pour la France, c’est donc la mer ?

Je plaide une cohérence. Petit à petit, j’amène mes thèmes. Je ne parle pas que d’économie de la mer, je parle aussi de changement radical du modèle paysan. Le retour à l’agriculture paysanne est une grosse question. Mes camarades me disent qu’il faut 300.000 paysans de plus, mais où on les trouve ? Personne n’a envie de se ruer sur ces emplois, vous avez vu ce que c’est que de vivre à la terre aujourd’hui ? Un paysan se suicide tous les deux jours, il y a donc bien une raison à cela… Réfléchir à une agriculture paysanne, c’est réfléchir à l’ensemble du modèle, mais aussi à la condition du paysan et de la paysanne de demain. Tout ça, on doit y réfléchir, c’est pour ça que je parle de planification, pour organiser et trouver ces 300.000 emplois. Il y a le même ordre de grandeur pour l’économie de la mer. Ça en fait du monde.

Mais dans le même temps, la population va augmenter et, à moins que vous comptiez en exterminer la moitié ou les empêcher d’enfanter, nous allons vers dix milliards d’êtres humains sur Terre. Et c’est peut-être l’aspect le plus curieux de mon plan : la révolution citoyenne commence dans les assiettes, car nous ne pouvons pas continuer à consommer un tel niveau de protéines carnées. Il va falloir une alimentation beaucoup plus végétalisée. Et les réponses, nous les trouvons en partie dans la mer avec les protéines qu’elle peut nous amener, pas par les poissons mais par les algues. («L’urgence écologique doit être au point de départ de ma campagne» – Reporterre – 3 juin 2016)

Comment inscrire une telle mesure dans un programme politique ?

Eh bien on l’explique !

Mais comment faire pour que cela ne soit pas pris comme une décision autoritaire ? La nourriture, c’est intime.

La loi est la loi. Dura lex sed lex [La loi est dure, mais c’est la loi, NDLR]. A un moment donné, on discute, on convient, on s’y met et on planifie. La révolution citoyenne, ce n’est pas un processus de décret, c’est un processus politique dans lequel il faut faire reculer des habitudes pour en créer des nouvelles.

Mais vous ne pouvez pas proposer de sortir des protéines carnées si vous n’avez pas reconstitué une agriculture paysanne capable de fournir les productions vivrières que nous n’avons plus dans le pays. («L’urgence écologique doit être au point de départ de ma campagne» – Reporterre – 3 juin 2016)

Que pensez-vous de la consultation lancée sur Notre-Dame-des-Landes ?

On a un dossier mené de manière absurde qui, tout le long, sent le trucage. Quand les gens observent que malgré tout, la décision va s’appliquer, ils s’interrogent sur sa légitimité. Qui a le droit de prendre une décision aussi absurde et de la maintenir dans le temps ? Pourquoi ? Au nom de quoi ? («L’urgence écologique doit être au point de départ de ma campagne» – Reporterre – 3 juin 2016)

Si cette consultation se concluait par un « Oui », qu’en diriez-vous ?

Au nom de quoi le référendum est-il réduit à la population d’une zone qui aurait à connaître très directement soit de l’aéroport soit du passage des avions ? Dans les questions écologiques, n’y a-t-il pas un intérêt général en cause ? Il s’agit non seulement des impacts locaux de cet aéroport, mais aussi de toute l’organisation des transports. La consultation locale ne donnera pas une décision légitime, dans le sens où un Français qui se trouve à Paris ou à Strasbourg peut se sentir concerné par la déformation du plan de transport que cette histoire comporte.

Nous en sommes déjà à plusieurs décisions de justice. Et on va quand même faire un référendum. Cela veut dire que les décisions de justice ne sont pas ressenties comme légitimes ni par les gens qui continuent à manifester, ni par le pouvoir qui juge important d’organiser lui-même une élection. Donc, déjà, voilà un pouvoir qui a été disqualifié en cours de route.

Dans le processus de Notre Dame des Landes, on retrouve toutes les caractéristiques de la crise structurelle en profondeur de la démocratie. («L’urgence écologique doit être au point de départ de ma campagne» – Reporterre – 3 juin 2016)


FACE À L’EUROPE ALLEMANDE

Une semaine après le Brexit, comment expliquez-vous le fait que, contrairement à 2005 en France, il n’y ait pas eu de « Non de gauche » ?

En 2005, c’est parce qu’une partie de la gauche et de nombreux socialistes se sont engagés à ciel ouvert que le terrain de la critique de l’Europe libérale n’a pas été abandonné aux seuls nationalistes d’extrême droite. Du coup, le débat dans la société a pu aussi devenir un débat dans le mouvement socialiste qui comptait bien l’étouffer. Cela dit toute l’importance d’assumer publiquement ses convictions. Si Jeremy Corbyn [le chef de file des travaillistes britanniques – ndlr] était vraiment partisan du Brexit, il fallait qu’il l’assume. Car il affronte maintenant ce à quoi il croyait échapper : une crise de son organisation. Il s’est coupé de l’appui des milieux populaires qui ont voté, sans lui, contre les prises de position de la droite de son parti. C’est donc une erreur totale d’avoir abandonné à la droite extrême et à l’extrême droite l’électorat de gauche hostile à l’Europe libérale. Aussi, faute de point d’appui, je ne me suis pas impliqué sur place dans ce débat.

Cela dit, la question reste entière de savoir quelle doit être la position de gauche en Angleterre. Car elle n’est pas dans la zone euro, n’applique pas la plupart des règles communautaires et elle a même posé son « opt out » sur la plupart des seuils sociaux des traités européens. Et qu’elle soit dedans ou dehors, l’Angleterre s’est toujours opposée à toute avancée vers une Europe sociale… Mais je ne m’attendais pas à ce que disparaisse la voix de la gauche. Une occasion historique de tourner la page du blairisme est perdue. Car la question de l’Europe met à nu et à vif la contradiction existant entre la gauche fidèle à son programme progressiste historique et les usurpateurs qui sont les gérants enthousiastes de l’ordre établi. Il ne faut jamais manquer une occasion d’isoler ces derniers dans le peuple. C’est du vote populaire que doit venir la défaite du « social libéralisme ». Pas des intrigues des congrès truqués du PS. («Si je suis élu, j’abrogerai la loi El Khomri» – Mediapart – 3 juillet 2016)

Le vote a des conséquences sur la direction du vent qui souffle sur l’Europe. Après les moments grecs ou espagnols, où le refus de l’austérité se faisait sentir, c’est désormais celui des replis identitaires…

Le bilan est en effet très contrasté. Je récuse le concept de repli identitaire qui stigmatise la résistance sociale contre la perte des acquis sociaux du pays. Le point positif, c’est que la question européenne va être centrale dans la campagne présidentielle. En 2012, je ne suis pas arrivé à faire entrer ce débat dans l’agenda de la campagne. Je m’étais fait couper l’herbe sous le pied par le fait que François Hollande avait dit très tôt qu’il renégocierait le traité de stabilité accepté par Sarkozy (TSCG). Par conséquent, bien des gens se sont dit « en réalité ils disent la même chose ». Alors mon point de vue est apparu comme une méfiance exagérée. En réalité, François Hollande savait déjà qu’il ne renégocierait rien et trahirait tous ceux qui ont voté pour lui. La première marche du Front de gauche après 2012 a été contre l’adoption de ce traité par le Parlement à Versailles…

Hollande n’a pas changé. Encore samedi dernier quand nous avons été reçus à l’Élysée avec mes camarades du PG, François Hollande et Jean-Marc Ayrault nous ont dit que leur projet après le Brexit, c’est une intégration plus avancée de certains pays à l’intérieur du cadre déjà existant. Leurs priorités : un cadre budgétaire contraignant dans la zone euro et une défense commune. Ce sont des éléments de désintégration de la puissance de la nation française et de son contrôle populaire. Je précise que quand je parle de « nation », je parle du peuple français. («Si je suis élu, j’abrogerai la loi El Khomri» – Mediapart – 3 juillet 2016)

Vous allez mener campagne sur la sortie des traités ?

Pour l’instant, on voudrait nous enfermer dans la dialectique du diable. Soit on est hostile à l’Europe actuelle et on est immédiatement assigné xénophobe ou anti-européen. Soit on est favorable à l’idée d’une union continentale, et on doit immédiatement avaler la mondialisation heureuse, les politiques d’équilibres budgétaires, la règle d’or, l’Otan et la guerre avec la Russie. Aucun esprit libre ne peut trouver son compte dans une alternative pareille. C’est ce qui m’a amené à tracer la feuille de route avec un plan A et un plan B. Le plan A prévoit qu’on rediscute des traités. Tout le monde doit en sortir en Europe. Si c’est refusé, il ne faut céder à aucune des menaces, chantages ou violences habituelles de l’Europe allemande. Il faut être prêt à sortir de cette camisole de force. La nouvelle assemblée devra fixer le mandat de négociation et le peuple français sera ensuite appelé à se prononcer sur le résultat de la négociation. D’un bout à l’autre du processus le peuple décidera. («Si je suis élu, j’abrogerai la loi El Khomri» – Mediapart – 3 juillet 2016)

La situation ne commande-t-elle pas d’unifier les « plans B » de l’autre gauche européenne, le vôtre et celui du Grec Yanis Varoufakis, celui du Labour ou de Syriza, en passant par Podemos ?

On ne peut pas. Cela ne fonctionne que si cela reste très ouvert. Chacun pose la question du plan B en fonction de son propre rapport de force national. La Grèce et la France ne pèsent pas pareil. Cependant, l’Europe du Sud a une place particulière. Les trois plus grandes puissances économiques après l’Allemagne sont là. Et c’est là que s’exprime la résistance la plus vive au processus d’annexion par l’Union européenne. («Si je suis élu, j’abrogerai la loi El Khomri» – Mediapart – 3 juillet 2016)

Annexée ?

Le terme d’annexion peut paraître dur, mais depuis l’annexion de l’Allemagne de l’Est par l’Allemagne de l’Ouest, le processus de libéralisation de l’Europe repose sur l’annexion. Toutes les structures des États, notamment ceux qui arrivent dans l’Union, commerciales, juridiques et parfois même politiques, sont démantelées. J’ai expliqué ce mécanisme dans mon livre Le Hareng de Bismarck. Ceux qui résistent sont frappés à tour de bras. La violence politique de l’Europe a frappé l’Irlande, puis Chypre, puis la Grèce, l’Italie, l’Espagne, le Portugal. À chaque fois, le pays est traité comme un enfant qui n’aurait pas été sage. Puis il est rudement saigné et pillé.

Après le Brexit, s’il y a de nouvelles représailles, elles ne seront pas contre la liberté du commerce et la finance – la City est bien trop importante pour eux – mais contre les États-nations. D’un point de vue français dans l’histoire longue, que l’Irlande soit réunifiée ou l’Écosse indépendante, fût-ce sous le prétexte de rester dans l’UE, c’est très confortable. Mais attention à la boîte de Pandore qu’on ouvre ! Car ensuite viendront tout aussi légitimement la Catalogne, la Flandre belge… En Europe, certaines nations sont des constructions récentes. Les royaumes sont par nature hétéroclites. Et les eurolâtres sont très friands de la mise en cause des États-nations. Après la destruction des acquis sociaux, la pente vers la destruction de la souveraineté nationale des peuples est déjà bien prise. Est-on prêt à voir bouleverser toutes les frontières en Europe ? («Si je suis élu, j’abrogerai la loi El Khomri» – Mediapart – 3 juillet 2016)

Marine Le Pen demande désormais un référendum sur la sortie de l’UE, et non plus de la seule zone euro. On voit mal comment le sujet ne sera pas porté médiatiquement pendant la campagne présidentielle. Comment allez-vous y répondre ?

Je vais mener une bataille de conviction. Elle sera compliquée, comme le sont toutes celles qui demandent un peu de subtilité et nécessitent de sortir du noir et blanc. Mme Le Pen s’est collée à la distance d’une feuille de papier à cigarettes d’à peu près tout ce que nous disons sur le sujet. Elle sait bien l’importance de l’enjeu : qui va prendre la tête de la critique de l’UE ? Car ceux-là organiseront le futur au moment où tout le système va s’écrouler. Qui dirigera alors ? Les « éthnicistes nationalistes » ou les humanistes républicains ?

La position de Mme Le Pen est un nationalisme très étroit, qui renonce à toute politique européenne. Moi, je resterai ancré dans la stratégie « Plan A/Plan B ». Ma position, ce n’est ni l’allégeance aveugle, ni l’enfermement, revenant à renoncer à toute ambition pour mon pays. Pour quelles raisons abandonnerions-nous le continent à la domination du gouvernement allemand ? Ce serait historiquement irresponsable. L’Europe du Sud peut renverser la table si nous, la France, nous avons un projet clair et proposé en pleine lumière à tous les peuples d’Europe. On verra alors dans l’Europe de l’Est nombre de pays vouloir desserrer l’étau dans lequel ils sont. («Si je suis élu, j’abrogerai la loi El Khomri» – Mediapart – 3 juillet 2016) 

N’y a-t-il pas une part nécessaire de protectionnisme ?

Il faut déjà sortir des traités européens ! Dans les traités européens actuels, on ne peut pas faire de protectionnisme, fusse-t-il solidaire. Je suis partisan de rétablir un protectionnisme solidaire en Europe, dont la frontière est à convenir avec les pays d’accord avec cette idée. Le protectionnisme solidaire, cela veut dire empêcher des choses de rentrer et d’autres de sortir. Par exemple, les productions agricoles à vil prix déversées sur des marchés qu’on impose d’ouvrir par la voie européenne et qui ont tué toutes les productions locales qui n’étaient pas monétisées… C’est avec ça qu’il faut rompre. («L’urgence écologique doit être au point de départ de ma campagne» – Reporterre – 3 juin 2016)


CANDIDAT DE LA FRANCE INSOUMISE

Le timing de la proposition de candidature

J’ai proposé ma candidature à un moment calculé en équipe : au lendemain de la déclaration de candidature de Marine Le Pen et de l’entrée au gouvernement d’écologistes, en plein débat sur la déchéance de nationalité. La droite dominait le débat, Hollande flirtait avec le programme du FN et divisait encore davantage les écolos en embauchant Emmanuelle Cosse. Ma proposition de candidature se présentait comme un sursaut contre l’effacement.

Ce n’est pas pour rien que j’ai dit que je proposais ma candidature, et non que je la déposais. Ceux qui ont cru habile de m’imputer une décision solitaire se retrouvent maintenant pris dans leur piège ! Parce qu’ils ont transformé en décision ce qui était une proposition. Et, volens, nolens [qu’on le veuille ou non, NDLR], ils ont accéléré la prise de conscience de tous ceux qui se sont trouvés confrontés à cette alternative : est-ce la primaire qui a raison ou est-ce Mélenchon qui a raison de la refuser ? («L’urgence écologique doit être au point de départ de ma campagne» – Reporterre – 3 juin 2016)

Onze mois avant l’échéance, n’est-ce pas prématuré ?

Mais la campagne a déjà commencé à LR, à l’extrême droite et au PS ! En février, j’ai voulu lancer la mobilisation politique de notre famille pour vivre 2017 comme une chance et non comme un piège. Je m’inscris dans la longue durée pour construire le rapport de forces dont nous avons besoin. La durée est le moyen de notre enracinement. C’est nécessairement de longue haleine. Il est vrai qu’en donnant ce rendez-vous du 5 juin, je n’anticipais pas, alors, le contexte politique avec le mouvement social en cours contre la loi El Khomri et les mobilisations des Nuits debout. C’est là un propulseur d’énergie qui tombe particulièrement bien. Car de quoi s’agit-il ? Certainement pas de vendre un produit, de « prendre des parts du marché politique ou électoral ». Notre sujet est la construction d’un mouvement politique de plusieurs millions de personnes. Ce dont il est question, c’est de la révolution citoyenne. Ce processus ne fait que commencer, même s’il s’inscrit déjà dans une histoire dont 2012 fut un moment de franchissement de seuil. («Il est de mon devoir d’avancer sans attendre le bon vouloir de qui que ce soit» – Regards – 2 juin 2016)

Pourquoi vous êtes-vous déclaré aussi tôt ?

Je ne peux pas gagner sur une émotion de dernière minute ou un bon coup de com’. Ce que je propose est trop en dehors du cadre. Quand vous venez parler de la planification écologique ou de changer la matrice productive du pays, il faut du temps pour expliquer et convaincre. («La Révolution citoyenne a déjà commencé» – Les Inrocks – 25 mai 2016)

Quel dispositif opérationnel allez-vous mettre en place ?

J’ai dit dès décembre à mes partenaires du Front de gauche que j’estimais qu’il fallait démarrer tôt la campagne. Ils ont refusé en pariant sur une primaire. J’étais persuadé que cette idée finirait par éclater comme une bulle. C’est ce qui s’est produit. Voyez Madame Cosse qui était au premier rang de la réunion de Belleville [pour une primaire – ndlr] ! Elle était le lendemain assise au gouvernement de Valls. Donc j’ai proposé ma candidature comme méthode alternative. Pour être honnête, je ne m’attendais pas à recevoir séance tenante un tel tir de barrage du Parti communiste : le soir même ! Je fais avec. C’est une sorte d’épreuve de vérité, douloureuse pour les amitiés mais salutaire contre les illusions. («Si je suis élu, j’abrogerai la loi El Khomri» – Mediapart – 3 juillet 2016)

Le sens de la proposition de candidature

N’y a-t-il pas une contradiction d’applaudir la non-représentation à Nuit Debout tout en proposant sa candidature, sans vote ni discussion ?

C’est une élection présidentielle, ce n’est pas moi qui ai choisi, ce sont les institutions. De toute façon, il faudra trouver un candidat. Mais le plus difficile n’est pas de trouver un candidat pour la présidentielle, c’est d’en trouver 571 pour les législatives. Et là, curieusement, plus personne ne parle de primaires.

Une élection présidentielle est une élection globale et totale. Elle va transformer tout le monde. Il y a plusieurs manières de l’aborder. L’une est de dire qu’un certain nombre de notables et de partis font monter sur le pavois l’un d’entre eux – si possible celui qui n’ennuie personne – et la question est réglée. Les gens n’auront plus qu’à admettre que c’est une bonne candidature.

L’autre méthode consiste à dire : « Il s’agit de convaincre », et ce que nous avons à faire convaincre n’est pas simple à comprendre. On ne va pas simplement faire un catalogue para-syndical de mesures. Ma position est qu’il faut proposer – et mener, une fois élu – une politique de révolution citoyenne, qui va conduire entre autre – excusez du peu – un : à changer toute la règle constitutionnelle ; deux : à commencer, si possible de manière irréversible, le changement de la matrice productive du pays.

Je ne crois pas qu’une opération comme cela se réalise en quatre mois, dans la fureur et le fracas d’une élection où vont arriver d’un seul coup les trois pachydermes habituels – le FN, Les Républicains et le Parti socialiste – et leur énorme machinerie médiatique, dont je voudrais rappeler l’incroyable capacité à faire voler en éclats tous les débats importants… Comme lorsque, en 2012, je m’épuise à expliquer ce qui est en train de s’annoncer avec les traités budgétaires européens et que France 2 lance le débat sur la viande hallal dans les cantines. Et qu’il tient sur ce débat jusqu’à la date du vote…

Pour faire ce que nous avons à faire, il faut partir de loin. Et je suis fasciné de voir comment des gens se cristallisent sur la personne qui porte la candidature, sans dire un mot de la méthode de combat. Je finis par trouver que ce débat, peut-être, en masque un autre. C’est l’impuissance à penser comment subvertir la société pour lui faire adopter un autre projet. La résignation à avoir perdu d’avance en en cherchant des prétextes des plus divers. Excusez-moi de me sentir une certaine légitimité, parce que la dernière fois, quatre millions de personnes ont trouvé que ça valait la peine de voter pour moi, parce que j’ai un programme, qu’il y a une procédure ouverte à laquelle tout le monde peut participer et qu’enfin, il y a des gens qui m’ont rejoint. («L’urgence écologique doit être au point de départ de ma campagne» – Reporterre – 3 juin 2016)

Dimanche prochain, le 5 juin, vous lancez votre campagne présidentielle par un rassemblement place Stalingrad. En vous engageant dans ce processus, n’aggravez- vous pas la présidentialisation de la vie politique ?

Je connais bien cette critique depuis l’élection du président de la République au suffrage universel en 1965. Mais je constate que cette élection s’est installée dans notre pays, qu’elle est devenue une culture collective et je crois que nous pouvons et devons l’utiliser. Quand commence un match de foot, il vaut mieux ne pas le jouer comme une partie de volley… Une campagne politique comme la présidentielle est globale et totale. Elle transforme tous ceux qui y participent. Cette idée est largement partagée quand il s’agit de la lutte sociale. Cela vaut aussi pour le combat électoral. Une élection transforme ceux qui votent autant que ceux qui s’engagent dans la campagne. Faire campagne électorale c’est vouloir convaincre et entraîner. Ce n’est pas une petite chose secondaire. Gagner des bulletins de vote, c’est gagner des consciences. (« Il est de mon devoir d’avancer sans attendre le bon vouloir de qui que ce soit » – Regards – 2 juin 2016)

Mais les divisions pourraient vous nuire : le PCF ne vous soutient pas, le dialogue avec Cécile Duflot est interrompu… Êtes-vous capable de rassembler tous ces fragments d’une gauche éclatée ?

Mon but essentiel est de « fédérer le peuple » en partant de ses attentes. Sans concession. Sur la sortie des traités européens, le partage des richesses, la constituante, la planification écologique je ne lâcherai rien. J’admets, sans me l’expliquer, que les communistes ont fait le choix destructeur de la primaire. Quand la proposition de primaire a surgi, Pierre Laurent et d’autres ont choisi d’y participer, sans demander l’avis de personne. A partir de là, la rupture a été consommée, par leur choix en solo. Mais je ne suis pas resté inerte. Je suis allé de l’avant. Nous sommes plus de cent mille en mouvement désormais. Je suis prêt à faire équipe. Tout le monde est bienvenu dans ce mouvement à condition d’en respecter les objectifs. («La Révolution citoyenne a déjà commencé» – Les Inrocks – 25 mai 2016)

Un homme seul ?

Une décision de cette nature est toujours personnelle. Je l’ai prise car je n’accepte pas la logique de primaires de « toute la gauche » que veut le PCF. Un front de « Macron à Mélenchon », c’est sans moi ! Une idée aussi saugrenue – d’ailleurs en train de mourir – a pourtant occupé des tas de gens pendant plusieurs semaines, y compris mes amis communistes. («Le temps du PS est fini» – Le Parisien- 3 juin 2016)

[Cette candidature,] je la propose aux citoyens, aux organisations. Et la réponse m’est venue de cent dix mille personnes. C’est un chiffre raisonnable. Après quoi arrivent cent cinquante maires qui – un an à l’avance – acceptent de parrainer ma candidature. Qui a décidé que j’étais seul ? Deux mille syndicalistes ne comptent-ils pour rien par rapport à quarante belles personnes qui ont signé un appel à une primaire dans laquelle il n’y en a pas deux qui ont la même idée sur ce qu’il y a lieu de faire ? («L’urgence écologique doit être au point de départ de ma campagne» – Reporterre – 3 juin 2016) 

Mais vous décidez seul de votre candidature et de son tempo…

Factuellement, rien n’est plus faux. J’ai cherché à discuter avec les dirigeants du Front de gauche de ce que nous pouvions faire dès le mois de décembre. Je n’ai pas été écouté. Je ne veux pas mettre de l’huile sur le feu en rappelant ces faits, mais je voudrais bien que chacun assume ses désaccords sans les transformer en problèmes personnels : il n’est pas vrai que j’ai agi dans mon coin sans crier gare. À présent, je travaille déjà en équipe, avec l’appui de plusieurs secteurs politiques et sociaux, sans oublier le renfort de plusieurs milliers de communistes, de socialistes et de syndicalistes. Bien sûr, il y a une dimension personnelle de la décision. Encore heureux ! (« Il est de mon devoir d’avancer sans attendre le bon vouloir de qui que ce soit » – Regards – 2 juin 2016)

Vous pensez donc être le seul et l’unique capable de porter cette alternative issue de la gauche ?

En tout cas, j’ai un programme, une stratégie et 100 000 personnes pour le faire. Sinon ? Qui a un autre nom à suggérer sur lequel tous s’accordent ? On voit le pullulement des candidats à la candidature ; on ne peut pas dire qu’ils brillent par l’amour qu’ils se portent entre eux ! Imaginez que je ne sois plus là. Que resterait-il ? Une compétition de personnes et des réunions fumeuses. Je demande qu’on cesse les faux-semblants. Dès décembre, tout le monde était prévenu de ce que j’allais faire et j’ai clairement annoncé que je n’irais pas dans la primaire. Je veux tourner une page. J’ai tout essayé pour créer une large union du PC aux Verts dans les élections locales : aucun ne m’a écouté. Le Front de gauche, le PCF, ont refusé de s’ouvrir aux adhésions directes et de créer des instances communes. Je règle toutes ces questions avec la création du mouvement La France insoumise ! À présent, mon devoir est d’assumer et d’avancer. («Si je suis élu, j’abrogerai la loi El Khomri» – Mediapart – 3 juillet 2016)

Vous liez campagne présidentielle et création d’un mouvement. Est-ce que cela n’est pas trop d’un coup ? Les militants des partis constitués sont souvent attachés à les conserver…

C’est vrai que je pourrais me contenter d’un bon slogan, d’affiches et d’émissions de télé. Mais je ne vais pas le faire. J’ai trop compris ce qui arrivait à nos amis d’Amérique latine. Nous avons besoin, pour réussir la grande transformation nécessaire, d’un peuple motivé et conscientisé. Et je crois qu’il faut créer ce grand corps militant qui réunit ceux qui décident d’animer, déclencher, solliciter notre peuple. Le Front de gauche aurait pu être ce lieu, ce réseau. Cela ne l’a pas été. Si le Front de gauche décide de renaître, il peut être une composante de ce mouvement, de cette France insoumise. Au nom de quoi pourrais-je m’approprier l’étiquette Front de gauche ? Je ne l’ai jamais fait. J’ai déploré que Pierre Laurent le fasse sans mandat tant de fois ! (« Il est de mon devoir d’avancer sans attendre le bon vouloir de qui que ce soit » – Regards – 2 juin 2016)

Vous affirmez vous inscrire dans la perspective de l’exercice du pouvoir. Pourtant, vous paraissez seul… Un homme ne change pas une société.

Je souriais amèrement, au début, lorsqu’on me renvoyait à ma solitude. Et puis j’ai mesuré la part de mépris qu’il y a dans cette affirmation. Donc les 107.000 personnes qui déclarent leur soutien ne compteraient pour rien ? Parmi eux, il y a plus de 2.000 syndicalistes de tous les métiers, de tous les syndicats, de tous les niveaux de responsabilité… Parmi eux, il y a des communistes, des écologistes de lutte parmi les plus reconnus, des militants socialistes et tout le PG. Je suis seul si l’on regarde du balcon. Mais je sais que je suis inséré dans un milieu de dizaines de milliers de gens qui s’engagent. Et la révolution citoyenne, c’est l’implication de millions de personnes dans l’action gouvernementale. (« Il est de mon devoir d’avancer sans attendre le bon vouloir de qui que ce soit » – Regards – 2 juin 2016)

Vous comprenez que la personnalisation autour de vous soit gênante ?

Non. La personnalisation n’est pas mon choix mais le résultat des institutions ! Je mérite d’être aidé. On pouvait s’accorder en 2011 sur mon nom quand je faisais 3% dans les sondages, mais en 2016 on ne peut pas le faire avec le même après avoir rassemblé 4 millions de voix et quand je suis à 12% dans les sondages ? Cent mille personnes m’accompagnent à visage découvert. Le programme est en débat public. Où est le problème ? On veut une candidature anonyme ? («La Révolution citoyenne a déjà commencé» – Les Inrocks – 25 mai 2016)

Avez-vous suffisamment changé pour être l’homme apte à former ce bloc progressiste ?

Comme homme, vous ne me changerez pas. Je suis un Méditerranéen passionné. Mais j’ai l’avantage de mon âge et de mon expérience. Je fais campagne en assumant ma responsabilité personnelle. Je ne me défausse pas avec des nous et des on trompeurs. Mais oui, je suis plus serein : je suis un intellectuel ; donc, quand l’ordre des faits correspond à l’ordre de l’analyse, il y a une sorte d’accomplissement. Je sais que je peux remporter la présidentielle. Et je me sens en situation de faire équipe avec tous ceux qui voudront se joindre à nous, les 100 000 de «la France insoumise». Je connais bien les personnages de la scène. Le réalisme l’emportera. («Si je suis élu, j’abrogerai la loi El Khomri» – Mediapart – 3 juillet 2016)

Le mouvement de la France insoumise

En 2012, vous représentiez le Front de gauche. Cette fois, vous vous présentez au nom de la « France insoumise », sans le mot gauche…

Depuis 2012, on s’est présenté parfois comme la « vraie gauche » à cause de l’écœurement que la « gauche officielle » soulevait. Mais cela nous relègue, dans le système médiatique, à l’extrême gauche. Or nous ne sommes pas des extrémistes. Et puis je reste persuadé que, plutôt que nous épuiser dans une bataille d’étiquettes qui ne parle pas à la société, nous avons intérêt à toucher les profondeurs du pays, qui ne se reconnaissent ni dans la gauche de François Hollande ni dans la droite de Nicolas Sarkozy, mais qui pourraient être entraînés par notre discours sur l’indépendantisme français, la souveraineté populaire, la planification écologique, le progrès humain et le mix particulier que j’opère de tout cela. Il faut surmonter le blocage des étiquettes pour pouvoir fédérer largement le peuple et la société autour d’objectifs communs. Il faut aussi entraîner l’électorat de gauche qui a basculé dans le vote FN ou l’abstention. Plutôt que la gauche de Hollande et la droite de Sarkozy, je préfère donc opposer les nucléaristes aux partisans des énergies renouvelables, les « eurolâtres » aux « euroréalistes », et ainsi de suite… («Si je suis élu, j’abrogerai la loi El Khomri» – Mediapart – 3 juillet 2016)

Ce dont il est question, c’est de l’absence de soutien de partis politiques…

Le Parti de gauche, la NGS de Liêm Hoang-Ngoc, les communistes insoumis, les « Ensembles insoumis » ne comptent pas ? De qui parle-t-on ? Du PCF. Aujourd’hui, c’est lui qui est seul, et je m’en désole. Autre chose : ceux qui émettent cette critique mesurent-ils le discrédit dont souffrent les partis ? Il faut arrêter avec ce mauvais procès. Je veux que l’on comprenne ma démarche. Je refuse la confusion du « rassemblement de la gauche » ! Après la publication de L’Ère du peuple, j’ai cherché la transversale qui fédère l’ouvrier qui lutte, la femme qui se démène pour tenir sa famille hors de l’eau, le lanceur d’alerte, le chercheur qui s’accroche… Le mot « insoumis » m’a paru être celui qui les réunit tous. Insoumission au cadre globalitaire qui veut tout régenter, la société, nos goûts et nos corps. L’action contre ce cadre nous fédère. (« Il est de mon devoir d’avancer sans attendre le bon vouloir de qui que ce soit » – Regards – 2 juin 2016)

« La France insoumise », pour l’instant, c’est : un sigle, une plateforme d’action citoyenne absolument ouverte à qui le souhaite. C’est un espace de citoyens. Il est mis en mouvement par un comité opérationnel de campagne. Est en train de s’installer aussi un « espace politique » d’appui. Il regroupe aujourd’hui le PG, la NGS [Nouvelle gauche socialiste – ndlr], « Ensemble-insoumis » et divers groupes et personnalités communistes, comme par exemple la fédération PCF des Deux-Sèvres, les pétitionnaires communistes qu’impulse notamment Francis Parny, Christian Audoin, figure communiste de « Limousin terre de gauche ».

Nous accueillons tous ceux qui arrivent dans les conditions qui leur conviennent sachant que tous ont une même forme d’action à la base : les groupes d’appui. « La France insoumise » est donc un cadre extrêmement large, souple car il se formalisera en avançant et au fur et à mesure des nécessités de l’action et de l’envie de chacun d’avancer. («Si je suis élu, j’abrogerai la loi El Khomri» – Mediapart – 3 juillet 2016)

Dimanche le rassemblement de la France insoumise (place Stalingrad, à 14 heures à Paris) est, dites-vous, une démonstration de force. De qui au juste ?

De ceux qui refusent les injonctions du capitalisme absolu. Des lanceurs d’alerte aux ouvriers qui défendent leur usine. De ceux qui résistent à Notre-Dame-des-Landes ou à Sivens contre des projets inutiles. De ceux qui ne veulent pas se retrouver avec un Code du travail par usine ! Il est temps que le gouvernement reprenne le dossier à zéro au lieu d’infliger un nouveau 49.3 qui sera sans doute fatal à M. Valls. Et tant mieux. («Le temps du PS est fini» – Le Parisien- 3 juin 2016)

La méthode

Le 5 juin prochain, vous organisez un meeting de la France insoumise place de Stalingrad à Paris. On peut considérer que c’est le coup d’envoi de votre campagne ?

Lors de la présidentielle de 2012, j’avais débuté ma campagne par un meeting à Stalingrad. Nous allons nous retrouver au même endroit. Nous allons donner à voir toutes les insoumissions maintenue contre le monde euro-libéral. Je crois beaucoup aux rites de masse qui nous instituent comme collectif humain. Nous avons besoin de ce moment fort pour donner l’impulsion qui traversera toute la campagne. («La Révolution citoyenne a déjà commencé» – Les Inrocks – 25 mai 2016)

Y aura-t-il un conseil politique qui vous entourera dans cette campagne, et qui pourra discuter la ligne ?

Il va se créer d’ici au 15-16 octobre prochain, date de la première convention du mouvement « La France insoumise » sous la forme d’une assemblée représentative. Je reprendrai les conclusions positives de l’expérience du M6R (Mouvement pour une 6 e République). Il est vraisemblable que l’on fera du tirage au sort, notamment parmi les fondateurs des groupes d’appui, qui forment la structure de base actuelle du mouvement.

Chacun des « espaces » sera représenté soit parce que eux-mêmes auront décidé de leur forme de représentation, soit parce qu’on y fera à nouveau du tirage au sort. Mais le mouvement ne décidera qu’à la fin de la campagne s’il devient une structure politique permanente. Il faut que tout le monde comprenne que c’est l’action qui nous fédère. Nous sommes en campagne électorale. Il s’agit de convaincre, pas de moissonner des électorats captifs. Dans notre univers, les gens ont tendance à confondre une élection avec un congrès. Lors de cette campagne, les organisations politiques qui veulent soutenir participeront à « l’espace politique ». Elles garderont leur autonomie de décision mais ne parleront pas au nom de la « France insoumise ». Et les décisions les plus importantes, lors du second tour de l’élection présidentielle, que j’y sois ou pas, seront prises par le suffrage direct de tous ceux qui auront soutenu la campagne. («Si je suis élu, j’abrogerai la loi El Khomri» – Mediapart – 3 juillet 2016)

Il est surprenant de vous entendre dire que vous voulez travailler en équipe…

Pourquoi ? Je passe ma vie au travail collectif. Plus de 100 personnes travaillent déjà en direct avec moi dans cette précampagne ! Dans le Front de Gauche, il y avait neuf partis. Qui à part moi dans ce pays a réuni depuis des anciens verts jusqu’à des marxistes-léninistes ? Qui veut discuter avec moi ? J’y suis prêt à tout moment. On parlera de choses concrètes : pas de mon caractère, ni de mes cravates ! Mon programme comporte sept points clés. J’ai écrit L’Ère du peuple pour présenter ma méthode. J’explique pourquoi le point de départ d’une politique progressiste, c’est le concept d’intérêt général humain écologique, avec un acteur nouveau, le peuple, et une méthode, la révolution citoyenne. Sur la plate-forme Internet, j’ai mis le programme en débat public avec la totalité de ceux qui veulent appuyer ma candidature. Quoi de plus collectif et de plus ouvert que tout ça ? L’entre-soi des bureaux politiques pour se partager les circonscriptions ? («L’étiquette “gauche” est devenue une arnaque» – Marianne – 20 mai 2016)

Le contenu

Comment comptez-vous élaborer le programme de votre candidature ?

Le programme est l’affaire centrale de la campagne. Ce n’est pas une formalité, mais une préparation de chaque citoyen à l’exercice des responsabilités publiques avant même la victoire. Il faut accueillir toutes les contributions dès lors qu’il s’agit de radicalités concrètes. Et je paierai mes dettes : je dirai d’où viennent les idées que nous reprenons. Par exemple, je fais mien le scénario négaWatt et je dis qui l’a élaboré. La société a déjà produit une partie du programme. Et depuis 2012, il s’est réfléchi de très nombreux sujets et inventé de nombreuses solutions, parmi les syndicats, les associations, les intellectuels. Sachons les écouter, les reprendre. Nous ne sommes pas au-dessus d’eux. (« Il est de mon devoir d’avancer sans attendre le bon vouloir de qui que ce soit » – Regards – 2 juin 2016)

Vous liez la question du programme à celle de son élaboration. Comment se pose celle de son application ?

Nous avons besoin de préciser nos idées autant que la manière de les mettre en œuvre. Je reste traumatisé par l’expérience de 1983. Nous avions alors un programme hautement transformateur. Lorsque nous nous sommes retrouvés face au mur de l’argent, deux points de vue se sont affrontés. Ceux qui voulaient rester dans le cadre du système monétaire européen (SME) et ceux qui proposaient une autre politique. J’étais de ceux-là. L’inconvénient de notre point de vue est que nous n’avions rien de concret à proposer. Et nous avons été éliminés. C’est la même leçon que je tire des déboires en Amérique latine ou de la Grèce de Tsipras. Si nous accédons au pouvoir, il nous faut un plan A et un plan B en toutes circonstances. À cette exigence programmatique s’ajoute la claire conscience de l’importance de l’engagement du peuple. En 1981, pour revenir à cette expérience pour moi fondatrice, nous n’avons pas souhaité l’intervention populaire. Pire, nous avons demandé à chacun de rester dans les clous. La méthode de la révolution citoyenne tourne la page de cette erreur. (« Il est de mon devoir d’avancer sans attendre le bon vouloir de qui que ce soit » – Regards – 2 juin 2016)

Le thème de la VIe République sera-t-il toujours un thème majeur de votre campagne ?

Ça sera le cœur. Aujourd’hui, les gens ne croient plus à la parole politique après les expériences Hollande et Sarkozy. Je veux leur proposer de changer la règle du jeu. Et ce n’est pas moi qui vais la changer, c’est eux. Je ne veux pas donner l’impression que c’est moi qui vais l’écrire une fois élu. Mais je m’engage sur un point : mettre en place un référendum révocatoire. C’est le moyen pour garantir le droit du peuple à exercer sa souveraineté, même entre deux élections. Si un nombre prédéfini de citoyens le demande, un référendum sera organisé pour savoir si un élu peut garder son mandat ou être déchu. Cette procédure s’appliquerait à tout le monde, y compris au président de la République. Je crois que c’est la condition de base pour nouer un nouveau pacte de confiance politique dans le peuple. («La Révolution citoyenne a déjà commencé» – Les Inrocks – 25 mai 2016)

L’ambiance

Un sondage (Cevipof) vous place à 12 %, deux points derrière François Hollande. Est-ce l’effet du climat de tensions sociales actuelles ?

Je représente le monde du travail, mieux que d’autres sans doute. Et j’ai choisi d’agir au-delà des seuls partis politiques. Mon choix : convaincre un maximum de gens, sans m’occuper de leurs votes auparavant. 110 000 personnes m’appuient, dont plus de 2 000 syndicalistes, des milliers de militants politiques communistes, socialistes, Parti de Gauche. Ma proposition de candidature est donc bien entrée dans le paysage. («Le temps du PS est fini» – Le Parisien- 3 juin 2016)

Pensez-vous être dans un contexte plus favorable qu’en 2012, en dépit du fait que le Front de gauche n’existe plus pour l’instant ?

Clairement. En 2012 j’ai commencé à 3% et j’ai fini à 11%. Là je commence à 12%. Cette fois-ci, c’est la bonne. Juppé, le favori des sondages, est un produit du système. Il lui a donné une image rassurante. Mais lui s’est mis dans la logique des primaires. Une essoreuse. Entre janvier et maintenant il a déjà sorti deux livres qui constituent un tournant vers la droite la plus violente. Cet homme nous garantit cinq ans de guerre sociale. Qui a envie de ça ? Au bout du compte, le goût d’un avenir commun écologique et social pour le pays ce sera moi. La stabilité, la constance et la cohérence sont de mon côté. Les autres sont la chienlit. («La Révolution citoyenne a déjà commencé» – Les Inrocks – 25 mai 2016)

Qu’est-ce qui vous rend aussi optimiste ?

Je pense que le pays a vécu beaucoup d’épreuves et il est moins manipulable qu’en 2012 sur le plan de la peur et des paniques identitaires. Je commence à voir que nous avons de bonnes chances d’y arriver. Je suis très enthousiaste à l’idée d’entrer en campagne. Je ne m’attendais pas à ce que l’héritage de 2012 soit aussi fort. Des spécialistes de la sociologie électorale estiment que notre socle est solide avec 80% de nos électeurs de 2012 déjà prêts à le faire à nouveau. Dans la famille progressiste, ma position va se renforcer. La droite va continuer à se fragmenter et je dis depuis le début que Bayrou est une alternative à l’extrêmisation de la droite. La société n’a pas fini de chercher une issue. Je pense que la partie peut se jouer dans un mouchoir de poche. Ma conviction profonde c’est que la révolution citoyenne a déjà commencé en France avec les mouvements sociaux en cours et le phénomène « Nuit Debout ». Elle peut faire des pauses. Mais elle ne s’arrêtera plus. («La Révolution citoyenne a déjà commencé» – Les Inrocks – 25 mai 2016)

Au regard de ces cinq premiers mois de campagne, êtes-vous confiant sur les dix mois qui restent ?

Il y aura sans aucun doute beaucoup de bourrasques et de péripéties. C’est pourquoi je m’acharne à ancrer notre force profondément dans le terrain. Mais le calendrier est désormais stabilisé autour des dates des primaires du PS et de LR. Cambadélis [le premier secrétaire du PS – ndlr], qui est un homme méthodique, a attendu patiemment que tous les velléitaires s’épuisent. Quand il a mis en place « la Belle alliance », la photo était calamiteuse, et l’attelage calamiteux. Mais il est parvenu à imposer son cadre d’action. Il est vrai qu’il a été servi d’une manière incroyable par la pusillanimité des Verts et du PCF, un jour oui un jour non. Désormais les cibles cessent de virevolter. Il faut les laisser faire le ménage dans leurs rangs.

De mon côté, on peut dire que ces cinq mois ont été très positifs pour la démarche que j’ai enclenchée. D’une part, il y a la constitution d’une force, avec plus de 100 000 signatures d’appui à ma candidature. D’autre part, il y a la formation d’un mouvement dont on a vu la force dans le rassemblement place Stalingrad le 5 juin. Une convergence forte de 2 000 syndicalistes a émergé. Et enfin un « espace politique » s’est constitué aussi avec des organisations socialistes et communistes, un rassemblement de syndicalistes. La seule difficulté reste la collecte des parrainages. Nous n’en sommes qu’à 170 signatures alors qu’il en faut 500… («Si je suis élu, j’abrogerai la loi El Khomri» – Mediapart – 3 juillet 2016)

Les législatives

C’est si compliqué d’obtenir les parrainages pour la présidentielle ?

On découvre. En 2012, cela s’est fait tout seul, mais plus tard dans l’année, c’est vrai. Entre-temps, il y a eu les municipales, des majorités ont changé. Mais cette bataille n’est pas gagnée d’avance. Dans certains départements qu’il dirige, le PS fait une police féroce. D’autres anciens alliés espèrent encore que je me plante, pour pouvoir revenir aux arrangements ou à leurs colloques dans les catacombes. Des signaux extrêmement négatifs sont aussi arrivés. Le pire de tous, c’est que le PCF, dès le mois de septembre, aura désigné tous ses candidats aux législatives. Là, il n’est plus question de primaire, ni de « larges convergences » ni de « cadre collectif » ou que sais-je !

J’en déduis que la discussion est close. Dont acte. « La France insoumise » investira des candidats dans toutes les circonscriptions. J’espère que beaucoup d’insoumis, femmes et hommes syndicalistes, lanceurs d’alerte, intellectuels, accepteront de porter ses couleurs. Peut-être même des candidats communistes se proposeront-ils. D’une déception peut venir un bien. Car, au fond, vouloir élire un président et une majorité parlementaire, c’est une même démarche. Pour l’avoir ignoré la dernière fois et aussi pour avoir investi 80 % des candidats d’un même parti, nous avons perdu la moitié de nos voix entre les deux élections. («Si je suis élu, j’abrogerai la loi El Khomri» – Mediapart – 3 juillet 2016)

Et concernant les législatives ?

La méthode n’est pas encore fixée. Nous avons été pris de court par la décision du PCF d’investir partout ses candidats. Nous ferons de même avec un seul label, un seul programme, un seul matériel de campagne. («Si je suis élu, j’abrogerai la loi El Khomri» – Mediapart – 3 juillet 2016)

Vous allez déposer 577 candidats insoumis aux législatives et après il y aura des négociations ?

Il y aura un processus d’investitures, dont on n’a pas fixé la nature, mais il y en aura un. Je souhaite que tout soit réglé à la convention d’octobre du mouvement. Parmi les candidats, il y aura des militants politiques, mais l’attention principale sera donnée à la présence de syndicalistes, de lanceurs d’alerte, de gens qui sont représentatifs de cette France insoumise. Je n’ai pas un discours anti-partis, j’ai un discours « hors parti ». C’est très différent. («Si je suis élu, j’abrogerai la loi El Khomri» – Mediapart – 3 juillet 2016)


HOLLANDE ET LA MONARCHIE PRESIDENTIELLE

En quoi, à vos yeux, Hollande est-il « pire que Sarkozy » ?

Commençons par dire que cela ne vaut pas amnistie pour M. Sarkozy. Sur des questions essentielles, Hollande s’est comporté de manière beaucoup plus violente et brutale que Sarkozy. Par exemple lorsqu’il a reporté l’âge de la retraite effectif à 66 ans alors que Sarkozy l’avait laissé à 62. Surtout, il n’y avait pas d’erreur. Sarkozy a toujours dit qui il était. Il n’y avait pas d’erreur possible sur son identité politique. Tandis que Hollande est arrivé au pouvoir en disant qu’il allait renégocier les traités européens, et il ne l’a pas fait. Il a dit qu’il allait affronter la finance, et il fait tout le contraire. J’estime donc que, sur le plan moral, il s’est totalement déconsidéré aux yeux des Français. C’est le principal reproche que lui font les gens : pas d’être ce qu’il est, mais de le cacher. («Manuel Valls a été désavoué» – Le Télégramme – 23 juin 2016)

Comment expliquer qu’après un moment d’apaisement, coup sur coup, il enchaîne la déchéance de nationalité, la loi travail, clivant ainsi le pays à un an de la présidentielle ?

Il pense qu’il y a un consensus à droite au sein de la société sur le plan économique et identitaire. Il a poussé cette logique jusqu’à l’extrême dans le contexte de l’ambiance terrible qui régnait après les attentats. Comme ce n’est pas un théoricien, mais essentiellement un homme d’appareil, il n’avait même pas conscience de violer les fondamentaux républicains lorsqu’il a proposé la déchéance de nationalité. C’est une sous-évaluation totale de l’état de dislocation de la société et du fait qu’elle est passionnément en recherche de cohésion. Les gens ne sont pas résignés à participer à cette guerre de chacun contre tous. («La Révolution citoyenne a déjà commencé» – Les Inrocks – 25 mai 2016)

À l’Elysée, on assiste à une fuite des cerveaux, dix de ses anciens ministres ont dressé un bilan accablant de François Hollande dans Le Monde, même le Parti socialiste est divisé…

Que voulez-vous que je vous dise ? On ne pourra pas dire que je ne vous ai pas prévenus. J’ai dit que son parti était un astre mort, que lui-même dirigeait ce pays sans vision d’ensemble, que sa pensée géopolitique était d’une pauvreté absolue et que sa servilité envers la commission européenne était totale. Rien n’est une découverte pour moi. Quant aux anciens ministres, si cela ne leur plaisait pas ils auraient dû le dire, mais c’est sur moi qu’ils tiraient à l’époque. Remarquez que tout ce petit monde continue une implacable lutte des places et des personnes, ce qui est la caractéristique de leur milieu. Vous n’êtes pas frappé par leur sectarisme à mon égard ? Moi cela me sidère. («La Révolution citoyenne a déjà commencé» – Les Inrocks – 25 mai 2016)

Et François Hollande ? Doit-il être candidat à sa succession ?

Visiblement, il a envie de l’être. Il serait sain que les Français puissent dire ce qu’ils pensent de son bilan. Qu’il assume ! La logique républicaine voudrait cela. S’il n’est pas candidat, cela veut dire que lui-même reconnaît son échec. Mieux vaudrait alors qu’il parte tout de suite. («L’étiquette “gauche” est devenue une arnaque» – Marianne – 20 mai 2016)

Vous connaissez bien François Hollande, vous l’avez côtoyé…

Non je ne le connais pas, personne ne connaît cet homme ! (rires) . («La Révolution citoyenne a déjà commencé» – Les Inrocks – 25 mai 2016)


L’IMPASSE DES PRIMAIRES

Vous avez refusé de participer aux processus des primaires à gauche. Pourquoi ?

Je refuse le mécanisme des primaires depuis longtemps, Cela ne me prend pas maintenant comme un argument de circonstance, j’ai expliqué ça longuement dès 2007 : les primaires sont un tamis social et un tamis idéologique qui se termine à la fin pour unique référence sur « Qui va être présent au deuxième tour ? » et, donc, on essaye de le savoir en lisant les sondages… Une primaire est un exercice d’amnistie pour dirigeants socialistes, cela ne peut pas être autre chose. («L’urgence écologique doit être au point de départ de ma campagne» – Reporterre – 3 juin 2016)

Aujourd’hui davantage encore, une primaire de toute la gauche ne peut être qu’une source de confusions démoralisantes. Quand on mesure à quel point la parole politique du Front de gauche a déjà été discréditée, cette confusion pourrait effacer toute notre influence de la carte ! Le PCF a milité pour ces primaires de toute la gauche et Ensemble a commencé par s’y associer plus ou moins. Le PCOF, Socialisme et république et le PG les ont rejetées. Personne ne m’a consulté, nous n’en avons jamais discuté collectivement. J’ai donc annoncé ma décision de ne pas m’y plier dès le mois de décembre. (« Il est de mon devoir d’avancer sans attendre le bon vouloir de qui que ce soit » – Regards – 2 juin 2016)

Pourquoi ne pas avoir accepté de participer à une primaire sur les bases du Front de gauche ?

Parce que personne ne l’a jamais proposé. Ce dont il a été publiquement question, cela a été d’une primaire de toute la gauche. Et maintenant, il est trop tard pour revenir en arrière. En revanche, il est injuste de dédaigner la main que je tends. Cela m’affecte. Je ne comprends pas que la critique prenne toujours ce tour personnel, souvent au-delà du trait ! Qu’il est triste de voir tant d’amis d’hier espérer mon échec et ajouter leurs croche-pieds aux coups que me donnent nos adversaires. Heureusement qu’il y a l’accueil amical que me réservent des milliers de militants et sympathisants communistes, malgré l’acrimonie de leurs porte-parole. (« Il est de mon devoir d’avancer sans attendre le bon vouloir de qui que ce soit » – Regards – 2 juin 2016)

Hollande candidat à la primaire de Cambadélis, cela change-t-il quelque chose à la donne politique ?

Cela pose déjà un acte politique important. Tous reconnaissent ainsi qu’il n’est pas le candidat naturel de son propre camp. Par conséquent, pendant sept mois, tous ses concurrents, qui ne sont concurrents que parce qu’ils ne le jugent pas à la hauteur, vont se charger de faire son procès. C’est-à-dire qu’une année entière d’un mandat de cinq ans sera consacrée à une lutte partisane interne. C’est quelque chose qui ne sera pas bon pour le pays. («Manuel Valls a été désavoué» – Le Télégramme – 23 juin 2016)


CANDIDATURES DE HULOT ET MONTEBOURG ?

Que pensez-vous de la possible candidature de Nicolas Hulot ?

Je ne peux pas être quelqu’un qui dirait du mal d’un de mes électeurs de 2012. J’ai beaucoup d’estime pour lui. Je pense que c’est un homme qui réfléchit, qui a une profondeur de réflexion. La première fois que je l’ai rencontré, j’ai été sous le choc de la qualité de notre discussion. C’est quelqu’un qui a du talent.

Il est moralement responsable, il sait qu’il exerce un magistère aujourd’hui. Peut-il continuer à l’exercer dans les conditions particulières de la féroce lutte de la campagne présidentielle ? C’est à lui de l’évaluer. Ce n’est pas seulement une féroce lutte, c’est une lutte qu’il faut envisager gagnante. Je ne sais pas s’il a envie d’être président de la République, avec ce que cela implique dans un pays comme le nôtre, nous verrons. Mais je n’en dirai pas un mot de mal. Et même si l’on devait être en désaccord, ce sera dans le plus grand respect de sa personne et de son combat. («L’urgence écologique doit être au point de départ de ma campagne» – Reporterre – 3 juin 2016)

Que vous inspire la possible candidature d’Arnaud Montebourg ?

Cela concerne les primaires du PS, pas moi. La désintégration du pôle socialiste provoque des turbulences de fumées et de poussière au fur et à mesure de l’effondrement. Le peuple en a par-dessus la tête de tous ces gens-là. Le temps du PS est fini. («Le temps du PS est fini» – Le Parisien- 3 juin 2016)

Craignez-vous une candidature Montebourg ?

Non. Au contraire. Car elle affaiblit Hollande. Mais Arnaud Montebourg se bat pour participer à la primaire des socialistes. Cette compétition ne me concerne pas. («L’étiquette “gauche” est devenue une arnaque» – Marianne – 20 mai 2016)

Puisqu’on parle de primaire, de concurrence à gauche, comment imaginez-vous les choses en termes d’espace politique si Arnaud Montebourg et/ou Nicolas Hulot sont candidats ?

Vous citez deux personnes qui sont plus ou moins dans l’espace culturel, sémantique, qui est le nôtre. Sauf qu’à l’évidence, monsieur Montebourg est dans une logique productiviste, ce qui n’est pas le cas de monsieur Hulot. Mais monsieur Montebourg est dans une logique de souveraineté populaire, ce qui n’est pas tout à fait le cas de monsieur Hulot. D’une manière ou d’une autre, ce sont des personnalités qui fécondent le champ culturel qu’on a intérêt à voir renforcé dans l’opinion. Pour moi, ce ne sont que des bonnes nouvelles.

Mais je ne me sens pas concerné par des compétitions de cette nature avec eux. Pour ma part, je me bats pour construire un espace politique majoritaire en France avec sa spécificité. Et je sais que la synthèse que je porte n’existe qu’à cet endroit-là. « La France insoumise » n’est pas un parti de plus, c’est un mouvement inclusif. Je voudrais être un bâtisseur du futur, en installant un programme au sens historique du terme, sur des points émergents de la lutte, et de l’histoire profonde de l’espace progressiste et humaniste en France. Je laisserai, en toute hypothèse, un outil d’action de masse, des moyens matériels et un programme à la génération suivante. Pour ma part, je n’ai jamais pensé que le monde se limitait à ce que j’y fais à présent. («Si je suis élu, j’abrogerai la loi El Khomri» – Mediapart – 3 juillet 2016)

Une telle compétition risque de nuire à l’efficacité et à votre résultat…

Ce n’est pas sûr. Hulot a plein de talent de conviction, dont celui de prendre de l’espace à monsieur Bayrou ou à monsieur Hollande, ce que je ne peux pas faire aujourd’hui aussi bien. Par ailleurs, au terme de la compétition de la primaire, des gens ne se sentiront plus représentés au regard de ce qu’ils auront défendu. En 2012, Montebourg avait contribué à désenclaver notre message… Je n’ai jamais rien à perdre au débat d’idées quand il est animé par des gens de talents. («Si je suis élu, j’abrogerai la loi El Khomri» – Mediapart – 3 juillet 2016)


LA SITUATION DU FRONT DE GAUCHE

Le PCF propose désormais un socle politique commun. Le prendrez-vous en considération ?

Oui, quand ce sera clair. Mais un programme commun ne peut être seulement le résultat d’un compromis entre organisations politiques. Il faut partir des nécessités, celle de sortir de la monarchie présidentielle dans laquelle nous sommes, de changer la matrice productive du pays, d’avancer la transition écologique, de sortir des traités européens. Le temps des programmes minimums est fini. («Le temps du PS est fini» – Le Parisien- 3 juin 2016)

Je trouve pénible que le PCF abandonne la méthode du rassemblement qu’a été le Front de Gauche pour des partenariats aussi incertains. La proposition de Pierre Laurent n’a donc pas de réalité politique. Je crains que les communistes ne se retrouvent très isolés à l’arrivée. Alors que le combat a besoin d’eux, de leurs idées, de leur engagement. Je suis prêt à faire équipe. Chacun peut prendre sa place dans la lutte dès l’instant où il y a de la clarté dans l’objectif et sur la méthode. Et de la cohérence entre ce qu’on dit et ce qu’on fait. Comme si nous n’avions pas les bases d’une candidature ; comme si nous n’avions pas déjà réuni quatre millions de voix et comme si nous n’avions pas déjà un programme partagé. Je déplore cet a priori sans motif à mon égard. Mais il est de mon de devoir d’avancer sans attendre le bon vouloir de qui que ce soit. (« Il est de mon devoir d’avancer sans attendre le bon vouloir de qui que ce soit » – Regards – 2 juin 2016)

Pierre Laurent vient de déclarer qu’il souhaitait une « candidature commune d’alternative à gauche ». Comprenez-vous cet appel comme un premier pas vers un rapprochement ?

Je comprends surtout que la direction communiste ne croit plus aux primaires. J’avais donc raison de ne pas m’être enferré dans cette histoire et de n’avoir pas perdu ces quatre mois en intrigues. J’ai mis ce temps à profit pour construire : 110.000 appuis et 1.000 groupes de base. À présent, Pierre Laurent dit vouloir éviter l’éclatement de la gauche d’alternative pour accéder au second tour de la présidentielle. Je ne comprends pas. Les frondeurs ont beaucoup voté et soutenu le gouvernement Hollande-Valls et ils forment de nombreux clans concurrents ; les écologistes sont totalement atomisés. Aucun ne renonce à une candidature de leur parti. (« Il est de mon devoir d’avancer sans attendre le bon vouloir de qui que ce soit » – Regards – 2 juin 2016)

On en revient aux divisions au sein de la gauche de gauche…

Je comprends que les communistes soient attachés à la permanence de leur parti. Mais c’est à eux de trouver le chemin stratégique qui permettra de combiner leurs volontés et l’aspiration de dizaine de milliers de gens à entrer dans un cadre commun. Je ne peux le faire à leur place ni renoncer à ce que j’ai analysé sur notre temps. L’objectif est bien de fédérer. Pour le faire, il faut être capable de tourner les pages de l’aigreur. Je ne demande pas qu’on me rallie. Je tâche de faire bien mon travail, d’accomplir la part qui me revient et je sais que je ne suis pas éternel. Il nous faut faire naître un monde neuf. Nos vieux habits peuvent rester dans l’armoire ou le grenier. Ils ne vont pas s’envoler. On pourra les retrouver, quand on voudra, si l’on en a besoin… (« Il est de mon devoir d’avancer sans attendre le bon vouloir de qui que ce soit » – Regards – 2 juin 2016)

Mais dans les mois qui viennent, les communistes vont devoir se retrouver derrière vous, ou aller à la primaire de la Belle alliance, ce qui a été plus ou moins écarté lors du Congrès. Vous allez devoir vous reparler…

Ce n’est pas un problème. Ma porte est ouverte. Mon intention n’est pas d’abuser d’une position qui est devenue aujourd’hui la plus confortable. Mais elle n’est pas tombée du ciel ! Nous sommes allés la chercher avec les dents, sur une ligne stratégique et un programme certes en cours d’élaboration mais fermement charpenté par L’Humain d’abord. Nous avons acquis notre position par la constance, le travail méthodique, le partage des tâches. Je suis donc bien sûr totalement ouvert. Mais il y a un cadre ! Certes il est mis en partage mais dans le respect de ceux qui l’ont constitué : c’est « la France insoumise ». («Si je suis élu, j’abrogerai la loi El Khomri» – Mediapart – 3 juillet 2016)

Vous préférez donc la France insoumise au Front de gauche…

Mais c’est le seul cadre qui existe ! Le cartel Front de gauche n’existe plus. La confiance aussi est morte. J’ai été maltraité d’une manière inacceptable. Cherchez un propos de ma part qui traite les dirigeants communistes comme je viens d’être traité ? À quoi ça sert ? Est-ce que je n’étais pas un bien commun en tant qu’ancien candidat ? Pourquoi font-ils ça ?

Par ailleurs, la privatisation du Front de gauche a été inouïe. À chaque élection partielle, j’ai appris dans la presse qu’il y avait des candidats Front de gauche. Parfois, il y en avait deux opposés entre eux, et les deux étaient communistes comme dans la Somme et la Loire-Atlantique ! Quel chaos illisible ! Dernier exemple à Notre-Dame-des-Landes où le PCF départemental a mis le logo du Front de gauche dans sa campagne pour le « oui ». Cela contre non seulement tous les partenaires du Front de gauche mais également contre les fédérations communistes environnantes. Où va-t-on avec des méthodes pareilles ?

Je suis obligé de tourner la page, parce que ce type de comportement relève du vieux monde, de la vieille politicaille. J’ai intérêt à me tenir très à distance de tout cela, pour indiquer que le bien commun que je suis et le personnage fabriqué par notre histoire commune depuis 2012 ne sont pas encalminés là-dedans. («Si je suis élu, j’abrogerai la loi El Khomri» – Mediapart – 3 juillet 2016)


MOBILISATION CONTRE LA LOI TRAVAIL

Les gens ne veulent pas de cette loi, ils le disent dans la rue. Les parlementaires ne veulent pas de cette loi, ils le disent dans l’hémicycle. Et malgré tout, le gouvernement passe en force. Qui prend en otage qui ? 40 personnes membres du gouvernement, inclus le président de la République, et tous les autres sont contre. Y compris une large fraction du patronat. Parce que ce qu’on ne dit pas assez, c’est que la loi El Khomri, en créant un code du travail par entreprise et en mettant tout le monde en compétition, dans les petites et les moyennes entreprises, tout le monde va s’aligner par le bas. Ce qui avant était une norme salariale, une norme horaire, une norme d’organisation du travail commune à une branche, à un type d’activité, va disparaître. Donc la compétition va faire rage d’une manière terrible entre les entreprises et il y aura encore des morts. (Bourdin direct – BFMTV – 6 juin 2016)

Quand vous êtes dans une entreprise et qu’il n’y a pas de syndicat, et qu’il n’y a pas un syndicat qui se bat, je veux dire, pas un syndicat bidon, un syndicat qui se bat, et bien vous êtes tout seul. C’est comme quand on me dit : « ça va s’arranger de gré à gré ». On n’est pas de gré à gré avec le patron. Ce n’est pas vous qui choisissez vos heures. Vous ne dites pas à l’entreprise : « Tiens, j’ai besoin de quelques heures supplémentaires », ça ne se passe pas comme ça. Pensez à la vie des gens ! Et pensez que ce dont je suis en train de vous parler, quand on parle des heures complémentaires, c’est à dire quelqu’un qui a un temps de travail limité, ou quand je parle d’heures supplémentaires, la plupart du temps, quand je parle des petites payes, 85% ce sont des femmes! Essayez de comprendre que ce sont des gens qui sont dans la galère. Et sans aucune raison objective, sans aucune raison, on va rendre leur vie plus compliquée. Vous savez ce que va faire la loi El Khomri ? Du chômage. » (Des paroles et des actes – France 2 – 26 mai 2016)

Croyez-vous encore à la discussion sur la loi El Khomri ?

La CGT et FO ne refusent pas de discuter. Le vocabulaire de Valls et de son meilleur ami, le président du Medef, ne fait qu’aggraver les tensions. C’est le gouvernement qui a amené le conflit à ce point de tension et bloqué toutes les issues. Le meilleur service que Hollande rendrait au pays serait de renvoyer Valls et mettre la loi El Khomri dans les cartons. («Le temps du PS est fini» – Le Parisien- 3 juin 2016)

Une motion de censure de gauche a failli réussir à renverser le gouvernement. Pensez-vous qu’en seconde lecture à l’Assemblée en juillet, le gouvernement pourrait être renversé ?

Il devrait l’être ! Nos amis ont réussi à trouver 56 signatures en 48h, ils auront deux mois pour trouver les deux qui leur manquent. Assez joué à se faire peur : moins d’un an avant la fin de la législature la dissolution est interdite. Quelle que soit la motion de censure, tous ceux qui veulent bloquer la loi El Khomri, gauche ou droite, devraient la voter. C’est Valls qui a lancé ce défi ! S’interdire de voter une motion de censure au motif que ceux qui la déposent ne sont pas de ses amis ? Mais le texte de cette motion n’est pas la plateforme du futur gouvernement ! Au contraire : Hollande devra nommer un nouveau gouvernement accepté par la majorité. («La Révolution citoyenne a déjà commencé» – Les Inrocks – 25 mai 2016)

C’est un scénario plausible ?

Oui, ou alors c’est que tout le monde joue un double jeu. Si la censure n’est pas votée, ce sera une étape de plus dans la disqualification du monde politique, de la représentation nationale et d’un système qui permet une telle duperie. («La Révolution citoyenne a déjà commencé» – Les Inrocks – 25 mai 2016)

Pensez-vous que cette potentielle motion de censure peut être l’ébauche d’une union de la gauche du PS en vue des présidentielles ?

La motion de censure est une mise au pied du mur. Reste-t-il un lien suffisant entre le mouvement social, qui est le véritable porteur de la gauche au sens historique du terme, et sa représentation politique ? Nous allons le savoir en juillet. S’ils ne votent pas la motion de censure, c’est qu’il y a deux mondes sans intérêt commun. A la fin il ne restera que deux orientations, parce qu’il n’y en a que deux ! L’une accepte l’ordre établi, le monde tel qu’il est, la construction européenne telle qu’elle est, et l’autre le refuse. Cette affaire remonte à 2005. En 2005 non seulement le peuple français a voté “non”, mais il a été trompé. L’onde de choc de ce viol poursuit ses ravages. . («La Révolution citoyenne a déjà commencé» – Les Inrocks – 25 mai 2016)

L’initiative de ces députés issus du Front de gauche, des écolos ou frondeurs, qui ont tenté de déposer mercredi 11 mai une motion de censure de gauche contre le gouvernement Valls, s’inscrit-elle dans cette dislocation ?

C’est un événement sans précédent qu’un secteur de la majorité parlementaire dépose une motion de censure… Hélas, il a manqué deux signatures. François Hollande a donc divisé la gauche, le front syndical et même sa majorité parlementaire. A la fin, les lois de la physique s’imposeront et tout le système volera en éclats ! J’ai proposé en vain pendant des mois que l’«opposition de gauche» se regroupe, s’affirme et surtout s’assume devant les électeurs, notamment aux régionales. En vain. Les plans de carrière et les jeux d’appareil chez Les Verts ont tout bloqué. Et maintenant ? Ça continue : des députés PS et verts agissent comme une opposition mais ne veulent pas l’assumer devant les électeurs. («L’étiquette “gauche” est devenue une arnaque» – Marianne – 20 mai 2016)

Valls et le gouvernement ont fini par céder ! (sur la manifestation d’abord interdite)

Valls a été désavoué. Mais ce tourbillon de décisions contradictoires montre que le sommet de l’État n’a plus ni chef, ni boussole. Étrange ambiance de fin de règne. Valls devra partir très bientôt. («Manuel Valls a été désavoué» – Le Télégramme – 23 juin 2016)

À propos de la loi sur le travail, comment appréhendez-vous la possibilité d’une défaite du mouvement social ? 

D’abord commençons par interroger le concept de « défaite ». L’affaire n’est pas encore pliée et la séquence du 49.3, si elle a lieu, ne sera pas indolore pour ce gouvernement. Dans ce cas, les députés de gauche doivent voter la censure, d’où qu’elle vienne, pour bloquer la loi. Jusqu’à la fin, François Hollande peut considérer que l’exercice est finalement trop coûteux politiquement. Et qu’assurer la victoire idéologique aux méthodes de Monsieur Valls coûte trop cher à sa campagne de réélection. («Si je suis élu, j’abrogerai la loi El Khomri» – Mediapart – 3 juillet 2016)

Ce n’est pas parti pour…

Qui sait ? Les révolutions de palais sont la spécialité du PS hollandais. Qui aurait pu prévoir que Montebourg et Hamon allaient comploter pour remplacer Ayrault par Valls ? Qui pouvait imaginer qu’une fois le triumvirat installé, Valls réglerait leur compte à ses deux complices en trois mois. Le règne de la cour, c’est le hollandisme réel. Le dernier qui a parlé a raison. Il est donc tout à fait imaginable que François Hollande change son fusil d’épaule.

Si tel n’est pas le cas, la bataille n’est pas finie pour autant. Et je prends l’engagement que si je suis élu, j’abrogerai la loi El Khomri et je rétablirai la hiérarchie des normes sociales. Ceux qui croient que le peuple est un troupeau de gens sans cervelle ni mémoire se trompent lourdement. L’onde de choc des grands mouvements sociaux a toujours eu des conséquences politiques : Mai-68 avec 1981, décembre 1995 avec 1997.

D’ailleurs, le mouvement contre la loi El Khomri a déjà eu un effet oxygénant. Pendant quatre mois, on a parlé d’autre chose que de terrorisme ou d’islam. Et puis les leaders syndicaux du front du refus ont été extraordinaires. Jean-Claude Mailly [FO – ndlr] et Philippe Martinez [CGT – ndlr], Éric Beynel [Solidaires – ndlr] et tous les autres ont résisté à toutes les provocations qui leur ont été faites. Les confédérations ont joué leur rôle : la lutte a pu se dérouler sur plusieurs tableaux sans que toutes les forces soient continuellement jetées dans la bataille. C’est le syndicalisme confédéré dans ce qu’il a de meilleur.

Cette bataille a aussi été une école extraordinaire pour la formation et l’élargissement de ce qui va être le protagoniste de ma campagne : le « parti sans murs ». Cette masse de gens de tous âges, de toute condition, qui partage une vision commune anti-capitaliste et anti-productiviste, et une culture commune humaniste à bord flou. Pour ce parti sans murs, le cycle de la loi El Khomri ne s’achèvera que dans l’élection présidentielle de 2017. («Si je suis élu, j’abrogerai la loi El Khomri» – Mediapart – 3 juillet 2016)


MOUVEMENT CITOYEN (Nuit debout – Révolution citoyenne)

Comment analysez-vous la situation politique du moment ?

On peut la résumer en disant que le pays est à un point de rupture. Soit ce point de rupture se constatera dans la sphère politique par l’adoption d’une motion de censure, lorsque le texte de la loi El Khomri reviendra à l’Assemblée nationale en juillet ; soit il se constatera par l’élévation du niveau de violences qui est déjà, me semble-t-il, assez élevé ; soit il se mesurera par un nombre croissant de secteurs sociaux mobilisés entrant dans la grève et dans la lutte. Mais en toute hypothèse, la rupture est marquée dans les esprits.

On peut dire que depuis quelques mois – en gros depuis le choix politique de la déchéance de nationalité – le peuple en France est travaillé sur ses fondamentaux, sur ce qui le lie et ce qui le constitue en tant que peuple politique. La déchéance de nationalité a touché à son identité et la loi El Khomri, à son organisation sociale. Et Nuit Debout pointe en quelque sorte la forme de ces institutions.

La conclusion provisoire de la séquence El-Khomri sur un « 49.3 » a été une espèce d’apothéose de cette conjonction. On voit que les institutions ont directement à voir avec la question sociale : on ne peut pas faire passer une loi anti-sociale, qui bouleverserait toutes les relations du pays, qu’au moyen d’un argument constitutionnel – qui n’existe que dans notre pays – où l’on déclare une loi adoptée sans débat, sans amendement, sans majorité. («L’urgence écologique doit être au point de départ de ma campagne» – Reporterre – 3 juin 2016)

Nous entrons dans un moment d’effondrement de l’autorité politique et du consentement à l’autorité, ce fil psychologique, moral et politique si délicat qui tient ensemble une société. L’Etat est épuisé, victime à la fois d’une hyperutilisation et d’un sous-investissement, avec notamment la baisse du nombre de fonctionnaires. Le social, l’impératif écologique, la démocratie, l’international : tout est sous tension et le chaos gagne partout. La France n’a plus de projet, ni pour elle, ni pour l’Europe, ni pour demain matin. L’État est géré sous l’angle des luttes de pouvoir personnel entre les zozos qui le dirigent. Le champ politique se disloque. Et l’on est empêché de penser par le vol des mots et des symboles par ces gens qui se disent de gauche et qui font une politique de droite ! Un événement fortuit peut faire tout s’écrouler. En juillet, avec la motion de censure, le gouvernement Valls peut tomber. («L’étiquette “gauche” est devenue une arnaque» – Marianne – 20 mai 2016)

L’interdiction de manifester envisagée ce jeudi, est-elle le clash final entre la gauche contestataire et le pouvoir hollandais ?

C’est surtout un moment de tension extrême entre le gouvernement et une bonne partie du peuple français. Parce que le soutien des Français au refus de la loi Travail ne baisse pas, parce que les parlementaires qui ne veulent pas de cette loi n’en veulent toujours pas, et les syndicats, majoritairement, n’en veulent pas non plus. Donc, nous sommes dans une ambiance de coup de force et d’instrumentalisation par Manuel Valls des violences qu’il a lui-même provoquées par ses excès. («Manuel Valls a été désavoué» – Le Télégramme – 23 juin 2016)

Depuis le 31 mars les foyers de colère existants ont convergé sur différentes places de France dans le mouvement Nuit debout. Quel bilan faites-vous de cette expérience ?

C’est un instant magique de la vie du pays quand s’expriment en même temps deux aspects qui souvent sont dissociés : la mobilisation sociale dans un front du refus syndical extrêmement large incluant les organisations de jeunesse, et un mouvement citoyen tel que le phénomène des Nuits debout, qui a essaimé dans tout le pays. Nous sommes au début d’un processus. Un courant politique populaire se reconstitue en France à partir de la conjonction de ces événements : la mobilisation sociale et la mobilisation citoyenne sur l’Agora. C’est pourquoi il faut que la loi El Khomri ne passe pas. Si nous gagnons cela sera porteur d’espoir, d’envie de recommencer à une échelle élargie. («La Révolution citoyenne a déjà commencé» – Les Inrocks – 25 mai 2016)

Qu’est-ce que Nuit Debout, selon vous ?

C’est une des formes d’expression de l’épuisement des institutions et de leur mise en cause sous une forme nette et populaire. D’où vient la légitimité du pouvoir ? Qui peut rendre une décision légitime dans un pays ? On ne parle que de cela.

Je pense depuis le début qu’ils ont eu raison de ne pas vouloir être représenté, parce qu’un tel mécanisme les aurait divisé, et la division aurait limité la force propulsive que contient ce mouvement.

Il ne faut pas l’idéaliser : ce n’est pas la Nuit debout qui va changer le pays, les institutions, les règles sociales. Mais c’est un formidable « cratère de volcan », du volcan insurrectionnel de notre pays. («L’urgence écologique doit être au point de départ de ma campagne» – Reporterre – 3 juin 2016)

Quelle suite voyez-vous à Nuit Debout ?

Je ne sais pas, et par définition, personne ne peut le savoir. Les mouvements révolutionnaires – et celui-ci en est un – ne sont pas définis par leur forme d’expression, ce n’est pas la taille de la place de la République qui détermine le caractère révolutionnaire de Nuit Debout. C’est ce qu’elle porte, ce qu’elle dit dans les interstices de la société où elle passe et dont elle écarte les lèvres.

Ce sont des phénomènes qui répondent à des lois d’organisation qui ne sont pas celles de la société politique traditionnelle. Ma thèse est que la révolution citoyenne est commencée en France. («L’urgence écologique doit être au point de départ de ma campagne» – Reporterre – 3 juin 2016)

C’est-à-dire ?

C’est un processus qui ne correspond pas aux formes traditionnelles des anciennes révolutions socialistes qui étaient toutes entières concentrées dans un moment, qui durait plus ou moins longtemps. Les processus de révolutions citoyennes sont plus lents, plus profonds. Ils se propagent dans toute la société et sont donc à distance des coups. Ils ont cette caractéristique de remettre en cause, en même temps, toutes les autorités.

À un moment ou à un autre, ils passent par un point que j’ai appelé « Qu’ils s’en aillent tous », d’après le mot d’ordre qui avait éclaté, pays après pays en Amérique latine, « Que se vayan todos » et qu’on a retrouvé en Tunisie sous le vocable « Dégage ».

Et ce point de « Dégagez tous », nous nous en rapprochons en France. Pas qu’en France d’ailleurs, car nos pays voisins sont, eux aussi, en proie à des remuements – comme on disait dans le passé – des commotions que la lourde et pesante machine médiacratique a le plus grand mal à contenir. Ce mouvement est d’abord le ressenti, dans une population hautement éduquée, de l’absurdité des décisions prises. Autrefois, on pouvait gruger, sidérer, abrutir le peuple. Aujourd’hui, c’est beaucoup plus difficile, ne serait-ce que parce que la liberté publique est garantie par la force des réseaux sociaux. («L’urgence écologique doit être au point de départ de ma campagne» – Reporterre – 3 juin 2016)

Au-delà de la conscientisation politique des participants, un Podemos à la française est-il possible et souhaitable selon vous ?

La première consigne de vote des Indignés espagnols avait été de boycotter les élections. Le résultat a été une victoire écrasante du Parti populaire (droite espagnole, ndlr). Puis il y a eu des « marées citoyennes » d’une autre nature, mobilisant les salariés par branches professionnelles. C’est la combinaison de ces facteurs qui a débouché sur un mouvement politique. En France nous sommes au début du processus. Il faut absolument qu’il aille le plus loin possible, et pour cela il ne faut pas qu’il entre dans une case politique, qu’il soit “récupéré”. J’estime extrêmement sage de la part du mouvement d’avoir refusé toute représentation. Certains considèrent que c’est une limite. Au contraire, c’est parce qu’il n’a pas de représentation que le mouvement peut s’élargir puisque tout le monde peut y trouver sa place. L’existence de ce mouvement confirme la théorie de la révolution citoyenne et le fait que le peuple urbain est le nouvel acteur de l’histoire. Pour l’instant tout va à bon rythme. Mais nous avons besoin d’une victoire. («La Révolution citoyenne a déjà commencé» – Les Inrocks – 25 mai 2016)

Les circonstances objectives d’un soulèvement sont-elles réunies en France selon vous ?

Je ne crois pas au “Grand soir” qui surgirait de l’actuel réchauffement du climat social. Je pense que le moment politique est marqué par le croisement de plusieurs faits qui peuvent produire un résultat explosif. Tout d’abord, la profondeur de la destruction du lien social sous les coups du néolibéralisme. Exemple : tous les jours dans ce pays on ferme un pont, et tous les deux jours un paysan se pend. D’autre part le lien civique du pays est profondément délité. Les gens ne font plus confiance à aucune institution, ni aucune autorité, ils détestent les journalistes, haïssent les politiques, suspectent les policiers, toisent les juges… Enfin le consentement à l’autorité de l’État se rompt, parce que l’ordre – et notamment sa face la plus visible, le maintien de l’ordre public – est utilisé à des fins étroitement partisanes et idéologiques. Faire condamner des ouvriers de Goodyear à de la prison ferme est un signal dont la violence n’a pas été bien compris par ceux qui l’ont envoyé, quand dans le même temps M. Cahuzac n’est toujours pas jugé. Que la police soit utilisée dans le cadre de la répression des mouvements contre la loi El Khomri avec les méthodes qui sont mises en œuvre est une manière de détruire un lien qui s’était créé entre policiers et population a l’occasion des tueries de Charlie Hebdo et du 13 novembre. Une empathie a été rompue volontairement par le pouvoir, qui espère un “effet juin 1968”: créer un désordre qui lui permettrait d’apparaître en sauveur. («La Révolution citoyenne a déjà commencé» – Les Inrocks – 25 mai 2016)

Vous croyez en une dynamique de fédération de la contestation et des alternatives ?

Je crois que cela va se cristalliser lors de cette campagne et se déployer avec la victoire. Le mouvement va s’auto-organiser. Je ne sais pas encore comment. Il va falloir l’inventer. Mais je sais aussi que « le chemin se fait en marchant », comme le dit si bien Antonio Machado. J’ai beaucoup regardé en France et ailleurs, j’ai beaucoup expérimenté pour trouver les nouvelles formes d’organisation. Je ne propose pas la disparition des partis, mais je souhaite qu’ils sachent se dépasser par l’action. Les outils numériques nous donnent de nouvelles possibilités pour agréger chacun, toutes nos différences. Pourquoi les refuserions-nous ? (« Il est de mon devoir d’avancer sans attendre le bon vouloir de qui que ce soit » – Regards – 2 juin 2016)

Vous estimez donc qu’il n’y aura plus de renversement du pouvoir par la force au XXIe siècle ?

Aussi longtemps qu’on peut occuper des places avec des poussettes et des gamins, la révolution peut être citoyenne. Quand on y va avec un gourdin et un masque, on sait que le dernier mot restera au plus violent et au mieux équipé. Cette stratégie porte un projet qui n’est pas le mien. («La Révolution citoyenne a déjà commencé» – Les Inrocks – 25 mai 2016)

Pensez-vous comme la philosophe Chantal Mouffe et le penseur argentin Ernesto Laclau que la gauche radicale doit emprunter un chemin post-marxiste en ne se référant plus aux catégories sociales classiques ?

Je partage avec Laclau et Mouffe l’idée qu’il y a un acteur nouveau sur la scène politique qui n’est pas réductible au prolétariat d’hier, c’est la multitude urbaine s’érigeant en peuple politique. Qu’il travaille ou non, il participe à la société de consommation, il a des intérêts écologiques et sociaux convergents. Toutes les révolutions que vous voyez depuis 30 ans se font dans les villes avec l’occupation de places symboliques. J’ai choisi comme mot d’ordre en 2012 : “Place au peuple” parce que le peuple était sur les places. La différence entre la révolution citoyenne et la révolution socialiste, c’est qu’elle est définie par son acteur, et pas par sa finalité. Le moteur de la révolution citoyenne, c’est l’intérêt général humain, qui inclut celui des dominés et des exploités, mais ne s’y résume pas. («La Révolution citoyenne a déjà commencé» – Les Inrocks – 25 mai 2016)


FACE À LA VIOLENCE

La dislocation du champ politique n’est pas un événement qui concerne une mince couche superficielle du dessus de la société. Cette falsification de la représentation politique a bloqué en profondeur le pays au moment même où il subit la dislocation sociale liée aux politiques d’austérité, au chômage de masse. La médecine qu’il va falloir appliquer n’est pas un arrangement entre sous-groupes à la sauce des courants du Parti socialiste. Aujourd’hui, il ne s’agit plus de recomposer le champ politique mais la France elle-même. Tout le système politique doit être remis à plat. La thérapie douce que je propose, c’est la constituante pour passer à la VIe République. Sinon l’effondrement en cours finira dans le chaos et la violence. («L’étiquette “gauche” est devenue une arnaque» – Marianne – 20 mai 2016)

Êtes-vous surpris par la violence politique qui se manifeste dans le pays ?

C’est de la physique élémentaire. Comme la scène politique officielle est bâtie autour du consensus euro-libéral, l’expression des refus a été bâillonnée. La conflictualité s’exprime donc de différentes manières ailleurs : dans la violence de rue, mais aussi dans les mobilisations sociales, dans le syndicalisme, et aussi dans l’émergence du mouvement « La France insoumise ». Cette poussée de vapeur est le résultat du verrouillage de l’espace public par la caste oligarchique et de son personnel politique, de Juppé à Macron. («La Révolution citoyenne a déjà commencé» – Les Inrocks – 25 mai 2016)

Les manifestations sont minées par la violence. Cela ne risque-t-il pas d’être avant tout contre-productif ? 

Nous devons maintenir la pression sociale. Mais les violences sont un terrible obstacle pour nous. Soyons clairs et nets : la violence ne sert que François Hollande et Manuel Valls. Nous n’avons rien à voir avec cela. Qui peut se réjouir de voir un homme de 35 ans se faire fracasser la tête par un pavé, sous prétexte qu’il est policier ? Frapper un policier, c’est se déshonorer. De même, la doctrine d’emploi de la police produit une violence très dangereuse. Tirs tendus, grenades lacrymogènes… tout est disproportionné. Déjà des dizaines de blessés et deux éborgnés. Pourtant, elle ne doit pas être reprochée aux policiers, mais à ceux qui donnent les ordres et provoquent de manière délibérée les situations de violence. Je trouve bien étrange le silence du ministre de l’Intérieur. Il ne dit pas un mot pour rappeler, par exemple, que les tirs tendus sont interdits. Il sait très bien que cela va mal finir. Je le soupçonne de se satisfaire de cette situation qui dissuade les gens de se mobiliser. Je vous rappelle qu’il a déjà la mort de Rémi Fraisse sur la conscience. («L’étiquette “gauche” est devenue une arnaque» – Marianne – 20 mai 2016)

Comment vivez-vous, en républicain assumé, la question des violences policières observées pendant ce mouvement contre la loi travail et qu’on pourrait voir aussi à l’oeuvre lors de l’évacuation de Notre-Dame-des-Landes que Manuel Valls semble déterminé à mener ?

Je suis très chagrin du fait qu’à chaque fois qu’on parle de la République, ce soit pour parler du maintien de l’ordre… de la police ou de l’armée. Doucement ! Ça l’inclut évidemment, mais ça ne s’y limite pas. Après quoi, la bonne police, c’est la police républicaine. Et la police républicaine ne bat pas une personne à terre, elle ne fait pas des tirs tendus, elle ne lâche pas des grenades de désencerclement au milieu d’un rassemblement. («Si je suis élu, j’abrogerai la loi El Khomri» – Mediapart – 3 juillet 2016)

L’état d’urgence défigure notre pays et la culture de ce qu’est la vie en démocratie. Exemple : pour quelle raison Hugo Melchior, jeune doctorant à Rennes, est-il systématiquement interdit de manif alors qu’il n’a jamais été impliqué dans aucune procédure judiciaire ? Et Hugo Poidevin, certes étudiant mais surtout élu municipal à Cherbourg ? Pour quelles raisons cela est-il désormais totalement banalisé ? Autre exemple : comment peut-on relâcher un chauffeur qui écrase volontairement un barrage de grévistes ? De là aux violences provoquées par la doctrine d’emploi de la police en manifestation, il n’y a qu’un pas. Quelles habitudes est-on en train d’inculquer ? Quel régime est en vue dans cette direction ? («Si je suis élu, j’abrogerai la loi El Khomri» – Mediapart – 3 juillet 2016)

D’un autre côté, je ne suis pas d’accord pour qu’on assaille des rangs de policiers avec des pavés ou des barres de fer. Où est l’honneur d’aller mener une guerre privée contre une troupe qui ne l’est pas ? Quel est le sens humain d’un incendie de véhicule où sont deux agents, un pavé qui brise le crâne d’un fonctionnaire ? Ceux qui ont cassé des vitrines ont-ils fait avancer quelque idée que ce soit dans ce pays ? Qu’ont-ils fait à part servir l’ennemi ? Dans l’esprit de gens simples, les gens qui luttent contre la loi El Khomri sont réduits à des casseurs de vitrines. («Si je suis élu, j’abrogerai la loi El Khomri» – Mediapart – 3 juillet 2016)

Ils cassent des vitrines de banque, des distributeurs automatiques. Vous considérez qu’ils ne font pas partie du mouvement contre la loi sur le travail ? 

Ils ont sans doute des raisons d’être contre les banques. Ce qui est aussi mon cas. Mais que croient-ils ? Cette méthode-là ne conduit à rien, nulle part, dans aucun pays du monde. La violence dite révolutionnaire n’a jamais rien donné d’utile. C’est toujours nous qui mourons les premiers : les plus dévoués, les plus courageux, les plus conscients. Nous n’avons jamais le niveau d’armement qui permet de faire le poids. Et si nous l’avions : pour quoi faire ?

Notre projet est organiquement lié aux actions de masse. Les meilleures manifestations sont celles où l’on peut venir avec les poussettes et les gamins. Mais ce débat-là n’est pas d’aujourd’hui ; il date du XIX e siècle. Je vous renvoie à Jaurès. Les courageux sont le grand nombre qui accepte de perdre une journée de travail, qui va manifester, qui sait qu’il peut perdre son boulot, qui sait qu’il va éventuellement être fiché après avoir été fouillé. Ce ne sont pas ceux qui arrivent avec un casque, un masque, une barre de fer, qui cassent trois vitrines, mettent le feu à une voiture et qui rentrent à la maison prendre leur goûter. Seuls les vautours médiatiques les adorent. («Si je suis élu, j’abrogerai la loi El Khomri» – Mediapart – 3 juillet 2016)

Vous ne condamnez pourtant pas cette violence lorsqu’il s’agit des Continental ou des syndicalistes d’Air France. Pourquoi ceux-là seraient plus légitimes que ceux-ci ?

Parce qu’à Air France ou chez les Conti, la violence imposée c’est celle des actionnaires contre le droit à l’existence des salariés. Il ne faudrait pas l’oublier ! Personne parmi les syndicalistes n’a voulu ni choisi, côté salarié, cette violence ! Et dans le cas de Conti, la justice a donné raison aux salariés contre les employeurs : leur licenciement économique n’était pas fondé ! On va voir bientôt que le cas d’Air France est moins simple que les accusations publiques sans preuve du Premier ministre ! En tout cas, personne n’avance masqué dans leur lutte ! («Si je suis élu, j’abrogerai la loi El Khomri» – Mediapart – 3 juillet 2016) 

La question du maintien de l’ordre risque aussi de se poser avec acuité à Notre-Dame-des-Landes dès cet automne.

Mais où est l’ordre à Notre-Dame-des-Landes ? C’est devenu le symbole de la lutte contre les grands projets inutiles parce que ce projet d’il y a 50 ans pour faire atterrir le Concorde est une insulte aux procédures normales d’un pays honnête.

Voilà encore une situation où ce gouvernement à l’air patelin manifeste en réalité une totale brutalité, poussant tout aux extrêmes. Il est lui-même le principal facteur de désordre. Par exemple avec ce référendum dans un tout petit secteur de la population alors qu’il s’agit d’un projet censé être d’intérêt national. De ce fait, le gouvernement établit une confusion désastreuse sur le sens de l’État républicain. Dès lors, l’usage de la force publique pour faire appliquer une décision inique est illégitime. («Si je suis élu, j’abrogerai la loi El Khomri» – Mediapart – 3 juillet 2016)

Pensez-vous qu’il est nécessaire de réformer la politique de maintien de l’ordre ?

Oui. La violence générée par la doctrine d’emploi actuelle doit être avant tout imputée à ceux qui prennent les décisions et donnent des ordres. Sur le terrain, les policiers obéissent. Imagine-t-on qu’ils n’en fassent qu’à leur tête ? Quand une nasse se ferme, aucune des unités de police ne sait ce que font les autres ! Il y a donc une responsabilité du ministre de l’Intérieur. Je suis contre le recours au nassage et je suis totalement opposé aux tirs tendus et aux grenades de désencerclement qui sont des objets très dangereux. Il y a déjà tant de blessés et deux éborgnés ! Mais je vois aussi l’autre violence ! Je dis : « pas en notre nom ! ». Je tiens à les désavouer. On se déshonore en cherchant à mutiler un policier. Cela permet à nos adversaires tous les amalgames et ça créé le risque d’une escalade vers la guérilla urbaine, que je désapprouve absolument. Je le dis aux jeunes tentés : n’ayez pas la moindre illusion sur ce qu’une ligne pareille produit. Etudiez les expériences passées, notamment en Amérique latine. Cela ne nous a jamais donné aucune victoire ! Mais ceux qui sont morts manquent toujours ! («La Révolution citoyenne a déjà commencé» – Les Inrocks – 25 mai 2016)

 

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