Tribune publiée dans Le Monde du 16 septembre 2016
Alstom, un fleuron industriel, est menacé. Pourtant, son savoir-faire dans le transport, et hier l’énergie, est au cœur des enjeux du siècle qui vient, mêlant industrie et transition écologique. Une usine centenaire risque de fermer à cause de l’ignorance des dirigeants politiques français, de l’avidité des actionnaires et des règles européennes absurdes.
Alstom Transport souffre de son isolement ? Mais qui l’a coupé du reste de l’entreprise ? Qui a séparé Alstom des chantiers de l’Atlantique en 2010, aujourd’hui de nouveau en vente malgré un carnet de commandes plein ? Qui a bradé la branche énergie du groupe à General Electric en 2014 alors que notre transition énergétique en dépend, notamment dans les énergies marines ? Nicolas Sarkozy d’abord, François Hollande et ses ministres Montebourg et Macron ensuite. Comme tous, ils ont abandonné Alcatel à Lucent puis Nokia, Lafarge à Holcim, EADS au capital financier flottant…
Abandon de l’industrie au profit des services, partenariats inégaux, concentration extrême sur le cœur de métier, abandon à la finance : voilà la dévastatrice logique au pouvoir en matière d’industrie depuis des années. Elle prive aujourd’hui la France de conglomérats puissants, fleurons technologiques et industriels.
Les articles du code pénal punissant les atteintes aux intérêts fondamentaux de la nation dont « les éléments essentiels de son potentiel scientifique, économique et culturel » doivent être appliqués pour défendre l’indépendance nationale. La planification écologique sera l’occasion d’une relance productive de l’activité au service de l’intérêt général, déclinée par des plans de filière et des alliances industrielles solides.
Où est passé l’argent ?
La SNCF choisit quarante-quatre locomotives allemandes depuis son alliance avec la Deutsche Bahn au lieu de s’approvisionner chez Alstom ? Dilettantisme des Français face au capitalisme allemand qui défend ses intérêts. Chaque renouvellement de locomotives doit faire l’objet d’un appel d’offres alors qu’Alstom travaille pour les entreprises françaises depuis des années et fournit un matériel de qualité ? Absurdité des traités européens et des règles de concurrence soi-disant libre et non faussée. Alstom gagne un contrat énorme aux Etats-Unis sans aucune retombée en France ? Naïveté dans la concurrence internationale. La sortie des traités européens et le protectionnisme solidaire s’imposent pour reconstruire notre industrie.
Alstom manque d’argent pour investir et tenir le choc d’un creux de commandes ? Où est passé l’argent ? A qui sont allés les 6 milliards d’euros de bénéfices réalisés depuis dix ans et les 4 milliards d’euros de la vente de la branche énergie en 2014 ? Quand ce gaspillage sera-t-il stoppé et puni ?
Les capitalistes français sont parmi les plus cupides : la France est championne d’Europe des dividendes au détriment de l’investissement. Quand cessera cette logique financière qui consiste à investir à l’étranger pour réimporter quand le capital allemand investit à domicile pour exporter ?
Quand l’économie productive sera-t-elle protégée de la finance ? Quand l’appétit des actionnaires passera-t-il après le progrès social, la transition écologique, le respect des PME sous-traitantes par les donneurs d’ordre ?
Pour définanciariser l’économie, des mesures s’imposent : moduler les droits de vote des actionnaires selon un engagement de durée de la présence au capital, renforcer les droits des salariés dans la gestion des entreprises, augmenter la mise en réserve légale (aujourd’hui à seulement 5 % des bénéfices) qui oblige l’entreprise à conserver une part de son résultat plutôt que de le distribuer entièrement en dividendes…
Manque de commandes
L’usine de Belfort est menacée par un manque de commandes. C’est donc nous qui avions raison de dénoncer la folie de la politique d’austérité et de libéralisation du transport ferroviaire qui comprime les investissements publics.
On n’aurait pas besoin de locomotives dans notre pays ? Il suffit de voir la liste des trains retardés ou supprimés pour panne de matériel pour être sûr du contraire. Sans parler du ferroutage et de l’intermodalité rail-fleuve-mer totalement ignorés aujourd’hui. Ni des transports urbains dans lesquels Alstom excelle.
Les 41 milliards d’euros annuels du pacte de responsabilité ne seraient-ils pas mieux employés à investir pour soutenir l’activité plutôt qu’à subventionner sans contrepartie la grande distribution et combien d’autres secteurs non soumis à la concurrence internationale ? La relance de l’activité par un plan de 100 milliards d’euros d’investissements est une nécessité pour notre pays, la transition écologique et nos infrastructures notamment ferroviaires.
Dans l’urgence et pour l’avenir, la nationalisation d’Alstom Transport est indispensable. Je la réclame depuis 2014 et le sabordage de la branche énergie. Le pillage et le dépeçage de cette entreprise doivent être stoppés d’urgence. Ses dirigeants, incompétents ou menteurs, doivent être écartés.
Les larmes de crocodile ne doivent pas tromper à l’approche de l’élection présidentielle. La reconquête industrielle est possible. Elle peut commencer par Alstom. Il est temps de comprendre qu’il vaut mieux parler de locomotives que de maillots de bain dans ce pays. Et les coupables ne seront pas les mêmes.