jean-luc mélenchon à marseille

Suis-je fatigué ?

Je suis déjà fatigué d’être fatigué. En effet, j’ai utilisé l’argument de ma fatigue à Châteauroux pour obtenir d’un commentateur bruyant qui s’exprimait en criant à chacune de mes phrases pendant le meeting, qu’il veuille bien cesser de le faire. Je pensais que c’était un argument amical plus à propos que le rabrouement que ce comportement méritait. Qui a connu un jour ce genre d’expérience sait combien il est difficile de parler sans notes tout en étant interrompu sans cesse. Sur le plateau du débat sur BFM TV, François Fillon trop souvent interrompu a fait cette remarque : « vous m’avez fait perdre le fil de mon raisonnement ». Banal.

Mais de mes mots a surgi un thème dorénavant récurrent. Je serais « fatigué », et même « très fatigué », sans parler de mon « teint pâle » et ainsi de suite. Ainsi, si je n’ai parlé qu’une heure à Marseille, ce n’est pas parce que j’ai pris en considération le fait que la foule patientait parfois depuis plusieurs heures sous le soleil, mais parce que j’aurais été « fatiguéééééé ».

Je le suis, raisonnablement. Notez qu’il y a de quoi. Je suis entré en campagne en février 2016. C’est un très long parcours ! Et jusqu’au mois dernier j’ai dû combattre avec mes amis sur tous les fronts à la fois, ce qui n’est pas le moins usant ! C’est-à-dire qu’il m’a fallu non seulement combattre pour faire entendre nos idées, non seulement pour combattre celles de nos adversaires, mais surtout pour contrer les lancinantes et répétitives mises en cause, tantôt de mon caractère, tantôt de mes choix, tous ramenés à des problèmes d’égo par des bavardages psychologisants de gens eux-mêmes passablement perturbés sur ce plan pour en parler sans cesse. Sans oublier les glapissements des amis de « l’unitéééé » dont le silence est enfin venu depuis que leurs refrains ont cessé de pouvoir me desservir !

Cette exagération des espoirs que mon éventuelle faiblesse pourrait faire surgir ne va pas s’arrêter, je le devine ! Comme on le sait, les horoscopes sont favorables ces temps derniers. Du coup, me voici à la mode aussi dans certains salons. Et cela me vaut, ou bien des compliments parfois excessifs, ou bien des imprécations sidérées et furieuses. Sans compter l’énorme pollution de ceux qui répondent ou s’inquiètent de propos que j’aurais tenus selon ce que leur en a dit Pierre, Paul ou Jacques et qui chaque jour m’abreuvent de leur conseil sur ce que je devrais préciser, à propos des contrats de locataires, du nombre de VAB dans l’armée ou de tel thème « dont personne ne parle jamais », et dont je devrai me saisir immédiatement pour être sûr de gagner l’élection. Il en va de même dans les rédactions.

Je ne peux cacher combien je m’amuse lorsque je lis certaines descriptions concernant les malheurs qui s’abattraient sur le pays si j’étais élu. C’est à ce genre d’épisode que je peux mesurer mon entrée dans la cour des grands. Car comment pourrais-je oublier qu’avant moi François Mitterrand était déjà accusé de vouloir faire venir les chars de l’Armée Rouge 24 heures après son élection ! Quand je lis que je suis devenu un « risque » pour la sphère financière au point de faire augmenter la différence de taux auquel on prête à l’Allemagne et à la France, j’éclate de rire ! Quelle trouvaille ! Les marchés ne se soucieraient pas de l’exposition différente de l’Allemagne et de la France dans le conflit en Syrie, 24 heures après le bombardement de Trump ! Mais ils frémissent deux heures après que j’ai gagné un point dans un sondage. Naturellement, pas une personne sérieuse ne peut croire une telle fable !

En tout cas, les gens que ce type d’information peut intéresser n’en restent pas, je l’espère, à ce qu’en dit le journal Les Échos. Car alors ils auraient d’autres raisons de s’inquiéter. En réalité, le taux des emprunts à 10 ans reste extrêmement bas. Et s’il faut les rapprocher pour je ne sais quelle mystérieuse raison de la position de monsieur Fillon et de moi-même dans les sondages, alors voici la vérité, elle est exactement l’inverse de ce qu’en dit le soi-disant expert économique : ce taux est plus bas aujourd’hui qu’il était il y a un mois quand monsieur Fillon était loin devant moi dans les sondages. Ça va donc mieux sur les marchés financiers ! Grace à moi ? Mieux vaut donc en rire. Mais ce genre d’informations bidons de pure propagande est une honte. Est-ce là le métier de journaliste qui consiste à donner des informations vérifiées ? C’est du militantisme politique. Le bobard a un but : effrayer l’épargnant et le bon peuple, même s’il n’a pourtant aucune idée de ce que sont ces taux de change ni de ce que valent ces 70 points d’augmentation qui s’ajoutent pour la France, quand bien même ce sont des points après la virgule !

Je m’attends à pire d’ici le premier tour. En 2012, chaque matin de la dernière semaine s’ouvrait avec une boule puante. Un jour c’était le mystérieux « repas secret avec Henri Guaino ». En effet j’avais bien partagé un repas fort agréable avec lui, six mois auparavant, dans la discrétion que l’on imagine sur la terrasse de l’Institut du Monde arabe ! Puis ce furent des « révélations » sur mon « amitié » avec Monsieur Patrick Buisson, une fable piquante reprise encore en pleine page du « Monde » des années plus tard encore. Depuis, l’intéressé lui-même a remis l’anecdote à sa place, à la vérité fort modeste, puisque nous ne connaissons tout juste, et que nous ne nous fréquentons guère quoiqu’une roborative antinomie intellectuelle nous oppose.

Le sommet fut atteint le vendredi avant la clôture de la campagne de 2012 avec une photo dans un gratuit à 4 millions d’exemplaires sous le titre « la photo embarrassante ». On m’y voyait aux côtés de Bachar el-Assad, marchant d’un pas décidé et regardant dans la même direction. La photo avait déjà dix ans mais cela n’était pas dit. Et la publication oubliait aussi de mentionner qu’on me voyait là en tant que ministre raccompagnant protocolairement l’alors tout nouveau président de la Syrie venu rendre visite à Jacques Chirac et Lionel Jospin. À l’époque, c’étaient les organes de propagande du PS qui diffusaient ces flèches de dernière minute. Il s’agissait pour François Hollande et ses amis de me faire passer pour un agent électoral de la droite cherchant à l’empêcher de triompher dès le premier tour. La canonnade du vote utile tonnait alors à feu continu !

Cette fois-ci, j’ai déjà eu un avant-goût de ce qui pourrait se jouer en utilisant les délires de quelques énergumènes à qui le goût de se mettre dans la lumière suggère d’émouvantes révélations. Ainsi de cet illuminé qui m’accusait il y a 20 ans d’avoir tué les autruches de son zoo privé à coup de batte de base-ball ! Ça n’arrive qu’à moi de croiser de tels personnages. Celui-là a jailli de nouveau de sa boîte pour insulter ma famille. Des plumes, heureusement rares, se sont présentées pour recueillir ses odorantes éructations.  D’autres fois se sont des « amis », véritables professionnels de la confidence fielleuse, qui m’ont odieusement trahi dans le passé mais qui continuent à tirer de nos anciennes relations une rente médiatique qui leur vaut d’être interrogés à intervalles réguliers sur mon caractère, mes habitudes et ainsi de suite, le tout étant publié avec délectation, quand bien même ne les ai-je plus approchés depuis souvent plus de 10 ans.

Notez-le bien, quiconque a perdu une partie de billes avec moi dans la cour de récréation, qui que ce soit qui n’ait obtenu de moi les faveurs qu’il en attendait quand j’en avais le pouvoir, qui a eu sa querelle avec moi d’une façon ou d’une autre au cours des soixante dernières années, en politique, en amitié, en amour, en littérature, à la pétanque, au volley de plage, dans l’un ou l’autre des innombrables bureaux politiques où j’ai siégé : le voyeurisme d’un jour est à portée de main, la délectation morose est à portée de fiel. Je sais que ma longue vie passionnée et engagée en a semé de tous côtés et je sais de quels abîmes de rancœurs et de jalousies une vie bien remplie peut être entourée ! Je me tiens prêts pour une quinzaine follement vintage !

Dans un registre plus spécifiquement politique, je connais l’indépassable trilogie : Poutine, sortie de l’euro, Chavez. Naturellement, il existe encore de nombreuses variantes tout aussi ridicules venant en interprétation de mes positions. J’ai cru longtemps qu’il pouvait s’agir de malentendus ou d’incompréhensions. Mais après m’être tant expliqué, après avoir tant de fois détaillé ma position, je sais qu’il s’agit de pure malveillance et d’une volonté délibérée de tromper ceux à qui ce type de message s’adresse. C’est pourquoi je suis parfois si déçu retrouver les arguments de cette propagande dans la bouche de gens que j’estimais. Ceci dit, cela m’aide à grandir en apprenant à me passer de gens dont je vois bien qu’ils n’en valent pas la peine puisqu’ils recourent à de tels procédés. Tout le reste m’est devenu si léger au fil du temps !

La haine recuite des diverses variétés d’ultras régionalistes, celle des identitaires, des néonazis, des islamistes, du CRIF et d’une façon générale de tous les obscurantismes communautaristes, forment une cohue confuse dont le harcèlement est devenu aussi banal à mes oreilles que le passage des voitures de pompiers, toutes sirènes hurlantes, dans la rue dans laquelle j’habite. Je fais avec.

Mais vous mes amis qui me lisez, rendez-moi ce service : ne propagez pas par vos indignations les calomnies dont je fais l’objet ! Apprenez à reconnaître une bonne fois les trolls qui pourrissent vos échanges sur les réseaux sociaux et ne relancez pas sans cesse l’orage. Dans les polémiques, faites l’immense effort d’en rester toujours à des arguments rationnels. Et par-dessus tout souvenez-vous que l’humour et la dérision sont les diluants et les détachants les plus efficaces après les giclées salissantes !

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