Sur l'estrade des orateurs à Marseille il soufflait un petit vent trop frais. J'étais assez content de mon blouson coupe vent. Mais je peux témoigner que Marie Georges Buffet était saisie de froid. Ce n'était pas la seule. Presque à la fin quelqu'un s'en est avisé et lui a passé un imperméable. C'est elle qui a conclu ce meeting de soutien aux travailleurs de la SNCM. J'avais dit quelques mots juste avant. Deux mille personnes dans ce petit vent qui pinçait. Le coeur chaud et la grosse colère dans les dents.
Les communistes m'avaient demandé si j'étais d'accord pour venir exprimer mon soutien dans un meeting où tout le monde à gauche serait là. Je ne crois pas que j'aurais pu refuser, n'est-ce pas ? J'aurais pu répondre que mes camarades socialistes des Bouches du Rhône seraient là. Ils y étaient d'ailleurs. Mais le devoir de solidarité et celui du coeur, ça ne se délègue pas. Et je dis sans détour que pour moi c'est un honneur qu'on me juge utile dans cette bataille. Depuis l'estrade, je voyais tous ces visages et je lisais non seulement la combativité mais aussi l'angoisse. Beaucoup oublient souvent ce gouffre qui sépare les parties en conflit quand il y a la grève. Les uns, les puissants, les importants donnent les ordres « courageux » : licencier, brader le patrimoine national, assumer la honte d'être les voyous officiels qui ruinent et persécutent leur propre patrie. Sinon, ils lisent les journaux importants puis ils préparent des man?uvres et des plans de communication. Ils rentrent chez eux le soir, inquiets mais détendus après une rude journée de lourdes responsabilités. Compatissez. De l'autre, les gens du commun. Cela veulent seulement qu'on les laisse vivre dignement de leur travail. Ils ne sont pas belliqueux. Ce n'est pas eux qui ont provoqué tout ce bruit et cette fureur de combat. Pour eux la lutte, la grève c'est le stress, les jours de paye perdus, le ballet des évènements qu'on examine en se demandant à quelle sauce on va être mangé peut-être. La grève c'est un ennui pour les importants qui commandent, un spectacle pour les médias, une épreuve totale pour celui qui la fait et pour sa famille. C'est pour ça que tant de braves gens dans le pays regardent ce qui se passe là. Pas comme pour un match où l'on compte les points et où on choisit son champion mais comme pour une question qui serait presque personnelle, presque familiale. Tous ceux-là savent que c'est en ce moment le gouvernement de tous les dangers qui gouverne, frappe, frappe et frappe encore. Les gens se disent : « on a voté ils s'en fichent ! Alors maintenant qu'est ce que ça va donner si on leur tient tête jusqu'au bout et qu'on leur montre qu'on a pas peur » Et chacun se dit : ce serait mieux si les grévistes gagnaient ». Voila pourquoi j'ai terminé mon discours en disant : « nous vous disons merci pour ce que vous faites ». Je pense que beaucoup de ceux qui vont lire ces lignes se sentiront représentés par ces mots, non ?