Sans nuance et les chiens


Nous ne savons pas bien voir ce que nous avons sous les yeux
Nous ne savons pas bien voir ce que nous avons sous les yeux

Je ne sais plus qui m’écrit, en gros, ceci : « Et maintenant la neige ! Tu ne sais plus quoi faire pour ne pas nous parler de tes trahisons au congrès du Mans ». Je me suis souvenu d’une scène de ce type, à Lons Le Saunier. On avait invité François Mitterrand pour prendre la parole à notre fête de la Rose. Waouh ! Il nous avait parlé de sa troisième évasion des camps de prisonnier en Allemagne. Il en parlait là, parce qu’il avait passé la ligne de démarcation à Mouchard honnête bourgade voisine sur la route vers Besançon. Et, à cette occasion, il nous a parlé de la neige. Exactement : de la neige. Environ un quart d’heure. Je pense que chacun comprend combien la neige n’est pas un sujet spécialement neuf ou a priori particulièrement captivant dans le Jura. On écoutait pourtant ,bouche bée, comme s’il était en train de nous décrire un lagon et ses poissons multicolores. Souvent on ne voit pas ce qu’on a sous les yeux. Il faut qu’un autre nous en parle pour y voir plus clair. Un copain me dit : « il se fout de notre gueule ». Et nous autres, les autres, on dodelinait les yeux dans le vague. « Fermes là, tu nous saoules » lui a répliqué mon vieux pote qui servait le goûter au Lycée Rouget de Lisle. A présent je vais parler de chiens.


Devant la boutique, le chien de soupe fait le molosse
Devant la boutique, le chien de soupe fait le molosse

Justement il existe une variété de chiens dans le jura qui s’appelle les bruneaux du jura. Pour ma part j’ai découvert la race sur un marché dans le sud de la France vers Tautavel, si je me souviens bien. Il y en avait quatre, des chiots. Ils étaient là, dignement assis comme des papes en cérémonie, sur un carton. Je les voyais regarder avec indifférence au loin, calmes et immobiles, avec juste de temps en temps un petit frisson ou une langue qui passait distraitement sur les babines. Je me suis dit « Sapristi ! Voila exactement le genre de chien que j’aimerai avoir chez moi ! » Le gars qui les vendait me dit « ce sont des bruneaux du Jura ! » Le diable m’emporte si j’avais imaginé une coïncidence pareille ! Je dis: « je viens du Jura, personne ne m’a jamais parlé de ces chiens ! » Alors ce type, interloqué, un rien excédé, complète : « c’est un chien rare, monsieur ». Je réplique  » un chien de soupe sûrement ! Qu’est ce qu’il sait faire sinon ? » Il me regarde comme si j’avais demandé à quoi sert la tour Eiffel. Ou bien la Joconde. Sa mine s’allonge de mépris. Une phrase coupe court : « c’est un chien sérieux, monsieur, voila ce qu’il sait faire ». Ma parole, rien n’était plus vrai. J’ai clairement compris de quoi il s’agissait en jetant de nouveau un coup d’?il de plus sur ces braves chiots. Faire le chien sérieux, calme et immobile, voila leur spécialité.
Ceux qui ne savent rien des chiens se demandent sans doute ce qu’est un chien de soupe ? C’est un chien qui ne sait rien faire. Par exemple le chien berger fait le berger, le chien truffier trouve des truffes et ainsi de suite. Le chien de soupe ne sait rien faire. Il ne fait donc rien de particulier. Il ne fait rien d’utile, même s’il devrait, quand même, de temps en temps faire un ou deux trucs que les autres chiens font sans s’en vanter. Les bêtes comme les hommes cherchent le plus souvent à se rendre utiles. J’ai eu des chats qui me ramenaient des vers de terre. Le chien de soupe ne fait rien qui ait un sens. Un chien de soupe sait juste manger sa soupe.

Parfois il vaut mieux ça. Par exemple mieux vaut un chien de soupe qu’un chien qui hurle dès qu’il entend un bruit. Ca, c’est le genre de chien crispant parce que juste derrière on doit aussi supporter les hurlement du maître : « silence, youki ! Silence nom de dieu ! Tu vas te taire youki ! » Et ainsi de suite. Gonflant autant que le chien. Je vais donc en faire le moins possible. J’ai dit dans mon discours au Mans « Ils voudraient que nous reculions. Je l’ai vu l’autre jour au Sénat quand ce Garde des Sceaux nous disait s’agissant des violences et des incendies?: « On vous connaît la gauche ! Vous passez vite de la compréhension à l’approbation ! » Il espérait qu’on vienne aussitôt japper en cadence, pour dire « Pas nous ! Pas nous ! Réprimez ! Allez-y. »
Parce que nous, bien sûr, on ne peut pas être d’accord avec les violences, les voitures, les gymnases qui brûlent. On ne peut pas être d’accord. Qui peut l’être ? Mais ce qu’ils veulent, c’est que nous taisant sur un point, nous nous taisions sur tout. Qu’il n’y ai plus de parti pour porter la voix des humiliés et des discriminés. Et bien même face à la pire des violences, celle qui peut nous choquer le plus, souvenons-nous du message de Jean Jaurès, « la cruauté des rebelles est comme une marque des vieilles servitudes qu’ils ont endurées. » Souvenons-nous Gracus Baboeuf qui, le premier avait compris que pour que la République s’accomplisse, il fallait qu’elle soit le socialisme : « Les insurgés sont éduqués à la cruauté par leurs maîtres ». Ce qu’ils veulent, en fait, à droite, c’est criminaliser toute action populaire. Pour cela, bien sûr, ils prennent par le bout qui leur semble le mieux faciliter la démonstration. » Et voici ce que de pauvres bêtes ont écrit en écho. « Les sécuritaires tiennent la plume mais les angéliques ont la voix qui portent » peut-on lire sous la plume de Claude Askolovitch dans « le Nouvel Obvservateur ». Quels angéliques? « Les orateurs ont souvent insisté sur les raisons sociales des émeutes, quitte à employer des mots connotés positivement. Une « jacquerie », affirmait Arnaud Montebourg. La « révolte de ceux qui n’en peuvent plus de l’injustice », confirmait Adeline Hazan. Jean-luc Mélenchon, lui, expliquait la brutalité des émeutiers par la brutalité même de la société avec le renfort d’une citation de Jean Jaurès « La cruauté des rebelles est comme une marque des vieilles servitudes qu’ils ont enduré ». Askolovitch est un auteur à succès et un intellectuel. Il connaît le poids des mots. Son propos suggère donc plus qu’il ne stigmatise. Plus allusif mais non moins efficace le même matrèle sur LCI « on a entendu Jean-Luc Mélenchon citer Jaurès à propos des casseurs ? ». Mais pour leur malheur les élégants du verbe et de la plume sont suivis par les burineurs de la tendance béton dans les médias. Avec la grâce d’un assommeur d’abattoir, le délicat monsieur Daniel Bernard du journal Marianne écrit son papier avec la matraque d’un CRS qui charge : « Arnaud Montebourg, étrangement compréhensif évoquait « cette jacquerie urbaine des banlieues, cette nouvelle révolte des canuts, aussi stupide que suicidaire ». Jean-luc Mélenchon, sans nuances, a, pour sa part, quasi célébré « ces rebelles éduqués à la cruauté par leurs maitres ». Sans nuance. Vous avez bien lu: sans nuance. Bien sur. La brute c’est moi. Voyez mon texte plus haut. J’ai réveillé le chien de garde par surprise et la malheureuse créature se met à hurler pour réveiller toute la cage d’escalier. Brave bête ! En effet, au pied de l’immeuble des incendiaires encouragés par ma célébration et par la compréhension de Montebourg s’apprêtent à être dignes de Jaurès en fichant le feu à toutes les bagnoles du quartier. Voila où mènent mon angélisme et mes discours sans nuance.
J’achève.
Cadeau aux lecteurs de ce blog. Le texte exact des deux citations que j’ai faites au congrès parce que je dois bien reconnaître que je les ai amochées en les résumant.
lettre de 1789 de Gracchus Babeuf : « Les maîtres, au lieu de nous policer, nous ont rendus barbares parce qu’ils le sont eux-mêmes. Ils récoltent et récolteront ce qu’ils ont semé. »
Jean Jaurès : « Ô dirigeants d’aujourd’hui, méditez ces paroles et mettez dès maintenant dans les moeurs et dans les lois plus d’humanité qu’il se peut pour la retrouver aux jours inévitables des révolutions. Et vous, prolétaires, souvenez-vous que la cruauté est un reste de servitude car elle atteste que la barbarie en régime oppresseur est encore présente en vous

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