Commencé hier lundi après-midi, le débat parlementaire au sénat sur le CPE s’est poursuivi toute la journée de mardi. En dépit des pressions constantes du gouvernement et de la majorité pour accélérer les débats, les sénateurs de gauche ont continué d’exposer leurs amendements et d’interpeler le gouvernement sur les dérapages déjà constatés dans de nombreuses entreprises depuis la mise en place du CNE. Un débat auquel les sénateurs UMP ont pris part très timidement, obsédés pour la plupart par l’adoption rapide et à tous prix du CPE mais aussi réservés pour certains sur l’utilité et les effets d’un tel dispositif.
Je vous livre ici trois nouvelles interventions que j’ai effectuées dans ces débats, la plupart du temps en explication de vote sur des amendements.
LA PRECARITE EST L’ENNEMIE DE L’EMPLOI
Explication de vote sur un amendement de l’UDF sur le CPE
M. Jean-Luc Mélenchon. Mes chers collègues, le moment me semble venu de souligner qu’il se produit à cet instant un évènement politique qui n’a pas eu son pendant à l’assemblée nationale. C’est donc que le développement du débat a permis que mûrissent les esprits, au point que la majorité gouvernementale ? je ne crois pas me tromper sur le terme : il s’agit bien de la majorité gouvernementale ? n’est pas d’accord sur l’appréciation qu’il y a lieu de porter sur le CPE.
Je ne ferai pas un usage politicien de cet évènement, car je vais m’attacher au fond, mais je veux le pointer, car il ne saurait être question qu’il soit emporté dans le brouhaha et réduit à rien. Vous n’êtes pas d’accord entre vous, et c’est un fait politique, pour des raisons de fond.
Les uns ? ils reconnaitront que nous leur faisons grâce de les prendre au mot ? pensent que le CPE va favoriser l’emploi et manient depuis des heures le paradoxe selon lequel un droit plus grand de licencier faciliterait l’embauche ! Depuis le début du débat, nous leur disons qu’ils se prévalent de leurs propres turpitudes. Vous constatez que le niveau d’emploi des premiers entrants sur le marché du travail, que nous nommons « les jeunes », baisse ? du fait de qui, sinon de la politique que vous menez ? ? et vous proposez, comme remède, l’aggravation des conditions qui conduisent à ce désemploi !
Mais nous vous prenons au mot : supposons que le but soit bien de favoriser l’emploi et non pas de donner aux patrons un outil de pression de plus sur les jeunes travailleurs, car à vingt-six ans, ce sont bien, ne l’oublions pas, de travailleurs et de travailleuses que nous parlons, pas de bambins en culottes courtes ! Supposons donc que vous ne voulez pas seulement donner un avantage au MEDEF, qui réclame tout et son contraire et qui voudra sans cesse aller plus loin dans l’art de domestiquer les travailleurs. Eh bien, s’il s’agit d’augmenter l’emploi, faites-nous en la démonstration !
Nous continuons à vous dire que le travilo dans la peur du lendemain sera mal fait. Nous continuons à vous démontrer que lorsque la qualification existe l’embauche est meilleure, ?
M. Dominique Braye ( UMP). Et vous, qu’avez-vous fait lorsque vous étiez ministre ?
M. Jean-Luc Mélenchon. ? que vous développerez l’emploi par la croissance et que l’on développe la croissance par la qualification et par la qualité du travail qui est produit, à moins que ce ne soit par le partage du temps de travail. Il n’existe dans aucune économie développée d’exception à cette régle.
Vous n’avez pas été capables de nous démontrer qu’un seul poste supplémentaire serait créé de la manière que vous nous proposez. Chose incroyable, vous vous prévalez de vos propres turpitudes, c’est-à-dire du désemploi !
M. Dominique Braye. C’est long !
M. Jean-Luc Mélenchon. C’est peut-être long, mais c’est notre argument central : souffrez donc de l’entendre.
Nous ne sommes pas d’accord avec vous, vos collègues de l’union centriste-UDF non plus. Sur un point au moins nous sommes d’accord avec eux : ce n’est pas la précarité qui crée l’emploi mais au contraire la stabilité. Alors, chers collègues de l’Union centriste-UDF, nous devrions, si nous n’étions que politiciens, pour encourager le mouvement et soutenir l’ambiance, voter avec vous. Nous ne le ferons pas : nous allons nous abstenir sur ce vote. Pourquoi ? Parce que vous maintenez l’illusion de la précarité. Vous faites à vos collègues de la majorité une concession qui n’a pas de sens : vous voulez juste réduire la précarité dans la durée de la période d’essai. Or il faut abroger la précarité, il faut éradiquer la précarité ! C’est la condition de la croissance. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe communiste, ainsi que sur certaines travées du groupe RDSE).
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QUI A DEMANDE LE CPE ? A QUI PROFITE-T-IL ?
M. Jean-Luc Mélenchon. Il est dommage qu’aucun sénateur de la majorité ne veuille se donner la peine de répondre aux arguments sur le fond, parce que je pense que cela nous est dû. J’ai essayé d’en présenter quelques-uns qui complètent ceux de mes camarades et qui concernent la production, puisque c’est d’elle dont vous vous réclamez. Mais je pose la question : qui vous a demandé de faire ce contrat ? L’avez-vous trouvé vous-même dans le secret de vos réunions, de vos colloques ?
M. Nicolas About. Ce n’est pas le thème de l’amendement !
M. Jean-Luc Mélenchon. L’un d’entre vous a-t-il soudain été inspiré et a dit : voilà la solution dont nous avons besoin ! Qui l’a demandé ? Pas les centrales ouvrières, nous en sommes sûrs.
M. Alain Gournac. Il ne parle pas pour explication de vote sur l’amendement, il refait le débat.
M. Jean-Luc Mélenchon. Peut-être va-t-on dire que c’est le patronat. Plusieurs de nos collègues ont fait la démonstration texte à la main que le MEDEF en effet le demandait.
M. Alain Gournac. C’est incroyable : tout à l’heure il y avait Giscard d’Estaing, maintenant il y a le MEDEF.
M. Jean-Luc Mélenchon. Le MEDEF, ce n’est pas le patronat, c’est une partie du patronat et ce n’est pas le patronat de la petite entreprise. Et qui domine à l’intérieur du MEDEF ? Cette question a une grande importance car ce que vous vous adressez à nous s’agissant de l’entreprise ?
M. Alain Gournac. Monsieur Mélenchon, vous ne parlez pas de l’amendement !
M. Jean-Luc Mélenchon. Une explication de vote dure cinq minutes.
M. Alain Gournac. Parlez sur l’amendement, monsieur Mélenchon, cela suffit !
M. Jean-Luc Mélenchon. C’est ce que je suis en train de faire, ne vous fachez pas, je parle de l’amendement, je vous explique ma logique politique. Si vous ne le supportez pas, renvoyez-moi à ma place, mais vous devriez m’écouter car j’ai peut-être une chance de vous convaincre ou vous avez peut-être une chance de m’apporter une réponse qui soit pertinente et qui me cloue le bec. Rien ne vous empêche de le faire.
M. Alain Gournac. Cela suffit !
M. Jean-Luc Mélenchon. J’accèlère et je conclus.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat, présidente du groupe communiste. Prenez votre temps monsieur Mélenchon.
M. Jean-Luc Mélenchon. S’agissant de l’entreprise, nous pouvons trouver des accords avec le secteur du patronat productif, sauf que le MEDEF est dominé depuis maintenant cinq ans par le patronat des finances et des services qui ont une vision de la gestion des comptes de l’entreprise selon laquelle il s’agit sans cesse de donner des gages aux actionnaires en licenciant des travailleurs.
Or, comme un cycle de croissance dure aujourd’hui trois ou quatre ans, quand on met bout à bout les opportunités de votre dispositif, il s’agit de transformer tous les nouveaux entrants dans le travail en main d’?uvre éjectable au premier revers de conjoncture, c’est-à-dire de donner un signal trois ans à l’avance aux actionnaires selon lequel en toute hypothèse, ils n’y perdront jamais, parce que le patron pourra virer les ouvriers avant que la tendance du marché se soit retournée.
Vous faites donc tout cela pour le patronat du secteur financier, pas pour la patronat du secteur productif. Je vous expliquerai tout à l’heure ce qu’est le patronat du secteur productif ; en effet, il faut que ce soit la gauche qui vous l’explique car vous ne le connaissez même plus. ( Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
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LE CPE SERA CONTAGIEUX
M. Jean-Luc Mélenchon. Dès lors que vous mettez en place le CPE, un effet mécanique se produit. Il me semble que tout le monde peut le comprendre. Un bon patron, qui tient bien les comptes de son entreprise et qui a des actionnaires, ne peut faire autrement que de généraliser le CPE, quoi qu’il en pense par ailleurs. Ce type de contrat devient en effet un critère d’appréciation de la valeur de l’entreprise. Le CPE, par conséquent, est contagieux.
M. Josselin de Rohan, président du groupe UMP. Mais qu’est-ce que cela ? Vous n’êtes jamais allé dans une entreprise !
M. Jean-Luc Mélenchon. Nous savons bien que, comme vous êtes passés du CNE au CPE, vous viendrez bientôt nous proposer une généralisation du CPE à tous les travailleurs. Pourquoi en effet le limiter aux moins de vingt-six ans si, comme vous le dites, vous connaissez des difficultés avec les travailleurs de quarante ans, de trente-cinq ans, etc ? Tout le monde a des problèmes pour trouver un emploi. La question n’est pas de savoir si l’on se situe dans ou en dehors de l’entreprise, comme vous prétendez que c’est le problème ; la question, c’est l’emploi et la croissance.
Il y a deux stratégies de développement économique. La première consiste à compter sur la financiarisation de l’économie et sur l’intervention des puissances financières. Elles portent un nom : ce sont les fonds de pension. Vos propositions se résument à un signal, adressé à la finance internationale, qui lui dit : « Venez chez nous ! » (Protestations sur les travées de l’UMP)
M. Alain Gournac, rapporteur (UMP). Arrêtez le ! La « finance internationale » ! Je vous en prie ?
M. Jean-Luc Mélenchon. Vous vous trompez : la France n’a pas besoin de ce signal pour être productive et pour attirer le capital. C’est pourtant la stratégie de développement que vous adoptez. Il existe une autre stratégie, dans le cadre de laquelle on peut trouver les moyens d’un compromis, mes chers collègues.
Les propos que vous nous prêtez à l’égard du patronat ne correspondent pas à notre position : nous connaissons bien sûr des « patrons voyous », des patrons qui licencient à la minute ? ou bien vous n’avez pas rencontré de travailleurs depuis longtemps -, ( M. Gournac s’esclaffe) de tels patrons, il y en a partout. Il suffit de se pencher sur la condition des travailleurs dans les entreprises où l’emploi n’est protégé par aucune garantie. On peut en revanche s’entendre avec le patronat productif. Ce que vous faites, c’est donner des garanties à la première catégorie de patrons. Vous voulez donner à la gestion des entreprises une tournure qui conduit à la ruine. Vous voyez : je me situe de votre point de vue même pour ma démonstration.
La question n’est pas de savoir si l’on va entrer plus vite dans l’entreprise avec le CPE ou en sortir plus vite. C’est tranché : on en sortira plus vite. La question est de savoir sur quel modèle de croissance vous fondez votre politique actuelle. Or vous fondez cette politique sur l’idée que la financiarisation de l’économie est une bonne chose. Vous poussez pour cela les travailleurs dans l’insécurité. Vous vous trompez, y compris du point de vue des objectifs que vous vous donnez. Le contraire de vos objectifs se réalisera, hélas pour nous.
M. Alain Gournac, rapporteur (UMP). Vous l’avez déjà dit à propos du CNE !
M. Jean-Luc Mélenchon. Le CNE n’a pas fonctionné : il a juste produit un effet d’aubaine.
Si vous voyez la jeunesse et les travailleurs se mettre en mouvement le 7 mars prochain, monsieur le rapporteur, vous saurez pourquoi. Quant à moi, je souhaite de tout c?ur que l’on invente un « villepinomètre », comme on avait inventé un « juppéomètre » à l’époque, pour mesurer la longueur des cortèges qui veulent vous chasser.
M. Dominique Braye(UMP). Et un « mélenchonomètre » !