Je vais changer de sujet. Car mardi je siègerai au Sénat pour la discussion de la loi visant à transposer l’accord calamiteux entre les syndicats et le patronat sur le contrat de travail. J’en rendrai compte ici. Je pense qu’il s’agit d’une modification terrible de la condition salariale dans notre pays. Si le MEDEF se réjouit d’un accord qu’il dit « révolutionnaire » on peut imaginer le genre de révolution dont il est question. Une discussion commence aussi sur la réforme constitutionnelle. Pour l’instant, à quelques exceptions près, mes camarades socialistes tiennent bon. Il semble acquis que nous ne mettrons pas la main dans des combinaisons avec l’UMP. Il y a aussi la discussion sur la nouvelle déclaration de principe du PS. De nombreux amis me demandent mon analyse car ils ont seulement entendu dire que je me serais abstenu lors du vote du bureau national. Mais il n’y a pas eu de vote, ni au bureau national ni à la commission de rédaction… Je dois prendre le temps d’expliquer tout cela en public après que les notes du courant dans lequel je milite au PS ( il s’appelle trait d’union ) l’a fait pour ceux qui partagent notre engagement. Bref, cette note va donc clore un long chapitre de politique internationale. Mais je ne veux pas le faire sans une brève note d’ensemble à propos de l’embardée en cours dans l’ordre actuel du monde.
POUR FINIR
Il y a dorénavant un mois que j’ai provoqué, sans l’avoir prévu, un débat à propos du Dalaï Lama et de ses revendications concernant le Tibet, sujet sur lequel semblait régner un consensus en béton armé. Certes, je ne crois pas avoir fait bouger l’opinion dominante à ce propos. Cependant je pense avoir donné une voix à la réserve ou à l’opposition que de nombreuses consciences ont ressentie en voyant la « machine à penser pareil » se mettre en marche, surtout sous la houlette de personnages aussi interlopes que Robert Ménard et son barnum « reporter sans frontière ». Je crois aussi, pour l’avoir constaté partout et dans tous les milieux, inclus les milieux médiatiques, que de nombreuses personnes ont apprécié ma prise de position publique parce qu’ils n’osent pas ou ne peuvent pas s’exprimer eux-mêmes, de crainte d’être aussitôt assimilés et assaillis comme partisans du gouvernement communiste chinois. Il est possible enfin que des lecteurs ou auditeurs de mes propos aient, du coup, voulu s’informer davantage ou qu’ils aient commencé à réfléchir différemment sur cette question. Je suis donc reconnaissant à ceux des professionnels des médias qui m’ont donné la parole dans des conditions très souvent plutôt confortables. Sur ce blog, des centaines de contributions et plusieurs dizaines de débats ont eu lieu. J’ai lu ce que je pouvais, à mesure. Avec mes amis nous avons décidé d’en faire une version imprimée qui nous permette de travailler les idées et informations qui ont été données qu’elles soient favorables ou défavorables. Je réfléchis à la suite que je pourrai donner à ce débat car il constitue un vrai matériau de travail. Je n’oublie pas dans ce bilan les très nombreux débats qui ont eu lieu sur d’autres sites à partir de ma prise de position. J’ai participé moi-même à un échange un peu serré avec Robert Ménard. Voici, pour les amateurs de grosses cognes seulement, les liens pour y accéder. Robert Ménard répond à un site qui l’interroge à mon sujet et à propos d’Eric Zémour. Son appréciation délicate mérite d’être connue. Je ne dis pas que ma réplique, faite à la demande du site de Marianne, soit très légère mais du moins est-elle argumentée. La satisfaction d’avoir eu accès aux médias ne me fait pas perdre de vue la disproportion du traitement à charge contre la Chine. Cela ne fait que commencer. Jusqu’au mois d’aout, date des jeux, la pression va monter, changer de thèmes peut-être, mais rester dans le même sillage : diaboliser la Chine. Non pour la nature de son régime avec lequel toutes les puissances s’entendent sans aucune difficulté. L’enjeu est autre. Il s’agit d’une mise en condition des opinions. L’ordre du monde entre dans une bifurcation. La modification de la hiérarchie de la puissance qui est à l‘œuvre ne peut pas s’accomplir sans résistance.
LA BIFURCATION
J’utilise le mot bifurcation plutôt que celui de transition à dessein. Dans le vocabulaire courant une transition peut être douce. Elle peut être graduelle. Rien de tel à l’horizon. Une bifurcation est un changement de trajectoire. A l’ordinaire, au volant, une bifurcation peut conduire à un point extrêmement éloigné de celui que l’on visait au départ. Dans le vocabulaire qui s’applique aux systèmes en mouvement la bifurcation peut induire un changement complet de tous les paramètres à l’œuvre et donc du système lui-même. Je ne suis pas assez féru de sciences dites dures pour faire une description assez correcte de ce phénomène pour en tirer une analogie irréprochable. Mais le mot me parait mieux adapté pour désigner la soudaineté et la profondeur du phénomène qui se présente. L’ordre du monde, à condition politique constante, c’est-à-dire s’il n’y a ni guerre ni catastrophe écologique majeure, conduit mécaniquement à la suprématie économique de la Chine et de l’Inde. Mais cette situation ne signifie pas seulement un changement du classement. Plus exactement le changement de l’ordre du classement annule toute la construction de l’ordre mondial dont les Etats-Unis sont la clef de voute. Cet ordre a été maintes fois analysé. Il permet aux Etats-Unis d’être le consommateur final du monde en étant son emprunteur final. Certes cette vie à crédit permet à toute la machinerie économique mondiale d’avoir une locomotive. Mais elle a pour condition un approfondissement permanent du gouffre des dettes publiques et privées et la production d’une masse abyssale de capitaux fictifs. Cette pente folle est admirablement illustrée par la crise des supprimes qui est la crise des prêts faits à des gens dont on savait qu’ils ne pourraient pas rembourser et dont on comptait aussi recycler la faillite. L’immense masse monétaire ainsi continuellement abondée ne rencontre jamais l’épreuve de sa confrontation à la valeur réelle qu’elle est censée représentée. Je me souviens d’un calcul fait dans les années quatre vingt qui montrait comment pour obtenir la valeur acquise avec soixante dollars un américain aurait du payer cent trente. Je suppose que le ratio n’a pas dû s’améliorer. Tout le système repose sur la confiance qu’on lui fait et davantage encore sur le fait que tout le monde ait intérêt à ce qu’il tienne et continue parce que tout le monde est impliqué. Jusque là c’est ce qui s’est passé. C’est encore ce qui se passe quand les fonds souverains viennent à la rescousse des canards boiteux de la finance des pays du centre tous liés les uns aux autres. Naturellement cette méthode a ses limites. Il faut bien que les avoirs qui se transfèrent d’un point à l’autre pour colmater les brèches ne soient pas à leur tour engloutis. De la sorte ce système fonctionne en permanence à la limite de l’équilibre. Il est en équilibre instable. Une pichenette peut le faire totalement dévier de sa trajectoire, le faire bifurquer. Dans la crise actuelle la pichenette est venue de je ne sais quel acheteur qui a commencé à perdre pied dans son achat de maison à crédit. C’est le fameux effet papillon. Alors commence le processus qui confronte l’hyper puissance à la surévaluation absolue de sa position. Surtout quand à côté ont surgi des géants qui produisent l’essentiel des biens réels et qu’ils ont constitué des marchés intérieurs capable de sinon de prendre le relais du moins d’amortir plus que puissamment les chocs extérieurs. Face à un ensemble humain comme la Chine dont la classe moyenne consommatrice actuelle est égale à la population totale de l’Europe et dont elle a l’équivalent de pouvoir d’achat, les anciens différentiels d’avantages qui permettaient à la voiture de tête du convoi de garder sa place ne fonctionnent plus. Pire. Dans les conditions actuelles, techniques, productives, scientifiques, comme dans le domaine crucial de l’échange monétaire par quoi tout commence et tout finit, l’avantage partout a changé de camp. Dans ces conditions le seul avantage comparatif incontesté des Etats-Unis est sa puissance militaire. Dés lors certains, c’est-à-dire les néoconservateurs américains, ont décidé d’en user comme l’instrument en dernière instance du rapport de force.
L’ORDRE GLOBALITAIRE
Ce n’est certes pas la seule politique possible pour les Etats-Unis. Mais c’est celle qui s’applique aujourd’hui et nous implique tous. Cette stratégie est une géopolitique des tensions. Jamais autant qu’à présent ne s’applique la formule qu’elle porte en elle la guerre comme la nuée porte l’orage. Elle trouve son expression construite dans la théorie du choc des civilisations de Samuel Huntington. La solidarité de civilisation légitimerait un leadership sinon injustifié et de plus en plus visiblement contreproductif pour ceux qui s’y lient. On sait que les civilisations dans cette théorie ont pour fondement essentiel la religion. Les individus ainsi ne peuvent échapper ni a l’appartenance collective qu’ils n’ont pas choisi mais qui leur est donnée à la naissance dans leur groupe humain et constitue leur identité ultime ni au mouvement irrépressible de la foi qui partant de l’intérieur de leur être les rattache à cet ensemble. Cette vision globalitaire est rabâchée sur tous les tons et à tous propos non seulement outre atlantique mais chez nous par les discours dorénavant bien connus du président de la République française, a Latran, à Ryad et ainsi de suite.
UNE ALTERNATIVE RAISONNEE
Cette logique des violences n’est pas la seule possible. Plutôt que la préservation d’une suprématie finalement sans justification, plutôt que la compétition sans fin des moins disant sociaux et humains qui va avec, on peut imaginer sans difficulté que faire, qui soit à portée de main. Tout commence par le fait que cesse d’abord la course à l’ouverture sans fin des flux et transferts. Les ensembles économiques intégrés du monde ont intérêt à la clôture pour se constituer en marché intérieur maitrisé. Que cela soit synonyme d’une moins grande consommation d’objets au total pendant une phase de transition ne peut que soutenir la transition vers une économie durable et obliger à repenser le contenu du modèle de développement. Mais cela signifiera une relance des productions et des consommations de base de bien réels et l’apurement de la monstrueuse bulle de l’économie fictive. Pour rester sur l’objet de ma note je finis en faisant remarquer que ce modèle géopolitique alternatif tourne le dos à la logique du fractionnement sans fin des empires et des nations à laquelle la politique de puissance des Etats-Unis conduit aujourd’hui. Le séparatisme, la maladie de l’ethnicisation des Etats et de l’augmentation encouragée de leur nombre y prennent fin. C’est le contraire de ce qui est voulu au Tibet, aux marches de la Russie et ainsi de suite. Pour ne rien dire de ce qui est provoqué actuellement en Bolivie et comploté au Venezuela où des mouvements indépendantistes bidons sont chargés d’abattre ceux qui s’opposent à l’Empire.