Mille à Nîmes, mille à Montpellier

 Cette semaine passée sur les routes de la grande circonscription européenne du sud ouest a été rude. Celle qui est en cours le sera davantage encore. Je jette des notes sur ce clavier de retour d’un périple de quatre jours passant de Foix à Nîmes et de là sur Alès, Mende puis Montpellier. J’ai l’esprit encore plein des images et impressions du parcours. Rien ne nous apprend plus sur ce que veut dire la politique dans la vie de celui qui peut y consacrer toute son existence que ces périgrinations au contact du peuple que nous formons. Je suis sorti en courant du dernier meeting de la série de  ces jours, à Montpellier où je laissais mille deux cent personnes chaleureuses pour prendre le dernier avion qui me permette de rallier Paris le soir et dormir dans mon lit. Je note ici quelques images fortes du voyage. Mais je parle aussi des rebondissements de la campagne de nos adversaires UMP et de nos concurrents socialistes.

CHEMIN FAISANT
Dans ces pérégrinations, tout compte sur le moment et dans le flot des images que l’on garde ensuite. Mais écrire après cela est un effort de plus. On se limite alors à quelques séquences et pas toujours celles qui ont en réalité la plus grande importance pollitique effective. Ainsi, par exemple, je ne donne pas la priorité du récit au meeting de Nîmes en dépit de son spectaculaire déroulement et de son impressionnant gros millier de participants. Mais je ne veux pas laisser sombrer dans le néant de mon oubli la rencontre avec les travailleuses de Merlin Gérin, usine d’assemblage de disjoncteurs électriques à Alès tellement elle m’a percuté. Ces haltes, comme celle devant l’usine Continental la veille à Foix, sont des temps brefs mais d’intense charge émotive et intellectuelle. Le moment où le discours abstrait devient une réalité humaine. Ici 32 millions de pièces sortent des mains des femmes qui les assemblent. Les licenciements ont commencé, la délocalisation en Bulgarie est en cours. Le Françaises sont condamnées à la mort sociale. Pourtant que d’efforts consentis ! On travaille même le samedi et le dimanche quand il faut suivre une commande. Pour éviter le chômage technique elles ont aussi accepté que ce soient les contremaitres qui fixent leurs jours de congé. Pas de conversion en vue, bien sûr. Et où aller ailleurs. Et pourquoi ? Et quand bien même on devrait le faire, ce qui est impensable puisque la vie, la famille et l’époux sont ici, comment le feraient-elles ? Dans la discussion on parle des maladies professionnelles. Ici, ce sont les canaux métacarpiens qui morflent. Les doigts qui doivent besogner des pièces si petites finissent par se déformer. Le toucher se perd et les picotements nerveux deviennent incessants. Sans oublier celles qui respirent l’encre des tamponnages qui doivent figurer sur chaque pièce. Et la prime donnée à ce propos ne compensera jamais. Celle qui m’en parle me rappelle qu’il s’agit de 80 euros sur les 1400 de la paye, salaire reçu après trente ans de service sur son poste de travail ! Et les autres ? Les Bulgares qui vont prendre le travail ? Le délégué syndical CGT est allé voir sur place. Des locaux insalubres, le retour de l’assemblage intégral à la main, l’absence de hotte aspirante au tamponnage. Les Bulgares vont travailler comme on travaillait ici au début, avant les luttes, il y a cinquante ans. La régression sociale est donc pour tous, ici et là bas. C’est ça leur Europe, celle de la concurrence libre et non faussée. Et surtout celle qui interdit la seule politique raisonnable à mener, c’est-à-dire l’harmonisation sociale progressive. Ici, dans ce cas précis on voit exactement ce que signifie notre opposition au traité qui interdit cette harmonisation, le traité de Lisbonne. Et on comprend l’importance que le débat soit ouvert et que chacun assume ses positions. Je veux dire que face à de telles situations, de tels drames, de telles implications humaines, nul ne s’autorise le petit jeu pervers des promesses qui n’engagent que ceux qui y croient !
 
L’UMP MENT
Cette exigence de vérité, c’est le cadet des soucis de l’UMP. Elle a présenté le 7 mai 30 propositions pour « Une Europe qui agit et qui protège ». Un grand nombre de ces propositions, issues du discours de Nîmes de Sarkozy sont absolument contradictoires avec le traité de Lisbonne. Inapplicables. L’UMP ne peut être à la fois partisane du Traité et exiger des choses que le dit traité interdit. Ainsi à propos de la Protection des salariés, directement en cause dans mon exemple. L’UMP propose :« nous voulons combattre le dumping social, monétaire ou fiscal, qui crée des concurrences déloyales au sein de notre marché européen. Nous n’accepterons pas une Europe au rabais, ni le dumping social. » Plus loin l’UMP ajoute vouloir :« Combler le fossé qui existe entre les Etats en matière de normes sociales communes pour ériger un marché du travail plus cohérent. »  Mais le Traité de Lisbonne interdit toute harmonisation sociale, qui permettrait de combler le fossé entre Etats. Le traité n’autorise que des actions sociales dérisoires « à l’exclusion de toute harmonisation des dispositions législatives et réglementaires des États membres ». Cette clause d’interdiction de l’harmonisation s’applique à l’emploi (article 129 TFUE), aux politiques sociales et de protection sociale (article 137) et à la politique industrielle (article 176 F). Cette absurdité n’est pas la seule. Dans le domaine des droits sociaux, la mode des amis du traité de Lisbonne est à la louange de la Charte des droits fondamentaux qui leur tient lieu de programme bouche trou chaque fois qu’ils sont pris de court dans un débat. Ainsi L’UMP affirme qu’il faut « Adopter le traité de Lisbonne pour rendre juridiquement contraignante la Charte des Droits fondamentaux »è A examiner de près. De très près. Car même si un article du Traité de Lisbonne indique que « la Charte des droits fondamentaux « a même valeur juridique que les traités », sa portée juridique est très limitée puisque son article 51 prévoit qu’elle ne s’applique qu’ « aux institutions de l’Union ainsi qu’aux Etats membres uniquement lorsqu’ils mettent en œuvre le droite de l’Union ». Et encore le même article de la Charte précise qu’ « elle ne crée aucune compétence ni aucune tâche nouvelles pour la Communauté et pour l’Union » Donc la Charte n’a rien de juridiquement contraignant et notamment en matière de droits sociaux. Elle ne va rien changer à ce que mes pauvres Bulgares vont vivre après que mes pauvres Françaises auront été dépouillées. Même pire. Sur le plan politique, elle est même reléguée au second plan puisqu’elle ne figure plus en tant que telle dans le Traité de Lisbonne alors qu’il était dans la Constitution européenne de 2005.
 
Au DESERT
Je devais aller d’Alés à Mende. Long trajet. Une halte pour faire une coupure était la bienvenue. On la fit à Mialet. C’est une idée d’André Ciccodicola, le directeur de l’Humanité dimanche. Il me dit que je dois connaître ce lieu pour comprendre le paysage, les Cévenols, et une forme d’état d’esprit qui est dans l’air. Il a vu juste. Je crois à tout cela. Sur la route, les chênes verts, la roche saillante, l’escarpement des coteaux m’ont déjà signalé une ambiance qui a forcément imprégné le cœur des gens du cru et contribué à façonner les évènements. Pour le casse croute, à midi, la table était à Anduze, haut lieu de la résistance camisard. Mon régime de sportif m’interdit de gouter l’exaltante saucisse pochée du coin, dont la seule présentation sur l’ardoise du restaurant me fait encore couler la bouche d’en parler! J’y étais arrivé en même temps que Francis Wurtz. Il venait comme moi d’Alès. Le coup d’œil, tandis que nous déjeunons, court sur la place où le plus vieux temple protestant de France, austère et majestueux, jouxte la mairie pavoisée. Non loin avait été exposée la tête de Gédéon Laporte, chef camisard. L’ambiance était créée. A Mialet donc ! Le maire socialiste est là pour saluer notre petite cohorte. On visite le musé du Désert. Mémoire de la résistance protestante à la révocation de l’édit de Nantes. Je ne me donne pas le ridicule de raconter cette histoire écrite cent fois mieux que je ne le ferai jamais. A Nîmes, Claude Mazauric, l’historien m’avait remis une note de synthèse sur le sujet. J’en savais pas mal aussi depuis de lointaines lectures dont le gout m’était venu après « les fous de dieu » de Chabrol, si ma mémoire est bonne.. Manquaient à mes souvenirs les noms propres, les dates, les contextes, bref la chair et les muscles de cette histoire. A chaque pas sous les voutes de pierres sèches du Mas Soubeyran où se fait l’exposition, notre silence s’approfondit et fait son œuvre sur nos esprits tandis qu’on voit les pièces à conviction du martyr des protestants. Je repars avec un nom de femme dans la tête. Celui de Marie Durand, emmurée 47 ans à la tour de Constance, et qui grava sur une pierre la maxime qui lui tint lieu d’art de vivre dans sa prison avec ses malheureuses compagnes: «résister». Le mot sonne à présent encore comme un signal de rallliement. Il noue entre eux les épisodes de l’action populaire ici. A la fin du parcours on voit le tableau célèbre où est représentée la scéne du serment du jeu de paume à l’ouverture de la grande révolution de 1789. Au premier plan on voit le président de la première assemblée nationale, Rabaut Saint Etienne. C’était le fils du combattant inflexible qui se fit le défenseur et donc le libérateur des dernières malheureuses enfermées. Il s’écria le 28 aout 1789 en souvenir des martyrs dont l’histoire avait scandé sa jeunesse: «non, ce n’est pas la tolérance que je réclame, c’est la liberté». La laïcité vient de là. C’est le cœur du message de ce musée à mes yeux. Wurtz et moi, nos compagnons de visite, le regard dans les images de ce passé profond, nous faisons la halte en face du champ où se tient encore l’assemblée annuelle commémorative des protestants, au Désert. Déambulant, je vois le chien du village qui se dore au soleil. Le patron du bistrot dit que la photo de la bête court partout du fait des visites des protestants monde entier. Lui a le droit de ne se soucier de rien. Nous remontons dans les voitures sans parler.
 
Petite cuisine du PSE
Les électeurs qui s’apprêtent à voter PSE pour les élections européennes risquent d’avoir une mauvaise surprise au lendemain du vote du 7 juin. Alors qu’ils pensaient voter pour un groupe de gauche, au moins dans son intitulé, ces électeurs découvriront que le groupe PSE au Parlement européen n’existe déjà plus. Ils vont devoir constater le dégât. Ecoutez ceci. Le prochain groupe où vont siéger les socialistes regroupera désormais des sociaux-démocrates et diverses sortes de centristes et de libéraux. Ce n’est pas de la politique fiction mais bel et bien ce que les hiérarques du PSE sont en train de concocter dans le dos des électeurs et des militants socialistes. C’est le site européen d’information Euractiv  qui a levé le voile sur cette petite cuisine. L’enquête se référe à plusieurs sources socialistes. Selon elles, le groupe PSE aurait d’ores et déjà prévu de changer de nom; j’atteste personnellement du fait que cette question est venue à plusieurs reprises en bureau national du PS du temps où j’y siégeais. Une majorité avait alors fermement refusé l’opération qui semble depuis avoir reçu un feu vert de Solférino. Il s’agit en fait d’intégrer au sein du groupe PSE d’autres députés européens qui n’y siégent pas aujourd’hui. Lesquels? Une partie de ceux qui sont aujourd’hui  au groupe ALDE: « Alliance des libéraux et démocrates européens ». Il s’agit d’un groupe centriste et libéral. Il compte dans ses membres les eurodéputés italiens de la tendance chrétienne et libérale du Parti Démocrate. Ce serait déjà assez pour dire que ça sent mauvais. Mais l’enquête dit que ceux là ne seraient pas les seuls!!!! … Connaissant déjà les spécimens italiens du Parti Démocrate, antilaïques et proches du patronat, on préfère ne pas imaginer quels sont les autres groupes de députés « libéraux » ainsi démarchés par le PSE. Toujours est-il que les négociations vont bon train et qu’elles auraient déjà abouties avec les députés italiens, avec la contrepartie d’un changement de nom du groupe PSE. Et le nouveau nom ? Tout un programme à lui tout seul. « Alliance des socialistes et des démocrates ». On comprend vite. Derrière le changement de nom, c’est un nouveau glissement à droite du groupe qui va s’opérer avec l’arrivée de ces députés libéraux. Et une marginalisation désormais totale des eurodéputés PS français, qui prétendaient, et encore pas tous, porter une voix moins libérale. Cette nouvelle « évolution » du PSE montre en tout cas qu’il n’a nullement l’intention de rompre avec les politiques libérales européennes. C’est ce qu’enseigne l’histoire politique : la stratégie d’alliance conditionne le programme politique réel. Or aucun programme anti-libéral n’est possible dans l’alliance avec des libéraux. C’est exactement le même problème qui est posé en France au PS. Cette lamentable évolution prend justement un piquant tout particulier en France à l’heure où le PS est à nouveau tenté par une alliance au centre. Car le groupe ALDE dont les députés sont courtisés par le PSE est précisément celui dans lequel siègent les amis de François Bayrou. En votant pour les listes socialistes aux européennes, les électeurs français ne se contenteront donc pas d’élire des députés PSE. Ils voteront sans le savoir en faveur de l’alliance entre socialistes et centristes !

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