Cette fois ci me voici presque député d’active, avant même la date de prise de fonction officielle le 14 juillet prochain. J’écris de retour de Bruxelles. Après deux jours sur place, dans la soucoupe volante de l’Union Européenne.
SI DESERT ET SI PLEIN DE MONDE
Je déambule donc à présent dans l’univers aseptisé du parlement à Bruxelles, d’un bureau à l’autre, tous identiques, d’un locuteur de volapuk à l’autre, tous charmants et aimables, cela va de soi, plus étrangers que le sera jamais aucun étranger pour la raison incommunicable et glaçante qu’ils sont radicalement de nulle part. Heureusement que les pavés de la place devant le parlement, sont disjoints et même arrachés, heureusement qu’il y a ces ridicules et disgracieux conteneurs pour déchets bien triés, soigneusement alignés au pied de la statue centrale, bref toutes ces choses qui signalent les incohérences si typiquement humaines. Sinon j’aurais peur tellement cette architecture grimaçante de froideur en verre et acier a été visiblement pensée pour contenir des insectes indifférents plutôt que des êtres vivants. Coup de blues ! Paris me manque déjà, la splendeur de la lumière dans la bibliothèque du Sénat, le carrefour de l’Odéon où boire un petit jus avant de remonter la rue Condé, dire bonjour au garçon de café de la brasserie, au kioskier, et ainsi de suite les jours où il fait beau et où je musardais en allant vers le palais du Luxembourg. Ici, pendant que je vais et viens, mon portable «clinque» sa pluie ordinaire de sms. Ce sont souvent les amis du grand sud ouest. Ils prolongent cette ambiance de connivence qui nous a unis pendant tous ces mois. Et, à mesure me sautent à l’esprit leurs paysages et leurs sourires. Ces moments étranges me ramènent à quelque chose que je connais bien, la petite nausée des changements d’horizon et des transplantations. Bien sur, pour moi, si l’on excepte le rapatriement d’Afrique du Nord, ce fut toujours plutôt tranquille et je n’ai pas l’intention de gémir sur mon sort, surtout en ce moment. Mais j’en ai ressenti assez pour en avoir acquis quelque chose qui m’a toujours fait regarder les immigrés avec tendresse et compassion tandis que tant d’autres les regardent avec peur!
VU DE LOIN
Pendant que j’écris ces lignes, à côté de moi, Elie Hoarau, député réunionnais du «Front de gauche-alliance des outre mer» feuillette sa liasse de formulaires à remplir, tout en écoutant les interventions, affublé comme moi du casque des traductions. En matière de dépaysement je crois bien que j’ai mon maître, non? Elie pratique un humour tranquille. Il décrit sa circonscription et cela suffit à couler les bla bla sur la proximité des élus avec leurs électeurs que permettrait le dépeçage en circonscriptions «locales» pour l’élection des députés de France au parlement européen. Sa circonscription couvre la planète, douze fuseaux horaires et inclut des milliers de territoires insulaires dont il reconnait ne pas connaitre le nombre exact. Ce qui unit tout cela ce n’est pas autre chose que la communauté de situation. Tout à l’heure, parlant sur un autre plan, Sabine Lösing, de Die Linke, nous a fait un petit rappel de principe: «ce n’est pas en renforçant nos identités nationale que nous avancerons mais en renforçant l’identité de classe parce que c’est elle qui rapproche les êtres par delà toute les autres particularités». Je n’entre pas ici dans l’analyse critique de cette formulation. Je la mentionne pour signaler qu’ici je vois des gens qui cherchent à approcher et à vivre l’universalité de la condition humaine comme base de l’action politique. Bref, le carrefour de l’Odéon ne va pas s’envoler pendant que je suis ici. Et tout est bien si je suis utile. Dans les couloirs José Bové vient vers moi. On se claque la bise. Content de ça José!
LA MUSIQUE AIGRE
La séance du groupe des députés de la GUE a consisté à entendre les analyses des camarades à propos des résultats de l’élection dans leur pays. On est vite stupéfait. Partout la même musique, au mot près souvent. Je résume. Il n’a pas été possible d’avoir un débat sur les contenus des programmes dans la mesure où les partis de droite et socialiste ont verrouillé la discussion sur le traité de Lisbonne. Partout les classes populaires ont déserté les isoloirs et ce paradoxe déprime et culpabilise toute l’autre gauche. Partout le parti social démocrate a reculé au-delà de toutes les prévisions. Partout la droite caracole sur un champ de ruines. Le plus grave à nos yeux vient maintenant. Contrairement à ce que beaucoup croyaient, la décomposition de la social démocratie ne renforce que très marginalement l’autre gauche. Le gros des électeurs se tourne vers les libéraux et les verts. De cela tous ceux que j’ai entendus tirent comme leçon que l’autre gauche n’a aucune chance tant qu’elle ne formule pas une alternative gouvernementale crédible. Je ne sais pas si c’est un effet lié à la qualité de parlementaire, mais beaucoup des orateurs ont formulé des critiques vives contre la rhétorique électorale purement protestataire et les dénonciations abstraites du libéralisme. On me dira que je n’ai retenu que ce que je voulais entendre. C’est possible. Mais je pense que c’est bien l’essentiel de ce qui s’est dit de commun à tous. Je ne vais rien noter à présent des particularités évoquées au fil des nationalités. Sauf une. Le contre exemple italien. Malheureux italiens ! Un désastre suit l’autre. C’est à pleurer! La gauche traditionnelle on s’en souvient s’est auto dissoute sous l’impulsion du Parti Communiste devenu Social Démocrate puis Démocrate tout court dans la signification centriste que nous connaissons en France. Déconfite et déboussolée par ce contexte calamiteux, l’autre gauche a pourtant trouvé le moyen de se diviser d’une façon fatale en deux listes s’affrontant à couteaux tirés. Chacune fait trois pour cent et des poussières. Mais il faut quatre pour cent pour avoir des élus. Ainsi au lieu des quatre députés qu’elle aurait du avoir, l’autre gauche n’en a aucun. Ce qui revient à dire que la gauche, en général, n’a plus aucun élu au Parlement européen puisque les élus du « Parti Démocrate » refusent cette étiquette. Terrible bilan ! Qu’il nous serve de leçon.
ALERTE ROUGE
L’autre gauche en France aurait pu être liquidée par ses divisions. Elle peut être pulvérisée dans les élections régionales qui arrivent. Ce n’est pas fatal, bien sur. Mais c’est assez menaçant pour qu’on y réfléchisse sérieusement. La proposition que fait le Parti de Gauche est donc à prendre au sérieux. Le texte «officiel» est sur le site du Parti. Ici je n’y ajoute qu’un commentaire de rappel des règles électorales qui surligne l’importance de la proposition. Je ne dis donc rien à propos du programme régional. Il est évidemment décisif même si cette élection aura nécessairement une signification et une réalité de campagne nationale. Mais c’est parler dans le vide de ne tenir aucun compte de la règle du jeu avant de commencer la partie. Il est temps en effet de se souvenir qu’il faut cinq pour cent au premier tour pour pouvoir fusionner des listes au second. Et il est décisif de savoir qu’il faut dix pour cent pour pouvoir se maintenir au deuxième tour! N’oublions pas non plus que la décision, dans tous les cas, pour la fusion de liste comme pour le maintien ou non, revient légalement à la seule tête de liste. Dans ce contexte précis, l’idée de faire des listes autonomes de toute l’autre gauche au premier tour doit donc pouvoir être entendue de chacun autrement que comme une simple posture. C’est en effet la seule garantie d’un côté pour ne pas être éliminé de tout et de l’autre pour ne pas être embarqué là où on ne le voudrait pas au second. C’est particulièrement vital après que la direction du PS ai lâché prise et cédé aux grands seigneurs féodaux régionaux le pouvoir de constitution des listes et de définition des stratégies électorales. Le meilleur et le pire en sortiront en même temps. Mais nous ne pouvons accepter d’être entrainé dans ces tractations à la carte ! L’autonomie du premier tour est donc bien une garantie. Mais pour que cette stratégie soit tout à fait praticable par l’ensemble de l’autre gauche il faut bien préciser qu’on ne peut la mettre en œuvre sans une position claire à propos du second tour. C’est-à-dire en annonçant publiquement que partout où la réciproque aura été acceptée avant le premier tour, le désistement pour le mieux placé à gauche s’opérera.
BOF BOF BOF
Je reviens sur la campagne électorale et son bilan. Je n’ai pas l’intention de remplacer ici les analyses qui foisonnent dorénavant. Je ne fais pas de bilan pro domo non plus. De quel droit le ferais-je, alors que nous y avons consacré un week end entier de travail collectif entre responsables du PG. Non, juste un vrai regret. Celui d’avoir laissé filé la campagne sans avoir été vigilant sur la prise en compte de ce que nous sommes depuis que nous avons adopté la thèse sur «la planification écologique». Certes, dans nos meetings, à l’oral, très souvent nous n’avons pas manqué à ce que nous devons être à ce sujet. Encore qu’on aurait pu faire mieux, j’en conviens. Mais dans le matériel électoral, tract et profession de foi, le compte n’y est pas à l’évidence. Pour être honnête je n’en suis pas surpris. D’ailleurs les alertes n’ont pas manqué de la part de camarades plus attentifs et exigeants. De mon côté, je me console en me disant que j’ai introduit le thème de la planification écologique quasi au débotté dans les messages de la campagne officielle. Mais cela ne fait pas une ligne cohérente et lisible. Ce reproche dorénavant tous se le font au PG si j’en crois ce qui s’est dit le week end dernier, entre nous. Je ne l’exposerai pas ici sans dire quelle responsabilité y ont les écolos de gauche qui sont restés sur leur Aventin de contemplations maussade pendant toute la campagne et avant cela au moment de la première phase de la fondation du nouveau parti de Gauche. Présents dans le Front de gauche en tête de liste éligible comme nous le leur avons proposé, dirigeants au Parti de gauche, ils auraient pesé de tout leur poids d’idées. Tant pis pour nous, bien sûr. Mais la leçon doit servir. Nous serons plus méthodiques à l’avenir. Moins timorés. Plus argumentant. Il y va de notre crédibilité. Car notre propos n’est pas de mériter des bons points de la part des diverses chapelles vertes toujours prodigues en réprimandes et conseils de banc de touche, ni même de prendre des électeurs aux Verts en le faisant. Notre objectif est d’élargir le champ de vision de ceux à qui nous nous adressons pour les conduire à la compréhension de la nécessité d’une bifurcation de notre modèle de civilisation. C’est avec cet état d’esprit que nous avons commenté le résultat des Verts. Plutôt que de souligner leurs ambigüités plus qu’évidentes, leurs propositions d’alliances calamiteuses avec le centre et ainsi de suite, nous avons au contraire positivé le résultat. Au point de lui faire dire ce qu’il ne dit d’ailleurs peut-être pas vraiment. A savoir que ce serait un le signe d’une prise de conscience élargie de la nécessité de révolutionner le mode de production et de consommation. J’en reste là.
Non. Pas tout à fait s’il s’agit de lendemain de vote. Un mot d’écœurement encore. D’abord de voir des médias sans foi ni loi continuer de nous ignorer, nous, Front de Gauche sur tant de plateaux de bilan des votes. Dont la dernière du regretté «Ripostes» et aussi à «Mots Croisés». Puisqu’il s’agit du service public notons qu’il est désormais continuellement en état d’excès de zèle bien pensant. Mais pour quel profit, bon sang! Autre domaine plus cruel, celui des délires de presse écrite. Ainsi pour cette brève qui me fait dire le contraire de ce que je dis, à savoir qu’il faut développer le Parti de Gauche, et me met dans la bouche que je ne veut pas plus de cinq mille adhérents plutôt que d’y voir des «fêlés» qui viendraient «bavarder». On imagine comment cela est repris avec délice sur la toile de toutes les rumeurs et ragots qu’est aussi internet, par la cohorte des aigris qui y trouvent une nouvelle occasion de se rengorger et bouffir d’indignations convenues. Parfois le montage se voit. De façon déprimante. Ainsi pour le titre de l’interview subtile que fait avec moi Gérard Miller pour le journal pourtant plutôt tranquille qu’est «La vie». «Les européennes m’ont mis à la mode» me fait-on dire entre guillemets sur cinq colonnes. En lisant le texte on découvre que je ne dis cela nulle part. Certes, Miller le dit dans une question. Mais encore faut-il préciser que ce n’est pas dans ces termes. Pourtant cela m’est attribué. Ainsi va la vie ordinaire de la décomposition de l’éthique médiatique qui est au moins aussi avancée que celle de la politique, des institutions, de la démocratie et d’une façon générale de tout ce qui devrait rassembler dans ce pays et qui sert seulement aujourd’hui à la mise en scène générale du spectacle du naufrage collectif de notre vie commune.