La démocratie partielle

Dans cette note je parle d’une élection législative partielle dans les Yvelines. «L’autre gauche» y part groupée autour de la candidature de François Delapierre. Ensemble, le Front de Gauche et le NPA soutiennent le même candidat. Mais cette élection pose un sévère problème de vie démocratique. Délais de campagne grossièrement raccourcis, embrouille d’identité politique des candidats et couvercle de plomb médiatique contre tous ceux qui ne sont pas les candidats officiels sont le lot quotidien. Et c’est devenu dorénavant monnaie courante.

 
 
 
TUYAU DE POELE
Je lis dans le journal le Figaro que le « Nouveau Centre » du ministre de la défense en exercice, «lâche» David Douillet pour l’élection partielle qui aura lieu les deux prochains week end dans la douzième circonscription des Yvelines. Au motif qu’il s’agit "d’un parachuté de l’Etat major parisien de L’UMP". Le Nouveau Centre, Sarkozistes de choc, appelle donc à voter pour le centriste du Modem. Lequel candidat Modem est le premier adjoint du maire socialiste de Poissy. Lequel maire est candidat pour le Parti socialiste, évidemment avec l’appui de sa section locale. Laquelle est composée d’une majorité de militants acquis à Benoit Hamon. Lesquels siègent au conseil municipal, secrétaire de section en tête et votent sans blémir avec leurs nouveaux amis du centre. Lesquels ont aussi dans leur rang l'adjoint aux affaires économiques. Lequel leur a proposé de voter toutes les dérogations au travail du dimanche demandées par le patronat local, non seulement dans les commerces mais aussi dans l'industrie. Lesquelles furent votées par les nouveaux compères centristes et socialistes, avec l'amicale participation des élus de l'opposition UMP. Lesquels laissèrent les trois communistes seuls pour voter contre. Lesquels communistes purent constater que le maximum de courage manifesté par le secrétaire de la section socialiste, membre de la "goche du parti" fut de s'abstenir. Lequel doit être heureux de lire dans une interview de Benoit Hamon, qui dénonce par ailleurs mes "postures", que sans son intervention, et celle de son courant, le PS aurait déjà choisi l’alliance avec le Centre. C’est dire où en est ce Parti ! Et vu de près on voit que c’est encore pire. C’est à dire totalement confus. Quel socialiste sur place, en votant pour le candidat maire socialiste, partisan du travail le dimanche, allié au Modem soutenu par le Nouveau Centre sarkoziste dans sa propre commune, fait-il autre chose que de servir la soupe à des combines qui embrouillent le sens de tous les votes ? La routine du prétendu «vote utile socialiste» dans cette circonscription est une collaboration active à la dilution de la gauche. De l’autre côté de ce tuyau de poêle qui traverse le bureau du ministre de la Défense et charrie la fumée du socialo-centrisme de gauche sur le tableau de la bataille contre l’UMP, il y a le candidat du Front de Gauche. Il s’agit de François Delapierre. Lequel est soutenu évidemment par les trois partis actuels du Front de Gauche, Parti de Gauche dont il est le délégué général, Parti Communiste qui présente la jeune suppléante, et bien sûr la Gauche Unitaire. Mais il y a davantage, comme je l’ai dit. Il y a le soutien d’Olivier Besancenot et du NPA. C’est la première fois que cette configuration est réunie dans une élection législative. Sur le terrain nos amis se sont donc jetés à corps perdus dans la bataille. Comme d’habitude les « observateurs », éthiques et indépendants, ont décidé que le centre d’intérêt de cette élection ce n’est pas l’unité de l’autre gauche mais la présence du judoka David Douillet et du Vert Alain Lipietz. Sans oublier le socialiste dont les liens avec le candidat centriste ne sont expliqués nulle part. A partir de quoi notre candidat n’accède à aucun média ! Fermez le ban. Comme il n’y a que trois semaines de campagne, on devine quelle épreuve physique et psychologique est cette campagne. Le pire est évidemment le court délai de campagne. Comment couvrir un territoire si étendu, des cités si nombreuses, des usines si oppressées par la peur du lendemain et les cadences en accordéon ? De toutes parts la rescousse militante se dispose pour donner le coup de main. Mais ça ne suffit pas. Il faut donc que mes lecteurs s’y mettent, si cette sorte de candidature leur convient et s’ils souhaitent lui voir faire le meilleur résultat possible. Chacun peut y contribuer avec son propre carnet d’adresses électroniques et listes de diffusion. On peut sourire. Vu de loin. Vu de près chaque voix compte, surtout dans une élection partielle où l’abstention est traditionnellement importante. Mais surtout il faut comprendre que la seule prise de conscience qu’il y a une élection est un enjeu. Et l’autre enjeu est de faire connaitre notre candidature de gauche rassemblée.
BREF ET CONFINE
Les délais d’organisation d’une élection partielle sont certes très variables. Considérablement variables. Mais la tendance lourde est à la brièveté. Jusqu'à l’extrême. Pour une cantonale partielle en Gironde, le préfet a non seulement estimé que c’était jouable en plein mois de juillet mais que cinq jours de délai entre l’annonce de la date des deux tours et le dépôt des candidatures c’était convenable. Il restait somptueusement dix jours de campagne, dimanche compris. Ceux qui savent comment se déroule une élection comprennent que, dans les faits, cela signifia tout juste deux ou trois jours pour préparer la profession de foi, les bulletins de vote et à peine davantage pour l’unique tract distribuable dans ce calendrier. On me fit venir sur place. Non pour y faire quoique ce soit de significatif, comme un meeting ou autre chose de ce style qui permet de faire circuler de bouche à oreille un argumentaire de campagne, car dans un tel délai rien n’était jouable. Il s’agissait seulement de tacher d’avoir un peu de médias pour notre candidat du Front de Gauche. Ce qui fut fait. Je pourrai donner de nombreux exemples de cette sorte. J’interprète cette situation dans le cadre du rabougrissement de la démocratie qui est la caractéristique de notre temps, en lien avec le modèle économique dominant qui est très réfractaire aux pratiques citoyennes. Cette tendance s’observe dans le détail. J’ai connu l’époque où l’on affichait beaucoup. C’était un mode ordinaire d’expression politique. Où est-ce possible encore ? Certes l’espace public est saturé d’informations commerciales et publicitaires. Mais où coller nos messages ? Comptez les panneaux disponibles… C’est moins que peau de chagrin. Qui tente d’en sortir à la sauvage prend des risques. Souvent les poursuites judiciaire ne tardent pas. On verra le moment venu ce que nous aurons décidé de dire à propos des plaintes dont nous avons fait l’objet à l’issue de la campagne des européennes. Pour ce qui concerne la distribution des tracts, ce n’est guère mieux. Tous les lieux publics où l’on peut pourtant se promener avec des déguisements vestimentaires de propagande religieuse sont cependant strictement interdits à l’expression politique. De même pour tous les centres commerciaux qui sont l’équivalent moderne de l’ancienne place du marché. Restent donc les marchés. C'est-à-dire, à peu près rien. Ou seulement quelque chose de très socialement typé. Aux portes des entreprises c’est tout juste jouable. Les grilles et tourniquets repoussent les distributeurs de tracts à l’extrême limite de l’accessibilité, parfois sur la chaussée et le plus souvent sous la pression inamicale des vigiles de l’entreprise. Au pied des immeubles, la situation ne s’améliore pas. Digicodes et autres vaines barrières paranoïaques rejettent tout le monde à l’extérieur, loin des boites aux lettres et des portes auxquelles frapper. Seuls les «imprimés sans adresse» de la publicité commerciale passent. On doit donc se débrouiller. Passe-partout et ruses variées desserrent un peu l’étau du silence forcé. Reste la presse. Encore faut-il qu’il y en ait une qui s’occupe du «local». Et, si elle existe, encore faut-il qu’elle soit un tant soit peu équitable. On se souvient de notre élimination de tous les plateaux de France Trois pendant les européennes. Qui a vu comment Jacques Généreux a été rayé de la carte, pendant la totalité de la durée de la campagne européenne par le journal «Ouest France», monopole de presse du grand ouest, catholique et anti communiste viscéral, a une idée de ce qu’est la réalité du pluralisme sous les dehors doucereux du bla-bla à propos de l’indépendance qui sont les refrains hypocrites de ces organes. «L’indépendance» dans ce cas est le droit pour ces derniers de nier l’existence de ceux qui ne sont pas jugés dignes du droit à l’expression par eux. Il faut bien avouer que toute colère est vaine à ce sujet. Le rapport de force est totalement déséquilibré. On ne peut qu’attendre en soupirant d’en être débarrassé par la dure loi du marché et du fric dont ils sont tous les zélés défenseurs. Nous ne disposons donc que d’internet, nos sites, nos blogs et nos listes de diffusion pour nous exprimer. Et notre inusable patience et opiniâtreté à courir sur les franges accessibles des espaces interdits. Je crains que cela ne dure pas. La tendance qui nous a expulsé des portes d’usine, des espaces publics, des cages d’escaliers, et du journal local avance déjà sa main invisible vers notre gorge électronique.
RETOUR AU SCENARIO
J’en reviens à notre campagne dans les Yvelines. François Delapierre explique, argumente, distribue, frappe aux portes. Mais la chape du silence médiatique l’écrase. Il ne peut couvrir le terrain qu’un seul passage télé des autres candidats sature à plein. Quand il fait des communiqués sur les dossiers de la circonscription rien ne passe. Pourquoi le journal « le Parisien » boycotte-il, avec cette férocité, son combat ? Pourquoi ? France Trois c’est plus classique. On connait l’argument que sert la hiérarchie de la chaine : «on se réfère à l’élection précédente et vous n’y étiez pas». Bien sûr ce raisonnement est un attrappe nigaud. Je le sais: je me suis fais attraper. On m'a fait le coup pendant les européennes. Premier temps, on me dit : «ce sont les députés sortants» que nous invitons. Deuxième temps ce sont "les partis sortants". Dans ces conditions le directeur de cabinet de Le Pen, fut invité sur le plateau du débat final de l'élection européenne, et pas moi. Pour m’endormir et faire taire ma protestation, on me promit un passage en "plateau direct" le soir de mon meeting de clôture à Toulouse. J’ai eu la sottise de croire à la bonne foi de mes interlocuteurs. Car le soir venu, deux surprises. D’abord la diffusion était limitée à la seule Haute Garonne. Ensuite « l’interview » fut consacrée à me demander mon avis sur une entreprise qui recyclait les déchets de moteurs d’avions grâce au l’aide d’un fonds européen ! «  Alors ! Vous voyez ! Vous qui êtes contre l’Europe ! Vous voyez que l’Europe fait de bonnes choses », s’est exclamé en pleine épectase le lecteur de prompteur avec l’air épanoui qu’ont cette sorte de joyeux drilles quand ils pensent avoir trouvé la question qui tue. « Qu’avez-vous à dire contre ce projet ? » insiste le ravi. Le temps de faire justice de « vous êtes contre l’Europe » et de donner mon avis sur leur « reportage », l’interview était terminée. Evidemment un tel « service public » ne peut pas être défendu. Je ne le défends pas. J’ai été plus souvent interrogé, et de façon mille fois plus honnête et respectueuse de mon point de vue comme de ma dignité, par les télés privées de Toulouse et Montpellier que par ces soi-disant serviteurs du service public. Donc, là, dans les Yvelines, on recommence le même film. Puisque François Delapierre n’était pas candidat la dernière fois, puisque le Front de Gauche n’existait pas aux précédentes législatives, « bla bla bla », pas de droit à l'image ni à la citation. Et quand on insiste, on nous réplique : «de toute façon les communistes ont fait deux pour cent la dernière fois». Bien sûr ces raisonnements n’ont aucune valeur et il n’est même pas sûr que ceux qui les énoncent y croient eux-mêmes. D’ailleurs si on regarde la série des cinq partielles qui ont eu lieu dans le département des Yvelines, toutes menées sous la bannière du Front de gauche, avec candidature PCF-PG dans tous les cas, on voit que le score multiplie plusieurs fois partout celui des communistes à l’élection précédente. Ici c’est la première fois que le candidat titulaire est PG. Je trouve que cela donne un intérêt à ce qu’il fait. L’appui du NPA également est un évènement. Pourquoi n’en passe-t-il rien en presse? Que se passe-t-il ? Je suis perplexe. On m’a déjà bien expliqué que le problème vital de la scène médiatique est de donner à voir des «histoires». Hors dans les Yvelines, «l’histoire» ce serait celle de la compétition entre les Verts et le PS, depuis le résultat de Rambouillet. Le reste serait anecdotique. Il est très facile d’objecter que dans le cas de Rambouillet, le nombre des électeurs, si faible, d’une part, la division des socialistes sur deux candidatures d’autre part, et une candidate Verte particulièrement bien implantée et respectée, tout cela crée une conjoncture tout à fait spéciale. Mais c’est trop long à expliquer. La scénographie médiatique veut des figures simples. Dans les faits, il est clair que cette mise en scène répond aussi à la demande de la droite. En effet, celle-ci constate qu’elle est souvent sans réserve pour le deuxième tour. L’UMP pense donc mieux conserver ses chances en creusant l’écart avec le premier suivant. Ce n’est pas démontré. De toute façon ça ne règle pas l’élection. Mais ça lui donne un rythme. Et, dans la durée la pente devient favorable à la construction de l’espace politique réduit à deux partis dont rêvent le Président de la république et les présidentiables du PS. Je pense que nous ne pouvons rien contre cette éviction. Rien sinon avancer au corps à corps sur le terrain comme le font Delapierre et ses camarades en se relayant jour après jour sur tous les points de passage et de contact avec la population. Avec des propositions claires, un matériel de campagne précis. Je fais le pari avec eux que, cette fois-ci encore, le score fera un bond en avant par rapport au point de départ. Au fil de ces sortes de batailles se forge aussi un groupe humain militant qui entre en campagne avec la dignité de gens qui agissent pour convaincre et éduquer, sans autre ambition que d’agir utilement. Et où les dirigeants sont les premiers à se plonger dans la bataille, surtout si elle est risquée. Je pense que ce sera la marque de fabrique du Front de Gauche en général et du Parti de gauche en particulier. Mais pourquoi faut-il que ce soit si dur à vivre !

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