Depuis Darwin

Cette fois ci, ça va parler de la manifestation de samedi pour les droits des femmes puisque je m’y trouvais. Et tant pis pour le reste. J’y viendrai demain. Peut-être. Oui, peut-être demain. Pour l’instant, pour ce qui est de la politique politicienne, la cour et trop pleine. Je ne me hâterai pas de réagir. Je suis saoulé par l’accessoire. Devoir répondre à Benoit Hamon et ses amis,  muets contre l’alliance au Centre à Poissy où ils dirigent pourtant la section et cogère la ville avec le Modem, quand je les vois monter sur le pont pour nous taper dessus à propos de leur échec dans la législative partielle des Yvelines, quelle corvée glauque ! Et pendant que j’écris ces lignes on me sollicite aussi pour réagir sur un communiqué déraisonnablement hostile du bureau du PC contre moi et divers excès de langage auxquels se livrent quelques zélés. Mais ca ne me passionne pas non plus à cette heure. Je suis chagrin de les voir perdre leur sang froid de cette façon. Et combien d’anecdotes encore tapent à ma porte ! On verra.  Demain. Oui c’est ça. Demain. Je fais ce genre d’introduction pour illustrer plus que jamais le concept de blog d’humeur où je reste maitre de moi-même. Demain donc. La forme rejoint ici le fond contre l’esprit de « sérieux » que l’on voudrait parfois me voir pratiquer. «L’esprit de sérieux» ce serait de penser et d’écrire comme si toute l’activité mentale pouvait prendre la forme d’un communiqué de presse. Je pontifierais en conclusion d’une dissertation de style énarchique pratiquant le balancement circonspect. Pouah ! Les bras m’en tombent d’y penser. Ce n’est pas pour moi.. Rien de plus. Pour l’heure j’en reste à ce qui m’a fait réfléchir. Réfléchir est excitant. La manifestation de samedi m’a inspiré. Je me suis d’ailleurs délecté de l’éditorial de Jean Paul Pierrot dans l’Humanité de lundi matin à ce sujet..Il parle précisément de la résurgence du passé que la manifestation de Madrid contre le droit à l’avortement à fait voir. J’y fais donc écho.

Y A PAS QUE LE TEMPS QU’EST POURRI !
Samedi, le temps était aussi pourri que le gouvernement. C’est ce que criaient les camarades du Parti de Gauche samedi en manifestant pour les droits des femmes. Cette année il y avait du monde. Pas comme l’année dernière ! J’ai vu les présents. J’ai noté les absents. Premier prix dans la catégorie des militants politiques bien mobilisés : le NPA. De loin les plus nombreux et les plus jeunes. Deuxième prix, nous, le PG. Pour notre première sortie en cortège, préparée à la dernière minute par l’équipe morte de fatigue de la campagne des Yvelines, nous étions dignes et nombreux ! Dernier prix, les Verts : cinq présents.  Mais je croise a Strasbourg leur député européenne, Karima Delli, qui a chopé froid dans cette affaire et la grippe avec. Même le PS a fait bien! D’abord, il était là, organisé avec sa banderole et des militants de la vieille garde « qui ronchonne mais fait le boulot ». La branchouille social bobocrate n’était pas là. Ensuite ces socialistes là, ils étaient sommes toutes assez nombreux pour un parti qui ne milite pas. Et ils ont tenu le coup ! Quand il s’est mis à pleuvoir une foutue flotte glacée, leur cortège ne s’est pas débandé. Le notre non plus. Misère quelle radée ! Et moi, comme les autres, ça m’a éprouvé. Que fais-je là au lieu de somnoler doucement dans mon canapé ? Surtout après une semaine de chien comme celle-ci ? Et juste avant la quinzaine d’acier qui m’attend. En plus, les incroyable de la préfecture de police ont annoncé qu’on était trois cent. Quelle exagération ! En fait, on était deux. Comme au PG. N’empêche que cette flotte gelée était drôlement perçante. Un coup de la droite ? Moi qui ai une tignasse plus serrée que de la moquette j’étais frigorifié par le haut ! Un camarade m’a rappelé l’invention somme toute déjà bien diffusée, du parapluie. Bonne trouvaille ! J’ai donc fait le chemin sous le pépin de Jean Charles Lallemand. Un de l’équipe à Martine Billard. Décidément ces écolos sont malins, non ? Cette année il y avait Bernard Thibault, le premier de la CGT. C’était à mes yeux l’évènement dans l’évènement.

LUTTE SOCIALE
La lutte féministe est un secteur clef de la confrontation sociale, aujourd’hui comme hier. Parce que les femmes sont l’armée de réserve dont les emplois mal payés et précaires, les statuts pourris et les maltraitances sociales de toutes sortes permettent de tenir toujours une brèche ouverte dans la masse des salariés. Cette brèche c’est l’une des trois portes d’entrées par où sont minés en permanence tous  les droit acquis. Les deux autres sont : les immigrés sans papiers et les jeunes. Main d’œuvre taillable et corvéable à merci. Coïncidence, sur le chemin, à hauteur de Strasbourg Saint Denis, on a formé une petite délégation du Parti de Gauche pour aller encourager les grévistes sans papiers. Quel courage chez ces hommes là ! Et quelle absurdité que leur situation. Ils sont vigiles ! «En ligne devant la délinquance», disent-ils. Hum ! Mais eux-mêmes sont délinquants aux yeux de la loi qu’ils sont payés pour faire respecter… En ce moment mes camarades parisiens sont très engagés dans l’action auprès des sans papiers. Chaque dimanche nous formons une délégation pour participer à la marche de RESF sur le parvis de Notre dame. Et la semaine nous faisons le tour de solidarité sur les divers points de la grève des sans papiers. Un constat : on peut dire que la CCGT fait son boulot ! Comme je suis d’humeur malgracieuse je ne manque pas de constater l’absence persistante des donneurs de leçons qui s’interrogeaient sur notre engagement à ce sujet pendant la campagne des européennes. Sacrés gauchistes, va ! Toujours les mêmes. Prix Nobel de l’aigreur verbeuse ! J’ai lâché la manifestation pour les droits des femmes au monoprix de Strasbourg Saint Denis. Et j’ai couru, feu de dieu, boire un chocolat brulant ! Caution de moralité : j’étais avec Martine Billard ! En sirotant ce chocolat trop liquide a mon gout, j’ai vu un type s’étaler de tout son long en se prenant les pieds dans la chaine sur la placette devant la porte Saint Denis. Tout le monde s’est marré. Les gens sont cruels. Mais que fait le maire de Paris ?

BISOUNOURS TOI-MÊME
Ce qui ne m’a pas trop plu dans cette manifestation ce sont les questions qu’on m’a posé. Et pourquoi j’étais là, et qu’est ce que je pensais des droits des femmes, et ainsi de suite. Une chose que j’aurais bien aimé c’est qu’on me demande si cette manifestation a un adversaire. Sinon, vraiment, on pourrait se croire au royaume des bisounours. On viendrait manifester juste pour exprimer un penchant en quelques sortes. Une option préférentielle pour les droits des femmes. Mais qui les mets en cause ? Les hommes ? C’est donc une affaire de pure domination de genre ? Non bien sur. La domination de genre ne doit que peu à l’état de nature. Elle se maintient comme archétype culturel parce qu’elle correspond à un rapport de force social qu’elle pérennise. Pourtant la critique de l’archétype de genre ne peut suffire. Il faut mener conjointement la critique sociale et culturelle des instruments de la domination. Sociale ? Je viens juste d’en dire un mot rapide.  Mais culturelle ? Le même jour se réunissait plusieurs milliers d’obscurantistes en Espagne contre le droit à l’avortement. Il faut insister sur le rôle central de l’église catholique dans la mobilisation internationale contre ce droit. Nos amis sont trop souvent tétanisés par l’idée de nommer et d’affronter les églises en général, la catholique en particulier. La propagande des dominant a réussi à les intimider. Ils craignent de paraitre «sectaires», «archaïques», «ringards» en nommant l’adversaire. Car telle est la situation. Est archaïque la critique de l’irrationnel dogmatique, et moderne la relativisation de l’obscurantisme religieux. Bon, passons pour cet instant. Ce qu’il faut voir en face, par contre, c’est le sens de la lutte des religieux contre le droit à l’avortement. L’église joue son rôle dans le maintien de l’ordre établi. Consciemment. Bien sur celui-ci est d’abord un ordre social. Mais ce dernier ne tient que si ceux qui y participent y consentent. La construction de ce consentement est donc un devoir politique constant pour les dominants. Il prend la forme d’une action d’imprégnation culturelle d’un genre particulier. L’ordre doit être intériorisé. Incarné. Ainsi, à l’origine de toute hiérarchie sont celles qui s’enracinent dans l’intime. Celles qui «vont de soi» semblent venir de la nature et répondre à un instinct d’autant plus incontournable qu’il serait protecteur. Par exemple entre adulte et enfant. Le premier de tous. Et de là les suivant, tels que nous avons du les hériter des clans et structures sociales des premiers âges. L’injonction faite aux femmes de ne pas disposer de leur corps en raison de leur pouvoir de maternité est celle qui leur rappelle qu’elles ne s’appartiennent pas à elles-mêmes. Dans cet état elle cesserait d’être une personne, un individu sujet de droits personnels inaliénables. Elle est un organe du corps collectif que formerait la communauté humaine. Celle-ci leur créerait des devoirs supérieurs à leurs droits. La matrice de toutes les dépendances sociales est là. Bien sur la chose est bien empaquetée. Leur aptitude à enfanter leur est signifiée comme un destin. Passez muscade. La première négation du droit inaliénable à l’émancipation personnelle commence là. Si nous ne sommes pas décrits socialement par nos droits mais par nos devoirs l’émancipation n’est pas une aspiration légitime. Quoi ? Mais qu’est ce qu’il dit ? Que nous n’aurions aucun devoir ? Seulement des droits ? Ah, on le voit bien le soixante huitard prêchant l’irresponsabilité individuelle, beuglent les double mentons de droite et la gauche morale au PS ! Et qu’est-ce qu’on leur répond ?

DROITS ET DEVOIRS ENCORE
Réponse : le devoir est de l’ordre de la morale individuelle. On se l’impose de soi-même. Librement. Autant qu’on veut. Evidemment il y a une limite. On s’astreint à ce que l’on veut, sauf à ce que la loi interdit de faire. Même contre soi-même ! La loi entre aussi dans la vie intime de chacun. Mais elle ne le fait que pour faire respecter les droits de tous. Ainsi parle-t-on par exemple des droits des enfants. Lesquels sont mêmes opposables à leur propres parents. Résumé : nous sommes donc des êtres de devoirs vis-à-vis de nous mêmes et des sujets de droits vis-à-vis de la société. Dans la sphère publique le devoir impératif imposé par la loi est de respecter les droits reconnus à tous. Et de pouvoir en changer. Ca s’appelle la citoyenneté. Dans la sphère privée le droit inaliénable est de pouvoir respecter les devoirs que l’on s’assigne. Et de pouvoir en changer. Ca s’appelle la liberté de conscience. Pigé ? Pardon pour ce rappel pesant des fondamentaux.

LE CORPS DES FEMMES LEUR APPARTIENT-IL ?
La première ligne de cette bataille passe par le corps des femmes. Parce que c’est là que s’incarne, au sens propre, la question posée. Le corps d’une femme lui appartient-il ? Peut-on y répondre aussi radicalement qu’y répondrait un homme pour lui-même ? Tout le monde n’est pas d’accord. Contester le droit à l’avortement c’est répondre par la négative à la question. Non, le corps d’une femme ne lui appartient pas totalement dit une petite voix insinuante. A qui appartient-il, alors ? A d’autres qui ont des droits sur lui. Qui ? A leurs époux ?  A la société ? Réponse facile pour les lecteurs de ce blog. Compliquons : à leurs enfants à naitre ? Hum ! Certains commencent à blêmir et ce ne sont pas tous des hommes. Au bout du compte il reste ceci : si le corps d’une femme fait l’objet de droits pour d’autres qu’elle-même alors elle-même n’est plus égale en droit avec tous les autres humains. Donc l’émancipation n’est plus un droit universel. Et donc ce n’est plus un droit du tout. Pire, si elle n’est pas un droit universel, l’émancipation n’a pas de réalité. Elle n’est plus l’aune à laquelle mesurer toute décision, toute institution, puisque sa légitimité n’est pas absolue mais relative. L’origine et la légitimité de tous les droits aussi est en cause, puisqu’il n’y a pas d’universalité. Alors la loi non plus, de son côté ne peut plus être légitime du seul fait qu’elle serait conforme aux droits universels. Il lui faut donc plutôt être conforme à l’ordre préalable à toute société politique, le droit de nature, ici le droit de l’enfant à naitre, celui qui institue la différence des droits en dehors de toute délibération. Voila la ligne de crête où ferraille l’église. Je fais grâce ici des citations de monsieur le pape qui rappelle sans cesse que l’ordre naturel est celui qui est conforme à la nature de l’homme et que celle-ci ne saurait se concevoir en dehors du dessein que dieu a confié à sa créature. Samedi je manifestais philosophiquement. Je n’ai pas fini. Voici venu le moment d’aborder un autre segment du Front de la bataille culturelle et idéologique. Je crains que cette note soit finalement un peu trop dense comme on m’a dit poliment que ce blog l’est. Hum ! Tant pis. A la suite voici donc une question liée. Celle du dessein de Dieu à travers ses créatures. Je viens de dire combien ce point de départ a de poids dans la reconstruction d’une pensée de contre pied aux principes issus des lumières et à l’idée de droits universels. Interdiction donc de ricaner sans réfléchir. Mon ami Nicolas Voisin, de Montreuil, m’a sensibilisé. Voici son texte. A partir de maintenant et jusqu’au bout de cette note, c’est Nicolas qui écrit.

L’ORIGINE DES ESPECES
«Dans quelques jours, sera célébré en France et partout dans le monde, le 150ème anniversaire de la première publication de «L'Origine des espèces par le moyen de la sélection naturelle, ou la préservation des races favorisées dans la lutte pour la vie» (traduction littérale du titre original en anglais). En effet, le 24 novembre 1859, à Londres, les 1250 exemplaires du premier tirage du livre de Charles Darwin étaient vendus dans la journée. Il s'agissait d'un pas de géant dans l’histoire de l’Humanité, dans sa marche pour la connaissance scientifique, mais aussi pour son émancipation. Car il permet une compréhension scientifique – libérée des croyances et des idéologies – du mécanisme de transformation et de diversification adaptative des espèces dans leur milieu. C’est ce qu’on désigne aujourd’hui comme la théorie darwinienne de l’évolution. Cette découverte, enrichie des apports ultérieurs de la génétique, constitue le seul socle scientifique d’explication de l’évolution des organismes vivants. Cet événement est célébré aujourd'hui dans le monde entier. «L'année Darwin» qui a été organisée en France a été marquée par un grand nombre de publications, de manifestations, de conférences, d’expositions, dont il faut se féliciter et qui soulignent toute l’importance et la modernité de l’œuvre. Cependant, il y a lieu aussi de s’inquiéter de l’offensive radicale et massive du mouvement créationniste qui avance aujourd'hui sous sa forme contemporaine du «Dessein Intelligent» (Intelligent Design : ID). Un ouvrage très synthétique et très documenté a été publié sur ce sujet en 2008 aux éditions Syllepse, sous le titre «Les créationnismes : une menace pour la société française ». Cyrille Baudouin et Olivier Brosseau décrivent d’abord les différentes branches du mouvement créationniste qu’il est utile d’identifier : littéralistes ; partisans de «l’inerrance» de la bible ; promoteurs des «sciences» de la Création cherchant des preuves matérielles des événements racontés par la Bible ; etc… Mais l'essentiel de l'ouvrage est consacré au «dessein intelligent» et à la stratégie globale mise en œuvre par ses partisans depuis une quinzaine d’années. On aurait bien tort de prendre à la légère ce mouvement. Ou bien de le considérer comme une spécificité – un peu folklorique – des Etats-Unis, où fleurissent comme on le sait des musées de la création faisant cohabiter sur le pont de l'arche de Noé des T-Rex et des hommes. Du reste, on peut déjà considérer avec gravité le fait que ces formes les plus grossières du créationnisme prospèrent à ce point au cœur même de la première puissance économique du monde, disposant de relais institutionnels, financiers et médiatiques très puissants, jusque dans l'entourage immédiat de la précédente présidence.

UN DESSEIN INTELLIGENT ?
L'idéologie du dessein intelligent se distingue habilement de ce créationnisme primitif et caricatural. Elle ne nie pas frontalement ni le temps géologique, ni le principe de l’évolution des espèces. Elle les admet même volontiers, mais l’évolution qu’elle retient n’est pas celle qui est définie dans la théorie darwinienne qui repose sur le hasard, la variation indéterminée des traits héréditaires, et la sélection naturelle par adaptation au milieu. Au nom d'une démarche prétendument expérimentale, accréditée par des « spécialistes » de la génétique ou de la paléontologie, les idéologues de l’I.D. se concentrent sur des exemples particuliers, comme certains systèmes biologiques considérés par eux comme trop complexes pour être le résultat de l'évolution. C’est la thèse de la « complexité irréductible », des flagelles cellulaires et système immunitaire par exemple. Leur but est d’insinuer le doute sur l’ensemble de la théorie darwinienne. Là se trouve l’argument central de l’I.D. : si un seul exemple de système biologique observé vient à échapper à la théorie darwinienne de l’évolution, alors c’est bien sûr l’ensemble de la théorie qui s’effondre. La brèche serait alors ouverte pour d’autres explications, impliquant une intervention,divine ou intelligente,dans la création et l’évolution de la vie. Cette thèse, absurde, repose sur tant d’approximations dans les exemples décrits, est évidemment rejetée par une immense majorité du monde scientifique. Aux Etats-Unis, les tentatives d’introduire l’idéologie du dessein intelligent dans les programmes de l’enseignement public comme une alternative à la théorie darwinienne se heurtent d’ailleurs – jusqu’à présent (procès de Dover en 2005) – à une résistance forte. Mais sur le terrain pseudo scientifique, des fondations et institutions privées pullulent et débordent aujourd’hui très largement les frontières des Etats-Unis.
Une stratégie politique mondiale
Car l’autre originalité de la démarche des obscurantistes contemporains de l'I.D. réside dans la stratégie politique qu’ils développent au travers de ces organismes prétendument universitaires. Ils cherchent notamment à créer des carrefours où se croiseraient, à égalité pour expliquer le monde et chercher un sens à la vie, des représentants de la science, des religions, des mouvements philosophiques et politiques. C’est ainsi une attaque frontale, niant les principes fondateurs de la méthode scientifique héritée des Lumières. Très implantée aux Etats-Unis, cette entreprise trouve partout dans le monde des relais financiers et institutionnels très influents. En Europe, des théologiens des trois religions monothéistes – juive, chrétienne et musulmane – la relaient ouvertement en trouvant dans l’I.D. un argument redoutable pour imposer la réintroduction des religions dans le domaine public. Sous l’impulsion de Benoît XVI, le Vatican s’implique de plus en plus dans les débats concernant la science. Des responsables politiques et des personnalités célèbres de la communauté scientifique y apportent leur caution. Au sein même des institutions de l'Union européenne, ses promoteurs ont déjà provoqué des incidents multiples, notamment sur la place de la thèse créationniste et de la théorie darwinienne de l'évolution à égalité dans l'enseignement. Des ministres européens en fonction ont pris position dans ce sens. Berlusconi a tenté un passage en force pour modifier les programmes scolaires. La liste que dresse l’ouvrage de Cyrille Baudouin et Olivier Brosseau des exemples révélant l'influence en Europe du dessein intelligent dans le monde est impressionnante. En France aussi, ce mouvement s’est implanté, avec notamment l’Université interdisciplinaire de Paris (UIP), principale officine de l’I.D. à la française, largement financée par la Fondation Templeton « pour le progrès de la Religion », et dont l’objet clairement affiché est de favoriser les convergences entre science et religion. Il existe bien d’autres structures comme le Cercle scientifique et historique (CESHE) ou et le Centre d’étude et de prospective sur la science (CEP). On découvrira dans l’essai «Les créationnismes : une menace pour la société française ? » un inventaire assez exhaustif du réseau créationniste dans notre pays. On aura la grande surprise de découvrir le nom de certaines personnalités connues, qui s’expriment régulièrement sur l’actualité de la science sur les grands médias nationaux. Ils publient des ouvrages très largement diffusés, cohabitant dans les organismes liés à l’I.D. aux côtés d’acteurs bien connus de mouvements religieux traditionalistes, intégristes et bien souvent liés à l’extrême droite. Mais au-delà de cette enquête très documentée sur une entreprise idéologique redoutablement structurée et déterminée, ce livre révèle aussi la grande fragilité des remparts qui existent dans notre pays, avec une école publique de plus en plus fragilisée, une recherche publique démantelée, et, de plus en plus ouvertement, la remise en cause de la loi de la séparation des Eglises et de l’Etat comme l’a montré le discours de Latran du président de la République Nicolas Sarkozy.

UNE IDEOLOGIE EN RENFORT DU CAPITALISME
A partir de la lecture de ce livre, qui invite à de passionnantes réflexions, un lien évident apparaît entre la diffusion actuelle de l’idéologie de l’Intelligent Design et la nature actuelle du capitalisme financier. Comme on le sait, ce dernier a modifié en quelques décennies la totalité des rapports humains, imposant ses normes productivistes et mercantiles jusque dans les relations les plus intimes de l’homme au monde. Cette sorte d’hyper-matérialisme mercantile, dont le caractère parfaitement amoral est apparu à l’occasion de la crise mondiale du système, a besoin d’une idéologie renouvelée pour se justifier et se maintenir. Il faut observer pour s’en convaincre l’agitation des derniers G8 prétendant « moraliser » le capitalisme. Dans ce cadre, les fondements matérialistes de la théorie darwinienne de l’évolution apparaissent comme un obstacle, puisqu’ils contribuent depuis 150 ans à désacraliser l’homme et son évolution. Voici ce qu’on peut lire dans le «Wedge Document », publié par la puissante institution créationniste américaine Discovery Institute : « Discréditant les conceptions traditionnelles de Dieu comme de l'Homme, des penseurs comme Charles Darwin, Karl Marx et Sigmund Freud ont dépeint les humains non comme des êtres moraux et spirituels, mais comme des animaux ou des machines évoluant dans un univers régi par des influences purement impersonnelles, dont le comportement et même les pensées sont dictés par les forces inébranlables de la biologie, de la chimie et de l'environnement. Cette conception matérialiste de la réalité a fini par contaminer quasiment tous les domaines de notre culture – de la politique et de l'économie à la littérature et à l'art. » L’Intelligent Design propose donc une « théorie » globalisante, indispensable au maintien du modèle de société capitaliste, qui promet de « renverser la vision matérialiste du monde et de la remplacer par une science conforme aux convictions chrétiennes et théistes ». Si le Parti de Gauche n'a pas vocation à se mêler du contenu de la recherche scientifique, il est en revanche directement impliqué lorsque sont remises en causes les conditions politiques et matérielles qui garantissent l'indépendance de l’école et de la recherche scientifique. C'est exactement ce qui est en train de s'accomplir avec l'offensive actuelle des créationnistes de l’Intelligent Design. S’attaquant aux fondements même de la science, cette entreprise n’a rien de scientifique et il serait irresponsable de laisser la communauté scientifique se défendre seule. L’Intelligent Design est une entreprise clairement politique qu’il s’agit de combattre politique.»

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