J’ai fini par me lever et m’en aller. C’était sur un plateau d’une télé, ce soir 17 novembre, Porte de Versailles. Une télé qui a pourtant la côte dans mon esprit et au Parti de Gauche. Et en face d’un journaliste qui n’est pas plus à droite que la moyenne. Juste désinvolte. Arrive le moment où c’est trop. Je vous raconte ça. Et je donne mon avis sur le discours de Fillon à propos de la réforme des collectivités locales. Parce que c’est sur ce sujet que j’étais invité. Et le sujet m’intéresse. Fillon a fait au somnifère ce que Sarkozy aurait fait au Karcher.
J’EN AI JUSTE ASSEZ !
Donc le problème, ce n’était pas la chaine de télé. «Public Sénat» est une très bonne chaine. Son succès a prouvé qu’il y avait une audience pour la politique à l’état pur. J’ai défendu cette chaine à sa création et depuis lors, lorsque j’étais sénateur. Puis comme membre du bureau du Sénat qui exerçait le contrôle annuel de la chaine. De plus, «Public Sénat» a été présent à toutes les étapes essentielles de notre vie de Parti depuis sa fondation. Donc pas de contentieux, au contraire. Pas de contentieux non plus avec Michel Grossiord que les hasards de l’existence me font connaitre depuis ses débuts professionnels puisque nous venons du même coin du Jura. Il est plutôt de centre droit, ca s’entend et ça se voit mais pas de façon envahissante. Alors quoi ? Je le raconte pour que chacun apprenne au passage comment s’organise une présence médiatique. Et ce qui peut faire déborder le vase.
ENTRAINEMENT ET DEPLACEMENTS
L’émission avait pour thème central le congrès des maires de France. Sur place. Ce détail n’était pas prévu. Il faut y aller. Porte de Versailles. Vous connaissez ? Finalement en, métro c’est moins long qu’il y parait. Juste trois quart d’heures depuis notre point de départ. Puis franchir la fouille, palpation et poêle à frire tuut ! tuuut ! tuuut !, ainsi de suite à l’entrée. Cool ! « Ah ! Mais ça on n’y est pour rien ! » dit le congrès des maires de France ! «Et nous encore moins dit la télé». Evidemment. Personne n’y est pour rien. Ensuite on doit écouter le premier ministre qui prononce son discours. Pas de lieu pour le faire crayon à la main. Pourtant c’est six pages de texte serré, hyper technique. On lit le texte du discours qu’on découvre et en même temps on écoute. Exercice indispensable si on veut réagir de façon informée, par respect pour ceux qui écouteront l’émission. D’ailleurs le décalage entre le document écrit et le discours effectivement prononcé est toujours très instructif. Au cas particulier ce travail d’attention me permet d’ailleurs de capter une nouveauté qui n’est pas sans conséquence. Je m’aperçois que le texte écrit annonce un énième comité pour une «Charte des services publics en milieux rural», comme Jean-Pierre Raffarin en avait déjà créé un en 2003, mais que le Premier Ministre a rajouté à l’oral une nouveauté de taille. Il affirme que ses conclusions seront opposables aux décisions des administrations ! Bigre ! Il va falloir le prendre au mot si par hasard il reste quelque chose à fermer de par chez vous ! Pendant que se fait cette écoute je résiste vaillamment à la demande d’aller me faire maquiller car «sinon tout le monde sera là en même temps, et on ne va pas y arriver». Il faut dire qu’on est venu là à deux.
TRAVAIL EN EQUIPE
Car mon assistant, Laurent Maffeïs, qui est expert sur le sujet concerné, me donne le coup de main pour le décryptage du discours. Avec lui nous avons potassé les fiches sur la question de la nouvelle fiscalité locale, de la nouvelle loi d’organisation des collectivités locales, des précédentes réformes. Aucun amateurisme dans ce travail n’est possible. On bosse. Beaucoup. Préparer les fiches, les discuter et apprendre les arguments et prévoir les contre arguments. L’émission commence à dix huit heures. Le discours devait commencer à dix sept heures. On est parti à seize heure pour être sûr de ne pas rater le début. On a préparé les fiches, fait leur lecture, on est venu à deux. C’est ça une préparation. Des heures de travail. L’émission commence dans l’à peu près : le ministre est nommé «secrétaire d’état», je suis présenté comme «président du PG», comme si je n’avais rien à voir avec un mandat électif et donc avec le sujet qui occupe l’émission. Passons. Ca doit être l’émotion. Mais, si je me trompe sur un seul chiffre ou nom que dira-t-on. Mais si le présentateur n’arrive pas lire le prompteur correctement, bof, on ne va pas en faire un plat ! Sur place j’aurais la parole une fois, une seule, sur le sujet. Tout mon travail pour une minute de parole évidemment interrompue. Gérard Collomb trois fois, deux fois la sénatrice du Modem, le ministre cinq fois. Puis il est annoncé qu’on va passer à «la situation au PS» et Michel Grossiord me donne la parole d’un air gourmand. Ah c’était donc ça ! Il m’a invité pour faire la cogne contre le PS ! Avec Collomb à côté de moi pour que ça saigne bien ! Evidemment rien de tout cela ne nous avait été annoncé avant ! Alors, c’est sans moi ! Il y a une limite. Tout ce temps, tout ce travail, cet après midi foutu en l’air, tout ça juste pour qu’un animateur de télé organise un petit pugilat entre gens de gauche, sans contenu ! salut ! J’ai dit que le sujet ne m’intéressait pas et je suis parti.
LA CONFUSION
Ce n’est pas ce genre d’émission qui aidera à comprendre la situation. Et notamment le décryptage du discours du premier ministre. La matière est évidemment hyper technique. C’est déjà un rude obstacle. Mais en plus le sujet a été découpé en morceaux. Il sera débattu en six textes de lois différents. Je les énumère pour que mon lecteur se rende compte de la complexité du thème. Et se souvienne, au passage, de l’obligation pour un porte parole d’y travailler avec sérieux. Voici la liste des six textes qui redessinent le paysage de l’organisation du territoire en France. D’abord un projet de loi sur les structures et institutions locales. Il a été présenté en conseil des ministres le 21 octobre. Il prévoit la création des conseillers territoriaux communs aux départements et régions, la création de métropoles à partir de 450 000 habitants, un nouveau mode de fusions des communes, des régions et des départements. Bonjour la simplification des échelons de compétence ! Bonjour la simplification de la carte administrative au grès des fusions de collectivités ! Deuxième texte, le projet de loi sur les compétences de ces structures. Il reste à venir. Pour l’instant on débat d’après des rumeurs et des revendications… Il s’agirait pour l’essentiel de clarifier les domaines de compétences, principalement garce au retrait de la clause générale de compétence à la région et au département. Personne n’y croit. Troisième texte, le projet de loi sur les modes de scrutin. Lui aussi à venir. Mais on connait l’idée. Il s’agit d’élire 80 % des conseillers territoriaux au scrutin uninominal à un tour et 20 % des élus à la proportionnelle. J’en ai déjà parlé précédemment sur ce blog. Ce texte prévoira aussi l’élection au suffrage universel des élus communautaires dès 2014, et l’abaissement, de 3 500 à 500 habitants, du seuil pour le scrutin de liste aux municipales. C’est un gros os dur. Le scrutin à un tour c’est le mode anglo saxon. Celui qui arrive en tête a le siège. Une seule fois proposé dans un projet en France. Dans un texte jamais appliqué, le projet constitutionnel du maréchal Pétain…Quatrième texte, le projet de loi sur la mise en œuvre de tout ça et les dispositions transitoires. Il est à venir lui aussi.Mais ce n’est pas de la petite bière. Jugez plutôt. Par exemple, les mandats des conseillers régionaux et généraux élus en 2010 seront raccourcis de 2 ans. Puis les sièges devront être renouvelés en 2014 sous forme de «conseillers territoriaux» élus comme je l’ai dit. Cinquième texte, le projet de loi sur le Grand Paris qui a été présenté en conseil des ministres le 7 octobre. Il prévoit, notamment, la création d’un établissement public « société du Grand Paris » chargé de piloter la création d’un métro automatique entre les grands pôles économiques autour de Paris, à la place du STIF, pour plus de 20 milliards d’euros. Sixième et dernier, à ma connaissance, c’est évidemment le projet de loi de finances pour 2010, actuellement en discussion, qui comporte la suppression de la taxe professionnelle et les modalités de compensation. Sur quoi le premier ministre allait-il mettre l’accent ? De quoi allait-il traiter prioritairement ? Et s’il choisissait ceci plutôt que cela, quel en serait le sens ? Voila l’enjeu de la réaction à fournir sur place, en direct, dès la fin du discours. Cool, non ?
A PROPOS DE L’IMPOT LOCAL
Il faut dire un mot – je jure de ne pas réciter ma fiche qui fait sept pages – sur la suppression de la Taxe professionnelle (TP) et l’arrivée de la nouvelle «cotisation économique territoriale».La suppression de la taxe professionnelle représentera en 2010 un cadeau de 12 milliards d’euros pour les entreprises. A partir de 2011, quand la « cotisation économique territoriale », qui remplacera partiellement la Taxe professionnelle (TP), sera mise en place, le gain net pour les entreprises est estimé à environ 6 milliards d’euros par an. Quant à la «cotisation économique territoriale», c’est un mécanisme ultra complexe. Je ne le maîtrise pas. Il est vrai que le détail des explications dans l’amendement de l’Assemblée nationale fait 60 pages. Elle comprendra une taxe sur le foncier professionnel, une taxe sur le chiffre d’affaires des artisans, commerçants et professions libérales et une taxe sur la valeur ajoutée. Mais le barème et les dégrèvements prévus feront que seulement 10 % des entreprises devraient acquitter la taxe sur la valeur ajoutée…. Comme cette merveille prend la place de la taxe professionnelle, il est temps de dire que la taxe professionnelle représente aujourd’hui en moyenne 50 % des ressources des collectivités locales. En moyenne ! L’Etat s’est engagé à compenser intégralement pour 2010 ce que la réforme ferait perdre aux budgets locaux. Mais à partir de 2011, la compensation est beaucoup plus floue, puisqu’elle dépendra du niveau perçu de la nouvelle cotisation économique territoriale et de puissants dosages d’alchimistes de la fiscalité locale ! Il va de soit que c’est un cadeau aux entreprises. Et comme d’habitude, sans contrepartie. Un cadeau d’autant plus aberrant qu’il concernera aussi bien les petites entreprises que les très grands groupes bénéficiaires : Total (avec ses 13,9 milliards de profits 2008), Arcelor Mittal, Renault ou Peugeot. Ceux là économiseront ainsi des dizaines de millions d’euros. Pour rien. Car cette réforme, censée protéger l’emploi industriel en France, n’est accompagnée d’aucune garantie pour empêcher la poursuite des délocalisations par ces grands groupes ! Ils pourront donc continuer. L’idée que l’allégement des impôts va améliorer la position des entreprises et bloquer leur délocalisation n’est pas nouvelle ! Mais elle ne fonctionne pas. C’est de l’idéologie libérale pur jus. La preuve. La part de la taxe professionnelle fondée sur les salaires a été des milliers de fois critiquée. On a fini par la supprimer, par tranche, à partir de 1999, sous le gouvernement de Lionel Jospin. Son extinction définitive a eu lieu en 2003. Cela a déjà représenté un cadeau de 9 milliards par an pour les entreprises. Sans aucun résultat tangible puisqu’au contraire l’emploi industriel a reculé depuis cette date et non depuis quinze ans comme le disent et le répètent les perroquets de la droite à la suite des saillies de Nicolas Sarkozy sur ce thème.
PROPAGANDE
Pour justifier la suppression de la taxe professionnelle, Sarkozy n’a en effet reculé devant aucune énormité. Comme d’habitude. Dans son dans son discours du 20 octobre, il a affirmé avec cet air important qui n’appartient qu’à lui quand il pense avoir mis la main sur l’argument qui tue. Il a affirmé que la TP est « responsable du recul de l’emploi industriel en France » ! Puis il s’est écrié la main sur le cœur: «500.000 emplois industriels détruits en France depuis quinze ans voilà le beau bilan de la taxe professionnelle !». Problème : la taxe professionnelle existe depuis 1975 alors que le recul de l’emploi industriel en France n’a commencé qu’en 2001. Car c’est à cette date, sous le gouvernement Jospin, et non pas «il y a quinze ans» comme le prétend Sarkozy qu’a été atteint le pic de l’emploi industriel ! C’est depuis la gestion de droite que la France a très exactement perdu 575 000 emplois industriels ! Et la tendance s’est encore accélérée depuis l’élection de Sarkozy en 2007 : en 2 ans l’emploi industriel a reculé de 200 000 unités ! Le recul de l’emploi industriel c’est donc surtout le bilan de la droite au pouvoir, et pas celui de la taxe professionnelle ! Je n’ai pas eu le temps d’expliquer ça. Il y avait plus urgent ! Il y avait à « débattre de l’état du PS». Foutaise ! Et le mot de la fin à propos du discours de Fillon ? Il a fait au somnifère ce que Sarkozy aurait fait au karcher !