D ans cette note il est question du Jura et de la Creuse. Chemin faisant je dis les choses comme elles viennent dans la foulée du quotidien. A propos de retraites, de l’union de l’autre gauche et des autres sujets qui nous préoccupent.
JOUR DE DEUIL
Ce jour mardi, c’est jour de deuil pour moi. Me voici dans le Jura, à l’enterrement d’un très proche que j’aimais beaucoup et ma parentèle davantage encore. Du cimetière du village on domine la plaine et la ville de Lons le Saulnier. Le paysage invite au silence. Que de merveilles si facilement disponibles la hâte nous fait ignorer ! On chante le temps des cerises. Les pieds dans la neige, le symbole n’en est que plus fort. Ces coïncidences me parlent autant que de longs livres. Etrange halte dans cette campagne électorale. J’aurais dû être ce soir dans le Pas de Calais pour un meeting avec Alain Boquet, Marc Dolez et Laurence Sauvage. Jacques Généreux m’a remplacé. Je suis là dans ce quartier de Jura où j’ai vécu bien des bonheurs de jeune homme et où ma fille a commencé ses études en maternelle, sous l’œil navré du chien qui attendait son retour de classe. Celui qu’on enterre a fondé avec moi la section socialiste du village. J’allais chercher les camarades à la sortie de la messe le dimanche. C’étaient tous des personnages. Ils avaient commencé à travailler très jeunes et tous avaient été membres de l’action catholique ouvrière. Lui chantait «minuit chrétien» comme personne et on venait même d’ailleurs l’entendre ce soir là. Et moi comme les autres quand je me trouvais au village, à noël. Ca me fait penser qu’aucun d’entre eux n’aurait eu idée de mettre en avant ses sentiments religieux dans un débat public. Concilier dans la vie quotidienne la foi, la politique et tout ce qui fait une existence simple de tous les jours ne devient une gageure qu’avec l’ostentation et les fanatiques qui prétendent imposer aux autres leurs «différences». Les cathos du village se chargèrent de faire taire leur bouche aux ennemis de l’école publique du village. Mais allez ! Ce n’est pas le sujet du jour. J’ai fait la route du retour avec Hélène Franco.
A LA FRONTIERE DU RAS LE BOL
C’est elle la première de liste du Front de gauche dans le Jura. Nous avons en effet renoncé à la tête de liste régionale, pourtant convenue dans la discussion nationale avec les dirigeants communistes. En effet, sur place il était impossible de mettre d’accord communistes et NPA alors que c’est un élémentaire bon sens. Il était évident que c’était les communistes qui bloquaient. Pourtant on était si proches d’aboutir. C’est ainsi. Ici, il y a beaucoup de violences dans les rapports humains de « l’autre gauche ». Par exemple le PCF de Haute Saône s’était publiquement opposé au Front de gauche pendant les élections européennes ! Dans ce parti où tout est possible en même temps, cela ne fit aucune vague. Mais on manqua d’une poignée de voix les cinq pour cent dans la grande circonscription. Cette fois ci aucun des nôtres n’a eu l’envie d’être sur cette liste là en Haute Saône. On fait campagne mais on ne figure pas. Il faut dire que l’ambiance est à pleurer. Nos amis ne sont pas des durs de durs de la politique. Pour beaucoup c’est leur premier engagement. Ils n’ont ni l’habitude ni le goût des bras de fer avec les partenaires. Là, c’est vrai, c’est une caricature. Le même communiste qui injuriait le Front de Gauche, une fois qu’il a eu fait le vide autour de lui non seulement de nous mais de toutes les sortes de communistes qui ne lui plaisent pas, affiche à présent à tous propos les couleurs du Front de gauche et cache sa faucille et son marteau au fond du sac. Comprenne qui pourra. Cependant il faut comprendre que puisse arriver le moment où les camarades préfèrent laisser tomber plutôt que de s’épuiser plus avant dans d’interminables discussions avec de tels bizarres. Cependant je n’oublierai pas comment les choses se sont ensuite enchainées. Mes amis s’étaient engagés jusqu’au point de rompre avec le PCF régional pour avoir l’accord du NPA car ils pensaient que ce dernier le voulait sincèrement. De nombreux communistes approuvaient cette décision. Soudain, le comprenant, le NPA se retourna et exigea la tête de liste pour lui. Idéologique, non ? Ca se comprend. Il s’agissait juste d’une manœuvre pour que le front de gauche se divise. Hélène, que tout cela saoule autant que moi, et les amis du coin, consternés de découvrir tant de choses si peu dignes de l’idée qu’ils se faisaient de l’action politique lâchèrent le tout. On en restera au Front de gauche, cela va de soi. La tête de liste est donc communiste. C’est eux qui avaient raison semble-t-il à propos du NPA. Nous, nous militons tranquillement à notre place. Le NPA fait sa campagne de son côté. Tout est dans l’ordre dont rêvent ceux qui n’ont d’ambition que pour eux mêmes. Le Front de gauche fera cependant un score. Ce sera le meilleur point d’appui pour faire bouger les sectarismes tous azimuts, le moment venu.
LE GRAND RECUL
Je reviens à mon cimetière. C’est ici le village de Rouget de Lisle. Et du capitaine Lacuzon, «le médecin des pauvres», héros de la résistance à l’annexion française. Les troupes royales, composées pour l’essentiel de suédois massacrèrent la moitié de la population pour en venir à bout. Trois siècles plus tard, la fureur est éteinte, heureusement. Ne reste de ce temps et de la suite que ce que l’on s’est donné la peine de créer pour les autres. Et ainsi des êtres comme des périodes. Comme de tout un chacun, il reste de celui-ci que j’accompagnais en terre ce qu’il a donné aux autres. Et dans son cas c’était vraiment beaucoup. La méditation que son trépas m’a imposée m’a envahi si fort ! J’en ai perdu jusqu’au sens de l’à propos ! Et me voila, le matin avant le départ, disant comme une évidence au détour d’une question sur ITV à propos de l’horizon 2050 où parait-il nos retraites seront impayées : « en 2050, nous serons tous morts » à Laurent Bazin ! Le journaliste avec qui je parlais dans cette émission a eu l’amabilité de sourire plutôt que de me brocarder. En effet, dans quarante ans la chance qu’il soit là est bien grande – je le lui souhaite- tandis que la mienne l’est moins. Je voulais seulement dire qu’une prévision économique à quarante ans n’a aucune valeur rationnelle. Comment imaginons-nous le futur et la société, en 1970, dans le monde de Yalta que dirigeaient Nixon, Mao et Brejnev ? Quel rapport avec celui que nous vivons ? J’ai d’ailleurs dit que je ne voyais pas pourquoi j’aurais confiance dans les prévisions de gens qui n’ont pas été capables de prévoir il y a un an une crise dont ils ont tous dit six mois après qu’elle était évidente ! Comment croire de tels charlatans ! Je m’arrête cependant un instant sur ma bévue. Stupéfiante illustration de notre tendance à croire que le monde est notre contemporain alors qu’il est seulement notre viatique. La simultanéité du vivant est une illusion quand il faudrait voir une conjonction accidentelle des temps particuliers. Hum ! Où suis-je envolé ? Je reviens où je me promettais d’aller en commençant. L’absent qui repose désormais avait été un syndicaliste ardent. J’ai connu pour les avoir vues ou entendues raconter ses luttes. Je me disais juste : comme il est terrible de constater que nous en sommes rendus à détricoter les conquêtes sociales que sa génération a eu tant de mal à mettre en place. La retraite à soixante ans !
CENT ANS APRES !
Combien de raisonnements je lui ai entendu tenir avant 1981 pour expliquer la nécessité de cette disposition. Il pensait surtout comme beaucoup à l’époque non seulement à la santé des gens mais aussi à l’emploi qui était occupé « à la place d’un jeune ». Les raisonnements restent valides. Il reste juste de dire que ce qui serait peut-être économisé en maintenant les gens au travail sera perdu sûrement du côté de la maladie. Je dis cela pour ceux qui aiment se limiter aux raisonnements purement comptables. Pour ma part je crois qu’on a le droit de s’arrêter de travailler, un point c’est tout. Et de ne rien faire, aussi. Pour l’immédiat on n’en est pas là. Nos anciens se font voler leurs luttes. Mais j’étends le constat à d’autres générations de lutte. Les retraites ont cent ans. La première loi sur les retraites ouvrière et paysanne date de 1910. Jaurès les adopte dans leur imperfection de l’époque en annonçant ce qu’elles seraient dans l’avenir pour le socialisme. Et maintenant, nous voici témoins d’une tentative de les ramener au point où elles étaient il y a un siècle. Le grand recul ! Et les socialistes, genre Hollande, en sont d’accord ! Baarh ! La honte !
BILLARD CONTRE DARCOS
Je publie ici pour le cas (à peu près certain) où vous auriez manqué à la télé, sur France 3, la séance publique des questions posées au gouvernement ! Martine Billard interpellait Xavier Darcos à propos des retraites. Sa réponse donne une idée assez précise des limites de l’argumentaire de la droite sur le sujet. Evidemment vous allez voir que si beaucoup de mes contradicteurs se moquent bien de ce que je leur dis à propos de la débandade de la social démocratie européenne la droite elle ne perd pas l’affaire de vue.
L’occasion de cet échange est bonne pour rappeler un fait très souvent méconnu et largement utilisé comme argument massue par nos adversaires. N'oubliez pas que dorénavant, un patron ne peut plus mettre d'office à la retraite avant 70 ans. Donc un salarié qui le souhaite peut continuer de travailler après 65 ans sans que le patron puisse s'y opposer. S'il veut se débarrasser du salarié, il est obligé de le licencier. Ce n’est pas tout ! De plus, une fois à la retraite, un salarié peut continuer à travailler, y compris dans la même entreprise. Donc face à tous ceux qui dans le débat brandissent la liberté de prendre sa retraite plus tard, la loi le permet maintenant. Précisons que ce n’est pas une bonne nouvelle car cela entraine une pression à la baisse du niveau de ces retraites car chacun se voit objecter qu’il peut améliorer son revenu en restant au travail plus longtemps.
POURQUOI N'ETES PAS GRECS?
"Mme Martine Billard. Près de six Français sur dix se prononcent contre le recul de l'âge de départ à la retraite au-delà de soixante ans, et plus d'un sur deux est opposé à l'allongement de la durée de cotisation. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP.) La réforme des retraites de 2003 a provoqué une baisse des pensions avec le calcul sur les vingt-cinq meilleures années et l'indexation sur les prix et non plus sur les salaires.
Vous voulez repousser l'âge de départ en retraite et allonger la durée de cotisation. Toutes ces mesures provoqueront inexorablement une nouvelle baisse des retraites malgré vos dénégations. Or celles et ceux qui, aujourd'hui, peuvent partir à soixante ans sont justement celles et ceux qui ont commencé à travailler très jeunes. Les obliger à travailler plus longtemps serait donc injuste, d'autant plus que, comme le MEDEF, vous refusez de reconnaître l'existence de métiers pénibles, renvoyant chaque salarié à son état de santé individuel.
Cette proposition relève de plus d'une grande hypocrisie : six salariés sur dix sont hors emploi au moment où ils liquident leur retraite et les mesures homéopathiques pour l'emploi des seniors prises par les gouvernements depuis 2002 n'y ont rien changé. Le patronat continue à se débarrasser avant l'âge de la retraite des salariés âgés qu'il ne considère plus assez rentables.
Vous justifiez ce report par comparaison avec l'âge de départ en retraite dans les autres pays de l'Union européenne. Vous oubliez simplement de préciser que la France n'a pas les mêmes problèmes démographiques. La question se pose donc dans des termes différents. La solution au financement des retraites existe. Il est normal que, dans une société où il y a plus de retraités, la part de la richesse nationale qui leur est consacrée augmente. Le tabou qui doit sauter est celui contre l'augmentation des cotisations patronales ainsi que la taxation des revenus du capital. Il est temps de rééquilibrer la part de la rémunération du travail dans la valeur ajoutée. Monsieur Wauquiez l'a indiqué ce matin comme piste possible.
Monsieur le Premier ministre, allez-vous procéder à ce rééquilibrage ? (Applaudissements sur de nombreux bancs des groupes GDR et SRC.)
M. le président. La parole est à M. Xavier Darcos, ministre du travail, des relations sociales, de la famille, de la solidarité et de la ville.
M. Xavier Darcos, ministre du travail, des relations sociales, de la famille, de la solidarité et de la ville.
Pourquoi n’y a-t-il qu’en France que la gauche n’accepte pas l’idée que le vieillissement de la population entraîne forcément une relecture de notre système de pensions et de retraites ? (Applaudissements sur de nombreux bancs des groupes UMP et NC. – Exclamations sur les bancs des groupes SRC et GDR.) Pourquoi, même dans des pays dirigés par des socialistes tels que l’Espagne, la Grande-Bretagne ou la Grèce – M. Papandréou est président de l’internationale socialiste – on accepte d’ouvrir ce débat sereinement, alors que, en France, vous ne proposez rien d’autre que d’augmenter les cotisations et de ne pas toucher à l’âge du départ légal à la retraite ? (Applaudissements sur les bancs des groupes UMP et NC.)
Cette vision n’est pas raisonnable, et elle est irresponsable à l’égard des générations futures. (« Très bien ! » sur les bancs des groupes UMP et NC. – Protestations sur les bancs des groupes SRC et GDR.) C’est une vision qui parle des acquis sociaux sans prendre en compte le premier d’entre eux : le devoir de ne pas faire porter à nos enfants et à nos petits-enfants le fardeau de notre irresponsabilité. (Vives exclamations sur les bancs des groupes SRC et GDR.) Par ailleurs, à propos de la question des seniors, permettez-moi de vous dire qu’elle a déjà été longuement abordée, y compris par les partenaires sociaux.
Comme vous le savez, les entreprises qui n’ont pas négocié un accord sur l’emploi des seniors au 31 décembre, sont frappées par une pénalité de 1 % de la masse salariale. Cela étant il ne faut pas que le travail des seniors soit un moyen de se détourner de ses obligations. Il n’est pas acceptable que des entreprises en bonne santé financière utilisent les facilités sociales et fiscales des plans de sauvegarde pour l’emploi normalement destinés aux entreprises en difficulté pour faire financer par le contribuable ou le cotisant social une partie des annuités de départ à la retraite de ces seniors.
Vous le voyez, nous sommes vigilants, mais nous devons une réforme aux générations futures. (Applaudissements sur de nombreux bancs des groupes UMP et NC. – Exclamations sur les bancs des groupes SRC et GDR.)
DE LA SOUTERAINNE
Jusqu'à présent, quand je vais en Creuse je dors à la Souterraine. A l’hôtel, pile en face de la gare. C’est un copain qui vit là et travaille dans l’audio visuel qui me ramène de Guéret le soir après la réunion et le casse croute qui suit. Un rite en quelque sorte ! Là c’était chaud pour moi car les rails ont bien failli être bloqués par la neige, à l’allée comme au retour. J’ai fait le trajet aller en train avec Patrice Bessac le secrétaire fédéral du Parti communiste à Paris, membre de la direction nationale de ce parti. Je le classe « identitaire moderne » dans la galaxie communiste, tout en étant conscient des limites de tous classements dans ce parti. Mais comme cet homme théorise beaucoup les questions stratégiques, ce qu’il dit a l’intérêt d’être éclairant. Une fois rendu chez les paysans, Bessac le citadin est aussi accro que moi aux questions soulevées et je me rends compte qu’il y connait aussi un peu quelque chose en affaire de bovins et ovins qui sont le sujet de notre débat. Ne ricanez pas. La relocalisation de l’agriculture c’est une question d’actualité là où on élève des bêtes qui montent dans des camions pour être engraissées en Italie et ramenées dans nos abattoirs ! Pour ne parler que de cela. Et la viande de moutons qui arrive de Nouvelle Zélande parce que c’est moins cher que du village d’à côté, c’est une face du libre échange qui percute bien sévèrement les certitudes et les habitudes. En fait la viande de Nouvelle Zélande est juste un sous-produit de la laine. Et les éleveurs néo zélandais qui se font à leur tour taper sur ce marché par moins cher qu’eux, ailleurs, compensent en vendant de la viande à vil prix. Et ainsi de suite. Tout bien pesé, autour de la table tout le monde convient que le libre échange c’est un problème davantage qu’une solution. Le soir venu on est reparti vers la ville et le meeting de Guéret. Routes et chemins couverts de neige ont été dissuasifs mais la rencontre est nombreuse.
UN CAS PUR
Cette fois ci le Parti de gauche de la Creuse a pour figure emblématique la tête de liste de l’élection régionale, Laurence Pache. Une jeune professeure de philosophie qui a été candidate des écologistes autrefois dans ces contrées. Nous sommes donc ici aussi une équipe qui se développe. D’ailleurs la coopérative agricole que j’ai visitée nous reçoit à l’instigation d’un camarade paysan, membre du bureau de la coopérative. Il vient de nous rejoindre après avoir quitté le PS. Ici il se passe beaucoup de choses. Drôle de région Limousin. Les nôtres sont regroupés sur la liste « limousin terre de gauche ». Un cas particulier auquel je veux m’identifier. En effet là aussi, comme en Languedoc Roussillon, c’est une alliance large qui réunit l’autre gauche. On y est tous, PCF, PG, NPA, Alternatifs, Décroissants, Fase. On vise un score à deux chiffres. Je crois que le cas est exemplaire. Pas de repoussoir du type Frèche pour souder tout le monde, pas de bisbilles locales. De la politique à l’état pur ! Et comme la tête de liste régionale est communiste, l’exemple vaut double. Ca prouve que c’est possible. Et comme les têtes de listes sont également réparties entre les trois formations principales de cette alliance, ça prouve aussi que c’est possible. J’aime beaucoup ce genre de démenti par les faits que les camarades limousins permettent d’opposer, certes après coups, aux flots de bonnes raisons qui m’ont été opposées dans tant d’endroits, ailleurs.