On tient le bon bout! Qu’ils s’en aillent tous!

C ette fois-ci on tient le bon bout ! La mobilisation pour la défense des retraites a fonctionné à plein. Peu importent les petites combines pour diminuer le nombre des manifestants dans les communiqués et les comptes de marchands de saucisses pour comparer la mobilisation de cette année avec celle de 2003 et tous ces petits trucs dérisoires d’agence de communication à deux balles. Le mouvement s’est enraciné. J’en parle. Puis de l’ambiance, en général, assez pourrie pour que le président du groupe UMP dénonce une ambiance « détestable de nuit du 4 aout ». Terrible aveu : la nuit de l’abolition des privilèges d’ancien régime est un souvenir « détestable » pour cet homme ! Oh,  quelle revienne cette sorte de nuit ! Et le plus tôt sera le mieux ! Puis je reviens sur le cas Strauss-Kahn à l’occasion d’un dossier publié dans le journal « L’express ». Il comporte un entretien croisé avec Pierre Moscovici et je le reproduis sur ce blog. Du G20? Rien. Beaucoup de kérozène pour rien. Le bal de l'arrivée et du départ des grands chefs est l'essentiel du spectacle. C'est à la fois consternant et c'est tellement prévisible. J'attends de lire le communiqué final pour en dire davantage. 

Un mot à propos de ce blog. Je veux signaler de nouveau la publication dorénavant hebdomadaire du « Petit courrier » de ce blog. Le numéro 3 est paru. On peut le recevoir en s’inscrivant (case en bas à droite). Mes amis pourront m’aider en transférant sur leurs contacts pour leur proposer à leur tour de s’inscrire. Je ne vous fais pas un dessin sur l’intérêt pour nous de disposer d’une surface de diffusion aussi large que possible autour de cet outil d’expression libre qu’est ce blog.

Je me suis trouvé sur le bord de la manifestation à Paris de quatorze heures à dix neuf heures sans désemparer. J’observais, saluais, comptais, discutais. Il y avait environ deux ou trois cents membres du Parti de gauche au travail, à tour de rôle derrière une table ou bien diffusant le tract unitaire du Front de Gauche, ou bien animant la chorale du Parti ou que sais je encore. Si je commence par là plutôt que par n’importe quoi d’autre, c’est juste pour le coup de chapeau à une équipe, aux militants de la région parisienne. Des femmes, des hommes engagés de toutes les façons possibles, tous liés à leurs syndicats et au grand nombre dont ils sont, hier, tout à l’heure, et demain, au boulot, professeurs, informaticiens, retraités, électriciens, gaziers, flics (et oui !), infirmiers, médecins et ainsi de suite, formant un parti populaire sans obligés ni clientèles… Nous avons tenu l’essentiel de la place de la Bastille et de ses abords avec les communistes dans le Front de Gauche. Après la photo tous ensemble, on s’est tenus bras dessus bras dessous avec Pierre Laurent et les autres dirigeants communistes pour distribuer le tract unitaire. Mais ensuite comme il faisait une chaleur à crever sous le cagna, Marie-George et moi on est allés faire la distribution plus en contrebas, juste sous l’ombre de marronniers.

Je ne vous raconte pas le cortège. Vous l’avez vu. Vous y étiez. Jamais la CFDT n’a réuni autant de monde sur le pavé de Paris depuis au moins sept ou huit ans, c’est sur ! Quand à la CGT, que dire tant nous lui devons depuis toutes ces années de vaches maigres où elle a tenu le coup et ramassé ce qui tenait debout pour faire le choc ! Je le dis sans faire du prosélytisme pour la centrale. Je le dis juste en hommage à des militants hors pair qui méritent d’être salués. Comme ils étaient nombreux ! Nombreux ! Le cortège a duré deux heures et demi les amis ! A couper le souffle ! Mais c’est vrai que c’est dans ce cortège qu’il y avait le plus de gens pour venir nous toucher la main et dire des mots amicaux. J’ai été très impressionné par le nombre de gens de tous bords venant saluer Marie-George Buffet, la remercier pour ses années à la tête du PCF ou lui parler de l’état de l’équipe de foot et du sport. Et je vais vous dire que c’est un personnage cette femme là. Figurez vous qu’elle touchait les mains et s’inquiétait en même temps de la fluidité du cortège ! Du genre « allez camarades ! Il ne faut pas bloquer la manifestation ! Avancez ! Avancez ! »

A présent faisons le point. Nous tenons le bon bout. Il faut espérer qu’il nous laisse le ministre Woerth en poste. Car celui-ci est considérablement affaibli et cela sert notre combat. D’une part il n’est pas parvenu à convaincre que sa réforme est « juste » alors que c’était l’enjeu numéro un de sa communication. Ensuite tout le monde comprend à présent que cette réforme ne règle pas le problème d’équilibre du financement du régime des retraites. Enfin lui-même est si mal emmanché dans cette histoire de Bettencourt qu’il est personnellement affaibli. Compte tenu du soupçon qui pèse dorénavant sur lui (et sur lequel je n’exprime aucun avis n’étant ni juge ni policier), le voila fort peu audible pour parler d’efforts, de courage et tout ça. Contexte excellent. A présent que voyons-nous ? Toute la gauche, PS inclus, qui demande le retrait de la réforme. On peut dire que le rapport de force commence à s’inverser. Cet été les députés de nos groupes restent sur le pont pour le travail en commission. Puis à la rentrée de septembre, le débat à l’assemblée commence si nous ne parvenons pas à obtenir le report. Ce sera le dur de la lutte. Nous on disposera de forces en bon état après notre succès de ce 24 juin. On peut imaginer qu’il y aura unité syndicale totale à ce moment là, c’est jouable. On aura le rendez vous de la fête de l’Humanité pour faire un point d’appui politique. Courage ! Ça va aller mieux que prévu ! 

L’ambiance politique se dégrade bien vite. Les dernières gesticulations du président affaiblissent à vue d’œil l’autorité du pouvoir. Chaque heure une bêtise de plus. Le licenciement de Didier Porte, la mise à l’écart de Stéphane Guillon ! J’ai d’abord cru que ce n’était pas vrai tellement c’est énorme. C’est tellement bête que même les gens qui ne les aimaient pas se disent que c’est trop. Quand à ceux qui les appréciaient ils sont tout simplement écœurés.  Et après ca, ou avant, on finit par ne plus savoir, la réception du footballeur à la place des associations de défense des pauvres ! C’est tellement caricatural ! Et la provocation à la Courneuve ? Nul, bien sur. Pour avoir fait inculper et condamner des militants politiques sur des reprises aussi bénignes que « casse-toi, pauvre con ! » tiré de son propre vocabulaire, le président Sarkozy a vidé toute possibilité que des gens se manifestent pour dire qu’il n’est pas acceptable d’injurier pour de bon le chef de l’Etat. De toute façon ce n’est plus le sujet. Le pouvoir est un canard boiteux.

La deuxième mi-temps du quinquennat se présente comme une errance désordonnée. Ne reste que l’idée absurde d’agresser sans relâche les salariés pour faire la preuve de son pouvoir et refonder sa légitimité. Aujourd’hui c’était le tour des fonctionnaires de faire une fois de plus l’objet de la vindicte haineuse des amis des Bettencourt. Non seulement le point d’indice est bloqué, mais l’augmentation de la cotisation retraite va passer par là. Total, inflation plus cotisation moins cinq pour cent sur tous les salaires. Puis la bouche en cœur, dans le style « je me moque de vous parce que vous êtes des animaux stupides », ils défilent devant les micros pour dire, «non, nous ne baisserons pas les salaires des fonctionnaires». 

Cela ne produit rien d’autres pour l’instant qu’un mépris complet venu d’en bas pour tout ce qui vient d’en haut. Mais c’est le terreau propice pour une furieuse déflagration de dégout. « Qu’ils s’en aillent tous ! » C’est cela qui mûrit. Notez bien que je ne dis pas à qui cela ira dans les mains politiquement. Car le dégout frappe large. Très large. En fait il frappe tout le monde. Tout ce qui incarne une autorité fusse-t-elle symbolique. Les footballeurs à présent sont dans le même sac que les juges, journalistes, politiques, policiers, tous, tout le monde. Tout sent l’argent dont le commun est progressivement privé. A sa façon Copé le comprend quand il évoque le souvenir pour lui détestable de la nuit du 4 aout au cours de laquelle furent abolis les privilèges des nobles d’ancien régime.

Evidemment le pays souffre de toutes les façons possibles. Mais ce dégout nous sert. Il est juste de le dire ouvertement compte tenu du froid cynisme de nos adversaires. L’équipe au pouvoir s’est grisée en croyant à sa propre propagande. Elle n’a tenu aucun compte de ce que voulaient dire toutes les élections intermédiaires. Elle a cru que le passage en force permanent restant impuni, ce serait pour toujours et sur tous les sujets. Ces gens là ne croient qu’à la « com ». Ils ne pensent pas qu’il y ait un peuple réel composé de personnes qui s’efforcent de comprendre ce qui leur arrive et d’ajuster leur comportement à ce qui leur parait utile. Le peuple est une catégorie aussi absente de la pensée du pouvoir que l’est sa représentation sur l’écran de télé. C’est ce peuple là qui tourne et retourne en tâtonnant pour sentir une prise et trouver une issue à son encerclement par les emmerdements et la méfiance.

C’est le moment que choisissent quelques médias pour ramener la gauche à ses misères. Ainsi le phénomène Strauss-Kahn est-il en piste. Un rêve des puissants et des belles personnes. Ou bien pareil ou bien le même et sinon pire. Plus d’alternative. Le désert de l’histoire qui s’achèverait dans les rapports d’étape du FMI ou les comptes rendus du Fouquet’s ! Je donne à présent l’entretien réalisé par Marcello Wesfried pour le journal « l’Express » entre Pierre Moscovici et moi, à propos de l’identité politique de Dominique Strauss-Kahn. Je demande à ceux qui découvrent ce blog de faire un saut jusqu’à la note précédente pour comprendre l’enchainement de mes raisonnements qui se répondent et se complètent d’un entretien de presse à l’autre. Ils saisiront mieux aussi ce que j’avance à propos de la politique du FMI. Ils liront ce que je dis du compte rendu publiée par la mission d’enquête en France de cet organisme le 15 juin dernier.

Pour ou contre Strauss Kahn, titre « l’Express » ?

Marcelo Wesfreid : Jean-Luc Mélenchon, iriez-vous jusqu'à dire que Dominique Strauss-Kahn est de droite? 

Jean-Luc Mélenchon : « Il est membre du PS et il a été ministre du gouvernement de Lionel Jospin. Au nom de quoi pourrais-je lui contester son appartenance à la gauche? Mais à côté  de ce qu'il est, il y a ce qu'il fait comme directeur général du FMI. Et là, son bilan n'est pas de gauche. Il aggrave la traditionnelle politique de brutalité sociale et d'aide à la prédation financière  de ses prédécesseurs au FMI. Un homme de droite ne s'y prendrait pas autrement. »   

Pierre Moscovici : « Je suis en total désaccord. Je ne suis pas le porte-parole de Dominique Strauss-Kahn, mais je peux vous dire qu'il n'a pas changé depuis l'époque où je l'ai eu comme professeur d'économie : c'est un keynésien. En clair, il est pour l'économie de marché, mais il pense qu'il ne faut pas attendre du marché qu'il se régule tout seul. D'où la nécessité d'injecter des liquidités pour alimenter la croissance. Il a transformé le FMI en augmentant les ressources "prêtables" de 860 milliards de dollars, dont 17 sont consacrés au développement de l'Afrique. Il a proposé la création d'un "fonds vert" doté de 200 milliards de dollars d'ici à 2020. La Grèce va recevoir 30 milliards d'euros et des prêts à 3.5% d'intérêt, alors que les marchés les proposent à 18% et que la France et l'Allemagne prêtent à 5%. En plus, le FMI participe au fonds de stabilisation pour sauver l'euro à hauteur de 220 milliards d'euros. » 

JLM : « Dans tous les pays où le FMI est passé, de l'Estonie à la Roumaine en passant par la Hongrie ou la Grèce, l'intervention de cette institution s'est traduite par une diminution du nombre de fonctionnaires, des coupes dans les salaires, l'allongement de l'âge de départ à la retraite et l'augmentation des impôts indirects. Comme redistribution keynésienne, pardon, mais il y a mieux! » 

Marcelo Wesfreid : Dominique Strauss-Kahn est-il un social-démocrate ou un social-libéral ? 

JLM : « Il aimerait être un social-démocrate, mais c'est un social-libéral ».  

PM : « On a actuellement besoin de régulation, de relance intelligente et d'une réforme du système international. Trois principes sociaux-démocrates que partage Dominique Strauss-Kahn. »  

Marcelo Wesfreid : Quel regard portez-vous sur son bilan à la tête du ministère de l'Industrie (91-93) et du ministère de l'Economie et des finances (97-99)? 

JLM : « Son bilan c’est celui de Jospin. Je retiens de son passage à Bercy l’impôt extraordinaire sur les grandes sociétés, qui a permis de récolter 70 milliards de francs, réinjectés dans la consommation. Au final, les comptes sociaux étaient passés au vert. Et l'activité avait repris. En 2001, j'étais ministre des lycées professionnels. Les patrons se battaient pour  trouver de la main d'œuvre qualifiée et pourvoir des emplois. Cela a bien changé. » 

Marcelo Wesfreid : Pourquoi n'évoquez-vous pas les 35h?

JLM : « Parce que ce n'est pas son œuvre. Il était favorable en 1995 à la semaine de 37,5h. Je peux en témoigner : j'ai lutté dix ans avec l'aile gauche du PS, pour que soit adoptée la semaine de travail de 35h sans perte de salaires ! »

PM : « Jean-Luc Mélenchon a raison. Les 35h ne sont pas une idée de Dominique Strauss-Kahn. C'est une co-production dans laquelle des militants longtemps minoritaires ont joué un rôle déterminant. Je le reconnais : Michel Rocard, DSK, Laurent Fabius et moi-même étions pour une forme de compensation salariale partielle. Mais Dominique Strauss-Kahn a su faire preuve d'intelligence politique. Il n'est jamais interdit d'emprunter les idées aux autres quand elles sont justes. Ajoutons aussi qu'il a sorti 350 000 jeunes du chômage, grâce aux emplois jeunes. Il a mené une politique macro-économique très habile de relance de la consommation et de réduction de la dette public. Les Français n'ont pas oublié cette époque où une gauche réaliste menait de grandes réformes sociales. C'est ce qui explique la cote élevée de Strauss-Kahn dans les sondages. »  

Marcelo Wesfreid : Pierre Moscovici, peut-on sauver le capitalisme à Washington et le socialisme à Paris ?  

PM : « Le FMI n'est pas là pour sauver le capitalisme, mais pour aider les pays en crise à sortir de l'ornière. Et Dominique Strauss-Kahn ne sauvera pas le socialisme. En 2012, il faudra faire une politique de gauche très réaliste, poursuivant une ambition crédible. Un président de la République de gauche n'est pas là pour diriger une France socialiste, mais pour changer le cours des choses, avec ses partenaires. Si la gauche se pose en donneuse de leçons, comme elle l'a souvent fait dans son histoire, elle risque de se fracasser contre la réalité. »

JLM : « Je plaide, moi, pour une vraie rupture qui consisterait à reprendre le pouvoir à la finance. De gré, si possible. De force, si cela n'est pas possible, par le biais de la loi. Il faudra, entre autres,  constituer un pôle financier public. Dans cette période de nécessaire confrontation avec la finance mondiale, la question est de savoir qui aura suffisamment de cran pour entrer dans un rapport de force. Un responsable qui aura été, pendant cinq ans, l'organisateur en chef des politiques d'austérité dans tous les pays ne me semble pas le mieux placé pour faire exactement le contraire, au nom de la France. »

PM : « Cet argument est erroné. Celui qui connaît bien le système est le mieux à même de se faire entendre et de proposer des options différentes et crédibles. »  

Marcelo Wesfreid : Pierre Moscovici, comment réagissez-vous quand des leaders de gauche critiquent Dominique Strauss-Kahn?

PM : « Jean-Luc Mélenchon a dit un jour que les socialistes seraient "barjots" de choisir DSK. Ne disons rien qui puisse insulter l'avenir et compromettre le nécessaire rassemblement de 2012 autour d'une candidature probablement socialiste. S'il est le candidat du PS à la présidentielle, ce sera avec lui que vous devrez traiter. Et c'est avec vous, dans votre diversité, qu'il devrait discuter des conditions du rassemblement. »

JLM : « Je déteste ce terrorisme intellectuel qui veut interdire le moindre  débat parce que le PS aurait une collection de vaches sacrées que nous devrions faire semblant d’admirer le moment venu.  Strauss-Kahn est un candidat potentiel du PS. Or, le PS est le premier parti de l'opposition. Tout le monde à gauche doit pouvoir dire ce qu'il en pense. Nous préparons une élection pas un sacre ! » 

Marcelo Wesfreid : Des détracteurs de Dominique Strauss-Kahn raillent son train de vie et son salaire de directeur général du FMI. Pensez-vous que cette question puisse empêcher une éventuelle candidature? 

JLM : « Ce genre d'arguments me met mal à l'aise. On a connu de grands bourgeois de gauche et des prolétaires d'extrême-droite. Bien sûr, la condition sociale joue un grand rôle dans la perception de l'existence, mais on ne peut pas réduire un homme à cela. »

PM : « Je rejoins Jean-Luc Mélenchon dans le refus de la disqualification des personnes. Léon Blum était d'une famille aisée et a beaucoup fait pour la gauche. Ce qui compte, c'est la compétence et le parcours. » Propos recueillis par Marcelo Wesfreid

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