Le lendemain du succès

J’ écris en vitesse, retour de la manifestation à Paris. Elle a coulé sur deux parcours sans cesse de quatorze heures à dix huit heures. Les trois prochains jours je ne devrais pas approcher un clavier pour cause de nomadisme intense dans le pays. Je note à la volée donc, après avoir lu les commentaires précédents. Je vous signale notamment que la campagne pour un référendum sur les retraites est dorénavant bien engagée avec l'appel publié cette semaine par Politis. Sur le bord de la manifestation des centaines de gens sont venus me toucher la main et cela m’a beaucoup ému et encouragé. Je voyais bien toutes ces corporations en rangs serrés et les visages mi amusés dans le cortège mi concentrés. La manifestation était ardente. Et sur mon trottoir, au premier rang d’un des six points fixes parisiens du Parti de Gauche, j’analysais en même temps que je bavardais avec les uns et les autres et qu’on m’informait de choses et d’autres. Quoi par exemple ? Le vote des élus de notre Parti au conseil de Paris. On m’informe. Mais c’est chacun qui décide pour la responsabilité qu’il assume.

La bataille du gouvernement pour afficher une baisse de la mobilisation contre sa réforme des retraites nous rend service. C’est un tel mensonge et un tel camouflet pour ceux qui perdent des jours de paye ! Ca rend enragé ! Surtout quand l’Elysée ajoute que cela prouverait  « un progrès de l’adhésion des français à la réforme » ! Une provocation mise au point par un petit malin de communicant, sans doute. Elle nous sert magnifiquement. Les gens qui entendent ça découvrent un cynisme que souvent ils ne soupçonnaient pas. Du côté des directions syndicales tout le monde sait que le mouvement s’est enraciné dans le secteur privé. Et il reste un mois de circuit parlementaire pour la loi ! D’ici là, il s’agit d’agir et de tenir le front uni. Cela non seulement au sommet des organisations mais surtout à la base, là ou les avis divergent entre partisans d’une ligne de lutte dure et ceux qui ne se sentent pas prêts à cela où qui doutent que cela soit possible. De notre côté, notre part des taches consiste à faire du travail d’explication et de mobilisation là où les syndicats ne peuvent pas agir : dans les quartiers populaires, aux portes des petites boites, parmi les retraités et partout où on peut. Encore une fois tout est dans l’action effective et pas dans les poses, postures et spéculations.

Une histoire de Roms. Et plus précisément de roumains. On connait les rengaines sur les roms voleurs de poules. On entend moins parler des mauvais traitements que leur infligent en toute bonne conscience de bons français « de souche » comme disent les ethnicistes qui nous gouvernent. J’ai trouvé le récit de cette histoire dans le journal « Les dernières Nouvelles d’Alsace », un quotidien qui ne me donne jamais aucune place, mais qui est très intéressant et bien documenté tant qu’il n’est pas question de politique de gauche. Quarante quatre roumaines avaient été recrutées en mai 2009 dans leur pays pour cueillir des fraises à Geudertheim en Alsace. On leur promettait cinquante euros par semaine d’argent de poche, transport, nourriture et logement gratuit sur place. Une fois installées l’argent promis se réduit à six euros pour quinze jours. Le logement est un baraquement sans eau chaude ni chauffage et seulement deux WC pour soixante personnes. Les femmes ont interdiction d’en sortir. La nuit, les portes sont fermées à clef. Le plus incroyable est la plaidoirie du patron esclavagiste, un dénommé Rolf Maier. Il affirme que les femmes étaient autant d’entreprises privées allemandes à gérance roumaine. « Un maelstrom de droit européen » note le journal. Et Rolf Maier part dans un examen du résultat des « sociétés » du point de vue de leurs performances à la cueillette des fraises. Tel quel ! Le tribunal a frappé plus lourd que ne le demandait le réquisitoire. Le sieur Maier est condamné à un an de prison ferme et 13200 euros d’amende et sa société écope d’une amende de 56 400 euros. Plus 2000 euros à la CGT. Les mauvais traitements contre les travailleuses, l’exploitation sans limite ni vergogne du travail humain, la tentation de l’esprit esclavagiste connaissent dans ce cas un paroxysme spécialement visible. Mais ce que nous savons tous c’est qu’il s’agit d’une culture de notre temps, très répandue dans tous les milieux du travail même si les formes paraissent mois violentes. Je ne compte plus les cas de copains qui ont choisi le statut « d’auto entrepreneurs », devenant eux-mêmes des « sociétés » et dont le travail à la tache, même très intellectuel, n’est pas mieux protégé ni payé que le sont dans leur domaine ces cueilleuses de fraises roumaines. Mais leurs chaines, leur baraquement fermé à clef par le patron sont dans leur tête.   

Avant la manifestation, la nouvelle de la soirée précédente c’était la taxe sur les banques. Une façon de mettre en scène un gouvernement qui répond au souci des français face à la montée de l’inégalité fiscale. Les sondages venaient en effet de parler. Alors madame Lagarde annonce un prélèvement de cinq cent millions sur les banques collectés pour la caisse de l’Etat. Cette taxe frapperait les placements à risque. On attend avec intérêt la définition sur le sujet. Mais le plus frappant c’est évidemment l’argumentaire. On apprend que ce n’est pas une taxe pour produire du rendement mais pour responsabiliser les banques. On se demande ce que cela peut bien vouloir dire et par quel mécanisme une telle « responsabilisation » se fera. Ce qui est certain c’est que ce ne sera pas le montant de la taxe qui le fera. Jugez plutôt. Elle sera répartie sur vingt banques. Cela signifie une moyenne de vingt cinq millions par banques. Quelle pression représente cette somme dont on attend qu’elle produise une « responsabilisation » ? La seule banque « BNP Paribas » a fait cinq milliards de bénéfice en 2009 ! Le total du prélèvement prévu par madame Lagarde représente donc à peine dix pour cent des bénéfices de cette seule banque ! L’ensemble des cinq plus grandes banques françaises a réalisé onze milliards cette année là ! C’est un poil de taxe dans une tignasse de profits. Si bien que madame Lagarde se sent obligée de mettre bout à bout tout ce que les banques devront financer dans leur propre intérêt pour pouvoir annoncer fièrement un milliard de nouvelles dépenses  à leur charge. Puis elle répond piteusement à la question qui tue : le nouveau prélèvement pourra-t-il être retiré de l’impôt sur les sociétés que payent les banques ? Oui, dit la dame puisque  ce sont des charges ! Vous avez bien lu. Voici donc un impôt dont on retire le montant de la somme imposable. Demandons la même faveur pour les particuliers ! N’est ce pas un cynisme incroyable ?

Je m’en veux d’avoir été trop succinct dans ma précédente note à propos du vote au Parlement Européen sur une proposition de la Commission Barroso-Reeding pour expulser les pakistanais comme de vulgaires Roms. Ca s’appelle un « accord de réadmission ». Les accords de réadmission s’inscrivent dans la vaste stratégie de l’Union européenne en matière de lutte contre l’immigration clandestine. C’est la politique que l’on a appelé politique de « l’Europe forteresse », dure avec les gens, douce avec l’argent et les marchandises. Il s'agit ici de conventions entre deux Etats ou groupes d'Etats pour contraindre l'un d'entre eux à recevoir des immigrés clandestins qui sont ses ressortissants ou qui séjournaient sur son sol avant d'entrer clandestinement sur le territoire de l'autre. Avec cette sorte d’accord, l’Allemagne a transformé quelques zones des balkans en dépotoirs à immigrés clandestins. Car ces accords sont systématiquement inclus comme contrepartie au versement de l'aide au développement que verse l'Union Européenne. Qui paye refoule à l’œil ! Madame Reeding aurait pu en parler aux allemands au titre de ses vocalises et rapprochements historiques injurieux. Car, en plus d’être cyniques et brutaux ces accords de « réadmission » sont contraires à la Déclaration Universelle des Droits de l'Homme qui stipule clairement en son article 13: "Toute personne a le droit de circuler librement et de choisir sa résidence à l'intérieur d'un Etat. Toute personne a le droit de quitter tout pays, y compris le sien, et de revenir dans son pays."

Certes ces accords sont soumis au respect de la convention de Genève de 1951. Mais le Pakistan n'en est pas signataire. Ils sont soumis au protocole de 1967 sur le statut des réfugiés. Mais le Pakistan n'en est pas signataire. Et aux traités internationaux relatifs à l'extradition, au transit, à la réadmission des ressortissants étrangers. Et le Pakistan n'est précisément pas signataire de ces conventions non plus! Un record d’hypocrisie donc. Car le Pakistan est signataire d'un nombre très réduit de conventions internationales relatives aux droits de l’Homme. Il n'a, par exemple, pas signé la Convention sur les réfugiés de 1951, ni à la Convention relative au droit des apatrides de 1954. Le Parlement européen lui-même a déjà dénoncé à plusieurs reprises, la situation locale. A présent le pays doit faire face à une catastrophe humanitaire sans précédent depuis les inondations d'Août dernier : 1500 morts. 4 millions de déplacés ! Les attentats sont fréquents. Faut-il rappeler que le double attentat d’avril dans un camp de déplacés au Pakistan a fait 40 morts et une soixantaine de blessés ? A cette ambiance s’ajoute les persécutions des minorités religieuses et des homosexuels, les discriminations et violences faits aux femmes, la détention d'enfants possibles dès l’âge de sept ans, alors même que le Pakistan a signé et ratifié la Convention internationale des droits de l’enfant de 1989. Rien de tout cela n’a empêché la Commission où siège madame Reeding de le proposer ni le Parlement Européen « bla ! bla ! Droits de l’Homme en Chine et en Russie » de le voter ! Cerise sur ce gâteau, l'accord prévoit la conservation des données personnelles sur les personnes concernées par la réadmission "pendant une durée n'excédant pas celle nécessaire à la réalisation des finalités pour lesquelles elles sont collectées". Dur de faire plus vaste foutage de gueule! Fin de la rubrique « l’Europe qui nous protège propose un autre modèle au monde ».

J’ai vu sur Canal plus, Benoit Hamon et Olivier Besancenot ensemble une fois de plus et c’était sans doute un signal de quelque chose, mais quoi ? Evidemment, Hamon n‘a pu s’empêcher de faire le politicien à mon sujet. Il me reste à préciser que contrairement à ce qu’il a dit je n’ai jamais été membre du même gouvernement que Strauss Kahn pour la raison que celui-ci avait démissionné bien avant du fait de son inculpation par Eva Joly. Ensuite que si j’ai bel et bien dit que le gouvernement de Lionel Jospin était le plus à gauche du monde c’est parce qu’il faut se souvenir de ce qu’était alors le monde, et ce que signifiait le vote de la CMU, l’APA et les trente cinq heures dans un tel environnement, par un gouvernement qui alliait des communistes et des Verts à des socialistes. Un détail.

En fait la logique de Hamon, est : « tu as profité, alors tais toi et laisse faire ceux dont c’est le tour ! » Un détail lui échappe. J’ai fais un livre de trois cent pages d'entretien avec le journaliste Michel Soudais pour faire le bilan de cette période et en tirer les leçons. C’est « En Quête de gauche ». Et ce bilan m’a conduit à quitter le PS et à militer pour une force politique nouvelle à gauche ! Benoit Hamon veut-il discuter avec moi de ce bilan de la sociale démocratie française et européenne au lieu de jouer les chiens de garde de l’allongement des durées de cotisations de retraites ? Peut-il accepter une seule fois dans sa vie une discussion politique sur le fond de la stratégie et des besoins de la gauche en France et dans le monde au lieu de faire ces petits jeux venimeux de leader étudiant des années quatre vingt ? Bof. En réalité quelle importance pour moi? Le PS est un tout.

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