De la rue au clavier, la lutte continue !

Maintenant voici une note arrachée au clavier après des heures de présence en manifestation. J’y parle de la mobilisation pour défendre les retraites, bien sûr. De l’ambiance. Et aussi de la place particulière que nous donnent, dans leur estime, les gens mobilisés. Parce que c’est un fait observé et non démenti d’une manifestation à l’autre.

Attention! Je donne les rendez vous de la sortie du film de Pierre Carles. Et je cloue le bec à ceux qui m’ont cherché des poux dans la tête à propos de mes affirmations sur les trains achetés par la SNCF qui ne peuvent pas rouler dans le tunnel sous la Manche.

Depuis le premier jour, chaque mobilisation donne lieu au même type de bataille. La presse annonce une décroissance de la mobilisation. Comme les chiffres de départ sont sous estimés et qu’est annoncée une mobilisation moindre la fois d’après, on devrait finir par entendre dire qu’il n’y a personne dans la rue et dans la grève ! On comprend la stratégie gouvernementale. C’est de la lutte. Il s’agit de démoraliser les combattants.  Quand aux médias concernés qui participent à la manœuvre, pas besoin de trop s’interroger. Le parti pris date du premier jour. Comme il est emblématique cet édito d’Eric Fotorino dans « Le Monde » du samedi 16 octobre : « Une fois de plus, à la contestation massive du projet de réforme des retraites illustre combien la France reste un pays très conservateur, arc bouté au statu quo et aux droits acquis, l’histoire servant de paravent au réel. » Evidemment. Et comment oublier notre sartrien monsieur Pujadas, interrogeant Bernard Thibault au journal de 20 heures, le 12 octobre, avec cette question si professionnelle : « avec cette culture du blocage ne craignez vous pas d’être la risée de toute l’Europe ?»

Ce mardi 19 octobre  record de lutte d’intox. Dès les premières heures de la journée commençait le matraquage : il y a moins de grévistes, les dépôts de carburant se débloquent, la mobilisation est en retrait. De notre côté, par sms, les informations allaient à l’inverse. Au fil de la journée des manifestations monstres étaient annoncées par les camarades, plus importantes qu’en 1995. Pourtant vers dix sept heures encore les sites internet des grands médias de références annonçaient encore une mobilisation « en repli ». Mais en début de soirée, changement de ton. Les manifestations sont finies et les bouclages audiovisuels de vingt heures achevés. Les titres peuvent tourner à l’inverse. On lit alors que le niveau de mobilisation « est resté stable ». Cela n’a plus d’importance dans l’effet produit. Mais pour nous c’est une indication précieuse. Cela signifie que l’adversaire sait à quoi s’en tenir. On doit analyser ses prochaines décisions en tenant compte du fait qu’il sait à quoi s’en tenir. Et nous devons de notre côté prendre les mesures pour élargir la brèche qui s’ouvre sous ses pas.

Tout ce mépris ne doit pas nous miner. Il nous sert. De jour en jour se creuse de nouveau le fossé de dégout qui éclairait l’opinion en 2005 quand le matraquage pour le « oui » battait son plein à longueur d’antenne. Il est très important pour nous que les gens soient profondément outragés par le comportement des médias. Après tant d’heure de manifestations et tant de sacrifices consentis, l’aile marchante du mouvement social et tous ces gens que l’on voit pour la première fois dans la lutte s’éduquent. Il est vital que leur confiance dans les médias de référence soit réduite à néant dès maintenant, car c’est à cette condition que notre parole avance dans les esprits et dans les cœurs. Quand cette barrière saute, tout le reste saute avec. Le roi alors est nu et tout l’appareil de domination avec lui. Il est à peu près certain que la mobilisation ne se démentira pas. Les esprits et les nerfs sont tendus à craquer. Quand la température sociale s’élève, l’information circule à toute vitesse. La vigilance est extrême. L’éducation politique de chacun suit un rythme accéléré. Personnages et porte paroles sont repérés de loin, slogans et refrains s’apprennent à toute vitesse, d’un bout à l’autre du pays. On voit que cela bouillonne à des petits détails. Comme celui-ci par exemple. Je pense au nombre de pancartes individuelles. Des tas de gens préparent un carton, une blague, un dessin chez eux et viennent avec en manifestation. Ce moment de créativité et d’implication décomplexée est un symptôme parmi d’autre, mais je l’ai toujours observé comme une caractéristique d’un moment bien spécial d’élévation du niveau d’un mouvement.

Comme tout le monde je me demande ce qu’il faut faire pour donner de la force à notre action. Dans ma précédente note j’imaginais qu’une montée nationale sur Paris pourrait être un bon point d’appui. Il y a eu des précédents de cette sorte dans le passé. On a vu que cela était une façon dorénavant traditionnelle en France de tracer une limite en face d’un projet gouvernemental. C’est d’ailleurs la droite qui a commencé l’exercice sous le mandat de François Mitterrand avec la manifestation de l’école privée pour défendre ses privilèges. Puis il y a eu la notre, pour défendre l’école laïque agressée en 1994 par la loi Bayrou. Chaque fois le résultat a été le retrait du texte incriminé. S’il en a été ainsi c’est parce que la puissance du mouvement montrait au pouvoir qu’il s’engageait dans une escalade dont l’issue était incertaine pour la démocratie elle-même. « Convaincre plutôt que contraindre » avait dit François Mitterrand. Je pense que si nous étions un ou plusieurs millions dans Paris, ce serait un évènement décisif dans le bras de fer actuel. J’évoque cette idée. Peut-être rencontrera-t-elle de l’intérêt. Mais je n’en ferai pas plus. Je sais trop comment une idée peut déclencher des discussions stériles qui n’apportent rien pour finir à l’action. Et notre parti n’est pas en situation d’être celui qui polarise les propositions.

Pourtant, au Parti de Gauche, nous savons que notre relation au pays, dans cette période, a changé. En témoignent les réactions de ceux qui par dizaines, par centaines, viennent vers nos points fixes, à Paris et en province, écrivent au siège du parti ou sur nos boites personnelles. En témoigne à sa façon la vente de mon livre « Qu’il s’en aillent tous, vite la révolution citoyenne » qui vient d’être dans la liste des meilleures ventes d’essais de « l’Express » dès son cinquième jour de présence en librairie. En témoigne aussi le succès du meeting parisien au théâtre Dejazet lundi soir. Si j’évoque tout cela, ce n’est pas pour faire ici un compte rendu d’activité du parti car ce n’en est pas le lieu. Je le fais parce que cela modifie ma propre perception de ma place dans les évènements qui vont leur chemin. Il en est ainsi car les circonstances et quelques campagnes de dénigrements à contre emploi m’ont catapulté dans l’estime de toute sorte de gens qui viennent me le dire à moi et à mes camarades. La haine dont je suis dorénavant entouré chez les belles personnes est un symptôme de cela. Je suis frappé de voir comment des gens que je ne connais pas, qui ne m’ont pas lu, ni cette fois ci ni aucune autre, qui ne savent rien de mon action passé ni même actuelle, peuvent me traiter dans leur commentaires. Pour n’en citer qu’un, bien dans le ton des perruches indignées l’autre jour sur Canal, je vous livre ces lignes de monsieur Renaud Revel sur l’express.fr : «Que serait Mélanchon (sic) sans la télé ? Rien : un obscur militant venu du PS, représentant un courant politique confidentiel, plombé dans la pénombre » « Un hurluberlu qui ne représente que lui-même », « un homme politique virtuel » au « poujadisme rampant et à la démagogie poisseuse ». « Il est tout ce qui rend la politique détestable ». Imaginez que je dise cela, de sang froid, le crayon à la main, de l’un quelconque des médiacrates et on verrait quel concert s’organiserait ! Quel superlatif ce monsieur trouverait-il encore ? Car si l’on est un « homme politique virtuel » quand on est élu député européen avec autant de voix qu’il a fallu pour élire quatre députés nationaux et qu’on ne « représente que  soi même » quand on est animateur d’un Front politique qui recueille six pour cent des votes au élections nationales, on voit comment l’arrogance  médiatique peut aveugler  de haine et abattre jusqu’au plus élémentaire sentiment de retenue.

 Au meeting parisien du théâtre Dejazet, ce fut un très grand succès. Comme il y avait foule plus que le théâtre n’en pouvait contenir, on improvisa une estrade et une sonorisation dehors, pour les trois cent personnes qui s’étaient réparties sur les terrasses de café, le trottoir et les escaliers du parapet qui longent le boulevard. J’y pris la parole, après Alexis Corbière et Pascale Le Néouannic. Tandis que, à l’intérieur, après Danielle Simonnet, Martine Billard commençait son intervention. Je parlais une toute petite demie heure disant l’essentiel du discours que j’ai détaillé en suite à l’intérieur en présentant une deuxième fois mon propos pendant une heure. Ce qui me frappa c’est l’écoute extraordinairement attentive que chacun accordait à mes paroles. Notamment à mesure que j’énonçais les points qui cadrent le programme dont j’avais résumé les grandes lignes à la fête de l’humanité et qui font aussi le plan de mon livre. Tout ceci se verra bientôt je pense sur le site du PG. Mais moi, j’en retiens déjà un moment militant d’une extraordinaire densité humaine. Tous les partis de l’autre gauche avaient leurs observateurs amicaux dans la salle. Sans que je puisse dire pourquoi exactement, maints furent, comme moi, animés de l’impression très forte d’avoir réalisé un moment exceptionnel. Vous devez savoir que sur le plan de notre collectif militant, la préparation de tout cela,  la conduite même de la soirée, les films présentés, tout a été fait en bénévole, et tout en dernière minute compte tenu des circonstances qui nous mobilisent ailleurs depuis des semaines.

A présent je veux donner un calendrier utile. Celui de la sortie du film de Pierre Carles, « Fin de concession » qui a déjà fait tant de bruit. C’est de ce film que fut extrait ma réaction à l’interview de David Pujadas. "Fin de concession" est donc attendue. Le film sort en salles de cinéma le mercredi 27 octobre. Quelques avant-premières sont d'ores et déjà prévues. Le 20 octobre à Hérouville St Clair (Café des images), le 21 octobre à Morlaix (cinéma La Salamandre), le 22 à Nantes (cinéma Le Concorde), le 23 à St Ouen l'Aumône (cinéma Utopia)et le dimanche 25 octobre à 10h30 au cinéma Nouveau Latina, 20 rue du Temple à Paris. Je communique aussi  l'adresse du site internet où toutes les autres informations sur la sortie du film sont disponibles.

Vous vous souvenez ? L’Affaire de l'Eurostar qui a acheté des trains qui ne peuvent rouler dans le tunnel sous la Manche ? Je l’avais évoquée sur plusieurs médias. Elle m’a valu quelques commentaires d’internautes outragés. Ils me somment de démentir « si vous avez un minimum de décence». Bigre ! Non seulement je confirme ce que j’ai dit mais je le détaille. Avant cela je précise, par honnêteté, que j’avais péché l’information dans les pages saumon du Figaro qui sont un puits d’informations. Depuis, mes proches se sont mis à la chasse aux informations et voici le résumé que j’en présente. Eurostar, filiale de la SCNF a commandé 10 nouveaux trains à grande vitesse au constructeur allemand Siemens, jeudi 7 octobre dernier. Il y en a pour 600 millions d'euros ! Ce n’est pas rien. C'est la première fois que la SNCF achète un train à une autre compagnie qu'Alstom. Précisons qu’Alstom est une société française. Elle est implantée sur 9 sites : Valenciennes, Saint-Ouen, Le Creusot, Belfort, Reichshoffen, Ornans, La Rochelle, Villeurbanne, Tarbes. Elle y emploie plus de 8 000 personnes. Cette précision donnée revenons à l’acquisition de la SNCF. Les trains Siemens qu’elle a achetés ne peuvent rouler dans le tunnel sous la Manche.

En effet les règles de sécurité du tunnel sous la Manche ne le permettent pas. Il y a une raison technique. Pour rouler dans le tunnel, la motorisation du train doit être obligatoirement concentrée en tête et en queue d'appareil. Pourquoi ? Le fait d'avoir des moteurs uniquement aux deux extrémités du train permet de limiter les risques de départs d'incendie. Car ceux-ci éclatent le plus souvent au niveau des moteurs. Cette disposition permet aussi de garantir l'évacuation des passagers par le centre du train en cas de feu. Or, le train fabriqué par Siemens a une motorisation répartie sur toute la longueur du convoi. Plusieurs moteurs sont ainsi présents au long de l’ensemble du train. Evidemment il y a un avantage financier, comme d’habitude. Cela permet de transporter davantage de voyageurs. Mais cela ne respecte pas les règles de sécurité !

D’autre part, les trains qui circulent dans le tunnel doivent faire 400 mètres de long. Car le véhicule fonctionne en cas de besoin comme un couloir d’évacuation et, en toute hypothèse même en descendant sur la voie, il faut pouvoir se trouver au plus près d’une issue de secours. Et il y a une issue de secours tous les 370 mètres dans le tunnel. Les trains construits par Siemens ne mesurent que 200 mètres. En cas d'incendie, les passagers sont donc trop loin des issues de secours. Cette règle d’exploitation n’a pas subi de modification. La Commission intergouvernementale (CIG) n'a pas accepté le concept de motorisation répartie. Cette Commission intergouvernementale est chargée de suivre l'ensemble des questions liées au tunnel sous la Manche. Elle est composée de 16 membres délégués par les autorités françaises et britanniques (8 pour chaque Etat). Un comité de sécurité lui est associé. Reste qu’elle est seule compétente pour décider des règles de sécurité exigées dans le tunnel. Elle est à l'heure actuelle opposée à la circulation de trains à motorisation répartie. C'est pourtant ces trains qu'Eurostar a acheté ! Devinez pourquoi ? Le fric, bien sûr. 

Cette aberration est liée à la libéralisation du transport ferroviaire transfrontière dans l'Union Européenne depuis le 1er janvier 2010. C’est en effet grâce aux directives de « l’Europe qui nous protège » qu’est mise en péril la sécurité des voyageurs. Voici comment ce nouvel avantage nous a été procuré par notre chère Union Européenne. Eurostar était une filiale des compagnies nationales françaises, belges et britanniques. Elle avait le monopole du transport de voyageurs sous la Manche. Elle utilisait uniquement des trains construits par Alstom. Ceci pour une raison simple: le constructeur français était le seul à correspondre aux exigences de sécurité.

La société Eurostar a été transformée en société privée classique, en application des règles de libéralisation, depuis le 1er septembre 2010. Elle est détenue par la SNCF à 55 %, l'entreprise britannique London and Continental Railways possède 40 % et les chemins de fer belges 5 %. Pour une telle merveille seul un nom qui sent le fric était possible. Cela s’appelle donc à présent « Eurostar International Limited ». Ca vous classe un train, ça ! N’empêche qu’elle reste à l'heure actuelle la seule compagnie qui possède des trains aux normes de sécurité du tunnel. Horrible monopole aux yeux de « l’Europe qui nous protège ». Crèvent les passagers du train plutôt que la concurrence libre et non faussée par d’obscurs règlements de sécurité !

La loi de libéralisation vise à permettre à d'autres compagnies d'entrer sur le marché, notamment la compagnie allemande Deutsche Bahn. Les compagnies se font donc concurrence et cherchent à être les plus "rentables" possible. Tout le monde suit ? C’est simple. La motorisation répartie sur toute la longueur du train permet une capacité de 900 passagers soit 20 % de plus que dans les trains construits par Alstom. Pour rendre effective la concurrence créée de toute pièce entre les compagnies, les dirigeants britanniques et la société Eurotunnel, qui gère l'infrastructure du tunnel, et perçoit une redevance de la part des compagnies souhaitent réduire les exigences de sécurité. Eurostar force donc la main des autorités en achetant des trains qui n'ont pas l'autorisation de circuler à l'heure actuelle. La conférence intergouvernementale  est mise devant les faits accomplis, au détriment de la sécurité des passagers.  Pourtant, dès 2008, le gouvernement français avait proposé de créer un "Airbus du rail" c'est-à-dire une compagnie européenne de transport. L'argent aujourd'hui dépensé pour faire concurrence à son voisin pourrait être investi pour améliorer la technologie en commun. Mais ce serait une toute autre Europe qui ferait cela.

Lire aussi

DERNIERS ARTICLES