Ça c’est une note un peu longue parce que je vais être absent quelques jours. Je vais me reposer. Ici je parle des sondages surnaturels et manipulatoires de Dominique Strauss-Kahn et de madame Le Pen. Puis de la dernière crise idéologique de Nicolas Sarkozy avec le multiculturalisme, enfin de mon séjour au parlement européen. Comme ma note était trop longue, je l’ai coupée et j’ai prévu d’en faire paraître une suivante pendant mon absence pour raconter ce que j’ai appris en passant par Marseille où je me trouvais pour le forum partagé sur le travail et compléter ce que je dis sur le multiculturalisme.
Les photos qui illustrent ce billet sont de Stéphane Lemaitre, que je remercie.
Cette fin de semaine, Strauss-Kahn était à Paris. Donc sa machine de propagande s’est mise en mouvement. L’armée de communiquants qui l’entoure et influence divers médias frappe tout azimut. Je suis dans les cibles. L’artillerie m’a pilonné préventivement. Valls et Huchon en première ligne comme d’habitude. Non pour me faire taire, ils savent que c’est impossible. Mais pour intimider les concurrents internes dans le PS. Et la machine à bétonner l’espace médiatique s’est mise en route. Une batterie de sondages est tombée, plus aberrante que jamais, à couper le souffle ! Un succès total. Pas une voix pour contester les résultats de ces étranges « enquêtes ». Mais d’abondants commentaires ont été produits pour discuter les cas de figure annoncés et en « tirer les enseignements ». La palme au journal “Marianne”, dont la satisfaction fait plaisir à lire ! “Après quinze jours de tabassage par l’extrême gauche, la gauche et la droite, quinze jours aussi de tintamarre sondagier d’où il ressortait un chuintement de chute, voilà Dominique Strauss-Kahn encore plébiscité comme champion de la gauche et, plus largement, des oppositions à Nicolas Sarkozy. Ah, certes, reconnaissons-le sans fard, il dégringole… d’un point au premier tour, et de 3 au second par rapport à la précédente enquête de l’institut CSA du 20 janvier dernier. Mais le patron du FMI demeure à des hauteurs himalayennes, autrement dit surréalistes, en tout cas dans l’hypothèse… hypothétique du duel final où il écrabouillerait le président sortant : 61 % à 39 %. Vingt-deux, v’là l’écart abyssal entre le tenant du titre et le challenger socialiste ! » Tout y est ! Le « tabassage d’extrême gauche », la brèche colmatée de la chute annoncée quelques jours auparavant, l’écart avec les autres socialistes, la négation de la fragilité structurelle du candidat. Tout ça parce qu’il est là, et qu’il va aller sur France 2 dimanche soir. Et parce qu’il faut enrayer la montée des concurrents socialistes. Ça passe ou ça casse ! Pourtant, la seule lecture attentive devrait faire réfléchir. La gonflette pour Strauss-Kahn oblige à procéder à un véritable cul par dessus tête de la carte politique. Comment cette carte peut elle avoir évolué au point de placer l’extrême droite au seuil de remplacer aussi bien le candidat de droite que celui de la gauche si le roi des sondages nous fait l’honneur de nous illuminer par sa candidature ?
Pour nous au Parti de gauche, cette opération est la manipulation de trop. Il est temps de réagir si nous ne voulons pas nous faire voler cette élection par une bande de trafiquants professionnels. Nous engageons donc une campagne sur le thème. Note-brochure, affiches, tracts. Il faut briser l’autorité de ces rebouteux. Car ils s’apprêtent à nous faire sauter à la corde pendant toute l’élection ! Sans oublier les règlements de compte annexes que cela permet. Ainsi sur radio Arlette Chabot, Europe 1, un zélé nommé Ludovic Vigogne a déjà annoncé que j’allais hurler à la manipulation à cause de mon « mauvais classement » qui me mettrai à la peine. Une grande cervelle de cette sorte ne peut imaginer que j’ai d’autres raisons d’agir que mon intérêt personnel. Ni que je puisse me moquer de ces sortes de consultations de rebouteux de la politique. Mais il a tort de sous estimer mon orgueil. Je suis très fier de ma position unique et singulière dans ces nobles enquêtes scientifiques. Je suis un prodige. Surtout quand je me compare à mon camarade Olivier Besancenot. Je suis estimé à un niveau inférieur au résultat électoral du Front de Gauche et à mon propre résultat dans les urnes. Olivier lui, par contre est estimé au double du résultat de son parti et au sien propre ! C’est pas beau ça ? En regardant le détail je vois que son choix en faveur de femmes voilées est le bon puisqu’il a le double de femmes que d’hommes dans ses électeurs et le double de mon cas, cela va de soi. Sans oublier que je n’ai aucun électeur parmi les 18/24 ans. Un fait frappant aussi est que dans cette enquête aucun électeur communiste de Marie-George Buffet ne voterait pour moi, pas davantage l’une quelconque des personnes proches politiquement du NPA ou de LO. La science des sondages permet des découvertes stupéfiantes.
Donc, et pour faire bref, je ne prends rien au sérieux dans ce genre d’élucubrations ! Sinon leur impact sur ceux qui les découvrent et les croient. Car elles sont payées pour produire l’effet « push » comme disent les américains qui ont inventé cet art. Ça c’est pour le client qui paye directement ou par l’intermédiaire de ses amis. Quant à l’officine, cet exercice téléphoné est exclusivement destiné à faire vendre du papier et à recueillir de nouvelles commandes. Mais ces enquêtes font du mal à la démocratie qu’elle nient et ridiculisent. Elles provoquent une accoutumance du public à des classements ubuesques qui semblent obéir à des règles mystérieuses. Elles ont un effet démoralisant sur les militants et les citoyens engagés qui se paie cher à la sortie, en abstention. Le soir du vote, les instituts de sondage sont tous démentis. Il ne leur en coute qu’un jour où deux de honte. Puis la vie et les bonnes affaires repartent. Comme disait Ben Ali : « pourquoi ca ne durerait pas toujours ».
Mais si une question innocente pouvait posée ce serait la suivante : « pourquoi faites vous des sondages sur une élection présidentielle qui aura lieu dans quinze mois et pas sur les cantonales qui vont avoir lieu dans un mois ? » Evidement je connais la réponse : un sondage sur les cantonales avec ces scores sera démenti par les urnes. Le Front national à 20% aux élections cantonales ça n’existe pas. Tout simplement. Je ne nomme personne d’autres pour ne pas faire trop de peine. De même un résultat aux présidentielles annoncé quinze mois avant n’a pas davantage de signification. Donc ce trafic ne veut rien dire. C’est un bobard. Il faut le faire payer aux intéressés. D’où notre colère. Pouvons-nous agir ? Oui. D’abord en faisant campagne pour discréditer ces boites à bidonnage. Dans les réunions, les meetings il faut les faire huer comme nous l’avons fait pour d’autres jusqu’a ce que devienne un lieu commun des plaisanteries populaires de dire « menteur comme un sondeur », « acheté comme un sondage » et ainsi de suite. Il faut retourner l’arme de la disqualification contre ceux qui la manient. Dans le court terme nous avons un excellent argument.
Une proposition de loi a été adoptée par le Sénat pour règlementer l’activité des instituts de sondages. Elle émane d’un sénateur socialiste, Jean Pierre Sueur, et d’un sénateur UMP, Portelli. Elle a été adoptée à l’unanimité. Ce texte prévoit notamment d'obliger les entreprises de sondages à publier les chiffres bruts qu'ils recueillent. Car ce sont ces chiffres qui sont ensuite bidouillés pour produire des prédictions d'intention de votes conformes à ce que le consensus médiatique juge plausible. Ou qu’elles tripotent pour produire des scoops qui feront parler d'elles. Ce texte a été adopté malgré l'opposition du gouvernement. L'Assemblée nationale ne semble pas pressée de l'examiner. Nous pouvons la faire connaitre car la lire c’est comprendre aussi de quoi sont capables les entreprises concernées. Evidemment nous devons réclamer son application. D’ores et déjà nous mettons au défi ces instituts de publier les résultats bruts de cette vague d’enquête comme si la loi était déjà votée !
De notre côté nous diffusons une note d’étude dans tout notre parti et parmi les médias pour rappeler un peu d’histoire sur le sujet des sondages. Nous allons éditer une affiche et faire un tract de grande diffusion. Est-ce disproportionné ? Non. Ce n’est même pas au niveau de ce qu’il faudrait faire contre ce hold-up de la démocratie que sont ce type de fabrication de l’opinion. Evidemment cela ne marchera que sur le mode de la gouaille et moquerie. Faites nous confiance.
En terminant ma précédente note, j’ai posé la question de savoir où Sarkozy voulait en venir avec son étrange dénonciation du « multiculturalisme ». Maintenant on le sait. Il s’agit de revenir sur la question de la place de l’islam en France. Bonjour les dégâts avec ce genre d’inepties. A ce moment, je veux juste aider ceux qui veulent résister à avoir quelques éléments de compréhension. On va y revenir hélas, si souvent, que je compte faire un travail, par petites touches ici même. Voyons par le commencement. Le multiculturalisme. Première question : qu’est ce que c’est ? Personne ne sait le dire précisément, en réalité. Il existe des centaines d’occurrence différentes pour le mot. Aucune définition ne rassemble. L’expression est aussi floue que les mots qu’elle contient. Car déjà qu’est ce qu’une « culture » ? Il y a aussi des centaines de définition de cette expression. Dans les faits nous avons le sentiment de savoir. Mais si nous devons en donner une définition nous sommes vite enfermés dans des généralités. Alors « multi» par dessus le marché ! Une difficulté supplémentaire s’oppose à ce travail de définition. Certes, on peut vite décrire des rites, mythes, habitudes et coutumes totalement partagés par un groupe humain fermé et isolé. Alors tout ceci peut constituer une véritable identité, c'est-à-dire une définition de soi, pour ceux qui y participent. Mais il en va tout autrement des sociétés ouvertes où les groupes communiquent et échangent. Dans nos sociétés de communication et de brassage, aucun groupe humain n’est défini par un mode unique de comportements et de références comme aux âges des sociétés fermées. Les modes et coutumes sont poreux. De plus tous sont revisités par l’effet de nivellement de l’usage des objets produit en masse, des réflexes communs qu’ont créés les injonctions de la publicité. Et pour compliquer le tableau, aucun individu ne se définit plus d’après une référence unique ou permanente. On change volontiers de « tribu », ces temps ci. C’est bien pourquoi la théorie du « choc des civilisations » avait besoin de donner un fondement si délimité aux civilisations qu’elle opposait. Bien sur elle commençait par tout fonder sur les différences de « cultures ». Mais comme ce socle montre vite combien il est flou et friable, Huntington s’évertua à faire reposer chaque « culture » sur une assise plus solide pensait-il. Ce fondement chez l’auteur de la théorie c’était la religion. En effet, la religion, parce qu’elle est nécessairement dogmatique est une injonction qui semble plus structurante. Au fondement de toute civilisation et de sa culture dit Samuel Huntington, il y a une religion. Sarkozy ne dit pas autre chose. Trois jours après avoir mis en cause le « multiculturalisme » il parle d’organiser la religion, au prétexte de la place de l’islam en France. Ce que vaut un tel amalgame entre la culture et la religion pour décrire les peuples nous est montré dans les révolutions en cours. Musulmans et arabes, les tunisiens et les égyptiens ne revendiquent pourtant des droits universels : la démocratie et la justice sociale.
L’islam est une obsession pour Nicolas Sarkozy. Dès le mois d’aout qui suivi son élection il réunit les ambassadeurs de France et leur présenta le risque de confrontation entre l’islam et l’occident comme le premier des risque pesant sur la paix du monde. On sait ce qu’il faut en penser dorénavant. Il n’en est rien, la clef de compréhension des évènements n’est pas là. Et cela en dépit de la campagne des officines d’influence pour replacer les révolutions du Maghreb et du moyen orient dans le cadre du conflit entre Israël et Palestine, islam et Occident. Comme l’ont si lamentablement mis en scène Le Point et l’Express la semaine passée avec leurs « Unes » provocatrices. A plus forte raison l’islam n’est pas un problème dans notre société. Mis de côté quelques énergumènes qui font de leur religion un projet politique et se livrent à des provocations, et quelques autres qui en ont une vision intégriste, que voit-on ? Des millions de gens qui pratiquent plus ou moins, vivent en se conformant aux habitudes communes qu’ils observent autour d’eux. Rien de plus, ni rien de moins que ce que l’on constate dans les autres religions. Et surtout la grande masse est en voie de déconfessionnalisation plus ou moins avancée, comme le reste de la population. Le problème ce n’est donc pas l’islam mais l’usage qui en est fait par ceux qui se l’approprient politiquement pour le combattre où s’en réclamer dans l’ordre politique.
Ce parallélisme est un indice d’un fait de portée plus large. Il faut noter la connivence entre les points de vue différentialistes. D’un côté ceux qui ne veulent pas d’une présence ostensible et de l’autre ceux qui l’admettent par a priori, et quelque soi le contenu de cette ostentation. Ils ont en commun une vision réduite de l’être humain définit par ses différences plutôt que par ses ressemblances. On retrouve ici la différence qu’il y avait entre l’église et les humanistes dans les premier temps du combat des « Lumières ». Les catholiques exaltaient l’amour « d’autrui ». Les humanistes défendaient les droits universels de leurs « semblables ». De la sorte il y a un commun dénominateur philosophique entre Nicolas Sarkozy et les signataires du « manifeste pour la diversité » que j’ai déjà évoqué ici. Les uns et les autres partent et restent sur la différence pour construire leurs options et décisions politiques et produire du droit. A l’inverse nous partons, nous, des similitudes pour construire l’ordre politique. L’ordre politique laïque en séparant strictement les religions et l’Etat s’oblige à s’instituer à ne connaitre et à ne délibérer que sur ce qui est commun. Dans cette façon de faire, aucune différence ne fonde de droits permanents. Sauf une. Mais c’est parce que c’est la seule différence qui soit universelle : la différence des genres.
De toute façon le multiculturalisme est un fait. Il est antérieur à la présence des musulmans. Les cultures basques, bretonne, parisienne, occitane sont présente de longue date et de façon très évolutive en France. Ce qui n’est pas un fait c’est que cela fonde des droits politiques. C’est pourquoi la situation est absolument différente avec l’Allemagne où l’Angleterre. Dans ces pays, au nom du « multiculturalisme » des droits sont reconnus ou retirés. En Allemagne, le multiculturalisme réservait aux seuls allemands le droit du sol. En Angleterre de même. Mais divers droits « communautaires » sont reconnus. Rien de tel en France. La République est une et indivisible. Par conséquent, recopier les mots d’ordre de la droite de ces pays va à l’inverse de ce qu’eux mêmes ont en tête. Car Outre Manche comme Outre Rhin, la question est celle de l’instauration d’un « droit commun ». Si les communautés protestent c’est parce que leurs droits vont être réduits et parce que l’annonce se fait sur un mode dénonciateur, négateur qui est offensant et discriminant. J’y reviendrai. En fait Sarkozy le sait. Il use de cette conjonction pour revenir à ses propres objectifs. Ceux qu’il assume depuis le discours de Latran, le rapport Machelon et les innombrables interviews et discours sur le sujet : la remise en cause de la loi de 1905. En apparence il s’agira des musulmans, en réalité il s’agira de la place du religieux dans l’ordre politique et de la fin de la séparation des églises et de l’Etat. J’y reviendrai, on s’en doute.
A présent donc, la propagation du virus de la démocratie se poursuit en Libye, au Yémen et même à Bahreïn. C’est jubilatoire. On attend Qatar, histoire de voir si Plantu va renvoyer son chèque comme un enseignant renvoie ses palmes académiques ! De façon tout à fait significative, les Etats-Unis d’Amérique se positionnent dans cette situation comme une poule devant un couteau. Ils ne savent que faire et tout le monde voit bien que ces grands amis de la liberté ne sont guère enchantés par cette situation. Elle met à nu tous les mensonges qui ont servis de prétexte aux guerres du golfe et à l’invasion de l’Irak et de l’Afghanistan. Comme je me suis déjà bien exprimé sur ce sujet j’en reste là sur ce point. Mais je ne lâche pas l’occasion de faire un rappel. Mesurons une fois de plus l’ampleur du système de l’indignation à géométrie variable du parlement européen et des prétendues hautes autorités morales de l’Union Européenne qui n’ont pas soufflé mot, il y a un mois, alors même que les évènements de Tunisie battaient leur plein, sur les éventuels problèmes de droits de l’homme qui se posent en Libye, alors même que tous ces gens votaient un accord de libre échange ! Et ne cessons jamais de rappeler que s’il y a trois prix Sakharov à Cuba qui est à 10 000 kilomètres, il n’y en a pas un dans ces pays limitrophes de l’Europe ! On sait donc que les membres du jury ne prenaient pas leurs vacances en famille à Cuba, pas vrai ! Fidel ne sait pas acheter les gens. Pire : il n’essaie même pas.
Je poursuis la réflexion à propos des révolutions tunisienne et égyptienne. Je traite du sujet par petites touches depuis plusieurs billets déjà, vous l’avez vu je crois bien. Pendant mon séjour à Strasbourg j’ai eu l’occasion de plusieurs discussions avec des camarades du groupe GUE qui réfléchissent et veulent en penser davantage tout comme moi. Ce sont des discussions à bâtons rompus, où l’on ne met en jeu que des intuitions. Par exemple avec Patrick Le Hyarric, le directeur de l’Humanité. Lui s’intéresse à la dimension sociale de ce mouvement. Comme le quotidien et l’hebdomadaire ont beaucoup produit sur le sujet, la discussion est bien ancrée dans les faits. D’un argument à l’autre mon tableau se précise. J’ai déjà montré ce que j’avais appris du caractère « citoyen » de ces révolutions. Je disais dans ma précédente note qu’il fallait voir aussi comment s’organisait l’articulation avec le mouvement social ouvrier. Avec Le Hyarric c’était le sujet de notre discussion. Lui voit une importance première à cet aspect du déroulement révolutionnaire. Je livre mes conclusions personnelles sur ce point. La question sociale déclenche la révolution citoyenne qui en est la forme élargie, le mode opératoire de masse en quelque sorte. Et la revendication de droits universels et de démocratie se présente comme la façon d’organiser le règlement des problèmes sociaux. D’où la bizarrerie, soit dit en passant, de la formule de Besancenot déclarant pour s’opposer à ce qu’il croit être ma « révolution par les urnes » que « la Tunisie a montré qu’on n’avait pas besoin des urnes pour faire la révolution ». Peut-être Olivier peut-il se rendre compte que la révolution tunisienne ou égyptienne revendique des urnes ? Krivine devrait peut-être faire lire à Olivier un chapitre ou deux de « la révolution permanente » de Léon Trotski qui contient des choses tout à fait intéressante sur ce type de problème. Je reviens à notre schéma de lecture. Une fois que la révolution s’est renforcée par une victoire dans le domaine démocratique, elle fait retour sur ses tâches sociales initiales. Alors l’unanimité des débuts sur les objectifs démocratiques est mise en cause. C’est le moment des classes et de leur façon de se projeter dans l’avenir. S’il n’y a pas de parti, ni de porte parole identifié pour assumer cette deuxième phase de la révolution, la révolution elle-même peut être confisquée. Cela ne veut pas dire qu’elle sera « seulement démocratique » sans s’élargir à des tâches sociales plus amples. Non. Les acquis de la phase démocratique elle-même peuvent être remis en cause pour contrer le front social qui cherche à se constituer sur ses propres objectifs. C’est pourquoi je ne crois pas que madame Alliot-Marie ait fait une erreur de langage en disant qu’elle voulait aider le gouvernement tunisien à se « reconduire », avant de se reprendre et de dire « à se reconstruire ». Pour elle c’est la même chose en effet. Comme pour les Etats-Unis. Ils se méfient de la révolution démocratique parce qu’ils se méfient de la révolution sociale pourrait on dire.
Madame Eva Joly présentait ce mardi un rapport concernant la modification de l'accord entre l'Union européenne et l'Afrique du Sud. Un accord sur le commerce, le développement et la coopération. En abrégé : ADC. Pour bien comprendre la situation de vote, il faut savoir que : qui vote pour le rapport adopte du même coup l’accord dont il traite. Du coup le rapport, de madame Joly était en fait une recommandation demandant aux députés européens d'adopter la modification de l'accord. Et donc l’accord lui-même. Vu ? Le Parlement pouvait soit adopter soit rejeter cette recommandation. Et du coup, en le faisant, il acceptait ou rejetait l'accord tel que modifié. La majorité du parlement a suivi Madame Joly de façon écrasante: 521 voix pour. Je sais bien que des propositions appréciables étaient faites par les additifs inclus. Il n’en reste pas moins que voter ce rapport c’est accepter l'Accord de Partenariat Economique que la Commission européenne cherche à conclure avec l'Afrique du Sud. C'est donc cela qu'il faut examiner.
Vous ne le savez peut-être pas : un APE (accord de partenariat économique) c'est un accord entre l'Union européenne et une grande région du monde. Le contenu comporte toujours un volet commun quel que soit le coin du monde. Vous devinez lequel. Qu’est ce qui est universellement vrai et bon ? Notre chère « concurrence libre et non faussée ». Bien sûr ! C’est pourquoi cet accord avec l’Afrique du sud comporte le volet habituel d’injonctions libérales : la suppression progressive des droits de douanes à l'importation et l'interdiction de toute augmentation, rétablissement ou création de ces droits ; l'interdiction de tout quotas d'importation ou d'exportation ; la mise en place à terme d'une zone de libre échange complète, services compris. Ce qu’il y a de spécialement pervers dans le comportement de l’Union Européenne, c’est qu’elle oblige ainsi ses partenaires à importer le libéralisme. Et que, pour y arriver elle n’hésite pas à faire tout ce qu’elle peut pour démanteler les accords d’union ou de coopération qui peuvent exister localement entre pays voisins. Au cas particulier, l’Union a du contourner l’existence de l’Union douanière d'Afrique australe (la Sacu !). Voici comment elle s’y est prise. Ce scénario est toujours le même, où que passe notre chère Europe bienfaisante et pleine de grands principes. Elle arrive et négocie, en tête à tête, avec chacun des pays qui compose l’union douanière locale pour les forcer à céder, un après l’autre. Oui mais, voilà: si le Botswana, le Lesotho et le Swaziland ont fini par céder aux pressions, l'Afrique du Sud et la Namibie, eux refusent toujours de signer. Voilà pourquoi, pour les cruels eurocrates de la Commission, il était urgent d'inscrire dans l'Accord de Coopération et de développement entre l’union européenne et l’Afrique du Sud que les négociations commerciales sont toutes suspendues à la conclusion d'un de ces maudits accords de partenariat économique global. Comment quelqu'un comme Madame Joly a-t-il pu en arriver à la conclusion qu'il fallait approuver un tel chantage? Retenez votre souffle: la phrase d'explication fait dix lignes! " Votre rapporteure suggère, au vu de ce qui précède, que la commission du développement recommande au Parlement d'approuver la conclusion de l'accord et souhaite que les nouvelles dispositions de l'accord liées au développement ainsi que les nouvelles coopérations qu'il prévoit soient pleinement appliquées et fassent l'objet, dans la phase de mise en œuvre de l'accord, d'un suivi attentif à la lumière de l'article 208 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, c'est-à-dire dans le respect des objectifs de l'Union en termes de coopération au développement, objectifs dont l'Union doit tenir compte dans la mise en œuvre de toutes ses politiques susceptibles d'affecter les pays en développement, le principal de ces objectifs étant la réduction et, à terme, l'éradication de la pauvreté." On se demande bien comment, en signant un accord qui oblige à ouvrir toutes grandes les frontières, l'Afrique du Sud pourrait « éradiquer » la pauvreté. Madame Joly ne s'est visiblement pas posé la question au moment de nous appeler à voter « pour » avec elle. J’ai donc voté contre. Mais mon voisin communiste portugais s’est abstenu, faisant valoir que « malgré tout » il s’agit de l’Afrique du sud ! Et je lui ai dit que pour moi c’était une raison supplémentaire de voter « contre » par fidèle affection pour ce pays.
Ces Verts ont d’étranges idées ces temps ci. J’avais lu ce papier de Gérald Andrieu dans « Marianne 2 » à propos de José Bové signant une déclaration écrite avec un grave extrême nationaliste bulgare du parti ATAKA. Je n’avais pas été étonné de constater que ce concierge de Quatremer n’en avait soufflé mot car je sais que ses indignations sont à géométrie variable. N’avait-il pas déjà tu soigneusement la spectaculaire embrassade du président du groupe de la droite européenne, l’UMP français Joseph Dauhl avec le « néo-populiste » hongrois Victor Orban qui persécute la liberté de la presse et des citoyens de son pays? Cette fois-ci je découvre que vient au vote un texte que signent Europe écologie avec la droite, les nationalistes les libéraux et les sociaux démocrates à propos de la « stratégie pour 2020 » de cette chère « Europe qui nous protège ». Il s’agit d’une de ces verbeuses « résolution » avec lesquelles ce parlement perd son temps puisqu’elles n’ont aucune valeur législative. Cette « stratégie Europe 2020 » c’est le titre du document qui prend la suite de la fumeuse « stratégie de Lisbonne 2000 », de pitoyable mémoire, que Lionel Jospin fit l’erreur de signer aux côtés de Jacques Chirac. Ce nouveau document est juste une surenchère dans les orientations du précédent texte. Son objectif est seulement d’imposer davantage d’austérité et l’approfondissement du contrôle de l'Union sur les Etats membres. En effet « la stratégie de Lisbonne » a été un échec. Aucun des objectifs fixés n’a été atteint en matière de déploiement de la supposée « économie de l’intelligence » et autres sornettes de cet acabit qui faisaient tout le chic verbeux du document. Avec « Europe 2020 » recommencent les phrases creuses sur la croissance "intelligente, durable et inclusive" et « l’économie sociale de marché durable". Mais je sais lire la nov-langue européenne. Une phrase peut vouloir dire le contraire de ce qu’elle annonce. C’est le cas ici. Le texte se donne des airs de combattre les difficultés. Mais en le faisant il avalise la situation insupportable qu’il dénonce. Ainsi quand il affirme vouloir remonter le taux d'emploi à « au moins 75 % ». Merci pour le taux de chômage à 25 %. Ou lorsqu’il « réaffirme les objectifs de l'Union européenne en matière de lutte contre le changement climatique » inférieurs aux prescriptions admises par le GEC ! Ou encore quand il propose de « réduire le taux de pauvreté de 25 % » ce qui laisse quand même 75 % de ce dernier et sans jamais dire pour autant comment les premiers 20 millions de personnes seraient arrachés à la pauvreté ! On voit le genre de document. Bien dans le style hypocrite de la maison.
Peu importe, en fait, pour ceux qui l’ont écrit ce que dit et promet ce document. Ce qui compte c’est que s’imposent les moyens proposés pour arriver à ses objectifs. Il s’agit de renforcer le contrôle de l'Union Européenne sur les Etats membres, au mépris de la souveraineté populaire. Ainsi quand il est affirmé que « les Etats membres adoptent des objectifs nationaux » avant de préciser qu’ils « sont validés par la Commission ». Le « semestre européen », ce processus de vérification préalable des budgets nationaux par la Commission est la concrétisation de cette formule. Ou bien, quand la « la stratégie Europe 2020 » pose comme préalable à toute croissance une réduction des déficits. On trouve là l’origine de l'obligation des plans d'austérité.
Que propose la résolution commune d’Europe Ecologie, de la droite, des nationalistes et des socialistes ? De belles et bonnes choses, nobles et dignes. Bien sûr. Mais dans le fouillis des bonnes intentions, la droite a inscrit ses mantras fondamentaux et les autres ont signé. Et d’abord un acte d’allégeance. C’est ainsi que la résolution commence en "considérant que la stratégie Europe 2020 devrait aider l'Europe à sortir renforcée de la crise". Dans un style néo brejnévien enthousiaste, elle n’hésite pas à enfoncer le clou hardiment : « les mesures prévues par la stratégie "Europe 2020" sont d'une importance capitale pour la concrétisation des espoirs que nourrissent les citoyens européens". Hurrah ! Et après cela on trouve encore pire. Ainsi quand il est asséné que "l'examen annuel de la croissance et le cadre du semestre européen sont des outils essentiels à une meilleure coordination des politiques économiques". La croissance et le contrôle a priori des budgets nationaux par les grands prêtres du libéralisme comme modèle pour des écolos et des socialistes ! Bigre ! Mais que dire ensuite quand on lit qu’ils souhaitent ensemble "réaliser le marché intérieur de l'énergie, améliorer la sécurité des approvisionnements et atteindre nos objectifs en matière d'énergie et de climat", parmi lesquels le marché carbone, qui n’est pas cité. Le plus nul, si c’est possible, c’est l’aval donné à l’impérialisme maintenant ordinaire de l’Union européenne. Le texte claironne en effet vouloir "la mise en place d'une stratégie européenne efficace dans le secteur des matières premières, afin d'améliorer leur accessibilité et l'utilisation efficace de l'énergie et des ressources, tout en garantissant l'approvisionnement en matières premières essentielles à travers le développement d'accords de libre-échange et de partenariats stratégiques". Fermez le ban. En une phrase l’écologie politique et le socialisme ont mis les pouces.
Cette façon de rédiger et de voter des textes entre chiens et chats, eau et feu, est le moyen par lequel est produit une sorte de « doxa européenne » partagée et énoncée ensuite comme évidente, sur le style « nous savons tous que » ou bien « nous le disons tous ». Alors ensuite, évidemment, seuls des fanatiques ou des fous peuvent n’en pas vouloir. Pour comprendre combien cette méthode du désarmement insidieux est goûtée des eurocrates et de leurs griots, il faut lire cette présentation que fait l’eurolâtre frénétique Jean Quatremer, du livre d’entretien avec José Bové qu’il vient d’éditer. Lisez cette prose humble et sans prétention, mais tellement significative : « Surtout, l’homme ne s’est pas figé dans son combat de 2005, comme un certain nombre de nonistes, mais a su évoluer : après avoir constaté l’impossibilité de bâtir un projet européen alternatif de gauche (échec des « comités anticapitalistes » puis du NPA), il a rejoint Europe Écologie et s’est présenté aux élections européennes de juin 2009 avec Daniel Cohn-Bendit, avec le succès que l’on a vu. Depuis, l’homme est devenu l’un des députés qui comptent au Parlement européen, pratiquant à merveille l’art du compromis et parvenant à réunir des majorités afin de faire bouger les lignes. Un anti-Mélenchon par excellence, le député du Parti de gauche campant sur son Aventin depuis 2005, d’où il lance des fatwas contre ceux qui ne partagent pas ses vues. » A l’inverse de moi donc, qui persiste en effet à vouloir n’avoir rien à faire avec les eurocrates, heureusement, il y a entre le Larzac et Bruxelles, un chemin de Damas toujours ouvert aux repentis. « C’est donc à la découverte de cet homme que j’ai été et je ne regrette pas le voyage que nous avons fait du Larzac à Bruxelles. Et j’avoue que José et moi-même sommes ravis d’avoir fait exploser les lignes : comment un « eurobéat ultralibéral » a-t-il pu travailler avec un « altermondialiste noniste arracheur d’OGM et démonteur de McDo », entendons-nous régulièrement ? Réponse dans ce livre qui montre que l’Europe peut réunir » Alléluia ! Moi aussi je me demandais « régulièrement » comment un tel miracle était possible compte tenu du fait que tout le monde me parle « régulièrement » de Quatremer et du monsieur avec des moustaches qui est sur la couverture de son bouquin. Et maintenant je sais ! C’était encore cette brave Union qui non seulement nous protège mais nous réunit ! « God’dam chiet » ! Comme on dit en globisch vulgaire!