Je poste cette note tout en faisant mes valises. Me voici parti, pour l’île de la Réunion, dans l’océan Indien. Ce département français est décalé vers l’est de deux heures par rapport à la métropole. Au retour j’aurais donc un indicible sentiment de grasse matinée en me levant à sept heures du matin… On se rassure comme on peut des fatigues d’un long voyage à venir. N’empêche, mon empreinte carbone va être détestable. Mais je n’ai pas le temps d’un voyage en bateau. Je fais là bas deux jours d’intense activité politique, conclus par une réunion de la GUE, groupe où je siège au parlement européen avec le réunionnais Elie Hoarrau, secrétaire du Parti Communiste Réunionnais. Ce sera à La Possession, le mardi soir. Mon parcours prévoit pour l’essentiel l’observation de quelques unes des réalisations du projet d’autonomie énergétique de l’île tel que l’avait conçu son président de gauche Paul Vergès.
Cette note va et vient de Kahn à Todd, de Gbagbo à Correa et Ollanta Humala, sans oublier Carlos Ghosn. De Rennes à Paris, Abidjan, Quito et Lima. Pour Renault il faudrait faire le tour du monde des pièces détachées et des véhicules assemblés. C’est bien le problème.
Merci à Françoise Dinand pour les illustrations de cette note.
En bouclant ma note, je ramasse la pile de journaux qui encombrent ma table. Je n’y peux rien, l’œil glisse d’ici à là. Mes attractions vont toujours aux sujets européens. C’est leur coïncidence qui me marque. Tiens, donc, Socratés, le premier ministre social démocrate portugais, bien que démissionnaire, a appelé « à l’aide » l’union européenne dont il ne voulait pas il y a quinze jours. Et le FMI est arrivé dans ses wagons. Un peuple souverain soumis à la taille par un organisme extérieur convoqué par une premier ministre démissionnaire. La démocratie dans « l’Europe qui nous protège » fait un grand pas. Ici je lis à présent quel est le nouveau plan d’austérité grec. En Grèce, tout le monde sait que la situation ne peut pas être redressée en raison même du traitement dépressif que le FMI inflige au pays. Mais le président de l’internationale socialiste, le premier ministre Georges Papandréou, inquiet des rumeurs selon lesquelles il serait conduit à stopper la saignée, a pris crânement son peuple par les cornes. « Nous allons restructurer le pays pas la dette ! ». Il vend encore 23 milliards de biens publics. Pour rien, bien sur. Mais quelle fête pour les banques ! Le cynisme de celles-ci est inouï. Ainsi en Irlande. Ruinée par la saignée, anémiée à mort ? Oui. Donc les agences de notations lui baissent sa note. Moody’s a baissé de deux crans pour la porter au plus bas niveau dont elle dispose. Lisez pourquoi : « en raison de l’activité atone et de nouveaux engagements liés aux banques ». Et voila la boucle est bouclée comme peu de temps avant en Grèce et au Portugal. Pour payer les banques qui demandent plus en raison d’une mauvaise note, l’Etat réduit ses dépenses, l’activité décroit et les agences baissent la note donc les banques demandent plus et ainsi de suite jusqu'à ce que mort s’ensuive. Mort ou révolution. Au choix.
Ce Vendredi n’était vraiment pas comme les autres pour moi. Ce fut une journée chargée de débats. Le matin avec Emmanuel Todd, pour « Arrêt sur images », l’après midi avec Jean-François Kahn aux rencontres de Rennes de « Libération ». Rencontrer Jean-François Kahn pour un débat dans un amphi modéré par Nicolas Demorand devant mille personnes est un temps fort en adrénaline, cela va de soi. Le thème agitait bien : « que faire contre le Front National ». Auparavant il était question de venir me faire parler du salaire maximum. Mais pas un dirigeant de droite n’a accepté de venir se colleter avec moi sur le sujet. Pas très audacieux ces messieurs… Je pense que nous avons aidé à faire un peu de clarté, Kahn et moi, sur notre sujet. Mais je nous reproche d’être restés en dessous de la main sur le chapitre des « solutions ». Peut-être parce que c’est du registre plus direct de l’action militante et politique davantage que de l’analyse. Et je n’ai pas relevé l’idée de Kahn d’une candidature unique « républicaine ». Je n’y crois pas du tout. Je pense qu’elle serait totalement contre performante. Mais je n’ai pas relevé. J’étais dans la logique d’une démonstration. J’ai remis à un autre moment le soin d’y répondre et pour finir je ne l’ai pas fait, car la discussion avait pris un autre chemin. J’attends avec intérêt de lire les commentaires sur ce qui est ressenti à propos de ce type de débat. Je ne sais pas ce qui en est attendu par ceux qui viennent y participer. Un mot encore sur cette salle. En guerrier endurci j’ai bien reconnu dans l’intervention du « petit jeune », soit disant naïf, un militant du Front national. Il commença par parler de ma double qualité de sénateur et de député européen. Pas besoin d’entendre la suite. C’est signé. Une reprise du collage qui circule sur moi et m’attribue des revenus immenses. J’ai donc juste perdu mon temps à devoir répondre à cette langue de fiel que le double mandat parlementaire est interdit et ainsi de suite. Mais c’est une indication sur le niveau de ce que ces gens là me réservent pour la suite. Et de la lâcheté infâme des socialistes des Yvelines, la bande à Huchon, qui ont relayé cette calomnie.
Mais Todd, même à dix dans le studio « d’arrêt sur images », c’est équivalent en tension intérieure à une rencontre avec mille personnes ! J’ai pour lui une admiration intellectuelle très forte. Ses livres sont des moments d’étape dans l’évolution de ma réflexion politique. C’est du niveau de ce que j’ai ressenti découvrant Alain Accardo ou Jean-Claude Kaufmann. Leurs livres m’avaient sauté à la figure. Le livre « Après la démocratie » de Todd m’a donné la même jubilation que, par exemple, « Le petit bourgeois gentilhomme » d’Accardo. Dans un passé récent, j’ai manqué la rencontre avec Todd au moment où elle m’aurait été le plus utile. « Le rendez vous des civilisations » est arrivé dans mon champ de lectures bien après que je me sois mis en mouvement sur le discours de Latran de Nicolas Sarkozy. Le travail de critique de ce discours a été pour moi le moment où je compris l’importance du texte de Samuel Huntington dans la doctrine des néoconservateurs français à la remorque de leurs homologues américains. D’ailleurs entre la rédaction de mon petit pamphlet et les quinze conférences que j’ai prononcées sur le sujet, cette critique de la thèse d’Huntington a pris la part centrale de l’argumentation. Un jour ou l’autre, quelqu’un aura la patience de faire le décryptage du texte de ma conférence prononcée à Lyon, puisqu’il en existe un CD. Ca ferait un bon texte, je crois. On y voit bien comment la critique du texte d’Huntington est au centre de la déconstruction du discours du président de la République française à propos de la religion et de sa place dans son projet de société. Mais je n’ai lu le livre de Todd, «Le rendez vous des civilisations» que bien après. Quel dommage !
En effet ma critique avait une limite. Certes je faisais soigneusement, je crois, la démonstration du contenu politique de la thèse et de son articulation avec la stratégie politique nationale et mondiale des droites. Mais cette critique ne suffit pas. Au contraire, l’étude de Todd est conforme à une méthode matérialiste très puissante. Son analyse de l’évolution démographique en particulier le conduisait à faire des pronostics allant à l’inverse de tout ce qui se disait à ce moment là. Todd a annoncé et prévu, non comme un prophète mais comme un scientifique, ce que serait le contenu universaliste des révolutions arabes. "Le monde musulman est entré dans la révolution démographique, culturelle et mentale qui permit autrefois le développement des régions aujourd'hui les plus avancées. Il s'achemine à sa manière vers le point de rendez-vous d'une histoire beaucoup plus universelle qu'on ne veut bien l'admettre." Cette thèse explique l’échec radical de la « théorie du choc des civilisations » à décrire ou à prévoir les événements. Au cas particulier des révolutions arabes, les faits survenus depuis sont absolument conformes aux analyses de Todd. "Le "choc des civilisations" n'aura pas lieu. L'examen d'indicateurs sociaux et historiques profonds impose au contraire l'idée d'un "rendez-vous des civilisations" avait-il écrit en commençant son travail. « Certaines puissances et certains chercheurs, avait-il diagnostiqué, ont intérêt à ce que s'installe dans les esprits la représentation d'un conflit de civilisation, qui masque la violence latente des conflits économiques. La démographie libère de cette paranoïa instrumentalisée […] Les populations du monde, de civilisations et de religions différentes, sont sur des trajectoires de convergence. » Si j’y reviens c’est, bien sûr, par gout du débat sur les idées. Mais aussi pour nous alerter. L’échec avéré de la « théorie du choc des civilisations » doit mettre en garde ceux qui n’en mesurent pas toute la portée. Cette théorie n’a pas davantage de valeur dans nos murs, dans notre pays. Pour les mêmes raisons, au départ, que celles décrites par Todd à propos de l’espace arabe. Pensez-y. Les prières de rue n’annoncent rien de plus qu’un embarras de la voie publique. En quelque sorte.
Je sais qu’Emmanuel Todd ne dit guère de bien de moi. Ses formules à mon sujet sont parfois très à l’emporte pièce. Je serai, selon lui, un « gugusse », un « esprit brouillon » et ainsi de suite. Mais j’ai eu aussi l’impression qu’il comprenait ce que j’essaie de dire avec ma manière de faire et qu’il dit partager. "Mélenchon, avec tout son côté brouillon, est dans son époque. Pour la première fois, on voit des gens de gauche se mettre au niveau de violence, réel ou virtuel, de la société. C'est pour cela que moi, consciemment, je m'astreins à parler brutalement, pour être en phase avec l'époque et l'adversaire" déclare-t-il à Rue 89 en novembre dernier. Bon. Alors pourquoi me rabaisser sur France inter en mars dernier par une caricature aussi trivialement médiatique que celle-ci "Mélenchon est un gugusse avec son affection pour la chine". Il s’en est expliqué au cours de notre face à face sur « arrêt sur images ». Ce n’est pas plaisant bien sur. Mais ce n’est pas décisif pour moi. J’ai pu voir sur le plateau que l’homme allongeait parfois les coups par une sorte d’emballement de la parole et du raisonnement. Ainsi quand il se mit à traiter de mon « indifférence à la question de la démocratie » ou à celle de « la condition des travailleurs ». En tous cas, cela ne m’empêche pas d’avoir besoin de Todd pour penser plus juste. Et parfois pour recevoir de lui des confirmations bien utiles les jours de grands doutes sur soi. Ainsi comment ne pas me sentir en phase avec lui lorsqu’il déclare dans un entretien avec le journal « Marianne 2 », le 24 mars dernier: "Les hommes de médias de ma génération ont aussi une responsabilité dans cette déroute des élites françaises […] il s’agit moins de journalistes que d’idéologues purs qui tentent de perpétuer une vision du monde totalement archaïque. Mais ils font partie des classes dirigeantes." Je ne crois pas avoir dit autre chose, même si c’est autrement.
Mais je me tiens aussi pour dit ce qu’il déclare dans le même entretien : « je ne suis pas intéressé par les propositions irréalistes protestataires de la gauche de la gauche, et je ne crois pas une minute à la possibilité pour le Front national d’arriver au pouvoir en France. Je pense tout à fait que la France doit continuer à être gérée par une alternance entre les grands partis décents de la droite et de la gauche. » Ce n’est pas là une analyse mais une affirmation politique. Il en a bien le droit. Mais elle ne doit rien à son travail de scientifique. Et que dire de cette sorte d’élitisme presque caricatural. « Je ne suis pas partisan d’une destruction ou d’un rejet des élites. Je plaide simplement pour le retour des élites à la responsabilité et à la raison. […] Je pense que le projet protectionniste européen ou la sortie de l’euro ne peuvent, dans le contexte français, être gérés que par des gens sortis des grandes écoles. […] La bonne démocratie fonctionne quand une partie importante des élites prend en charge les intérêts économiques et moraux de l’ensemble de la population". A mes yeux cette formule contient sans doute sa part de vérité. A condition d’en retirer le caractère quasi disqualifiant pour toutes les autres catégories de la population que la formule « élite », même revue et corrigée par Todd, exclut de la pertinence politique… Pour moi, au point auquel nous voici rendus, la clef du renouveau c’est l’implication populaire la plus large. C’est elle d’ailleurs qui, en mettant les « élites » au pied du mur, fera le tri entre les progressistes et les contre révolutionnaires que cette catégorie comporte comme toutes les autres. Et, à la fin de sa démonstration, je ne peux ignorer ce qui me sépare de sa conclusion telle qu’il l’a résumée en novembre dans l’entretien avec Rue 89 et qu’il a reprise dans notre débat. "Les protectionnistes sont des libéraux, qui croient au marché, à la libre activité de l'entreprise. Il faut juste fixer la taille du terrain de jeux. C'est le contraire de l'Etat bureaucratique. C'est l'Etat libéral qui organise l'existence d'un marché. Moi, je crois au marché ». Sur le plateau, il alla plus loin encore dans l’allégeance verbale au système « de l’économie de marché » et du capitalisme. Je ne le crois pas. Je ne crois pas qu’il pense vraiment cela. Tout ce qu’il écrit va trop à rebours de cette conclusion. Mais encore une fois, quand bien même cela serait, tout cela n’enlève rien à la force de ses analyses et des instruments qu’elles nous livrent pour penser notre temps. L’homme, je veux dire le citoyen, et son œuvre doivent être accueillis séparément.
Notre thèse sur la transversalité du précariat et la désagrégation du modèle économique dominant comme « modèle qui ne marche pas » et donc est ressenti progressivement comme illégitime est en écho du diagnostic que Todd pose dans « L’ENA hors les murs », en mars 2009: « Ce qui est tout à fait particulier dans la situation la plus récente, ce que je décris, c’est la façon dont les effets négatifs du libre-échange remontent du bas vers le haut de la société. Nous avons eu la phase des années 1980 durant laquelle c’étaient les ouvriers qui subissaient le plus. Nous avons ensuite vu le décrochage des classes moyennes inférieures au moment du traité constitutionnel européen. Nous avons vu que sur les sept dernières années, les gains d’argent dus au libre-échange ne bénéficiaient plus finalement qu’aux 1 % supérieurs de la société. […] Nous sommes confrontés à une idéologie dominante qui ne produit plus aucun bien pour aucun secteur de la société, y compris les riches !"
Parmi tout ce que j’ai lu dans son livre « Après la démocratie », et que personne ne peut se dispenser d’aller lire, je veux, pour finir, retenir à cet instant ce qu’il dit des élites dirigeantes. Elles font le lien entre le grand nombre et l’oligarchie. J’ai trouvé extraordinairement bien vue la déduction tirée de la contagion narcissique parmi ces élites. C’est une critique beaucoup plus abrupte et cruelle que tout ce que j’ai pu écrire ou dire sur le sujet. Pour lui, la classe des "éduqués supérieures" s'est autonomisé, et exerce le pouvoir pour elle-même, effaçant les clivages idéologiques. « Pour la première fois, écrit il , les "éduqués supérieurs" peuvent vivre entre eux, produire et consommer leur propre culture […] le monde dit supérieur peut se refermer sur lui-même, vivre en vase clos et développer […] une attitude de distance et de mépris vis-à-vis des masses, du peuple, et du populisme qui naît en réaction à ce mépris". Et comment ne pas applaudir cette trouvaille du regard sur des évènements qui paraissaient si peu corrélés ? "La disparition des idéologies traditionnelles renvoie chaque strate éducative, chaque profession à ses déterminations propres […] Le métier devient un objet d'identification primordiale, fragmentant encore plus finement le corps social. En 2008, les défections socialistes vers le sarkozysme ont révélé l'existence d'un métier politique indifférent à l'idéologie. […] en 1988, Franz-Olivier Giesbert ouvrait une ère nouvelle du journalisme en passant directement du Nouvel Observateur au Figaro, en véritable pionnier de la mort des idéologies dans ce milieu."
Bref, les élites n'assument pas leur rôle de guide que Todd leur attribue dans la société. Elles se coupent du peuple : "Au narcissisme individuel des membres de l'élite répond un narcissisme du groupe de l'élite, reniant ses responsabilités économiques et sociales, méprisant les humbles et enfermé dans une politique économique libre-échangiste, qui dégage des profits pour les riches et implique la stagnation puis la baisse des revenus pour les autres". Ce narcissisme s’étend à la pratique de l’engagement politique lui-même. C’est drôle et bien vu. "Le militant ancien faisait vivre le Parti dans la collectivité, et vivre la collectivité par le Parti. Le militant nouveau vient pour contribuer, certes, mais surtout pour s'exprimer, "s'épanouir" personnellement. Il est, dans sa section socialiste, l'un des millions de nouveaux narcisses engendrés par la révolution éducative supérieure". Après tout cela il n’en reste pas moins que dans la critique que Todd fait des positions qu’il m’attribue, il confond élite et oligarchie. C’est banal. Tous mes détracteurs font cette confusion. J’en vois bien l’intérêt polémique pour eux. Je ne le comprends pas pour Todd. Le premier service que l’on peut rendre à l’oligarchie, c’est de l’aider à se dissimuler derrière ses paravents, sa « suite dorée », selon l’expression de Karl Marx. C’est un double tour de passe-passe, on confond élite et oligarchie puis on confond « élite sociale », le dessus du panier des salaires, et élites intellectuelles et techniciennes. M’attribuer un rejet des « élites » en général, c’est méconnaitre le cœur de mon optimisme politique. Je crois qu’une autre société peut naitre précisément parce que la masse de notre peuple est éduquée, qualifiée et dispose en son sein d’une élite technique extrêmement nombreuse.
Le parti de Laurent Gbagbo était membre de l’internationale socialiste. Quelle contribution a pris l’internationale socialiste au règlement de la crise ? Aucun. Quels ont été les membres de cette illustre organisation qui se sont interposés dans le drame ?Aucun. Pourtant le PS français assure la vice présidence de cette organisation et Pierre Mauroy en a été le président ! Que dit cette organisation sur la capture de l’un des siens et son emprisonnement dans une zone contrôlée par des mercenaires sanguinaires ? Rien. Quant aux dirigeants français du PS, prompts à faire des visites sur place ? Rien. Combien d’année, le délégué national aux questions africaines a-t-il été aussi un intime de Laurent Gbagbo ? Lui, du moins, a-t-il assumé loyalement jusqu’au bout. Mais les autres ? Et euro RSCG, l’agence de communication de Dominique Strauss-Kahn, organisatrice de la campagne électorale de Laurent Gbagbo. Vont-ils rendre l’argent au nouveau pouvoir pur et sincère de monsieur Ouattara ? Non bien sur ! Sinon il faudrait rendre celui d’Eyadema, celui de Bongo et celui de combien d’autres ? Admettons. Admettons que chacun ait, en cours de route, découvert qu’ils ont soutenu par erreur un odieux tyran. Dans ce cas pourquoi ne demandent-ils pas à l’internationale socialiste une réunion pour prendre la mesure du nombre de ses membres qui viennent de perdre le pouvoir dans la violence ? Pourquoi n’ont-ils jamais demandé leur exclusion avant ? Pourquoi ont-ils gardé toutes leurs responsabilités dans cette organisation ?
Ces débats sur la nature et l’orientation de cette organisation m’ont été mille fois refusé, l’air excédé, par un François Hollande, du temps qu’il dirigeait le PS. Il n’y a pas eu une minute de débat quand leur ami De Larua fit tirer sur la foule argentine par ses policiers, ni quand leur ami président du Venezuela social démocrate fit tirer sur celle de Caracas, ni sur leur cher Alan Garcia élu président du Pérou avec l’aide de la droite qui fit massacrer paysans et prisonniers de droit commun. Aucune de mes mises en garde concernant cette organisation, faites de vive voix ou par écrit dans mes livres et articles, n’a jamais reçu un mot de réponse ni soulevé une minute de débat. Ils s’en moquent, ils ne savent pas où c’est, ils ne savent pas de qui il s’agit…. On connait la musique. Ils soutiennent n’importe qui, n’importe comment, du moment que l’intéressé a un tampon de l’Internationale Socialiste et paye le voyage. «Nous ne permettons pas aux autres de nous dire ce que nous devons faire, de quel droit irions leur dire ce qu’ils doivent faire eux » m’avait lancé François Hollande. Après quoi ils sont prêts à abandonner leurs amis d’un jour à la mare aux caïmans, quand ça tourne mal. Mais le cas de Laurent Gbagbo ne ressemble à aucun autre. Je prends le risque de me voir affubler par bien des petites cervelles qui liront ces lignes une nouvelle fois de leurs simplifications offensantes. Mais je ne risque, moi, aucune confrontation désagréable avec mes actes. J’ai rencontré Simone Gbagbo du temps où elle était dans l’opposition. Je n’ai jamais été invité sous sa présidence. Je n’ai jamais participé à une conférence sur place, ni été défrayé pour cela, je n’ai pas eu de tache d’écriture rémunérée par euro RSCG. Gbagbo ne m’a jamais téléphoné, écrit, fait porter des messages ou interpellé. J’étais, pour lui aussi, ce que j’étais pour ses chers amis du PS et de la gauche du PS. Une ombre au tableau. Mais il reste ceci : que ça plaise ou pas, Gbagbo a été la seule tentative de faire de la vraie sociale démocratie en Afrique. Qu’il ait échoué, dérivé ou ce que l’on voudra, mérite mieux que le lâche abandon auquel ont procédé les dirigeants du PS français. Les ivoiriens méritaient au moins une tentative d’interposition politique. Aujourd’hui, au moins par compassion humaine, par respect pour leur propre passé et leur ancienne amitié, ils devraient se soucier de savoir ce que devient Laurent Gbagbo et sa famille entre les mains des mercenaires givrés de Alassane Ouattara. Ils ne feront pas. Ils espèrent juste que ça passe et qu’on ne leur demande aucun compte.
Je crois bien que les images de « l’arrestation » de Laurent Gbagbo devraient créer un grand malaise. Leur violence, le style « mercenaire aux yeux rouges» des assaillants, l’ambiance de lynchage des vaincus, les violences faites aux femmes, l’évidente main mise de notre armée sur l’opération, rien ne ressemblait moins à une opération de protection de la population sous mandat de l’ONU. Mais, depuis le début, Laurent Gbagbo est l’homme à abattre pour les concessionnaires français qu’il a menacé dans leurs intérêts un temps même s’il les a bien cajolé ensuite. Cela n’excuse rien, mais cela explique tout. Et d’abord la réécriture de la personnalité d’Alassane Ouattara. En fait, un vrai aventurier repeint en bon père de la démocratie. Soutenu par l’ancien président hier accusé de totalitarisme, Konan Bédié qui l’avait empêché en son temps d’être candidat à l’élection présidentielle, et par le premier ministre de Gbagbo, un soi disant « rebelle du nord », vrai seigneur de la guerre, dont les mercenaires ont été immédiatement maintenus en place et rebaptisés en « force républicaine », le changement de camp valant amnistie pour les crimes qui leur étaient hier reprochés. Alassane Ouattara est un chef de clan et rien de plus. L’argument de sa victoire électorale est une fiction qui pouvait être utile aussi longtemps qu’il pouvait y avoir une perspective d’accord sur ce point entre les parties. Mais il n’y en avait pas.
Ne restaient donc en présence qu’une addition de tricheries. Valider les mensonges des bourreurs d’urnes d’Alassane Ouattara revenait à prendre partie dans une guerre civile. Elle dure depuis 2003. La raconter obligerait à un récit qui prendrait trop de place. Aucune page n’y valut mieux que la précédente. Mais aucune ne correspond au récit simpliste de la lutte entre gentil et méchant qui repeint Gbagbo en tyran et Ouattara en démocrate. Car si l’on en a vu beaucoup montrer du doigt ce fait que Gbagbo n’a pas obéi aux injonctions de l’ONU, on dit moins, et même jamais, que Ouattara n’y a pas davantage obéi. Notamment parce que ses mercenaires n'avaient pas désarmé pendant l'élection, contrairement à la demande de l'ONU. Leur influence pédagogique explique sans doute les votes à 90 % en faveur de sa candidature dans les zones qu’ils contrôlaient. On vit clairement le parti pris quand fut refusé le recomptage des suffrages, demandé par Gbagbo et refusé par Ouattara. Pourquoi ? On l'avait bien fait aux USA, faut-il le rappeler ? A la fin il faut se souvenir que le mandat de l'ONU était de "protéger les civils" et d'"empêcher l'utilisation d'armes lourdes" contre eux, pas d'aller arrêter un président sortant en bombardant le palais présidentiel.
Mais qui s’en soucie ? « Vae victis », comme dirait Michel Denisot. Malheur aux vaincus ! Je crois que cette opération militaire déclenchée sans le début d’une discussion et ou d’un vote de l’assemblée nationale commence un mauvais style pour la suite de nos relations avec l’Afrique. Il est urgent que notre pays se ressaisisse. En premier lieu que le parlement ne laisse plus s’installer cette habitude qui voit dorénavant tous les artifices d’interprétation et de procédure réunis pour justifier que les parlementaires n’aient jamais leur mot à dire sur les expéditions militaires du pays. On n’a voté à l’Assemblée et au Sénat ni sur l’Afghanistan, ni sur la Libye, ni sur la Cote d’Ivoire ! Ni avant, ni pendant, ni depuis ! Et, bien sûr, c’est nous qui donnons des leçons de démocratie aux autres ! Mais nous, quelle genre de démocratie est donc la nôtre entre l’Europe qui nous dicte des lois et des astreintes jamais délibérées et un régime présidentiel qui déclenche des guerres à sa guise et sans mandat ni contrôle du parlement ? Il me semble qu’une commission d’enquête parlementaire sur cette intervention est seule capable de faire la lumière sur l’enchainement qui a conduit jusqu'à cette intervention militaire française dans la guerre civile ivoirienne.
Des nouvelles particulièrement intéressantes nous arrivent d’Amérique latine. D’Equateur d’abord. Le 5 Avril dernier, le président Rafael Correa, notre ami, a déclaré Madame Heather Hudges, ambassadrice des USA, persona non grata. Elle a été invitée à quitter immédiatement le territoire équatorien. L’Equateur est en négociation commerciale avec les USA pour desserrer l’étau des traités de libre échange que ceux-ci ont conclus avec ses voisins sur les mêmes productions que celles du pays. On devine la raison qui a conduit le président à agir de la sorte. La même que celle qui l’avait conduit auparavant à ordonner l’expulsion de deux fonctionnaires de cette ambassade. Il s’agit bien sûr de l’intrusion avérée des agents américains dans les affaires internes de la Police nationale et leur tentative de déstabilisation du gouvernement. C’est la parution d’informations diplomatiques diffusées par Wikileaks dans le quotidien espagnol El Pais qui a mis le feu aux poudres. Madame Hudges y déclare que le Président Correa a délibérément choisi de mettre un homme corrompu, le général Jaime Hurtado, à la tête de la Police nationale. L’article paraît au moment opportun pour les médias locaux. L’Equateur est en pleine campagne pour la "consultation populaire", c’est le nom qu’on donne là-bas au référendum, du 7 mai prochain. Ce référendum pose notamment la question de la définanciarisation des médias équatoriens. C’est aussi le premier rendez-vous du président Correa avec les urnes depuis le coup d’Etat. L’Assemblée nationale a d’ores et déjà choisi son camp. Le 12 avril, elle a « soutenu sans restrictions » la décision du président. Je suppose qu’on va bientôt entendre pis que pendre sur Correa dans la presse bien pensante. La dernière fois il était accusé d’avoir inventé un coup d’état contre lui. Des policiers qui tirent sur leur président puis le séquestrent, des militaires qui bloquent des aéroports, quoi de plus naturel ? S’imaginer autre chose, c’est de la paranoïa ! Les commentateurs bien pensant, et les défenseurs des droits de l’homme à Cuba et toutes les créatures des agences d’influence nord-américaines estimèrent donc qu’il n’y avait pas de quoi s’émouvoir. Auparavant elles n’avaient rien trouvé à dire non plus contre le putsch au Honduras. Ni contre les meurtres qui y continuent.
Au Pérou aussi ca bouge. Dimanche 10 avril, les péruviens étaient appelés aux urnes pour les élections générales. On y élisait à la fois le président de la République, les députés nationaux et les députés au Parlement andin. Les résultats sont sans appel. L’équivalent du Front de Gauche au Pérou, « Gana Peru », est le grand vainqueur des élections. Son candidat au premier tour des présidentielles, Ollanta Humala fait plus de 31%, loin devant les 23.47 % de son adversaire, Keiko Fujimori, fille du dictateur du même nom. Le président sortant était un socialiste. Alan Garcia. Son parti, l’APRA, est membre de l'Internationale socialiste. Je note avec satisfaction les résultats des élections législatives à un tour. L’APRA social démocrate y est tombé à 6% ! Une déroute à la mesure de la nocivité de ce parti et de son personnage emblématique. Les socialistes n’avaient d’ailleurs pas de candidat à la présidentielle. Ils ont préféré soutenir le très libéral leader de droite Kuczinky. Ce dernier est arrivé pour sa part en troisième position. Bon débarras. La déroute du parti d'Alan Garcia est vraiment un soulagement. Son gouvernement de coalition avec la droite a mené une politique des plus droitières de l’histoire du Pérou. Garcia lui-même est une caricature. Déjà Président de la République de 1985 à 1990, il a ordonné des centaines d'exécutions arbitraires entre 1986 et 1988. Un massacreur. Le bilan est lourd. Exécution sommaire de plus de deux cents détenus dans les prisons de Lurigancho, de el Fronton et de Santa Barbara, massacre de paysans à Accormarca, massacre de Cayara. J’en passe malheureusement. A partir de là, le score d'Ollanta Humala, est plus qu'une bonne nouvelle. Il s’élève à plus de 50% dans les régions où les multinationales exploitent minerais, pétrole, gaz, électricité au détriment des populations locales. Le second tour aura lieu en juin. Surveillez la mise en marche de la machine à calomnier d’ici là. Ça va être un festival.
On a beaucoup parlé de Renault-Nissan ces temps-ci. Je m’épate de voir comme la dimension sociale et financière de la question est masquée par les avatars de l’histoire de gribouille qui a ridiculisé le haut management de l’entreprise. Renault-Nissan n’est pas pauvre. Son bénéfice pour 2010 s’élève à 3,5 milliards d'euros. Son patron non plus n’est pas pauvre. Carlos Ghosn coute cher. Très cher. Il gagne 9,1 millions d'euros par an. C’est le patron le mieux payé de France. Dans le même temps, les salaires ouvriers de Renault ont baissé de 15 % en raison du chômage technique. Le crédo du patron pour Renault : «être le constructeur généraliste européen le plus rentable ». Résultat, un plan de 6 000 suppressions d'emplois lancé en 2008, appliqué en dépit des aides publiques reçues en 2009-2010. Et bien sûr, le gel des salaires sur 3 ans et l’accroissement de la flexibilité. Et tout ça pour quel résultat ? Afin de réduire les coûts et d'augmenter ses marges Renault a multiplié les délocalisations de production de toute sa gamme depuis 5 ans. L'entrée de gamme, Logan, Twingo, Clio 2, se fabrique au Maroc et dans les pays de l'est. Le milieu de gamme c’est la Clio 3 produite à 60 % en Turquie. Le haut de gamme, Latitude et 4×4 Koleos sont fabriquées en Corée. Ces délocalisations massives obligent désormais Renault à importer l'essentiel des voitures qu'il vend en France : les 2/3 des Renault immatriculées en France sont fabriquées à l'étranger. Estrosi mentait donc ouvertement quand il affirmait : « une voiture française, destinée à être vendue en France, doit être fabriquée en France ! ». Et pourtant l’argent public est fortement mis à contribution dans Renault. 4 milliards d’euros d’aides ont été versés par l’Etat en 2009, sous forme d’avances remboursables. Sur les 500 millions d’euros de primes à la casse payées par l’Etat en 2009, Renault a largement pris sa part car ses clients ont été parmi les principaux bénéficiaires. Enfin n’oublions pas les 300 millions d’euros que Renault va économiser en 2010 grâce à la suppression de la taxe professionnelle. Que les impôts des français compenseront.
En dépit de toutes ces participations publiques, l’influence stratégique de l’Etat sur Renault est quasi nulle, alors qu’elle devrait contribuer à réorienter ses productions compte tenu de la crise écologique. L’Etat le pourrait s’il assumait son pouvoir. L’Etat possède encore 15 % du capital de Renault représentant 18 % des droits de vote. Deux administrateurs siègent pour cela au conseil d’administration de Renault SA. L’Etat est donc le 1er actionnaire de Renault. Que pèse-t-il dans les choix ? Pire, l’Etat a subventionné la future voiture électrique de Renault, la Zoé, sans avoir de garantie en termes de localisation de l’activité. 100 millions d’euros en capital, 150 millions pour la chaîne de fabrication des batteries, sans parler du bonus fiscal de 5 000 euros qui sera offert à l’achat. Inutile de rêver pour l’avenir si tout reste en l’état. La Commission européenne a interdit toute mesure anti-délocalisation dans les plans d'aides à l'automobile. Dès l’annonce du Plan français d’aide à l’automobile, la Commission avait déclaré le 10 février 2009 que « toute obligation de garder une unité de production en France rendrait ces aides illégales ». Et à l’issue du Sommet européen du 2 mars 2009, la Commission s’était réjouie d’avoir obtenu de la France que « les conventions de prêt avec les constructeurs automobiles ne contiennent aucune condition relevant de la localisation de leurs activités en France. » C’est tout cela le bilan, à l’arrière plan de l’affaire d’espionnage bidon, qui mine l’entreprise. L’affaire, avec sa conclusion ubuesque ne s’arrêtera pas là. La secousse a touché un organisme déjà en forte tension. Une maison où les suicides professionnels sont déjà bien ancrés dans le paysage du mal être et de la souffrance au travail.
Ce n’est pas l’évènement du siècle mais je le raconte. Combien de fois en effet a-t-on vu les médias citer Maxime Gremetz comme la figure des communistes qui rejettent ma proposition de candidature pour représenter le Front de gauche aux élections présidentielles. C’est bien son droit. Mais pas avec ces mots injurieux ni au nom d’un parti dont il n’est plus membre. Oh, comme cela amusait certains de présenter Maxime Gremetz comme image du Parti Communiste ! Au cours de leur réunion hebdomadaire, les députés communistes, républicains, citoyens et du parti de Gauche ont décidé, à l’unanimité moins deux voix, d'exclure Maxime Gremetz de leur composante au sein du Groupe de la Gauche Démocrate et Républicaine (GDR) à l’Assemblée Nationale. Ils déclarent condamner « son attitude scandaleuse et irresponsable du 16 mars dernier, succédant à tant d’autres incidents, ils ont considéré que les valeurs qu'ils portent ne peuvent s’assortir d’un comportement humainement et politiquement inadmissible. » Il faut savoir qu'à l'heure actuelle il est suspendu pour deux mois de son droit de pénétrer dans quelque local de l'Assemblée Nationale suite à son irruption violente lors du débat sur les suites du séisme et de l'accident nucléaire de Fukushima. C'est la première fois qu'une telle sanction est prononcée contre un député. Car il s'agit de fait de "récidive" en quelque sorte. Il avait notamment défoncé la porte du bureau d'un autre député du groupe à coup de pied de biche. Il a par ailleurs, hors assemblée, porté la main sur Marie-George Buffet, ce qui avait abouti à son exclusion du PC, là aussi à la suite d'autres incidents de cet ordre. Et récemment il s'en est pris à Pierre Laurent. Par ailleurs une plainte au pénal a été déposé par le président de l'assemblée nationale, car il a frappé un fonctionnaire de l'assemblée. Il a essayé de nouveau la semaine passée de pénétrer de force dans l'assemblée. Ce comportement en réalité révèle un trouble personnel grave qui est davantage humain que d’ordre politique. Il est peu probable que des raisonnements et des injonctions en viennent à bout. Quoiqu’il en soit, les communistes ont considéré que la situation devenait intenable pour l'image de leur parti.