Après Guéant, Wauquiez, nouveau roi de la beaufitude

Dans ces lignes, il est question de la piteuse journée de l’Europe, de Laurent Wauquiez et de la façon dont est en train de s’organiser l’espace des mots et des valeurs qui servent à penser dans ce moment de notre histoire. Je veux montrer comment des faits qui semblent sans rapport forment un tout. Puis j’en viens, bien sûr, aux questions qui concernent la bataille politique entre la gauche et la droite et entre les deux gauches en présence. En fait, je parle de la lutte pour l’hégémonie culturelle dans l’espace politique.

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Ce billet est illustré par Liliane Guillerm, membre du parti de gauche et artiste peintre. Elle est, bien entendu, chaleureusement remerciée.

Le 9 mai c’était la journée de l’Europe. Vous l’avez su ? Quelques rares médias ont essayé de prendre l’évènement en main. Mais c’était la série noire cette semaine là. Le cauchemar européen se montrait au grand jour. En Grèce commençait la neuvième grève générale. Elle coïncidait avec l’arrivée d’une mission du FMI et de la Commission européenne venue accroitre le pillage du pays. La Grèce emprunte à 25 % dorénavant. Un taux usuraire qui est censé rémunérer le risque du prêt si le pays fait faillite. Gros bobard. Car ces mêmes emprunts soit disant super risqués sont souscrits deux ou trois fois. Qu’il y ait trois fois plus d’offre de capitaux  que de demande alors même que le risque est censé être à son comble prouve sa racine dans la cupidité des banques qui se gorgent sur la base de la crise qu’elles ont déclenchée ! En même temps cette situation résume bien la folie du système et la radicale stupidité de la main invisible du marché. Car ceux qui viennent se goinfrer le font à un tarif qui risque quand même bel et bien de jeter la Grèce à terre et donc de tout leur faire perdre. Le marché est impuissant a s’auto-réguler contrairement aux sornettes débitées sur le sujet.

Puis, le Danemark a rétabli ses frontières avec ses voisins. J’arrête là. Le vaisseau coule. La plupart des eurolâtres sont donc restés terrés dans leur cave en attendant que ça passe. Les bouches en cœur du Traité Constitutionnel et du traité de Lisbonne étaient muettes pour cetteange2 journée de l’Europe. Un tout autre débat a occupé tout l’espace. Laurent Wauquiez faisait en effet connaitre son projet contre les pauvres. Et pourtant le soir même se discutait à l’assemblée nationale la version française du plan d’austérité exigé par la Commission européenne et l’inscription dans la Constitution de la règle économique néo libérale contre la dépense publique.

Le texte du gouvernement est une bonne démonstration de ce qu’est devenue l’Union Européenne. Elle nous « protègera » bientôt davantage. A sa demande en effet le nombre des fonctionnaires continuera de baisser. La France s’y est engagée. Les subventions aux associations et aux collectivités locales diminueront car elles sont aujourd’hui excessives, c’est bien connu. Le gel des salaires est confirmé ainsi que la poursuite de la baisse des remboursements de médicaments. D’ailleurs il y a un engagement à recentrer ces remboursements  vers les soins « les plus médicalement utiles » car les gens sont des malades imaginaires la plupart du temps et les médecins prescripteurs des amis du placebo. C’est pas beau l’Europe ? C’est pas génial comme plan ? Et le symbole, il n’est pas beau ? Voter davantage de mal vivre, sur ordre de l’union européenne pour honorer la journée de l’Europe ? Finalement ça collait assez bien avec la proposition de Laurent Wauquiez contre les pauvres. C’est dans l’esprit et même la lettre du « plan euro plus ». Et d’ailleurs, ca collait bien avec le job gouvernemental de Laurent Wauquiez.

Le génie du Puy (en Velay), ci-devant ministre des affaires européennes, n’est vraiment pas un aigle. Jusque là on ne le connaissait que d’après  des articles et des photos le montrant en distractionposes de premier communiant, avec une légère tendance skin. Maintenant tout le monde le connait. C’est le gars qui veut en faire baver aux salauds de pauvres qui se goinfrent de RSA. Et ça s’appelle « droite sociale », ça ! Mais cette notoriété tue dans l’œuf celle qui devrait lui revenir de plein droit. Il est tout de même ministre cet homme ! Ministre ? Mais de quoi ? Des affaires européennes ! Vous devriez suivre un peu les promotions. Donc c’est bien raccord. Proposer de prendre de l’argent au RSA, frapper les pauvres et les insulter, c’est une idée très européenne. C’est conforme à la lettre et à l’esprit du plan euro plus.
Vous connaissez Erostrate ? Maudit soit son nom ! Il ya quelque vingt-trois siècles, je crois,   ce salaud a mis le feu au temple d’Artémis, une des sept merveilles du monde antique, juste pour qu’on se souvienne de son nom. Wauquiez, met le feu à l’une des sept merveilles du Sarkozisme pour qu’on sache jusqu'à quelle profondeur peut s’abaisser un réactionnaire pour exciter les instincts les plus vils. C’est trop ! Même pour ses propres amis. Mais leur agitation est vaine. Le mal est fait. Les mots ont fait leur travail de poison.

Certes, nous tenons la preuve ambulante de ce que pensent vraiment les ministres du président des riches. Wauquiez et le RSA seront donc un de nos refrains de campagne. Ses amis ont senti le coup arriver. Ils l’ont donc lâché. Un « discours de beaufitude et des propos de comptoir » a dit Roselyne Bachelot ! Wauquiez, premier beauf de France ! Même cette brute de Lionel Luca, l’ami de la peine de mort, a davantage d’humanité que lui ! « Le vrai cancer du pays c’est le chômage, ce ne sont pas les chômeurs » : a-t-il déclaré. La palme à Rachida Dati qui lui a taillé un short sur mesure sur RFI en lui demandant de s’attaquer aux bonus des banquiers français, contraires aux règlements européens, plutôt qu’au RSA des pauvres. 

Auparavant on n’avait guère remarqué ce Wauquiez. On comprend vite pourquoi. Il était ministre de l’emploi. Personnellement, j’avoue que je ne savais pas où son talent s’occupaithep-mister dorénavant, avant qu’on me propose un débat radiophonique avec lui. Je n’ai jamais entendu parler de lui ni à Bruxelles ni à Strasbourg. En fait comme ministre, il ne fait rien. Il assiste à d’assommantes réunions de routine technocratique où les hauts fonctionnaires tiennent le stylo. Personne ne veut y aller. Donc on envoie monsieur l’ennemi des pauvres, préposé ministre. Dès que c’est du sérieux, arrive le ministre des affaires étrangères. Le super sérieux et grave c’est l’affaire du premier ministre qui fait néanmoins tout ce qu’il peut pour passer la patate chaude au ministre des affaires étrangères. Les questions stratégiques, glorieuses et médiatiques c’est pour  le Président, lequel regarde cependant à deux fois avant d’y aller. Car l’Europe c’est le tue la joie. Bref, ils font tout, il fait le reste. Disons ceci pour résumer la situation : la personne qui fait le ménage dans la salle où s’ennuie Laurent Wauquiez fait un travail plus utile pour ses semblables que lui ! Et sans doute fait-il le travail avec davantage de sérieux. Car lui, Wauquiez, ce n’est pas sérieux du tout. Vous imaginez un ministre de l’agriculture à qui on demanderait quel genre d’arbres produisent des pommes de terre et qui répondrait « heu… je ne me souviens plus ». C’est ça le niveau de Wauquiez sur l’Europe.

Pourtant, face à moi, sur France Inter, il faisait le brave. Comme ses arguments sentaient le piano mécanique des oui-ouistes, il est vite parti en roue libre sur les phrases creuses bien connues de ces refrains. Il y a même eu une apothéose caricaturale, bien connue de mes lecteurs. Voyez. « quelle raison avons-nous de vouloir encore l’Europe » demande le journaliste. «Je vais répondre simplement, réplique cet aigle, la Chine la Russie le Brésil et l’Inde ! ». Et voila. Fermez le ban ! Après coup je méditais cette séquence. Tout de même, où en sommes-nous rendus ! Il y a vingt ans n’importe lequel des partisans du rêve européen aurait parlé de paix, de civilisation, que sais-je encore. Et surtout il aurait répliqué la phrase à tiroirs de l’époque. Vous vous souvenez ? « Sauvegarder notre modèle social face aux Américains ». Le modèle social de la « droite sociale » maintenant on connait… N’est-il pas frappant de voir comment l’espace politique de la droite, même celle qui  se voulait « sociale » s’est déplacé vers la droite la plus dure. C’est le fond de l’affaire. Je vais y venir.

Bref, comme le monsieur ne savait pas, finalement, quoi dire, il a fait dégringoler le niveau du débat en passant directement aux coups sous la ceinture : « vous ne faites rien au le-cirqueparlement européen, vous faites parti des 15% les moins présents etc.… etc.…. » Je connais le numéro. Il aurait du donner la liste et on aurait vu si ses copains qui sont dedans se démènent autant que moi ! Pour le monsieur, l’activité européenne se résume au nombre des signatures de présence aux réunions bidons de la chicha Bruxelloise. Ce n’est pas ma conception. Je vous en reparlerai de nouveau bientôt. Je lui ai répliqué qu’il ne connaissait rien au fonctionnement du parlement européen ni au contenu du Traité de Lisbonne. Il n’a même pas essayé de démentir. Mais comme je tenais à pouvoir rester sur le fond c'est-à-dire à démonter méthodiquement, avec des arguments vérifiables, son catéchisme euro-béat, je ne me suis pas lancé dans la révélation de l’ampleur de son ignorance. Pourtant j’étais bien informé sur ses exploits en la matière. Ils étaient récents. La veille, sur BFM télé, le grandiose « ministre des affaires européennes » montrait qu’il ignorait quels étaient les Etats membres de l’espace Schengen, et même quels étaient les Etats membres de la zone euro. Dans le contexte, ne rien savoir sur deux questions en pleine tourmente ce n’est pas sérieux. Je comprends pourquoi il préférait parler d’autre chose.

Le lendemain matin 10 Mai, hasard, le ministrissime était à Strasbourg. Il avait convoqué la délégation des députés français membres du Groupe de droite que préside le français UMP Joseph Daul. Mais son esprit était ailleurs. Il était dans sa croisade contre les pauvres. Donc les députés présents ont été invités à signer un communiqué de soutien à leur ministre préféré. L’accueil fut frais. Un journaliste qui suivrait les affaires européennes et qui n’aurait pas peur de faire de la peine à la droite n’aurait pas manqué de suivre cet épisode haut en couleur. Dommage que l’ordre du jour ne prévoyait rien sur Cuba car sinon ça aurait attiré l’attention. A peine le grand homme avait-il tourné les talons, son agent de liaison se mettait au travail pour écrire la manifestation officielle d’enthousiasme. Le texte du courrier envoyé aux supporters obligés a tout le comique des cirage de pompe sous contrainte.

Mais voila donc à quoi s’occupe le ministre des affaires européennengraxatees quand il vient à Strasbourg.  « Madame, Monsieur le Député, comme convenu ce matin lors de la réunion de la délégation avec le Ministre des affaires européennes, Jean-Pierre Audy vous prie de bien vouloir trouver ci-dessous une proposition de communiqué de presse des membres de la délégation. Afin de permettre une diffusion rapide du communiqué, je vous serais reconnaissante de bien vouloir m'indiquer avant 16h15 si vous souhaitez cosigner ce communiqué. Je vous remercie d'avance, Bien cordialement, Marion Jeanne » 16 heures quinze ! Mazette ! Le mail est de seize heures ! Mais pour communiquer à l’heure que ne ferait-on pas ?

A présent, juste pour la gourmandise, voici le texte spontané et plein de légèreté qui a été suggéré à ces bons parlementaires de droite pourtant récalcitrants. Remarquez la rédaction. On veut faire croire à un compte rendu de réunion. Il ne vous reste plus qu’à rechercher quel organe de presse aura recopié tout cela  sans vérifier si c’était autre chose qu’une grosse opération de propagande. Et ensuite chacun pourra se demander combien de fois ce qu’il lit n’est en réalité qu’un montage de cette sorte. Et si vous ne trouvez trace nulle part de ce noble document c’est que Wauquiez a encore fait un bide. Mais quand Fillon va savoir que son ministre fait des pétitions alors qu’il lui a demandé de fermer sa bouche, ça ne va pas le faire.
Voyez à présent comment les arguments de l’ennemi des pauvres sont repris dans ce communiqué comme si c’était la conclusion consensuelle d’un débat qui n’a pas pourtant pas eu lieu ! "L’équilibre entre droits et devoirs, clé de voûte pour la préservation du modèle social européen" "Notre modèle social européen s'est construit sur la notion essentielle d'équilibre entre les droits et les devoirs des citoyens. Veiller au respect de cet équilibre est la condition pour préserver ce modèle face à la concurrence mondiale et à la crise économique" ont déclaré mardi des députés européens de la majorité présidentielle."Pour favoriser le retour à l'emploi, il est essentiel que les revenus du travail soient privilégiés par rapport aux soutiens issus de la solidarité. C’est une question de compétitivité économique et de dignité humaine." ont insisté les députés européens.

Ce texte est sans doute nul. Mais il montre bien la cohérence politique assumée qui unit l’opération de communication contre les bénéficiaires du RSA et la politique de l’Europe. C’est pour cela que Wauquiez voulait ce texte.  La conclusion du document le souligne d’un double trait. "Ce combat ne pourra être mené à bien que s'il va de pair avec une plus grande coordination des politiques fiscales et sociales des Etats membres de l'Union européenne et en soutenant le principe de flexi-sécurité : davantage de flexibilité avec davantage de sécurité de l’emploi" ont ajouté ces membres de la délégation française du Groupe PPE au Parlement européen. Le final est du meilleur style lèche botte. "Nous devons travailler au plus vite à une convergence fiscale et sociale entre Etats membres" ont-ils conclu en saluant l’initiative du ministre Laurent Wauquiez comme une indispensable et utile contribution au débat sur la compétitivité économique essentielle au financement de nos légitimes ambitions sociales. Suit la liste des membres de la délégation FR PPE co-signataires de ce texte.

A côté de cette cohérence entre la politique européenne et l’attaque contre les bénéficiaires du RSA, il y a une convergence idéologique entre cette provocation et les autres faites sur le thème de l’immigration par exemple. Il s’agit de diviser contre lui-même le camp populaire. Au cas précis, il s’agit d’exciter ceux qufavelai misèrent au travail avec ceux qui misèrent au chômage. En comptant sur l’ignorance de la réalité et sur son travestissement. Donnons un éclairage sur les faits réels. Le RSA est fait de deux sortes de bénéficiaires. Les premiers n’ont pas de travail du tout. Ils touchent le « RSA socle ». Ceux là se gorgent avec 411 euros s’ils touchent une allocation logement et sinon ils se roulent dans l’or avec 467 euros par mois ! Qui sont ces gavés ? Des femmes « parent  isolé » et des handicapés, pour l’essentiel. Les bénéficiaires du RSA socle sont un million cent soixante dix sept mille ! Ce sont eux que l’infect Wauquiez veut condamner au travail forcé. Cinq heures ! Cruel ? C’est sûr. Mais surtout absurde.

Absurde. Ou trouver cinq millions d’heures de travail gratuit à faire. Les exemples donnés par monsieur le ministre correspondent tous à des emplois aidés actuels. Donc, la mesure Wauquiez détruirait de l’emploi. Que veut-il, alors ? Rien. Juste stigmatiser les bénéficiaires.  Il l’avoue. Dans « Les dernières nouvelles d’Alsace », il déclare : « soyons lucides ce n’est pas avec cinq heures que vous allez faire un job. L’idée c’est pas ça. C’est juste de montrer c’est qu’il y a des devoirs. Une société dans laquelle on fait croire qu’il n’ya que des droits et que les gens peuvent juste tirer sur la corde c’est une société qui perd son sens ». Et quel est le sens d’une société où existe du travail forcé ? On vous laisse le dire. Et le roi de beauf d’insister dans le journal « Le Parisien » « Un système social où la différence entre travail et assistanat n’est seulement qu’entre 2 et 3 euros est-il juste pour ceux qui choisissent le travail ? ». Vous avez bien lu ? « Ceux qui font le choix du travail ». Les autres font le choix du chômage et de la misère ? Oui c’est ce qu’il veut dire. Et alors tout est dit. Il faut y réfléchir.

Car toute cette ambiance fait système. Il faut considérer la scène dans son ensemble. L’espace des valeurs et des symboles que construit la droite politique actuelle est en expansionengraxates dans la société. Les thèmes qui dominent la scène sont de plus en plus en plus en conformité avec les ressorts « culturels » du système libéral. Pour que la concurrence libre et non faussée s’incruste, il faut une société de compétition de chacun contre tous. Ca s’organise. Chacun à sa manière y contribue dans la droite et l’extrême droite. Un jour les immigrés tunisiens diabolisés, le lendemain les joueurs de foot trop ceci et pas assez cela, le surlendemain les ayant-droits du RSA. Bref il ne se passe pas un jour sans que la machine à stigmatiser ne tourne à plein régime. En fin de course, l’espace sémantique, symbolique  et politique de la droite extrême et de l’UMP fusionne en un tout. Il n’est pas dit que le FN soit vraiment celui qui tirera les marrons du feu alors même qu’il y contribue très activement, à la faveur de la campagne de gonflette médiatique que l’on connait.

Si cet espace se dilate, au bout du compte, Nicolas Sarkozy peut le dominer, comme Berlusconi y est parvenu en Italie. Pourtant les primaires réussies à gauche et la désignation par trois millions de votants de Romano Prodi comme champion de la «  gauche social démocrate et du centre » auguraient une victoire écrasante contre le roi des casseroles et du bling bling. C’est pourtant Berlusconi qui a écrasé tout le monde avec sa coalition de droite et d’extrême droite. Ainsi non seulement François Hollande a dit une bêtise en affirmant que « Sarkozy est déjà battu » mais tout le PS fait prendre un risque immense à toute la gauche avec sa stratégie de campagne. Celle-ci repose sur l’idée que la majorité du pays se tourne vers la « compétence-modérée » pour répondre à la crise du quotidien que vivent tous les foyers. Erreur totale de diagnostic. Ils ne voient donc pas la division qu’ils creusent à gauche par leurs discours et leurs propositions qui méconnaissent absolument l’urgence sociale. Ils ne mesurent pas davantage celles qu’ils ouvrent avec leur candidature Strauss-Kahn. Que l’homme soit le symbole de tout ce qu’a combattu la gauche idéologique qui s’est reconstruite autour des thèmes mis en débat par l’alter-mondialisme, ils ne veulent pas le savoir. Toute leur stratégie repose sur le réflexe du « vote utile » qui selon eux éteindra tous les résistances à gauche. Bilan : tandis que l’espace idéologique de la droite s’homogénéise, celui de la gauche se fractionne.

Je reviendrai sur cette situation. J’en résume cependant l’enjeu. Autour de qui va se faire pour finir le rassemblement de la gauche ? C’est l’enjeu. Cela ne se résume pas à la question de les-bottes-rougesavoir qui sera au deuxième tour pour la gauche. Même si cela en sera l’aspect visible électoral. Je demande ici quel espace culturel symbolique et politique peut devenir central à gauche. A droite ils ont choisit la radicalité de droite. Et à gauche ? Le choix des socialistes ne permet pas de rassembler une majorité populaire.  Il n’y a pas le compte. Ni dans le programme, ni dans la vision de la réplique à la crise économique et écologique que la masse a parfaitement compris comme étant grave et profonde. Le grand nombre comprend que c’est la crise d’un modèle de civilisation. Le message de mise en ligne avec la « mondialisation-incontournable » auquel se résume le projet socialiste  ne peut absolument pas permettre de construire une majorité populaire. Mais nous le pouvons-nous ? L’autre gauche en est-elle capable ? Pour commencer cette réponse je publie une tribune de Roger Martelli, parue dans l’Humanité à propos de la situation créée par le retrait d’Olivier Besancenot. Si la conclusion en faveur du Font de Gauche et de ma candidature comme candidat commun est certes un évènement sous la plume de Roger Martelli, je veux surtout attirer l’attention sur le raisonnement qui y conduit. C’est lui qui ouvre l’ordre de la réponse que je veux faire à la question que j’ai moi-même posé.  

« Une situation nouvelle. Par Roger Martelli. Olivier Besancenot vient d’annoncer qu’il ne serait pas candidat à la présidentielle de 2011. Cette décision personnelle ne sera pas discutée ici. Étant donné l’impact politique réel de celui qui la prend, elle crée une situation nouvelle ; elle doit être négociée du mieux possible dans la gauche d’alternative. Comment faire en sorte que les catégories populaires, déchirées par les effets du système et de sa crise, ne soient pas tentées par l’abstention ou par la pseudo-radicalité de la droite extrême ? Comment raccorder dès aujourd’hui la colère à l’espérance et, demain, battre la droite aux deux scrutins de 2012 ? Certains, par crainte d’un nouvel avril 2002, peuvent être tentés par le rassemblement de toute la gauche dès le premier tour ; d’autres peuvent se résigner à la parcellisation extrême d’une gauche, de fait, très divisée sur le fond.

Ni l’une ni l’autre de ces hypothèses ne sont des solutions pertinentes. Pour gagner leslivres élections de 2012, la gauche devra mobiliser au maximum toutes ses composantes, dès le premier tour de la présidentielle. Elle ne le fera pas si ses couleurs sont portées par un candidat unique, ancré dans la logique qui « plombe » la gauche depuis 1982-1984, celle-là justement qui l’a plongée dans l’incertitude. Rassemblée bon gré mal gré autour d’un tel héritage, la gauche passerait le cap du premier tour, mais risquerait d’être battue au second. Et même si elle l’emportait (face à une Marine Le Pen par exemple), elle provoquerait ultérieurement de nouvelles et tragiques désespérances.

Quand on est franchement à gauche, on peut légitimement penser que la solution la plus porteuse est le rassemblement, au premier tour, de toutes celles et ceux, sans exclusive, qui veulent et que la gauche gagne et qu’elle réussisse en subvertissant les consensus gestionnaires depuis trop longtemps installés. Celles et ceux qui souhaitent qu’elle cherche des résultats immédiats et, pour cela, qu’elle s’engage dans le processus d’une rupture et d’une alternative. Une gauche à la fois contestataire et constructive… Aujourd’hui, force est de constater que c’est le Front de Gauche qui s’approche le plus de cette équation. Il n’est pas encore assez large, pas assez novateur dans son esprit, pas assez citoyen dans sa façon de faire et de vivre ? Peut-être. Mais si quelque chose est utile dans l’immédiat, c’est de contribuer à ce qu’il avance dans la bonne direction, en se transformant.

S’associer à cette démarche n’est, pour personne, un renoncement à son être. Plutôt que de se disperser sur des candidatures vouées à la marge, l’extrême gauche ne se renierait pas en s’inscrivant à sa manière dans l’évolution du Front. Plutôt que de chercher à tout prix à se compter, sur des individus et des projets incertains, les écologistes feraient mieux de cultiver l’idée que l’écologie politique a une pente fondatrice de rupture avec le système, davantage que d’accommodement avec lui. Être écologiste et participer à une aventure pleinement collective, à la gauche du PS, pour « booster » la gauche, ce n’est pas perdre son âme. Pas plus que pour un(e) communiste, un(e)républicain(e), un(e)altermondialiste, un(e)féministe, un(e)autogestionnaire et tant d’autres.

Le Front de Gauche a discuté publiquement d’un « programme partagé ». Chacun peut s’interroger sur telle ou telle formulation, mais pour l’essentiel la logique de ce que l’on peut lire notre-monderappelle beaucoup le corps de propositions qui, dans la foulée de la victoire référendaire européenne de 2005, avait réuni heureusement la gauche dite « antilibérale »… avant qu’elle ne bute sur sa candidature commune. L’essentiel est l’esprit qui transparaît de l’ensemble : à la gauche de la gauche, bien à gauche, dans l’esprit d’une gauche de rupture et d’alternative. Chacun met les mots qu’il souhaite ; le plus utile est que ce « machin » aille le plus avant possible, en prenant le plus d’épaisseur populaire et citoyenne possible, en s’ouvrant à la fois aux forces et aux individus. Toute autre solution, fût-elle tentante sur le papier, conduit soit à la parcellisation et à l’échec, soit au vote utile et à une déconvenue plus grave encore peut-être, comme l’a montré le cas italien.
Reste, bien sûr, à déboucher sur une candidature commune, dès le premier tour, à la présidentielle et aux législatives. Là encore, il faut savoir dégager les voies de la raison. À la présidentielle, Jean-Luc Mélenchon est installé dans une dynamique visible, active, appuyée sur les aspirations à une gauche digne de ce nom. Le reconnaître n’est pas se mettre au garde-à-vous devant un homme providentiel. Ce n’est, là encore, pour personne renoncer à être soi-même. Au demeurant, se préparer à le soutenir activement n’implique aucune mécanique de long terme. On peut le faire dans l’espoir qu’émerge une grande force politique à vocation majoritaire, à la gauche de la gauche ; on peut le faire en souhaitant le maintien du pluralisme partisan existant.
Le choix porte uniquement sur le ou la candidate le mieux à même, en convaincant au premier tour, de permettre à la gauche d’exister dans la dignité, de gagner et de réussir enfin durablement. Un candidat ainsi capable, en rassemblant, de rompre la présumée fatalité d’une gauche française et européenne dominée par une social-démocratie plus ou moins recentrée. En 2007, la faiblesse d’une gauche de gauche éparpillée a fait le jeu de la droite ; en 2012, son dynamisme sera à rebours la clé de la victoire, pour toute la gauche.
Un Front de gauche citoyen, rassembleur et lui-même rassemblé, ouvert à toutes les composantes de la gauche transformatrice : il n’y a pas, à ce jour, dans la réalité telle qu’elle est, de meilleur instrument pour aller de l’avant.

Roger Martelli »

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