Dans cette note je raconte mes impressions de séjour politique à Nice puis à Brignoles. J'étais là-bas quand Madame Lagarde a annoncé sa candidature pour le FMI. J'ai réagi par communiqué pour dire que la nationalité du directeur du FMI n'a pas d'influence sur sa politique puisque les Etats-Unis y ont toujours le dernier mot. Et j'édite un reportage exclusif sur la mobilisation des jeunes Espagnols qui ne faiblit pas. Rendez-vous est donné dimanche 29 mai à la Place de la Bastille à Paris pour relayer cette mobilisation et exprimer notre solidarité en France. Et pour fêter à notre manière l'anniversaire de notre victoire du 29 mai 2005. Trahie par qui on sait et comme on sait.
Je commence par la fin. J’errais dans ce train TGV de retour, bagage à la main, cherchant où m’asseoir. La voix flutée du robot m’avait pourtant souhaité la bienvenue au nom de cette bouffonnerie « d’alliance Rail-team », anglicisme qui convient au désordre régnant à bord comme une robe de bal à un déménageur. De place en place, j’allais, escorté d’un contrôleur exaspéré mais bienveillant. Nous tâchions de remédier à ce que l’on avait attribué ma place à un malheureux podagre et à son chien. Comment lui en vouloir quand on m’explique qu’on l’a mis là, « plus près de la porte », quoiqu’au premier étage, « parce qu’il a le bras cassé ». Il y a donc plus malheureux que moi dans la circonstance. Cette place avait pourtant été dûment réservée aux pitres de « Rail-team » et son splendide patron le sieur Pépy qui ne sait déjà pas faire rouler les trains à l’heure en automne du fait des feuilles mortes, ni en hiver du fait du gel en attendant l’été où ce sera la chaleur. Un incapable que la révolution citoyenne remplacera pour beaucoup moins cher qu’il ne coûte aujourd’hui. Cependant, cette situation pourtant bien embarrassante ne parvenait pas à me chiffonner vraiment. Je restais dans l’ambiance des heures passées avec les camarades à Nice d’abord, dans les Alpes-Maritimes, puis à Brignoles ensuite, dans le Var. Là, tout spécialement, j’ai eu ces sortes de contacts qui vous laissent ensuite une émotion dans l’esprit comme un parfum sur les idées.
A Nice, les camarapour tenir tout le programme en quelques heures. Magnifique organisation. Tout le monde suit la consigne : tout est une répétition générale. Il faut faire « comme si », « comme quand ». Si je dois être le candidat commun du Front de Gauche, tout reposera de toute façon sur l’engagement militant sur le terrain. De l’argent il n’y en a pas ou peu. L’UMP va mettre cinquante millions dans la bagarre, les socialistes juste un peu moins. Nous ? A peine trois millions, si on arrive à les emprunter. Rien ne sert de gémir. On fonce. On fait le travail en mettant bout à bout tous nos savoir-faire. Car si tout est porté par des bénévoles, cela ne veut pas dire que ce soit des amateurs. Au contraire. Les qualifications professionnelles des amis sont de toutes origines et de tous niveaux. Ce qui va coûter des millions aux grosses panses nous sera donné gratuitement par les amis. Les sondages aussi. Car nous avons acquis à cet effet une grenouille aussi performante en prédiction que le poulpe qui a officié pour la coupe du monde de foot !des s’étaient mis en quatre
J’ai commencé mon séjour par une super interview grand format pour Nice-Matin, Var-Matin et Corse-Matin au siège de Nice. L’état major de la rédaction est là. De part et d’autres on se tenait assis sur la pointe des fesses. Eux, à quoi s’attendaient-ils ? Cette phrase en ouverture de la page en dit long : « Appliqué, posé et respectueux pendant près d’une heure et demie d’entretien, le député européen qui confond parfois plateaux de télé et studios de radio avec des rings de boxe se révèle doux comme un agneau ». Ce ton assez condescendant ne parvient pas à gâter à mes yeux le reste du travail. Car de cette heure et demie, ce qui a été tiré est scrupuleusement fait, et bien fait. La vérité est que c’est très informatif. Si bien que, pour rester dans le ton, je dirais que pour ma part, en fait de gros fachos je suis tombé sur des gens courtois et intéressés par ce qui se disait et qui de surcroît semblaient savoir de quoi ils parlaient. C’est dire que ma surprise égalait la leur.
Le soir vint le meilleur. Une salle totalement pleine. 300 personnes. Et 120 autres dehors. Un formidable bain d’énergie pour tous, à la tribune et dans la salle. Car les Alpes-Maritimes sont une terre très rude pour les nôtres. Le meeting sert à cela : une démonstration de force qui donne du courage. Les interventions à la tribune avaient donné le ton des paradoxes de la situation. La façade des ports de plaisance avec leurs collections de yachts gigantesques ne doit pas tromper le monde. 18% de la population locale vit sous le seuil de pauvreté. 60% pourrait prétendre à un logement social. Mais, bien sûr, les trois-quart des communes ne respectent pas les obligations légales de construction de logements sociaux. En dépit du potentiel de délinquance fiscale extrêmement élevé que contient une zone aussi riche en personnages interlopes, chefs de gangs et grosses panses, le sieur Ciotti, ci-devant président du conseil général a organisé une police pour faire la chasse aux fraudeurs… du RSA. Au fond, les Alpes-Maritimes, avec sa conjonction de riches caricaturaux, de notables de droite haineux et de misère assommée, est une caricature de la France sarkozyste : un archipel de snobs agressifs dans un océan d’amertume sociale.
A Brignoles, accueilli par le maire Front de Gauche Claude Gilardo, on commença par la visite au personnel de l’hôpital. Puis ce fut une rencontre sur la question du passage en régie publique de la gestion de l’eau, puisque la commune a fait le grand saut de ce côté. A l’hôpital, on devine qu’il fut question de l’état de la gestion de la santé publique depuis les réformes de droite. Je ne fais pas un compte rendu. Je note quelques moments qui m’ont marqué. Celui où une infirmière demande : « Quand va-t-on arrêter de parler de chiffres et commencer à parler des personnes, de leurs besoins, de leurs soins ? ». Bonne ouverture pour faire un rappel aux petits névrosés du déficit. Le voici. Jamais ils ne mettent en face des chiffres qu’ils nous jettent à la figure, le coût des non-soins, des morts prématurées, des maladies non soignées.
Deuxième image, celle de ce médecin qui prend le temps de faire un détour par la salle où l’on se réunit pour me glisser deux mots. Je ne sais pas s‘il a ou non un engagement politique. Ce qu’il m’a dit n’est pas dans ce registre. Il fait un constat d’impasse. On demande aux médecins de soigner « tout le monde », avec le meilleur de ce qui peut se faire. Mais on ne leur donne pas les moyens de le faire, compte tenu des limites budgétaires. Hypocrisie ! dit-il. « Au moins les anglo-saxons sont francs, ils disent qu’ils ne soignent plus certains cancers au-delà d’un certain âge, ou certaines catégories sociales de patients du fait de leurs revenus trop faibles ». « Au moins c’est clair » ajoute-t-il. Je mets juste une petite seconde à comprendre ce qu’il veut vraiment me dire. J’ai compris. Voici. Au bout de la chaine des décisions comptables, il y au moins deux personnes qui n’ont guère de marge de manœuvre : le médecin et le malade. Dans ce cas, l’hypocrisie, ce n’est pas seulement de promettre des choses dont on sait qu’elles ne seront pas faites. C’est surtout de s’en remettre au praticien du soin de décider de ce qui se fera ou ne se fera pas. C’est une injonction paradoxale pour le médecin, car son éthique, son serment, sa raison d’être là, c’est de n’avoir comme objectif que le meilleur de l’aide qui peut être apportée.
Troisième image : le directeur de l’hôpital. Dorénavant figé dans le rôle d’exécutant des décisions de l’agence régionale de santé. Et, de fait, devenu tout puissant, sans l’avoir demandé, puisque le pilotage est désormais exclusivement financier. Lui aussi reçoit des ordres contradictoires. Economiser partout, sur tout. Etre astreint à faire de performances de gestion et devoir en même temps s’adapter aux évolutions d’un carte élaborée ailleurs, sans lui, et d’après des objectifs qui peuvent être contraires à ses propres plans d’économie sur tout. Pour finir, tout passe au rabot. Et même le coût des gestionnaires eux-mêmes. Il y a cinquante directeurs sur la paille, à l’heure actuelle. Combien gèrent dorénavant deux établissements au lieu d’un ? Petit à petit on s’approche du point où la structure se désintègrera. Comme à l’école, comme dans le transport comme partout où les grosses pattes des brutes libérales sont à l’œuvre.
Nicolas Sarkozy est venu ici se moquer du monde. Quel comédien efficace ! Son but est d’enfoncer dans le crâne des gens la résignation sous le coup d’arguments catastrophistes qui les assomment. Là, il lâche devant cent cinquante maires et les caméras de télévision que l’hôpital de Brignoles fait « dix millions de déficit ». Une pause. « Chaque année ». Impossible de hurler depuis la salle car : « c’est tout de même le président de la République » me dira-t-on. Claude Gilardo le maire de Brignoles est aussi le président du conseil de surveillance. « J’allais me trouver mal de rage » me dit-il. Et Sarkozy, l’œil en dessous qui en rajoute en se tournant vers Claude Guéant : « tu te rends compte, Claude ! Dix millions !» Et l’autre de hocher du bonnet en cadence. Bobard. Ces dix millions c’est le déficit cumulé. Il se résorbe d’exercice en exercice. Il résulte pour l’essentiel des manques à payer de l’Etat. Bref de la propagande pure et simple destinée à abasourdir. Et bien sûr c’est une chose de savoir que le plan de route de la droite comporte cet exercice d’enfumage mais s’en est une autre de voir le chef de l’Etat s'y abandonner en y ajoutant des effets de comédie.
De tout ce que j’ai vécu dans ces heures si ensoleillées, à trente degrés de moyenne sur deux jours, je vais retenir des visages de femmes. De femmes qui luttent. Durement, la boule dans la gorge. D’abord celles qui ont été représentées à la tribune du meeting par leur porte parole, Samira Rassif, militante CGT. Elle parle pour dix autres femmes, en grève pour avoir leurs papiers. Occupation des locaux, jours et nuit. Celles du comité de soutien qui se relayent sur place et qui sont aussi venues ont les yeux rouges de fatigue. « Il y a une femme enceinte de six mois qui dort là par terre avec les autres. Je vous le dit pour qu’on y pense. On lâchera rien après tout ça !» Ces femmes sont surexploitées parce qu’elles n’ont pas de papiers. Leur employeur est « Pierre et Vacances ». C’est du tourisme de luxe. Elles sont femmes de chambre. Elles font aussi la vaisselle, le repassage. Une vie sans horizon autre que ce travail sans fin et la peur permanente. Ensuite je vais citer les femmes dont j’ai rencontré une délégation venue à ma rencontre à Brignoles.
Ce sont les employées d’Unilever, la boîte qui possède le « Thé Eléphant » pour lequel elles bossent. Les patrons ont décidé de fermer l’entreprise parce qu’elle « n’est pas rentable ». En fait parce qu’elle « n’est pas assez rentable ». Ils veulent aller produire la marque de thé, née à Marseille, en Pologne. Parce que les Polonais coutent moins cher. Bien sûr. La différence de coût, ce sera juste du profit supplémentaire. Ce qui était un salaire ouvrier devient un dividende pour l’actionnaire. Vous n’achèterez pas une boite de plus, vous ne verrez aucune différence de prix. La mort sociale des ouvrières du « Thé Eléphant », c’est juste pour le dividende des actionnaires. Les femmes veulent créer une coopérative ouvrière. Oui, c’est ça. Une coopérative. S’approprier le moyen de production, la marque et tout le reste. Pas besoin de ces sortes de patrons. Elles font du thé, eux du fric. Ce n’est pas le même métier, pas vrai ? C’est sûr que je vais vous en parler de nouveau bientôt. Mais à cette heure là, pendant qu’elles me parlaient tout sourire alors que la partie qu’elles engagent est si rude, je me voyais mieux à ma place. Je savais mieux à quoi je sers dans cette empoignade générale que je me propose de représenter dans cette élection de fou en 2012.
Je me sentais plus fort en les écoutant me dire par quel côté elles empoignent leur lutte, quel historique elles en font. Et je dois vous dire aussi qu’elles m’ont dit ce que je devais faire dans la campagne et de quoi je devais parler. Pas les conseils en communications dont on m’abreuve de tous côtés, ni les commentaires de sondages bidon dont on me régale si souvent. Non, non. Des choses à propos de ce qu’il faudrait faire pour que ça aille mieux dans le pays, dans la production, dans la vie. Juste des choses réfléchies et formulées à partir de l’expérience. Rien ne peut davantage me donner du courage. Je penserai à elles quand il faudra de nouveau subir les séances d’humiliation publique de certains plateaux de télé ou de radio. Ce n’est rien, finalement. Je me souviendrai de celles qui triment pour les papiers, pour le boulot. Aussi, je vais garder le souffle de leur énergie. Vraiment, notre peuple est tellement fort. Que de courage, que de dévouement, quelle capacité à rebondir ! Déjà, le matin, à l’hôpital, c’était une femme déléguée syndicale qui me présentait les problèmes et qui m’expliquait comment la lutte était menée. Et c’est une autre femme, venue avec le groupe des militants qui m’accompagnaient qui pensa à faire une pause au milieu du débat pour dire qu’elle était venue dans cet hôpital et qu’elle avait attendu l’occasion de pouvoir dire merci à tous ceux qui s’étaient occupés d’elle. Il y avait des sourires bien émus de tous les côtés. Parmi tous ces gens qui étaient là, tous avaient des idées sur la façon de faire avancer les choses, sur la façon d’organiser le travail et de réussir la mission de santé publique dont ils se sentent investis. Vraiment nous n’aurions pas de mal à faire tourner le pays à partir du savoir faire de ceux qui le font vivre tous les jours.
A présent j’ouvre une nouvelle fois mon blog au compte rendu de notre témoin engagée sur place, Céline, qui campe avec d’autres camarades, Puerta del Sol, depuis dimanche. Hier elle a été rejointe par Leïla Chaibi. Les deux participeront à l’expérience unique et inouïe de la Puerta del Sol jusqu'à dimanche. Car la consigne est d’être tous dimanche 29 Mai place de la Bastille à Paris. Ce sera notre façon de célébrer l’anniversaire de notre victoire du 29 Mai 2005 trahie comme on le sait, et par qui on sait. Céline et les autres camarades ont organisé plusieurs liaisons par skype entre les campements de Lyon et Paris et celui de la Puerta del Sol. Je crois que c’est une très grande et belle idée. Ici, à paris, à la bastille d’autres militants se mettent à la disposition du mouvement qui s’amorce et travaillent à aider à son élargissement. Les lignes qui suivent sont les télégrammes que Céline envoie aux membres du bureau national du Parti de Gauche. Je les donne comme elles me sont parvenues depuis lundi.
Depuis la Puerta del Sol, Madrid. Lundi 23 mai, après-midi.
"L’apprentissage de la démocratie réelle, ce n’est pas simple. Lundi soir, l'assemblée de politique à long terme met du temps à commencer. Beaucoup ici organisent ce genre de réunion pour la première fois de leur vie. Des cours de modération de débats sont prodigués mais il faut improviser un peu. Nous sommes plus de 400, la modératrice élue a à peine 20 ans. Chacun-e l’encourage chaleureusement. Et ça marche plutôt bien. On traite pourtant d’une question particulièrement complexe : le système des assemblées. Le mouvement du 15 Mai dispose désormais d’une assemblée générale, de commissions et de groupes de travail qui font des propositions et d’assemblées de quartier. Ces dernières sont celles qui suscitent le plus vif intérêt. Elles sont une centaine à ce jour dans Madrid. Toute la difficulté est désormais de mettre en place un processus décisionnel adapté. Après deux longues heures de débats entre confusion, exaspération, sérieux et éclats de rires, on en vient à formuler une proposition. Les assemblées de quartier devraient prendre souverainement des décisions concernant les questions propres à leur quartier. Par contre, toutes les questions qui relèvent de l’intérêt général devraient relever de l’assemblée générale.
A toute heure de la journée, sur la fontaine, un mégaphone est disponible pour qui veut prendre la parole. On appelle ça le « Parlement populaire ». Ce lundi soir, comme tous les soirs, une foule immense est amassée autour de la fontaine pour écouter les intervenants. Ils sont nombreux à vouloir s’exprimer, souvent pour la première fois de leur vie. Ils sont tous très différents. Il y a ce cinquantenaire qui évoque la résistance contre Franco et appelle, les larmes aux yeux la « jeunesse vaillante à libérer la patrie des nouveaux dictateurs ! ». Il y a cette jeune femme qui a écrit son texte parce qu'elle a peur de ne pas réussir à parler et qui lit d’une voix vibrante : "Moi ce que je sais, c'est que cette flamme qui s'est allumée dans chacun d'entre nous, personne ne pourra plus l'éteindre !". Ou encore ce jeune homme qui explique : "je ne suis presque jamais allé voter et depuis que je suis ici je n'ai pas raté une seule occasion de le faire, parce qu'ici ma voix compte. Voter, voter et encore voter, voter tous les jours s'il le faut, voilà ce que je veux faire !". Et tant d’autres… La foule les écoute, les soutient, les encourage, se désolidarise de toute provocation et de toute insulte en appelant au respect. Quand on crée un outil citoyen, on le respecte ou on dégage !"
Mardi 24 mai, matin.
"Mardi matin, on attendait peu de monde pour l’assemblée générale convoquée plus tôt qu’à l’accoutumée. Erreur ! Une fois de plus, la place est comble! Les employé-e-s des services de propreté de la ville de Madrid on fait parvenir un message à l’assemblée. "Nous vous remercions pour tout ce que vous faites et pour votre collaboration. Nous nous sentons représentés par vous. Nous avons un travail mais nous sommes précaires. Nous n'avons pas le droit de venir prendre la parole dans vos assemblées générales parce que nous sommes en uniformes. Mais nous tenions à vous dire ceci : merci, merci, merci !" Le message a été reçu par des cris et des applaudissements appuyés de l'assemblée générale.
Un autre sujet a remué toute l'assistance. La commission extension, qui coordonne l’extension du mouvement en Espagne et partout dans le monde, annonce l'expulsion des 300 personnes du campement de Lyon la veille au soir par les forces de police. Un tonnerre d'applaudissements a salué la décision des camarades de Lyon de retourner place Bellecour le soir même. On s’est même mis d'accord sur un communiqué de soutien, envoyé sur le champ aux indignés lyonnais. Le voici : "Nous, depuis la Puerta del Sol, dénonçons l'expulsion du campement de Lyon par les forces de police qui a eu lieu cette nuit. Nous voulons transmettre à nos amis et amies de Lyon tout notre soutien. Nous serons particulièrement attentives et attentifs à ce qui se passera durant votre rassemblement de ce soir place Bellecour. Fuerza Lyon ! Que no ! Que no nos vamos !"
La principale décision de l’assemblée générale de ce mardi sera la rédaction, dans les plus brefs délais, d’un « Manifeste de la Puerta del Sol ». Les commissions, groupes de travail, assemblées de quartier sont conviées à travailler à des propositions concrètes. De longues heures de débats en perspectives. Mais qu’importe ! Comme on ne cesse plus de le dire sur la place de la Puerta del Sol : « On n’est pas fatigués ! »"
Mardi 24 mai, après-midi.
"Suite au communiqué des indignés de la Puerta del Sol en soutien aux indignés de Lyon, expulsés lundi soir par les forces de police, le collectif lyonnais a souhaité transmettre ses remerciements. Le message sera transmis en direct. Sur place, au micro, on traduit : "Chers camarades, depuis Lyon en France, nous voulons vous remercier mille fois pour votre soutien. Nous allons continuer à lutter. Continuez, vous aussi ! Que no ! Que no nos vamos !" Le campement a prêté attention et reçu ces remerciements avec cris et applaudissements.
Cette minute d’émotion passée, tout le monde retourne à ses travaux. Il est 20h, les groupes de travail se réunissent dans les places alentour. A Pontejos, comme chaque soir depuis le samedi 21, le groupe de travail de politique à long terme se réuni en assemblée. Les réunions sont parfois un peu chaotiques. Les modérateurs et modératrices élu-e-s sont très jeunes. Ils n’ont jamais fait ça auparavant. Ce mardi, on fait face à un nouvel impératif : l'assemblée générale du matin a décidé de rédiger un "Manifeste de la Puerta del Sol" avec les points qui font consensus entre toutes et tous. Selon un jeune journaliste précaire, il y a urgence : " Maintenant que les élections sont passées, le PP et le PSOE, les médias, ils vont tous se concentrer sur ce qui peut nous diviser pour tuer le mouvement". Place aux propositions communes concrètes donc."
Mercredi 25 mai, matin.
"Contrairement aux rumeurs lancées par les médias, le mouvement ne faiblit pas. C’est même l’inverse. Le campement grossit de jour en jour. Tellement que, d’un jour à l’autre, il est difficile de retrouver son chemin sur la place. A 11h, chacun peut abandonner son poste pour assister à l’assemblée générale. Il y a une commission dont on parle peu mais qui a un rôle crucial dans le mouvement. C’est la « commission légale ». Des avocats se relaient sur le campement. Ils sont une centaine à soutenir le mouvement. Il y en a toujours au moins trois de garde. Si la police cherche un interlocuteur, elle doit passer par eux. En cas d’expulsion, un protocole existe. Il faut « rester calmes, s’asseoir et prendre son voisin par le bras". Durant l’opération, les avocats de garde donneront leurs noms au micro et appelleront la centaine d'avocats qui soutiennent le mouvement. Tous viendront avec un panneau « avocat indigné ». De quoi démentir les accusations de la droite qui laissent entendre que ce mouvement n’est constitué que de « jeunes punks »."
L’urgence depuis hier, et face aux multiples tentatives de déstabilisations, ce sont les travaux d'élaboration du Manifeste de la Puerta del Sol. Ils avancent peu à peu. L’assemblée générale du lendemain sera amenée à se prononcer sur plusieurs points qui font consensus dans la plupart des groupes de travail et les assemblées de quartier interrogées : la réforme de la loi électorale pour plus de participation citoyenne, la lutte contre la corruption et pour la transparence, la séparation des pouvoirs judiciaires et politiques et la mise en demeure des responsables de la crise d’en assumer les conséquences.
Il faut aussi trouver un logo au mouvement. Une proposition est avancée. Il s’agit d’un dessin du monde se transformant en soleil, en allusion à la Puerta del Sol. La révolution citoyenne espagnole embrasant le monde en quelque sorte. L’idée plaît assez. Il est proposé que la « commission des arts » y travaille. Vivement qu’on voie le résultat !"
Mercredi 25 mai, après-midi.
"Il est 17h30 et le soleil tape très dur. Certain-e-s font la sieste à l'ombre des tentes. Du côté du Parlement populaire, pas de pause. Les gens défilent les uns après les autres. Ils ont de 15 à plus de 80 ans. Des femmes, des hommes, des espagnols, des immigrés (latino-américains surtout), des touristes… Ils viennent crier leur rage : "Y'en a marre des banquiers voleurs !", "On veut une vraie démocratie maintenant, comme celle qu'on crée ici ! On veut être écoutés!" "Ça c'est notre Révolution française et elle ne va pas s'arrêter !", "Elle est où la putain de presse ? Dans ce parlement on s'exprime ! Évidemment là où est la démocratie, la presse est absente !" Ils viennent expliquer leurs problèmes : "Je n'en peux plus de payer la banque !", " J'ai un job, j'ai de la chance mais je ne vais pas considérer qu'avoir un job qui me permet juste de faire manger est un privilège","on nous éduque depuis toujours dans la peur et la compétitivité, mais personne ne change l'éducation. On nous enchaîne à ça. Il faut que change."
Ils viennent donner leur point de vue sur le mouvement : "Il faut dire aux gens de venir, de ne pas croire ce que dit la télé, moi j'avais un peu peur de ce que j'allais trouver ici mais en fait c'est extraordinaire", "Ici on leur montre qu'on sait encore faire usage de notre liberté", "Je suis né en 1941, j'ai lutté contre le franquisme, je suis fier de vous ! Adelante, siempre adelante !", Ici c'est plus qu'une révolte. On construit un vrai pouvoir populaire. Ici on a commencé la révolution !"
Et une jeune fille frêle est venue donner un témoignage qui est à lui seul tout un symbole : "Je viens de sortir de l'hôpital mais j'ai tout de suite voulu venir à la Puerta del Sol pour me battre pour mon futur ! Un truc pareil ça n'arrive qu'une fois dans une vie !" Et il y en a encore qui croient qu'un mouvement pareil peut s'éteindre ? Qui croit encore pouvoir nous faire taire ?"
Mercredi 25 mai, soirée.
"Au campement de la Puerta del Sol, il y a un incontournable. C’est le Parlement populaire. Au pupitre en bois dont la maxime, écrite en gros au feutre, est « Le seul vrai délit c’est de se taire », les gens. Il y a de tout : des (parfois très) jeunes comme des (parfois très) très vieux, des femmes comme des hommes, des espagnols, des immigrés, des touristes. Ils sont là pour crier leur rage , pour expliquer leurs problèmes ou pour donner leur point de vue sur le mouvement.
Du côté de l’extension du mouvement, on travaille dur. On essaie d'organiser une connexion par skype avec les assemblées de Grenade, Alicante, Séville, La Corogne, Tenerife, Bilbao, Santander, Salamanca, Jaén, Paris, Lyon et Toulouse. Pas simple. Le wifi de la place de la Puerta del Sol est faible. Les capacités électriques aussi. Après une tentative infructueuse de connexion mercredi soir, on est convenu d’un rendez-vous avec Lyon jeudi soir à 21h et vendredi soir avec Toulouse (20h) et Paris (21h). Espérons que ça marche ! Ici, tout le monde a envie de voir le mouvement prendre de l’ampleur en France. Beaucoup voient là le vrai moyen de réussir cette révolution citoyenne."
Jeudi 26 mai, soirée.
Jeudi soir, le campement de la Puerta del Sol avait convoqué un grand rassemblement pour protester contre la loi dite du « pensionazo ». Cette loi qui réduit les pensions de retraites de 15% et fait passer l’âge de la retraite de 65 à 67 ans ! Le matin, alors que la révolte gronde dans le pays, la majorité PSOE-PP a décidé d’approuver cette loi au parlement espagnol ! Un crachat de plus à la gueule du peuple en lutte. Sur la place, la rage est palpable. On la calme en chantant en chœur : "Oéé Oéé Oééé Oééé Oéé Oéé ils l'appellent démocratie mais ce n'en est pas une ! Oéé Oéé Oééé Oééé Oéé Oéé c'est une dictature voilà ce que c'est !" Décision est spontanément prise de marcher jusqu’au Parlement et d’inviter les députés à venir écouter l’assemblée générale des indignés. Peine perdue ! La police a reçu consigne de ne pas nous laisser approcher. Les négociations ne mèneront nulle part. Les « représentants du peuple » ne veulent pas entendre ce que ce dernier a à lui dire.
On retourne sur la place aux cris de « Non, non, ils ne nous représentent pas ! », la rage au ventre. Un invité de marque nous attend. Il s’agit du philosophe Agustín García Calvo. En 1965, il avait pris parti pour les étudiants qui avaient décidé de manifester contre Franco. Aujourd'hui, il est venu soutenir le mouvement révolutionnaire. La foule qui se presse à Puerta del Sol est plus impressionnante que jamais. Nous sommes des milliers et l’assistance ne cesse d’augmenter au fur et à mesure. Après l’approbation générale de la revendication d’une éducation gratuite, de qualité, publique et laïque pour toutes et tous, on revient au sujet qui inquiète tout le monde : l’après Sol. Tout le monde craint l'expulsion. Une idée et un slogan sont lancés par la commission permanente : "Si le 15 octobre, les banquiers et les politiques n'ont toujours rien fait, on reprend la rue, on reprend la place et on propose la grève générale. Et on leur répétera inlassablement qu’on connaît le chemin du retour à Sol. Mais pour le moment, les indignés sont encore là et ils comptent bien rester !"
"L'Europe qui protège" a encore capitulé. Face à l'émotion de la catastrophe de Fukushima, l'Union européenne avait annoncé le lancement d'un programme d'évaluation de la sécurité des 143 réacteurs nucléaires en fonctionnement sur son territoire. Après deux mois de négociations, l'accord conclu mardi entre les Etats et la Commission vide ce programme d'évaluation de sa substance. Voyez plutôt. Les évaluations seront facultatives et non obligatoires pour les 14 Etats concernés. Notez qu'en cas de catastrophe, le résultat lui ne sera pas facultatif. Le cahier des charges d'évaluation a aussi été fortement réduit : par exemple il n'est plus question d'évaluer la résistance des centrales aux actes terroristes ou de sabotage. Enfin, ces tests de résistance ne déboucheront sur aucune mesure contraignante visant les parcs nucléaires. Le seul résultat sera un rapport d'information, un de plus, reprenant les conclusions des tests menés par chaque Etat selon ses propres méthodes. Bref, un programme d'évaluation complètement bidon. C'est à une alliance de Sarkozy et du britannique Cameron que l'on doit ce torpillage.
Pourtant pendant ce temps, l'Allemagne et la Suisse ont fait des pas supplémentaires vers la sortie du nucléaire. Le gouvernement suisse a opté cette semaine pour le non remplacement des cinq centrales du pays à leur fin de vie en 2034. L'Allemagne a fermé une centrale supplémentaire pour des raisons de sécurité. Et Angela Merkel a précisé les échéances de sortie allemande du nucléaire : fermeture progressive des 17 centrales actuelles du pays en 10 ans d'ici 2022 et sortie totale du nucléaire en 20 ans. Le décalage est terrible avec Sarkozy qui enferme au contraire la France dans le tout nucléaire. Mardi, le patron d'EDF Henri Proglio a ainsi présenté le nucléaire, le charbon et le gaz comme les principaux axes de la croissance de la production d'EDF d'ici 10 ans. Dans une interview au Monde, Proglio prétend même faire d'EDF "le premier électricien mondial en 2020", en allant "chercher la croissance où elle se trouve" : "50 % dans le nucléaire, 25 % dans le thermique (gaz, charbon), 25 % dans l'hydraulique et les autres énergies renouvelables". La France a le potentiel technologique et humain pour devenir un leader mondial des énergies renouvelables, Sarkozy et son équipe nous enferment dans des solutions du passé. C'est triste. C'est petit. C'est dangereux.