Dans cette note il est question de la mise à mort de la Grèce. De François Hollande et de ses formules de calcul du SMIC. Des Etats-Unis d’Amérique qui tirent dans le dos de l’Europe. D’Elisabeth Badinter qui croit que Marine le Pen défend la laïcité. Et enfin de Jean D’Ormesson. Exquis mais féodal.
Remerciements à Sylvain Palfroy, auteur des photos qui illustrent ce billet.
Ce matin les gugusses qui s’occupent de l’Union Européenne ont décidé de nuire encore plus à la Grèce en retardant le versement de la tranche « d’aide » dont elle a besoin. Tristes crétins ! C’est exactement avec ce genre de strangulations conditionnelles, avec ces petites menaces à deux balles qu’ils ne peuvent pourtant pas appliquer jusqu’au bout que Camdessus a fait plonger l’Argentine. C’est ce qui va se passer en Grèce. La fin est proche. Les marchés le savent. La panique grimpe à bord. Déjà 216 milliards d’euros envolés en fumée dans les cours de bourse en France. Des entreprise sont cotées moins cher que la valeur de leurs actifs ! Trop forts les gestionnaires de ce système. Trop forte « la main invisible des marchés » pour procéder à « la bonne allocation des ressources ». Encore un effort !
On a entendu les cris déchirants de ceux qui s’opposent par principe à l’augmentation du SMIC proposée par le programme du Front de Gauche. « Comment faites-vous ? ». « Les petites entreprises vont mourir ». Bon. Je réponds aux objections, une par une, au fil des émissions. Je ne suis pas pressé d’épuiser les questions toutes faites. Mon propos est de faire en sorte que la question de la hausse des salaires entre dans le débat. Pour l’instant elle n’y est pas. Et je note que je suis le seul à qui on pose des questions « techniques ». Les autres peuvent dire ce qu’ils veulent, personne ne se donne l’inconfort de la moindre question qui dérange. Ainsi quand François Hollande déclare avec aplomb qu’il augmentera le SMIC d’un montant égal à « la moitié du taux de croissance ». Comme la formulation a un air très technique, les bons esprits baissent les yeux. Pas un n’a fait le calcul pour voir ce que donne cette formule. C’est pourtant édifiant. Voyez. En 2010 la croissance a été de 1,60 %. Donc François Hollande aurait augmenté le SMIC de 0,80 % en 2010. Nicolas Sarkozy l’a augmenté de 1,58 % ! Elire François Hollande pour avoir une augmentation de salaire moitié moins qu’avec Sarkozy, à quoi bon ? Pour autant faut-il préférer Sarkozy ? Non plus. Car l’inflation cette année-là fut de 1,8% ! Hollande augmente le SMIC moins que Nicolas Sarkozy qui, lui, l’augmente moins que l’inflation. Tels sont les termes du choix pour un citoyen payé au SMIC qui suit les sondages. Seul le Front de Gauche garantit un rattrapage et une augmentation du SMIC. Une dernière fois rappelons que le SMIC est à seulement 120 euros du seuil de pauvreté ! L’augmentation proposée par le Front de Gauche est de 25%. Les patrons du CAC 40 se sont augmentés de 23% en 2010 ! Ce sera tout pour aujourd’hui. La suite de l’argumentaire au prochain numéro !
J’accuse les Etats-Unis de jouer un rôle clef dans le déclenchement et l’aggravation de la crise financière en Europe. Je m’amuse de voir comment un sujet est l’objet d’un dédain et d’un silence total dès qu’il s’agit des Etats-Unis d’Amérique. Je ne suis pas le seul qui bénéficie de cette sorte d’omerta. Madame Parisot a eu à en connaître lorsqu’elle a évoqué cette question. Peut-être avez-vous oublié la gravité de ses propos ? En voici donc le rappel, tels que parus dans « Le Figaro » du 28 août dernier. « La situation s'est tendue quand la Chine a commencé à faire la leçon aux États-Unis sur leur dette. Les Américains ont sans doute voulu alors repasser le mistigri à l'Europe. On a assisté à une sorte de guerre psychologique et à une tentative de déstabilisation de la zone euro. Je parlerais plutôt d'une «orchestration» outre-Atlantique des difficultés de l'Europe [que d’un complot]. Voyez les rumeurs sur les banques françaises, qui se sont diffusées immédiatement alors qu'elles étaient absolument infondées. Des unes de médias américains annonçaient pourtant la mort de telle ou telle et même la fin de la zone euro. Nous sommes passés d'attaques sur l'Espagne à des attaques sur l'Italie, puis sur la France, jusqu'à des rumeurs de dégradation de l'Allemagne la semaine dernière! Quand des publications américaines très lues par les investisseurs et les analystes financiers titrent sur de fausses annonces dramatiques, des questions se posent ».
C’était peu après que Barack Obama eut accusé les européens de ne s'être "pas complètement remis de la crise de 2007". Il oubliait de mentionner que la dite crise commença aux Etats-Unis qui en portent l’unique responsabilité. La suite de la remarque était spécialement venimeuse. Il accusait les européens de ne s'être "jamais vraiment occupés des difficultés auxquelles leurs banques faisaient face". Venant de lui cela ne manquait pas de sel compte tenu de l’état du système bancaire nord américain. Et surtout compte tenu du fait que les banques américaines sont aux premières loges de la crise grecque. En effet plusieurs d’entre elles ont conseillé la Grèce dans la gestion de sa dette. On sait comment maintenant. Un vrai gang : Goldman Sachs, JP Morgan Chase, Merill Lynch, Morgan Stanley.
Goldman Sachs a le rôle majeur. A partir de 2001, Goldman Sachs a aidé la Grèce à maquiller une partie de sa dette, en ayant recours à des produits dérivés. Notamment des « swaps » de devises qui ont rapporté 300 millions de dollars de commissions à Goldman Sachs et en servant d'intermédiaire à l'Etat grec pour placer ses titres sur les marchés non européens, notamment chinois. A partir de 2010, Goldman Sachs a spéculé contre la dette grecque. Elle utilisait à l’évidence sa bonne connaissance de la réalité de la situation, des points de faiblesse et du potentiel de pillage. Le truc pervers est d’avoir misé sur l'envolée du cours de ses titres d’assurance achetés pour faire face à un éventuel défaut de l’Etat grec. N’importe où ailleurs on appellerait ça une escroquerie à l’assurance ! Là, on appelle ça la « crainte des marchés ». Abracadabra ! Donnez du sang du peuple pour calmer le dieu marché !
Goldman Sachs est un banquier voyou très proche du gouvernement des USA. C’est le géant américain de la banque d'investissement. Il fait 30 milliards de dollars de chiffre d'affaires. La banque est étroitement liée aux gouvernements états-uniens successifs à travers ses anciens dirigeants. Le ministre des finances de Bush, Henry Paulson, qui a renfloué les banques en 2008, était auparavant PDG de Goldman Sachs. La banque a d'ailleurs reçu 10 milliards de dollars de fonds publics lors du sauvetage du secteur bancaire états-unien. Mais il y a mieux. La banque a aussi été le premier contributeur privé de la campagne de Barack Obama avec près d'un million de dollars de dons effectués par ses dirigeants. Ça crée des liens personnels. La banque continue donc d'être très présente dans l'administration Obama, à travers Mark Patterson, actuel directeur de cabinet du ministre des finances Timothey Geithner, qui était lobbyiste pour Goldman Sachs. Il y en a d’autres ! Par exemple Gary Gensler, qui était directeur financier de la banque et dirige désormais une des principales agences de régulation boursière américaine, la « US Commodity Futurs Trading Commission », chargée de « réguler » les marchés dérivés. Chacun est prié de croire que ces drogués du système sont de vertueux régulateurs amis de l’intérêt général.
A côté des banquiers voyous, il y a aussi le rôle des agences de notation américaines dans le retour de la crise à l'été 2011. Ça tout le monde l’a vu. Je me contente d’un rappel pour mémoire. Deux agences de notations américaines, Standard and Poor's et Moody's contrôlent 80 % du marché des notations. Ces visionnaires de la finance n’avaient rien vu de ce qui était sous leur nez. Standard and Poor's et Moody's avaient couvert jusqu'au bout Lehmann Brothers ou Enron, dont elles avaient maintenu la note AAA jusqu'au jour de leur faillite. A présent ces agences sont déjà à l'origine des attaques contre la Grèce, l'Irlande, l'Espagne, et le Portugal. On a voulu faire croire qu’elles ont depuis fait preuve d’une grande impartialité. La preuve ? C'est Standard and Poor's qui a abaissé, début août 2011, la note des Etats-Unis, entraînant une panique généralisée sur les marchés financiers. Mais les Républicains avaient leur intérêt à cette manœuvre puisque c’était alors la discussion sur le niveau de la dette acceptable à voter au congrès. Une affaire interne en quelque sorte et très politicienne. Elle donne une idée de la violence dont sont capables les républicains américains. L’affaire se dénoua dans un feu d’artifice grotesque. L’agence reconnut s’être trompée de deux mille milliards dans ses calculs ! Un bras armé de la politique sans scrupule avait montré son nez.
Depuis, ces agences de notation, bons soldats de l’empire, ont recentré leurs attaques sur l'Union Européenne. Ils ne se passent plus une semaine sans qu'une note soit dégradée. A croire que les agences se sont partagées le travail. Le 14 septembre, Moody's dégrade la note des banques françaises BNP Paribas et Société générale. Le 20 septembre, c'est S&P qui dégrade la note de l'Italie. Pour sa part, Moody's annonce qu'elle maintient "sous surveillance" la note italienne jusqu'en octobre. Le 23 septembre, S&P menace de dégrader la note de l'assureur français Groupama tandis que Moody's dégrade la note de la région portugaise de Madère. Bref un festival ! Le résultat finit par se produire. Le 10 août, l'action Société générale dévisse. A l'origine de la panique se trouve un article du "Mail on Sunday", un journal anglais conservateur et très critique vis-à-vis de la construction européenne, qui affirme que la banque est au bord de la faillite. Le Wall Street Journal et CNN sont parmi ceux qui répercutent "l'information" le plus rapidement. Le 13 septembre, le même Wall Street Journal indique que la BNP aurait des difficultés à se refinancer en dollars entraînant une chute de plus de 10% du cours de l'action de la banque. Pourtant, le journal américain indique que ses informations proviennent "d'une source anonyme" à l'intérieur de la banque. La BNP a formellement démenti et demandé à l'Autorité des Marchés Financiers d'ouvrir une enquête. Dans un communiqué, la banque écrit : "BNP Paribas s'étonne que le Wall Street Journal ait laissé passer, sans aucun contact préalable avec la banque, une tribune fondée sur des sources anonymes et comportant un aussi grand nombre de faits non vérifiés et d'erreurs techniques". Nigauds ! Les agences travaillent comme à la parade puisque ces imbéciles d’européens sont incapables de se défendre. Le lendemain, le 14 septembre, Moody's a dégradé la note des banques françaises BNP Paribas et Société générale. Leurs agents dormants refont surface. Le 29 août, Christine Lagarde, directrice générale du FMI a déclaré que les banques européennes "ont besoin d'une recapitalisation urgente". Le 21 septembre, c'est le FMI dans lequel le poids des Etats-Unis est décisif qui a repris la demande de manière très officielle. Dans son rapport semestriel sur la stabilité financière dans le monde, il a appelé la zone euro à utiliser le Fonds européen de stabilité financière (FESF) pour recapitaliser les banques les plus fragiles. Ce qui n’était pas du tout le rôle qui lui était attribué au départ. Mais le maitre a parlé.
En Europe l’oncle Sam est désormais chez lui comme jamais. Mario Draghi, futur président de la BCE et actuel gouverneur de la banque d'Italie siège déjà au conseil des gouverneurs de la BCE. Il a été vice-président Europe de Goldman Sachs de 2002 à 2005. Il a donc trempé aussi de très près dans les montages hasardeux de Goldman Sachs en Grèce. Demain ce sera le patron de la Banque Centrale Européenne. L’Europe américaine aura commencé de se montrer au grand jour. Le 16 septembre 2011, en Pologne, Timothey Geithner, secrétaire d'Etat au Trésor des Etats-Unis a participé à la réunion des ministres des finances de la zone euro. C'est la première fois qu'un représentant des Etats-Unis assiste à une telle réunion. Qu’y faisait-il ?
Cet homme a jeté autant d’huile sur le feu de la panique qu’il a pu. Ses tirades de paniques ont contribué à l’évaporation en fumée de 216 milliards d’euros de perte de valeurs des cours de bourse des entreprises européennes. A présent des entreprises valent moins cher en bourse que la valeur de leurs actifs, murs, terrain, machines et stock ! Voilà un florilège des déclarations du monsieur du trésor nord-américain mangé aux termites jusqu’au trognon et qui fait la leçon aux autres. "Il est très dommage de constater non seulement qu'il existe des divisions dans le débat sur la stratégie en Europe, mais aussi qu'un conflit existe entre les gouvernements et la Banque Centrale Européenne". Et ça il le dit en marge de la réunion des ministres des finances de l'eurozone à laquelle il participait ! Un comble. Et le 28 septembre il a déclaré : "durant le week-end, ils ont entendu le monde entier leur dire qu'il faut s'assurer de faire tout ce qu'ils peuvent pour rassurer les gens sur (leur) intention et (leur) capacité de contenir". Pour lui la crise en Europe "commençait à nuire à la croissance partout, dans des pays aussi éloignés que la Chine, le Brésil et l'Inde, la Corée : (les Européens) ont entendu de nous le même message qu'ils entendent de la part de tous les autres, il est temps d'agir. On les a entendus présager dans les réunions et en public qu'ils reconnaissent cela, ils ont reconnu la nécessité de renforcer (leur action), ils vont devoir mettre en place derrière cela un cadre financier bien plus puissant". Le patron n’a pas été en reste. Barack Obama a joué ouvertement l’incendiaire. "La crise de la zone euro effraie le monde" a-t-il gémi. "En Europe (…) ils ne se sont pas complètement remis de la crise de 2007, et ne se sont jamais vraiment occupés des difficultés auxquelles leurs banques faisaient face". Trop cool ! Et une nouvelle couche sur la peur ? "Cela se conjugue à ce qui se passe en Grèce. Donc ils (les Européens) traversent une crise financière qui fait peur au monde". Encore ! Encore ! « Les mesures prises par les gouvernements européens n'ont "pas été aussi rapides qu'elles auraient dû". Et un coup pour la route ! «Nous n'avons pas vu les Européens affronter les problèmes de leur système financier et de leur système bancaire aussi efficacement qu'il le faudrait» (28/09/2011) Comme c’est amical ! Geithner a aussi appelé à la création d'un "pare-feu" pour éviter que la crise grecque n'entraine "des défauts de paiement en cascade" On n’y avait pas pensé. C’est bon de se voir rappeler le risque du moment par quelqu’un qui l’alimente !
C’est tellement lourd ! C’est tellement gros ! Jose Manuel Barroso, dans son discours devant le Parlement européen dont j’ai rapporté l’essentiel a laissé entendre le cri du laquais blessé. "Je me sens blessé, déclare-t-il, lorsque je vois certains, dans d'autres parties du monde, avec un certain paternalisme, nous dire, à nous Européens, ce que nous devons faire. Je crois qu'on doit dire à nos partenaires «Merci pour vos conseils, mais nous sommes capables ensemble de dépasser cette crise»". Reste plus qu’à faire ! Et ça n’en prend pas le chemin. Ce n’est pas Nicolas Sarkozy qui aurait dit ça. Mais d’autres quand même l’ont fait. Ainsi en marge de la réunion des ministres des finances de l'eurogroupe à laquelle avait été invité le proconsul Geithner, Maria Fekter, la ministre autrichienne des finances s’est publiquement étonnée: "Je trouve bizarre qu'alors même que les Américains ont des fondamentaux bien plus mauvais que ceux de la zone euro, ils nous disent ce qu'on doit faire et que lorsque nous leur faisons une suggestion [sur la taxe sur les transactions financières], ils disent non immédiatement (…) J'aurais espéré que lorsqu'ils nous disent comment ils voient le monde ils écoutent ce que nous avons à leur dire". Compte là-dessus ! L’Autriche ? Combien de divisions ? Je fais donc mienne comme un résumé de la situation et de la thèse que je défend cette citation d’Alexander Law, chef économiste chez Xerfi, l’institut d'études économiques qui se présente comme "le leader des études économiques sectorielles". Voici : « Une solution complète aux problèmes européens «aurait pour effet d’ériger l’euro en une alternative ultra crédible au dollar. Or les Etats-Unis ne veulent pas une vraie monnaie concurrente. Ils veulent conserver leur droit de seigneuriage tout en conservant un dollar relativement faible». Tout est dit.
Ce fut un crève-cœur de lire cet entretien d’Elisabeth Badinter au journal « Le Monde ». Elle se désole que « Marine Le Pen soit la seule à défendre la laïcité ». Elle reproche à la gauche d’avoir abandonné ce terrain. Deux erreurs. Marine Le Pen ne défend pas la laïcité. Elle combat l’islam, ce qui n’est pas du tout la même chose. Ensuite : la gauche ne se réduit pas au PS qui a en effet déserté le terrain. Mais le Parti de Gauche, lui, a déposé une proposition de loi laïque au Sénat, du temps où il avait deux sénateurs éliminés aujourd’hui par le PS et les Verts. Ses élus soutiennent dans toutes les assemblées où ils siègent des amendements contre les subventions aux organismes confessionnels, ce qui leur vaut de copieuses récriminations des amis des églises qui siègent sur tous les bancs. Le philosophe Henri Peña-Ruiz, membre du Parti de Gauche, court la France d’un bout à l’autre de l’année en conférences pour défendre notre intraitable vigilance. Pascale Le Néouannic vient de faire paraitre un livre aux éditions Bruno Le Prince qui fonctionne comme un magnifique manuel de formation sur la laïcité. Donc, nous avons tous été mortifiés par le propos d’Elisabeth Badinter. Non pas parce que c’est une variante injuste du coup du mépris. Nous y sommes habitués. Mais parce que c’est elle, que nous l’estimons beaucoup et que sa parole nous est précieuse.
A Rio, de nouveau ! Je parle d’un moment qui m’a plu au parlement européen la semaine dernière. Le Parlement européen s’est penché sur le Sommet de la Terre de Rio. Il aura lieu en Juin 2012. C’est une date anniversaire évidemment, 20 ans après le premier Sommet de la Terre. Sachez que j’y étais ! Et certainement pas par hasard. A l’époque j’avais lu le rapport de Gro Harlem Brundtland qui avait lancé le concept de « développement durable ». En fait j’ai eu accès au texte par une édition québécoise, la seule disponible alors. J’avais été très impressionné. Et j’avais tiré de cette lecture un chapitre dans mon livre « A la Conquête du Chaos » paru en 1991, et une des thèses du texte de mon courant pour le congrès de Bordeaux du Parti socialiste en 1992. C’est le premier texte socialiste dans lequel le mot apparaît. De même que c’est le premier dans lequel apparaît une reprise de l’indicateur de développement humain que le PNUD venait de mettre en circulation. Bref je n’aurais laissé passer cette occasion pour rien au monde tant j’en mesurais très bien toute la portée symbolique pour le futur. Bonheur pur: le président Mitterrand m’invita à l’accompagner sur place. Je fis donc le voyage dans le Concorde présidentiel, ce qui n’était guère écologique. Mais nous fîmes l’aller-retour dans la journée ! Stupéfiant, non ? J’estime qu’avec cette réunion, un cap avait alors été franchi dans la prise de conscience écologique mondiale. On comprend donc qu’après l’échec des sommets de Copenhague et de Cancun, je me sois penché avec beaucoup d’attention sur le texte que la commission parlementaire de l’environnement proposait à nos suffrages.
Je dois dire que ce texte est bien ancré. J’y ai retrouvé bien des combats qui sont les miens. En voici quelques exemples. D’abord la mise en place d’un statut du réfugié climatique et environnemental, la création d’une agence spécialisée de l’ONU sur l’environnement. Ensuite la promotion des solutions consistant à protéger les écosystèmes naturels comme étant les plus sûres. Il y a aussi la reconnaissance de l’eau comme bien public et la défense de l’accès à l’eau et à son assainissement comme droit humain. Evidemment j’étais satisfait de la demande de la suppression progressive des centrales nucléaires et l’opposition à la construction de nouvelles centrales. D’autant qu’il y a avec cela la demande d’accroissement de l’exploitation des énergies renouvelables, la lutte contre la pauvreté énergétique. Enfin il y a la mise en place d’une taxe sur les transactions financières dont les recettes iraient à la lutte contre le changement climatique.
Bien sûr, le texte a aussi ses faiblesses. Par exemple, il ne demande pas que l’accord attendu de ce nouveau sommet « Rio +20 », puisque c’est ainsi qu’on le nomme, soit contraignant. Une résolution c’est déjà peu de chose mais si en plus elle ne demande rien d’impératif, hum ! Le texte ne dit rien non plus sur le gaz de schistes, problème posé dans le monde entier. Mais il se félicite d’une communication de la Commission qui prône la mise en place d’un marché carbone international auquel je suis absolument opposé. Il compte sur les mécanismes de marché pour faire avancer la lutte contre le changement climatique. Il demande la garantie de la durabilité des biocarburants et pour ce qui est des OGM, il se contente de dénoncer le seul maïs transgénique. Ce faisait quand même beaucoup déjà. J’ai dû constater en plus les dégâts après le vote des amendements. En effet en plénière le texte a été amputé d’un point fondamental, la sortie progressive du nucléaire. Cette exigence a été remplacée par un amendement du Parti Populaire Européen que préside l’UMP français Joseph Dauhl. Il se borne à demander « un niveau optimal de sécurité nucléaire » en Europe. Je ne veux pas balancer mais je tiens à dire qu’il y a eu aussi des voix de gauche pour voter ce vœu pieu. L’utilisation des recettes d’une taxe sur les transactions financières à des fins de lutte contre le changement climatique a également été refusée. Par contre, l’eau comme bien public a été conservée dans le texte, ainsi que la mise en place d’un statut de réfugié climatique et environnemental de même que la majeure partie des points positif que j’ai sérié plus haut. J’ai donc décidé de voter pour ce texte compte tenu de tous les éléments pertinents qu’il contient. Ça change de l’eau tiède habituelle de la maison. Mais j’avais un goût amer aux lèvres. je me suis demandé si je ne venais pas de tomber dans le piège habituel de cette assemblée qui consiste à faire avaler des horreurs au nom de quelques douceurs ici ou là. Je me demande si je dois me rassurer en me disant que, de toutes façons, ce texte n’a aucune valeur législative ni normative.
Vous avez peut-être regardé l’émission sur France 2 à treize heures ce dimanche 3 octobre. J’y étais invité avec Jean d’Ormesson. Trois millions de personnes ont regardé. D’Ormesson vient de publier "La Conversation". Je recopie la présentation de l’éditeur : « Il y a des moments où l’histoire semble hésiter avant de prendre son élan : Hannibal quand il décide de passer les Alpes avec ses éléphants pour frapper Rome au cœur ; César sur les bords du Rubicon ; le général de Gaulle à l’aube du 17 juin 1940, quand il monte dans l’avion qui va l’emmener à Londres, vers une résistance qui peut paraître sans espoir. C’est un éclair de cet ordre que j’ai tenté de saisir : l’instant où Bonaparte, adulé par les Français qu’il a tirés de l’abîme, décide de devenir empereur. » Puis voici la suite : « A travers une conversation imaginaire et décisive entre Napoléon Bonaparte et Jean-Jacques Régis Cambacérès, son deuxième consul, Jean d’Ormesson explore la tension entre l’esprit révolutionnaire républicain et le désir de puissance. Il met en scène un Cambacérès ensorcelé par le charismatique Bonaparte. Les mots prêtés à Bonaparte ont bien été prononcés par lui, l’auteur forge ce dialogue fictif à la veille de l’avènement du Premier Empire, aux Tuileries, vers le début de l’hiver 1803-1804. » Le livre se lit facilement. Il est court. Son écriture fluide et élégante est connue. Mais si l’auteur m’attendrit et que j’aime son coup de plume, les thèses qui sous-tendent son propos ne peuvent pas m’être sympathiques. Elles sont très politiquement orientées. Bonaparte y est présenté comme celui qui rétablit l’ordre avec l’assentiment de tous car la révolution aurait créé le chaos. « L’abîme » ! La révolution comme malheur, on connait. Hum ! Hum ! La vérité du moment, pour ne s’en tenir qu’à cela, c’est que c’est l’équipe des thermidoriens qui avaient créé un désordre et une pagaille inouïe. Et comment ? Entre autre en rétablissant la « liberté du commerce des grains » contre la législation bienfaisante des montagnards qui réglementait les prix. Il en résulta spéculation et famine. Une vieille histoire ? Pas si vieille, non ? La persécution des jacobins, « l’assassinat » de Gracchus Babeuf, la libération de milliers de voyous contre-révolutionnaires ajouta la dose de chaos prévisible. Comme d’habitude. Toute ressemblance avec notre temps ne doit rien au hasard.