melenchon toulouse place du capitole

Discours place du Capitole à Toulouse

Salut à tous ! Salut à vous tous !
Salut à toutes celles et  tous ceux qui ont accouru à l’appel qui leur a été lancé !
¡ Saludos a vosotros de España también, y con respeto a la bandera gloriosa de la República !
[Salut à vous aussi, qui venez d’Espagne, et mon respect au glorieux drapeau de la République espagnole !]

Elle est là, la force qui s’assemble. Elle s’étend, elle s’affirme, et je vous appelle à l’élargir encore, sans cesse, jusqu’au rendez-vous de la première étape de notre insurrection citoyenne, fixée le soir des élections. Je vous demande de construire plus avant cette grande force cohérente politiquement, éduquée, disciplinée par son libre consentement d’adhésion à un programme, et non à une personne. Car ce que nous proposons au pays, les défis qu’il va falloir relever contre tous ceux qui vont s’assembler en opposition au mouvement que le peuple français va entreprendre, nécessitera que chacun, chacune sache quelle est sa place, son poste de combat, le travail qu’il lui faut accomplir pour, tenant par la main, par l’esprit, par le cœur, la voisine, le voisin, sache faire chemin ensemble, accomplir ce qui doit l’être.

Mes amis, nous sommes au mois de germinal. Les bourgeons, pleins de vie, éclatent en fleurs déjà, et voici la promesse des fruits.

De même, nos mots, sortant de l’hiver glacé de la politique, sont revenus ; et volant, de bouche en cœur, offrent à chacun, chacune, de nouvelles raisons de vivre et d’espérer. Notre mot, c’est « partage » ! Partage ! Partage ! Partage de la richesse, planification écologique, citoyenneté, fraternité, amour, intérêt pour celui qui est tombé, à le relever, pour celui qui n’a rien, à être aidé.

Les mots vont, et sont comme des clés qui ouvrent les cages dans lesquelles étaient enfermées les raisons humaines de vivre, qui ne se confondent avec aucune des abjectes comptabilités qui nous sont infligées chaque jour pour savoir si l’on se nourrira ou bien si l’on se logera, si l’on s’éclairera ou si l’on aura telle ou telle dépense pourtant impossible à contourner.

Voilà, monsieur Nicolas Sarkozy, ce que je vous réponds, à l’heure où vous avez dit que vous ne partagez « aucun de mes engagements ni aucun de mes emportements ». C’est vrai, nous ne sommes pas du même camp, nous ne sommes pas la même France. Lorsque vous me dites : « Avec un Mélenchon qui fait pression, chaque jour plus forte, c’est deux jours pour mettre par terre cinq années d’effort »… Ce ne sont pas cinq années d’effort, ce sont cinq années de souffrances, cinq années de déchirure, cinq années de recul, cinq années de grossièreté, de vulgarité, d’abaissement de la patrie !

A vous qui chaque jour, puissants, venez nous demander des comptes, et qui maintenant le faites en calculant à la grosse louche ce que coûterait notre programme, quand il veut donner à chacun le moyen de vivre sa vie, digne et tranquille, je vous demande, moi, des comptes pour le malheur que vous répandez. Je vous demande des comptes pour le coût que représente l’ignorance que vous avez répandue à foison en supprimant les postes d’enseignants, le coût de la santé perdue parce qu’on n’aura pu se soigner, le coût des 564 personnes qui, chaque année, meurent au travail,  les 43000 handicapés par accident du travail, la petite enfance oubliée, les départs à la retraite retardés, le saccage de la justice des mineurs !

Je vous demande des comptes pour cette société absurde. Je vous demande des comptes pour avoir fait que l’espérance de vie recule dans les nations développées alors qu’auparavant, chaque année elle progressait. Je vous demande des comptes pour avoir mis en cause ce que la grande et glorieuse Révolution de 1789 avait rappelé comme le premier de tous les droits : le droit à l’existence. Ah non, ce n’est pas vivre que de passer son temps à survivre !

On ne peut vivre heureux dans un océan de malheur, on ne peut vivre heureux avec huit millions de pauvres, huit millions de mal-logés dans la cinquième puissance du monde ! On ne peut vivre avec la peur du lendemain, comme c’est le cas des dix millions de précaires.

J’en fais l’aveu : notre programme, en effet, n’est pas réaliste d’après vos normes comptables,mais il est réaliste d’après les nôtres, et les nôtres s’appellent le droit de vivre !

Voyez, vous tous qui vous demandez ce qu’est ce phénomène : ce phénomène qui remplit cette place, les rues avoisinantes et les places avoisinantes, cela s’appelle la révolution citoyenne, qui est commencée ! Nous avons, nous, appelé à cette mobilisation comme nous l’avions fait avant à la Bastille, et comme nous le ferons encore à Marseille dans quelques jours.

C’est une même marche, et nous vérifions, ici, là, qu’à notre appel vous répondez. Car nous savons que demain vous aurez déjà fait cette répétition générale, et que si c’est moi qui suis élu, lorsque je vous appellerai, vous y serez ! Et qui que ce soit qui soit élu en définitive, rien ne fera rentrer dans son lit le fleuve qui est en train de déborder !

Nous engageons le deuxième rassemblement pour refonder notre République. Et refonder notre République, vous le savez, dans une nation politique comme la nôtre que ne définit ni une religion, ni une couleur de peau ni même une langue – la République fonde la Nation, et non l’inverse – refonder la République, c’est refonder le peuple lui-même et la patrie commune, défigurée qu’elle est par l’inégalité et les saccages de toute sorte.

Nous voulons que soit élue une Assemblée constituante, dont le premier rôle sera de redéfinir la règle de vie commune. Nous ne pouvons plus accepter que, pour faire face aux défis gigantesques de la catastrophe capitaliste qui s’abat sur le monde entier et à la catastrophe productiviste qui menace l’écosystème humain, les puissants, incapables de penser un autre monde et une autre organisation, abandonnent le mouvement à lui-même et ne connaissent aucune autre norme que leur propre intérêt. Nous ne pouvons plus accepter que la hiérarchie des normes soit surplombée  – dans notre pays, la France, ou en Europe –, par la liberté d’entreprendre, la concurrence libre et non faussée et la compétition de chacun contre tous. Nous voulons qu’au sommet de la hiérarchie des normes de notre société il y ait la solidarité et la coopération. Nous ne pouvons accepter que dorénavant la liberté d’entreprendre soit assimilée à un droit fondamental égal au droit de propriété, et que tout soit dès lors rapporté à cette liberté.

Nous croyons, au contraire, que le moment est venu d’établir la citoyenneté partout, non seulement dans la Cité, mais dans l’entreprise, et par conséquent de reconnaître comme un droit constitutionnel le droit de préemption, qui verrait les travailleurs, lorsqu’ils le demandent, constituer des coopératives ouvrières qui deviennent propriétaires de l’outil de production.

Nous voulons que l’intérêt général soit plus fort que les intérêts particuliers et que, lorsque la situation l’impose, parce qu’un intérêt fondamental économique de la Nation viendrait à s’affirmer ou à se révéler, il y ait pour le gouvernement, c’est-à-dire pour le pays lui-même, un droit de réquisition qui permette que des scandales comme ceux de Molex ou de la Celanese ne soient plus jamais possibles dans notre pays ! Et établir un droit de veto des salariés sur les questions qui concernent l’avenir stratégique de leur entreprise ou l’impact environnemental de ses productions.

Ici, nous reprenons le fil que le grand Jaurès a tissé pour nous dans cette région. « La démocratie politique, nous a-t-il enseigné, s’exprime en une idée centrale, ou mieux encore, en une idée unique : la souveraineté politique du peuple ». La souveraineté du peuple, c’est-à-dire n’obéir qu’aux lois auxquelles on a chacun personnellement contribué par son bulletin de vote, n’obéir à aucune autre main que celle qui aura déterminé quelle est la norme commune parce qu’on en aura décidé ensemble. Voilà ce que signifie la souveraineté et, dès lors, la souveraineté, c’est l’autre nom de la liberté. Vous n’êtes pas libres quand vous n’êtes pas souverains, car cela signifie que les décisions qui vous sont appliquées ont été décidées ailleurs, et sans vous !

Alors à cette heure, me souvenant  de ce qu’a été la forfaiture du président de la Républiquelorsque, après que le peuple a voté non à la Constitution européenne en 2005 par 55% des suffrages, il a néanmoins négocié un autre traité qui en était la copie conforme et qu’il a fait adopter au congrès de Versailles, avec la complicité de ceux qui se sont abstenus ou qui ont voté pour… je lui demande des comptes à cette heure : où est notre liberté ? Et quel est, même, le sens de cette élection-ci, lorsque vous cachez aux Français que, quel que soit leur vote, dès lors qu’ils votent pour un des partis du Traité de Lisbonne, qui s’apprêtent à voter le prochain traité Merkel-Sarkozy – soit en le votant, soit en s’abstenant comme ils l’ont déjà fait pour le Mécanisme européen de stabilité –, ce traité sera appliqué ?

Où est notre liberté, quel est le sens de cette élection si vous nous annoncez que, quoi que l’on fasse, en toute hypothèse, nous serons obligés par des accords internationaux de soumettre le budget de la France à l’approbation préalable de la Commission européenne, de soumettre tous nos emprunts à son accord préalable ? Alors je dis : « Dès lors qu’il n’y a plus de liberté, plus de souveraineté, l’insurrection citoyenne est un devoir sacré de la République ! »

Où est notre liberté, où est notre souveraineté quand, en catimini, et sans en parler jamais dans aucune Assemblée, ni dans aucun rassemblement, vous préparez mois après mois, par des votes complices les uns avec les autres, ce que vous avez appelé le « grand marché transatlantique » qui en 2015, quoi que nous votions, nous unira définitivement, sans barrières douanières, sans barrières juridiques, aux États-Unis d’Amérique ?

Où est notre liberté ? Où est notre liberté, si quoi que nous votions cette fois-ci, il faudrait admettre que continue ce dont nous ne voulons pas, et dont nous ne savons comment vous dire que nous ne voulons pas, c’est-à-dire la continuation de la libéralisation des services publics, la continuation de la mise à disposition de pauvres travailleurs venus des autres pays de l’Europe que l’on fait travailler ici à vil prix,  grâce auxquels s’ajoute au dumping social la délocalisation interne.

Où est notre liberté ? Elle est dans notre bulletin de vote qui, en donnant le pouvoir au Front de Gauche, abolira toutes ces mesures parce que la France n’y souscrira plus.

Où est notre liberté quand notre souveraineté, confisquée par notre implication dans un commandement militaire intégré à l’intérieur de l’Alliance atlantique, nous enchaîne à toutes les expéditions des tenants du « choc des civilisations » aux États-Unis d’Amérique, dont nous ne voulons pas !

C’est pourquoi, qu’il s’agisse du Traité européen ou qu’il s’agisse de cette participation dont nous ne voulons plus à l’OTAN, nous, le Front de Gauche, proclamons que nous soumettrons à référendum populaire ces deux engagements. La France doit quitter, et le commandement intégré, et l’Alliance elle-même ; elle doit proposer au monde, conformément à son histoire, une nouvelle alliance altermondialiste, indépendante des États-Unis d’Amérique. Elle doit engager la rénovation du seul ordre international qui puisse être légitime à nos yeux : non pas celui qui résulte du G8, du G20, et de toutes ces sinécures où les puissants intiment au reste du monde ce qu’il doit subir et pâtir, mais au contraire les organismes de l’ONU rénovés par l’action de la France elle-même.

Une France qui ne pratiquerait plus cette défense à géométrie variable des droits de l’homme,utilisés pour des ingérences plus que douteuses. Une France qui porterait enfin, dans toutes les enceintes et face à chacun, sans jamais baisser les yeux, les causes qui l’animent et qui font que nos révolutions n’ont jamais été des révolutions pour les Français mais pour l’humanité universelle. Une France qui défendrait les droits universels de l’homme, c’est-à-dire notamment se battrait à l’échelle internationale pour que soit reconnu, en Europe comme dans le reste du monde, le droit à l’avortement, base de la liberté de disposer de soi pour la moitié de l’humanité. Devant le monde entier, lutter contre la peine de mort, non seulement en Chine, mais aussi aux États-Unis d’Amérique ! Lutter, devant le monde entier en disant : « Voici les Français ! Et ils vous proposent de rejoindre la cause proposée par Evo Morales, le président de gauche de la Bolivie. La France propose que soit créé, comme il l’a suggéré, un tribunal international qui punisse les crimes écologiques commis contre l’humanité. »

Non, monsieur le président, le premier danger, contrairement à ce que vous avez dit dès votre prise du pouvoir, ce n’est pas la confrontation entre l’Occident et l’Islam ; le premier danger, c’est que la France soit transformée en roue de secours du char impérial qui est la première cause des perturbations du monde. La France de la VIème République que nous voulons construire, la France n’est pas une nation « occidentale », elle ne l’est ni du fait de son peuple bigarré, ni du fait qu’elle est présente dans tous les océans du monde, du fait qu’elle existe, vit et rayonne à proximité des cinq continents, de la Nouvelle Calédonie, la Polynésie, la Réunion, Mayotte, les Antilles, la Guyane française qui a la plus longue frontière de France – 800 kilomètres ! – avec le Brésil. Non, la France n’est pas une nation occidentale, elle est une nation universaliste !

Nous sommes, et nous voulons être, du fait de ce que l’Histoire nous a légué, le premier modèle de nation universaliste. Il nous faut donc être à la hauteur de nos principes, et c’est à cette grande tâche que vous êtes appelés, et non au misérable gloubi-boulga du PMU politicien auquel vous appellent des chefs à la ramasse !

Une fois de plus, il va nous falloir être ce cratère brûlant d’où va jaillir de nouveau la flamme des révolutions qui par contagion deviennent la cause commune de tous les peuples d’Europe. Nous allons ouvrir la brèche, nous n’avons besoin des conseils et des autorisations de personne, dorénavant, car nous sommes une force adulte, consciente, disciplinée, éduquée, politisée ! Nous allons ouvrir la brèche par laquelle nos frères et nos sœurs en Grèce vont mettre fin à l’abjecte dictature de la finance qui a saccagé leur pays. Nous allons ouvrir la brèche par laquelle va passer en octobre prochain le peuple allemand lui-même. Nous allons ouvrir la brèche dans le mur de la résignation qui, partout, a pris à la gorge les peuples, et qui est de nouveau distillée à longueur de journée quand on vous dit que ce serait nous, la ruine, quand c’est eux qui l’ont organisée et en ont donné la preuve partout où leur politique pourrie s’applique !

Oui, nous sommes au mois de germinal, les bourgeons gonflés de vie éclatent déjà en fleurs, et avec elles s’annonce la promesse des fruits.

France belle et rebelle, vienne le temps des cerises et des jours heureux !

Vive la France, vive la République, vive la République sociale !

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