Communiqué du 15 février 2013
PS / Ennahda : l’inacceptable rencontre
J'apprends avec stupéfaction qu'une mission parlementaire française dirigée par le PS a rencontré hier officiellement Rached Ghannouchi à Tunis dans le bureau de ce dernier.
Je déplore le soutien ainsi apporté à un parti d'extrême droite religieuse dont le chef n'a aucune fonction officielle dans les institutions tunisiennes.
Suite du récit du voyage de Jean-Luc Mélenchon en Tunisie, par Laurent Maffeïs.
Cette deuxième journée du lundi 11 février fut particulièrement dense par le nombre et la qualité des militants et personnalités rencontrés. Le tout dans une ambiance à la fois grave et chaleureuse, en raison des mobilisations incessantes qui voient se rejoindre tous les jours dans la rue et les réunions unitaires les militants des différents partis et associations. La matinée a été consacrée à des rencontres avec le mouvement social (UGTT) et la société civile tunisienne. Avant que Jean-Luc ne prononce une conférence sur l'éco-socialisme que l'affluence record et le contexte révolutionnaire ont transformé en meeting. Une journée militante terminée par un dîner avec des dirigeants de la quasi totalité des partis progressistes tunisiens.
Jean-Luc Mélenchon a d'abord été reçu au siège de la centrale UGTT où il a rencontré son secrétaire général Houcine Abbassi et son bureau exécutif. L'UGTT est la principale force sociale organisée en Tunisie avec 750 000 adhérents revendiqués sur les 11 millions d'habitants que compte le pays. La grève générale à laquelle elle a appelé jeudi 8 février au lendemain de l'assassinat de Chokri Belaïd a totalement paralysé l'activité, signe de sa capacité de mobilisation. Pas un avion n'a décollé. Plus un train ne roulait. Tous les supermarchés étaient fermés. Car l'UGTT n'est pas qu'une confédération syndicale mais une institution sociale et nationale directement liée à l'histoire du pays depuis l'indépendance. Même si elle n'interfère pas dans la vie des partis, elle n'hésite pas à prendre position sur le terrain politique et institutionnel. Elle a ainsi participé aux mobilisations qui ont contribué à la chute de Ben Ali. Et elle apporte son soutien et son relais aux mouvements sociaux qui combattent la misère et l'arbitraire de certains gouverneurs islamistes dans le centre du pays, comme à Siliana ou à Sidi Bouzid. Elle a aussi lancé en octobre une initiative nationale pour le dialogue, afin d'accélérer l'écriture du projet de constitution sur laquelle bute pour l'instant l'assemblée nationale constituante. L'UGTT insiste d'autant plus aujourd'hui sur la nécessité pour l'assemblée et le gouvernement de se concentrer sur cette mission constituante et de préparer dans les meilleures conditions de pluralisme et de transparence de nouvelles élections. Comme les partis d'opposition, elle accueille plutôt favorablement l'idée avancée par l'actuel premier ministre de constituer un gouvernement transitoire de personnalités indépendantes pour sortir de la crise politique. L'UGTT est aussi un acteur permanent de la résistance contre les atteintes aux libertés et la violence politique émanant des intégristes. Ces derniers ont d'ailleurs littéralement attaqué et
saccagé son siège le 4 décembre dernier. Une véritable provocation puisqu'il s'agissait là du jour du 50ème anniversaire de l'assassinat de Farhat Hached, fondateur du syndicat et leader de la lutte pour l'indépendance tunisienne qui influença la politique sociale des premières années de la présidence de Bourguiba. L'UGTT est donc désormais en première ligne dans la défense de la paix civile. Son secrétaire général ayant fait l'objet de menaces de mort, il a demandé en vain une protection au ministère de l'intérieur tenu par le parti Ennahda. Par défaut, c'est finalement la présidence de la République qui lui a accordé cette protection sur les moyens personnels du président. L'UGTT soutient donc plus largement la tenue d'une conférence nationale contre la violence politique. Une revendication qui a pris une tournure de salubrité publique avec l'assassinat de Chokri Belaïd et qui est relayée par la Ligue Tunisienne des Droits de l'Homme et les partis d'opposition dont le Front populaire.
Jean-Luc Mélenchon a ensuite échangé avec une trentaine de personnalités de la société civile. Une rencontre exceptionnelle de près de trois heures organisée par le Forum Tunisien pour les droits économiques et sociaux. Dans un contexte particulièrement militant puisque beaucoup de participants se relayaient au fil des échanges pour passer à une manifestation organisée au même moment devant l'Assemblée nationale constituante aux côtés de Basma Khalfaoui, l'épouse de Chokri Belaïd. Cette dernière a courageusement décidé de se mobiliser quotidiennement devant l'assemblée pour dénoncer l'impunité des violences, l'inertie de la justice et déficit de protection des leaders démocrates menacés. Un comité de soutien à Chokri Belaïd a aussi été lancé à l'initiative d'avocats pour exiger une véritable enquête et faire en sorte que de tels assassinats ne se reproduisent plus. Plusieurs de ces avocats avaient fait le déplacement pour rencontrer Jean-Luc Mélenchon. Plus largement, une grande diversité d'engagements pour les libertés et les droits humains était représentée à cette rencontre. Associations de femmes, d'avocats, de journalistes, de chômeurs. Universitaires, artistes, scientifiques. Militants des droits de l'homme (LTDH, FIDH) mais aussi d'éducation populaire et civique, notamment de l'association Doustourna "notre constitution" qui cherche à impliquer la population dans l'écriture de la constitution. Mais aussi militants de la coopération internationale et pour l'annulation de la dette (ATTAC Tunisie, CADTM, RAID). Ces derniers, ainsi que l'économiste Abdeljelil Bedoui, ont pointé la responsabilité des organisations internationales et de l'Union européenne dans l'affaiblissement de l'Etat tunisien et le développement des inégalités. En question principalement : le poids écrasant de la dette et les dangers de la libéralisation des échanges avec l'Europe. Au total depuis les années 1970, la Tunisie a déjà remboursé 2,5 milliards d'euros de plus en intérêts que le capital emprunté. Ces remboursements pèsent
très lourdement sur le budget : 3 fois les dépenses de santé, 6 fois les dépenses de développement régional. Par exemple, rien que d'ici fin février la Tunisie doit rembourser 330 millions d'euros. Malheureusement les causes de cet étouffement s'aggravent. Le gouvernement sollicite des prêts du FMI ce qui expose la Tunisie à la thérapie de choc de l'ajustement structurel dont les méfaits sont bien connus de l'Argentine à la Grèce. Les agences de notation jouent aussi leur rôle de charognard. Elles ont dégradé la note de Tunisie après la chute de Ben Ali, infligeant une sorte de mauvais point à la démocratie et affichant ainsi leur préférence implicite pour les dictatures favorables aux milieux d'affaires. Acharnée, Fitch a menacé d'une nouvelle dégradation en décembre suite aux grandes grèves du centre du pays (Siliana) contre le chômage et la misère. Et l'agence rapace a renforcé sa menace de dégradation dès le lendemain de l'assassinat de Chokri Belaïd.
Tous ces acteurs sociaux ont exprimé, au-delà de leurs engagements sectoriels, leur préoccupation quant à l'avancement du processus révolutionnaire ouvert en Tunisie depuis 2011. En pointant à plusieurs reprises la nécessité de trouver des modalités de convergence entre le mouvement social et associatif et la lutte politique. Au niveau international, la discussion a abouti sur la nécessaire complémentarité entre des cadres larges et ouverts comme le Forum social mondial et des cadres politiques plus intégrés comme le Forum mondial pour la révolution citoyenne dont Jean-Luc Mélenchon leur a présenté le projet.
En fin d'après-midi, ce sont plus de 600 personnes qui se pressaient dans la maison de la culture Ibn Rachiq en plein centre de Tunis. Aberrahmane Hedhili et ses camarades du Forum Tunisien pour les droits économiques et sociaux avaient magnifiquement organisé cet événement avec le directeur de la maison de la culture Chokri Latif. Des banderoles annonçaient l'événement dans la rue et affiches et tracts avaient été diffusés dans Tunis. Parmi le public présent, outre des militants de tous les partis d'opposition tunisiens, le nombre de jeunes étudiants ou diplômés au chômage était particulièrement impressionnant. Jean-Luc Mélenchon pointa d'ailleurs les caractéristiques communes très frappantes de l'évolution de nos sociétés confrontées au libéralisme et à l'austérité des deux côtés de la méditerranée. Au point de constituer une véritable société commune confrontée aux défis communs de la crise de l'écosystème particulièrement tangibles en mer méditerranée. D'où l'enjeu de trouver des solutions communes éco-socialistes pour répondre ensemble à ces défis vitaux pour l'humanité elle-même. Jean-Luc a aussi salué le courage des militants et citoyens tunisiens mobilisés et insisté sur l'importance pour toute l'Europe de la poursuite et du succès de la révolution citoyenne tunisienne.
Un dîner était ensuite organisé avec les dirigeants de tous les partis de la gauche tunisienne. Bien sûr étaient présents des représentants des forces du Front populaire dont nous avons déjà parlé. Mais aussi d'autres forces progressistes qui ont préféré à ce stade se rassembler dans un front républicain anti-islamiste autour du parti de centre-droit Nidaa Tounes ("l'appel de la Tunisie") conduit par l'ancien premier ministre Beji Caïd Essebsi. Ce dernier incarne l'héritage émancipateur et laïque de Bourguiba (désigné en Tunisie sous l'étiquette "moderniste"). Mais il représente aussi les intérêts de la grande bourgeoisie tunisienne et d'une forme d'oligarchie locale peu encline au partage des richesses alors que les inégalités sont béantes en Tunisie. Entre cette démarche de Front républicain pour la démocratie et celle du Front populaire qui refuse de déconnecter bataille démocratique et conquête sociale, les ponts ne sont pas coupés. Des objectifs communs d'action sont fixés au fil des mobilisations. Et les rassemblements s'élargissent d'un côté comme de l'autre. Par exemple le parti Al Qotb (le Pôle) est en train d'intégrer le Front populaire alors qu'il est issu du Pôle démocratique moderniste, le regroupement laïque des anciens communistes d'Ettajdid, de socialistes du PSG et de nationalistes qui s'était présenté aux élections de la constituante en concurrence à l'époque avec le PCOT d'Hamma Hammami (principale composante d'origine du Front populaire). L'Alternative sociale-démocrate, qui regroupe des militants issus de différentes branches historiques du socialisme tunisien (FDTL-Ettakatol, PSG etc) est aussi en discussion avec le Front populaire. De leur côté, les anciens communistes d'Ettajdid ont fusionné avec le Parti du travail que des militants de l'UGTT avaient tenté de constituer, dans un rassemblement appelé Al Massar ("la voie démocratique et sociale"). Et le PDP, parti historique de la résistance de centre-gauche à Ben Ali, incarnée par le courageux Ahmed Néjib Chebbi, a fusionné avec un parti libéral (Afek Tounés) dans un rassemblement appelé Al Joumhouri (parti républicain). Ce sont ces deux derniers rassemblements, Al Massar et Al Joumhouri qui ont constitué un vaste front républicain intitulé "Union pour la Tunisie", avec le parti Nidaa Tounés de l'ex premier ministre Essebssi. Ils ont aussi été rejoints dans ce front républicain par le Parti socialiste de Gauche, rebaptisé Parti socialiste, ainsi que les nationalistes du Parti du travail patriotique et démocratique ("Hezbelamal", PTPD). Au-delà de leurs vifs débats stratégiques, tous étaient présents dans une ambiance chaleureuse pour dîner avec Jean-Luc Mélenchon. Notamment Riad Ben Fadhel (un intellectuel ex-directeur de l'édition arabe du Monde diplomatique, représentant Al Qotb-Le Pôle), Ahmed Brahim (leader communiste historique d'Ettajdid et fondateur d'Al Massar), Mohamed Kilani (leader du Parti socialiste), Maher Hanine (membre du bureau politique d'Al Joumhouri-parti républicain), Abdelkrim Hasseiri (du PPDU de Chokri Belaïd), ainsi que des représentants du Parti Bass de Tunisie etc. Etaient aussi présents pour échanger au sujet du travail constituant et de la préparation délicate des prochaines élections, deux députés à la constituante représentants les Tunisiens de France : Nadia Chaabane (Al Massar) et Sélim Ben Abdesselem (ex-Ettakatol) tous deux membres du Groupe démocratique à l'Assemblée, principale composante de l'opposition parlementaire à la majorité conduite par les islamistes d'Ennahda. Ainsi que Kamel Jendoubi, figure du combat pour les droits de l'homme sous Ben Ali et président de l'Autorité de contrôle électoral lors des élections de la constituante. Autant de camarades qui comptent sur nous pour appuyer et relayer la défense de la révolution tunisienne en France. Autant que nous comptons sur eux pour continuer cette révolution qui est un point d'appui historique, à l'heure où l'autre gauche est ascendante dans tout le bassin méditerranéen. Dans des sociétés confrontés à des problèmes communs que le peuple a commencé à régler concrètement en entrant en révolution citoyenne.