melenchon charte des langues regionales

22.01.2014

Lettre aux députés pour le vote sur la Charte des langues régionales et minoritaires

Courrier adressé par Jean-Luc Mélenchon à l’ensemble des députés français à l’occasion du vote sur la charte des langues régionales.

Cher(e) collègue,

Mercredi 22 janvier vous discuterez en première lecture d’une proposition de loi constitutionnelle visant à autoriser la France à ratifier la Charte européenne des langues régionales et minoritaires. Les fortes réserves constitutionnelles déjà exprimées par le Conseil constitutionnel et le Conseil d’Etat contre cette ratification vous sont sans doute connues. Le vote sur ce texte est prévu mardi 28 janvier prochain. 

J’ai suivi ce projet depuis sa gestation en 1996 et je suis intervenu à plusieurs reprises sur le sujet, au Sénat puis au Parlement européen. J’ai donc à cœur de vous transmettre quelques arguments qui plaident en faveur de la plus grande vigilance face à ce texte et aux dangers qu’il contient pour l’unité de la communauté légale que constitue notre République. En effet il n‘est pas demandé de valider une Charte prévue pour les minorités nationales mais déjà largement mise en œuvre. Il s’agit de rendre applicables celles de ses dispositions aujourd’hui anticonstitutionnelles pour d’excellentes raisons.

Contrairement à ce qu’insinue cette proposition de loi dans son exposé des motifs, le débat qui s’ouvre n’est pas un débat pour ou contre les langues régionales, leur pratique et leur diffusion. Ce serait absurde. Comment peut-on être « contre les langues régionales » ? Qu’est-ce que cela pourrait vouloir dire concrètement ? Abroger les lois existantes qui les protègent ? Ni moi ni les autres critiques de la Charte ne l’ont jamais ni demandé ni souhaité. Être contre le bilinguisme ? Pourquoi ? Je suis moi-même bilingue comme beaucoup d’entre vous. Encore plus ridicule serait le fait d’être « contre la diversité culturelle ». En réalité, je défends ardemment cette diversité contre la vision étroitement ethniciste et régionaliste de la diversité qui résulterait en France de l’application de certains articles de la Charte. Pourtant, il semble que quiconque refuse ces articles de la Charte et ne l’adopte pas immédiatement les yeux fermés est aussitôt accusé d’être « contre les langues minoritaires » et « contre la diversité culturelle ».

Pour servir cette manipulation cette proposition de loi multiplie les mensonges concernant la situation et le cadre légal des langues régionales en France. Il prétend ainsi à ce sujet que « la France enfermée dans les certitudes d’un autre âge ». Que « la position de la République sur les langues régionales, traditionnellement réservée pour ne pas dire hostile, n’est plus tenable. ». Et que « la pluralité linguistique et culturelle » doit « obtenir enfin droit de cité dans notre pays ». Pour justifier ces graves accusations contre la République, l’exposé des motifs ne cite que deux exemples, qui s’avèrent tous les deux lourdement erronés. Il affirme que « toutes les avancées en faveur des langues régionales consenties par le Gouvernement de Lionel Jospin, notamment dans le domaine éducatif, ont été systématiquement invalidées par le Conseil d’État et le Conseil constitutionnel ». Il prétend aussi que « les langues régionales ne bénéficient à ce jour d’aucun statut légal. Leur prise en compte par l’État relève beaucoup plus de la circulaire et de l’arrêté que de la loi ». Tout cela est totalement faux et il est consternant de voir des députés signer un tel texte mensonger concernant la loi française dont ils sont censés être les meilleurs connaisseurs et garants. La République protège les langues régionales. Je n’accepte donc pas la caricature qui voudrait faire croire que la République française réprime ou méprise ces langues. Ce n’est pas vrai !

La France s’est dotée dès les années cinquante d’un cadre législatif favorable aux langues régionales. Elle a été et reste, aujourd’hui encore, en avance sur beaucoup de pays d’Europe dans ce domaine. La loi du 11 janvier 1951 relative à l’enseignement des langues et dialectes locaux, qui porte le nom du socialiste Maurice Deixonne, a officiellement autorisé et favorisé l’apprentissage des langues régionales de France dans l’enseignement public. C’est le cas, dès cette époque, du basque, du breton, du catalan et de l’occitan, auxquels se sont ajoutés ensuite le corse en 1974, le tahitien en 1981, et quatre langues mélanésiennes en 1992. De sorte qu’aujourd’hui, et depuis 1970, tous les élèves qui le souhaitent voient ces enseignements pris en compte pour l’obtention du baccalauréat. La loi Toubon de 1994 a confirmé ce cadre légal favorable. Quant au gouvernement de Lionel Jospin, par la loi du 22 janvier 2002, il a mis des moyens particulièrement importants à la disposition de l’enseignement de la langue corse, si bien que quiconque le veut peut suivre un enseignement en corse à l’école, au collège et au lycée, à raison de trois heures par semaine. Ici, la Charte n’apporte strictement rien de plus à cette situation. La question posée est plutôt de savoir si les moyens de ces enseignements sont mis à disposition et elle ne relève pas du législateur mais du gouvernement.

La proposition de loi est également mensongère quand elle prétend que la France serait isolée car l’évolution conduisant à ratifier la Charte aurait été accomplie « partout en Europe ». C’est totalement faux. Cette Charte est très loin de faire l’unanimité sur le continent. 14 pays membres du Conseil de l’Europe ne l’ont pas signée, dont la Belgique, le Portugal, la Grèce ou l’Irlande, qui ne sont pas des États réputés liberticides. Et parmi ceux qui ont signé cette charte, comme la France, 9 États ne l’ont pas ratifiée, dont l’Italie. Au total, 23 pays membres du Conseil de l’Europe se refusent donc à rendre applicable cette Charte sur leur territoire. Cela peut être attribué non pas exclusivement à leur « mépris pour les langues régionales minoritaires », mais probablement à d’autres causes. Pourquoi ne pas les examiner ? Pourquoi se contenter de condamner tout le monde en bloc sans examen des motivations ? Et, surtout, sans considérer quelle est la situation réelle sur le terrain de ces Etats !

La France applique déjà beaucoup d’articles de la Charte sans avoir eu besoin de sa ratification pour le faire. La proposition de loi se garde bien de le préciser. Il existe deux types de dispositions : les préconisations impératives et celles qui sont optionnelles. Un grand nombre de préconisations impératives sont déjà appliquées par la France, par exemple les articles 7-1-f et 7-1-g concernant l’enseignement scolaire et l’apprentissage tout au long de la vie de ces langues. Mais aussi l’article 7-2 visant à éliminer les discriminations ou restrictions qui pourraient viser des locuteurs. Et parmi les préconisations optionnelles que la France respecte, on peut citer les articles 8-1-b (enseignement primaire), 8-1-c (enseignement secondaire), 10-2-g (toponymie et signalisation).

Il n’est donc pas vrai que nous ayons besoin de ratifier la charte pour en appliquer les dispositions qui ne sont pas contraires à notre Constitution. Mais le fait de parler une langue différente ne suffit pas à instituer des droits particuliers en faveur de ses locuteurs. C’est là où certains articles de la Charte visant à encourager la pratique de ces langues « dans la vie publique », posent problème. La Charte indique par exemple que les États doivent « prendre en considération les besoins et les vœux exprimés par les groupes pratiquant ces langues ». À l’évidence, ce texte a été écrit à l’intention de pays où des secteurs entiers de la population parlent une autre langue que la langue nationale et seulement celle-là, comme c’est le cas des minorités hongroises ou autres, qui existent dans divers pays de l’Union européenne. Mais en aucun cas il n’a été écrit pour la France ! Dans quel cas, dans quelles conditions pourrait-on désigner les représentants de ces groupes ? Va-t-on maintenant élire des représentants des locuteurs de telle ou telle langue ?

Pour la même raison il ne peut être question de faire bénéficier de procédures en langues régionales devant les autorités judiciaires, comme le prévoit l’article 9 de la charte, ou devant les services publics, comme le décide l’article 10. Témoigner, poursuivre en justice, signer des contrats dans une autre langue que la langue française constituerait un recul par rapport à l’ordonnance de Villers-Cotterêts qui représente une avancée fondamentale dans l’égalité des Français devant la justice et le service public. Y renoncer conduirait à des situations ingérables pour les administrations et les collectivités locales et à des divisions et incompréhensions absurdes entre administrés. Pourtant, c’est ce que prévoient ces articles de la Charte.

Le Conseil constitutionnel a donc eu raison de dire, en 1999, qu’en conférant « des droits spécifiques à des “ groupes ” de locuteurs de langues régionales ou minoritaires, à l’intérieur de “ territoires ” dans lesquels ces langues sont pratiquées, [cette Charte] porte atteinte aux principes constitutionnels d’indivisibilité de la République, d’égalité devant la loi et d’unicité du peuple français. »

Il n’y a donc pas lieu de remettre en cause la Constitution à ce sujet. Les exemples de pays cités en références par la proposition de loi (Espagne, Italie, Grande-Bretagne) pour justifier l’octroi de droits spécifiques à des locuteurs sont d’ailleurs particulièrement peu concluants. La décomposition de l’Etat et les inégalités qui en résultent entre territoires et citoyens dans ces pays sont parmi les plus graves en Europe. Pour ne pas connaître un tel sort la France a donc tout intérêt à se tenir éloignée de telles évolutions constitutionnelles.

J’ajoute un dernier argument décisif contre la ratification proposée de cette Charte. Les dispositions précitées conduiraient à un traitement discriminatoire des langues en France. Certains défenseurs des langues régionales s’en sont d’ailleurs inquiétés au point de remettre en cause l’utilité de la proposition de loi qui vous est soumise. Le réseau ELEN-EBLUL France, qui rassemble les grandes fédérations de défense des langues régionales de France a ainsi « exprimé sa vive inquiétude qui l’amène à être en total désaccord avec des formulations de propositions de loi », qui conduiraient à une « limitation discriminatoire » du droit des langues en France. Avec d’autres arguments que ce réseau dont je ne partage pas les autres analyses, j’exprime la même inquiétude. En effet les langues pratiquées par les migrants ou leurs descendants, sont exclues de la Charte. Elles sont pourtant elles aussi « minoritaires » mais elles ne sont pas protégées par la Charte qui ne conçoit les langues qu’en lien avec un territoire particulier. Une définition particulièrement discutable et problématique pour des Républicains attachés à la valeur des principes quel que soit leur territoire d’application. L’application de la Charte poserait donc un grave problème vis à vis des locuteurs de la 2ème langue parlée en France, qui n’est pas régionale, puisqu’il s’agit de l’arabe. Le sort aujourd’hui réservé à la pratique, à la promotion et à l’enseignement de la langue arabe en France, me semble d’ailleurs tout aussi décisif que celui des langues régionales. D’autant que cette langue aux côtés du français forme un espace linguistique commun a des millions de binationaux et de locuteurs des deux rives de la Méditerranée unis par des liens familiaux et économiques intense et prometteurs ! Il est pourtant totalement ignoré par les promoteurs de cette proposition de loi. Leur invocation de la diversité linguistique semble donc à géométrie variable.

Ainsi une telle ratification de la Charte conduirait le pays à de nouvelles divisions absurdes entre immigrés et non immigrés, cette fois quant au statut des langues parlées. Notre pays a-t-il vraiment besoin de cette nouvelle discrimination volontaire ? Je ne le pense pas et c’est pour cela que j’ai souhaité vous alerter sur les conséquences de votre vote. Je fais donc appel, au nom de l’intérêt général, à votre sens républicain, quelles que soient nos préférences partisanes ou nos origines régionales.

En espérant avoir retenu votre attention, je reste à votre disposition pour tout échange à ce sujet et je vous adresse, cher(e) collègue, mes cordiales salutations républicaines.

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