melenchon charte des langues regionales

Contributions sur la Charte des langues régionales et minoritaires

Textes principaux de Jean-Luc Mélenchon

Langues régionales et constitution – les débats parlementaires

Débat avec Jean-Jacques Urvoas

Divers

 

Débat sur la sauvegarde des langues régionales ou minoritaires et la transmission
Sénat – 13 mai 2008
Intervention de Jean-Luc Mélenchon, sénateur de l’Essonne

« Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, en montant à cette tribune, je suis persuadé que, quels que soient les points de vue que vous exprimez sur ce sujet, tous ici vous vous sentez aussi patriotes que moi-même, aussi attachés à l’unité et à l’indivisibilité de la République française que je le suis et dignes continuateurs du progrès constitué par l’ordonnance de Villers-Cotterêts : ce texte a établi le français comme langue du royaume, permettant à chacun de se défendre, de témoigner, d’attaquer en justice et d’être compris par les autres.

Mais l’homme qui s’exprime en cet instant, fier d’être jacobin, ne parlant que la langue française pour s’adresser à vous ou bien l’espagnol, langue de ses grands-parents, et qui, s’il devait apprendre une autre langue, choisirait l’arabe, langue minoritaire la plus parlée dans la région d’Île-de-France dont il est l’élu, ne vient pas devant vous pour discuter de la question de savoir si l’on est pour ou contre les langues régionales – ce qui est absurde – ou, pire encore, si l’on est pour ou contre la diversité culturelle : il s’agit de savoir si le cadre légal existant est adapté, car il en existe déjà un, ou si la France a besoin de ratifier la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires pour faire progresser la diffusion de celles-ci.

Pour ma part, je n’accepte pas la caricature qui voudrait faire croire que la République française réprime ou méprise les langues régionales. Ce n’est pas vrai ! La France s’est dotée dès les années cinquante d’un cadre législatif très favorable aux langues régionales ; elle était même en avance sur beaucoup de pays d’Europe à cet égard

La loi du 11 janvier 1951 relative à l’enseignement des langues et dialectes locaux, qui porte le nom du socialiste Maurice Deixonne, a officiellement autorisé et favorisé l’apprentissage des langues régionales de France dans l’enseignement public : le basque, le breton, le catalan et l’occitan, auxquels se sont ajoutés ensuite le corse en 1974, le tahitien en 1981, et quatre langues mélanésiennes en 1992. De sorte qu’aujourd’hui, et depuis 1970, tous les élèves qui le souhaitent voient ces enseignements pris en compte pour l’obtention du baccalauréat.

La loi Toubon de 1994 a confirmé ce cadre légal favorable et Lionel Jospin, par la loi du 22 janvier 2002, a mis des moyens particulièrement importants à la disposition de l’enseignement de la langue corse, si bien que quiconque le veut peut suivre un enseignement en corse à l’école, au collège et au lycée, à raison de trois heures par semaine.

L’État a aussi contribué, en lien avec les collectivités locales qui le demandaient, à rendre possibles les signalisations routières bilingues, ce qui permet, dans certains départements, de pouvoir enfin lire les indications rédigées en français, qui étaient jusque-là surchargées de graffitis Par ailleurs, de nombreuses régions font preuve d’innovation pour favoriser le développement des cultures et des langues régionales.

Par conséquent, rien dans le cadre légal et réglementaire actuel, ni dans la pratique effective, n’est de nature à brider la pratique et la transmission des langues régionales. Et il n’existe pas une voix en France – pas même la mienne ! – qui s’oppose à ce que soient pratiquées les cultures ou les langues régionales. Si le nombre de locuteurs diminue et si leur âge moyen s’élève, il faut en chercher la cause ailleurs que du côté de la République et de la loi !

La Charte européenne des langues régionales ou minoritaires n’est pas un remède acceptable. Elle est loin de faire l’unanimité en Europe. Contrairement à ce que l’on entend souvent, trop souvent, la France n’est pas l’un des « rares » pays européens à ne pas avoir ratifié cette charte. Quatorze pays membres du Conseil de l’Europe ne l’ont pas signée, dont la Belgique, le Portugal, la Grèce ou l’Irlande, qui ne sont pas des États réputés liberticides. Je pense que personne ici n’a l’intention de comparer le comportement de la République française, quels que soient ses gouvernements, à ceux des gouvernements des pays baltes qui, eux, procèdent à une revanche linguistique à l’égard des russophones.

Parmi ceux qui ont signé cette charte, comme la France, dix États ne l’ont pas ratifiée, dont l’Italie. Au total, vingt-quatre pays membres du Conseil de l’Europe se refusent donc à rendre applicable cette charte sur leur territoire. Cela peut être attribué non pas exclusivement à leur mépris pour les langues régionales minoritaires, mais probablement à d’autres causes ; j’évoquerai l’une d’entre elles tout à l’heure. La France est donc loin de constituer un cas particulier.

La France applique déjà beaucoup d’articles de la charte sans avoir besoin de la ratifier. Vous savez qu’il existe deux types de dispositions : les préconisations impératives et celles qui sont optionnelles. Un grand nombre de préconisations impératives sont déjà appliquées ; je n’évoquerai, pour l’exemple – je vous en épargnerai la lecture –, que les articles 7-1-f, 7-1-g et 7-2. Parmi les préconisations optionnelles que la France respecte, on peut citer les articles 8-1-b, 8-1-c, 10-2-g.

Il n’est donc pas vrai que nous ayons besoin de ratifier la charte pour en appliquer les dispositions qui ne sont pas contraires à notre Constitution, et c’est de celles-ci qu’il faut parler !

J’ajoute, ayant été ministre délégué à l’enseignement professionnel et ayant eu à connaître de cette question, que la définition des langues minoritaires donnée par la charte est extrêmement discutable et confuse.

J’observe qu’elle exclut de son champ d’application toutes les langues des migrants – je pense à l’arabe, à la langue berbère et à bien d’autres – comme si les citoyens qui les parlent du fait de leurs liens familiaux, alors qu’ils sont Français, devaient considérer ces langues comme des langues étrangères, comme si l’on demandait aux Algériens, aux Sénégalais, aux Maliens et à combien d’autres de considérer la langue française comme une langue étrangère à leur culture ! Pourtant, c’est ce que fait cette charte !

Cette définition extrêmement confuse aboutit à ce que certaines langues soient reconnues comme minoritaires dans un pays et ne le soient pas dans l’autre, alors qu’elles sont parlées dans les deux pays dans les mêmes conditions. C’est le cas du yiddish, reconnu comme langue minoritaire aux Pays-Bas, mais pas en Allemagne ou dans certains pays de l’Est où il est tout autant parlé.

Cette définition très floue peut être, finalement, discriminatoire et elle aboutit à des reconstructions de l’histoire. Je veux bien, chers collègues, que l’on parle de la langue bretonne, mais encore doit-on préciser qu’elle résulte du dictionnaire dit « unifié » de 1942 et qu’elle se substitue aux cinq langues qui existent réellement dans la culture bretonne. (M. Gérard Le Cam. C’est vrai !)

À cet instant, je ne ferai mention ni du fait que l’auteur dudit dictionnaire est un collaborateur des nazis, qui a été condamné à l’indignité nationale, s’est enfui et n’est jamais revenu dans notre pays, ni des conditions dans lesquelles ce dictionnaire a été rédigé et financé à l’époque.

La définition retenue par la charte aboutirait, par exemple, à des absurdités concernant le créole, et bien injustement. Je me souviens d’avoir demandé, en tant que ministre délégué à l’enseignement professionnel, quel créole on devait enseigner ; j’y étais prêt, car cela facilitait l’apprentissage des élèves. Eh bien, trois ans après, je n’avais toujours pas de réponse, parce qu’il n’y a pas un créole, mais des créoles ! Par conséquent, on est amené à choisir, trier, exclure, discriminer de nouveau au moment où l’on croit intégrer. Ce n’est pas pour rien que nos institutions écartent ce type de charte !

Enfin, j’aborde ce qui constitue pour moi le cœur du problème. Il ne s’agit pas de dire que la sauvegarde des langues et cultures régionales nous pousse sur la pente qui conduit automatiquement à la sécession, au particularisme et au communautarisme. Telle n’est pas mon intention ! Mais j’ai bien l’intention de dire que le risque existe. Il ne saurait être question, sous prétexte de respect de la diversité culturelle, d’admettre un point en contradiction absolue avec la pensée républicaine : il n’y a pas lieu de créer des droits particuliers pour une catégorie spécifique de citoyens en raison d’une situation qui leur est propre.

Le fait de parler une langue différente ne suffit pas à instituer des droits particuliers en faveur de ses locuteurs ! Or c’est ce que prévoit explicitement la charte : il s’agit d’encourager la pratique de ces langues « dans la vie publique et la vie privée ».

S’agissant de la vie privée, je rappelle que le caractère laïque de notre République interdit que les institutions gouvernementales et étatiques fassent quelque recommandation que ce soit concernant la vie privée des personnes.

Quant à la vie publique, il est précisé que les États doivent « prendre en considération les besoins et les vœux exprimés par les groupes pratiquant ces langues ».

À l’évidence, ce texte a été écrit à l’intention de pays où des secteurs entiers de la population parlent une autre langue que la langue nationale et seulement celle-là, comme c’est le cas des minorités hongroises ou autres, qui existent dans divers pays de l’Union européenne. Mais en aucun cas il n’a été écrit pour la France, car dans quelles conditions peut-on désigner les représentants de ces groupes ? Va-t-on maintenant élire des représentants des locuteurs de telle ou telle langue ? Non ! C’est en totale contradiction avec l’idée d’égalité républicaine !

Il ne peut être question de faire bénéficier de procédures en langues régionales devant les autorités judiciaires, comme le prévoit l’article 9 de la charte, ou devant les services publics, comme le décide l’article 10. Témoigner, poursuivre en justice, signer des contrats dans une autre langue que la langue française constituerait un recul par rapport à l’ordonnance de Villers-Cotterêts. Pourtant, c’est ce que prévoit cette Charte européenne des langues régionales ou minoritaires !

Le Conseil constitutionnel a donc eu raison de dire, en 1999, qu’en conférant « des droits spécifiques à des “ groupes ” de locuteurs de langues régionales ou minoritaires, à l’intérieur de “ territoires ” dans lesquels ces langues sont pratiquées, [cette Charte] porte atteinte aux principes constitutionnels d’indivisibilité de la République, d’égalité devant la loi et d’unicité du peuple français. »

Après l’exposé de ces raisons juridiques, philosophiques et républicaines, je voudrais enfin souligner, d’une façon plus personnelle, qu’il ne saurait être question de ne pas tenir compte de l’origine de la charte, à l’heure où beaucoup prétendent, à la suite de Samuel Huntington et de sa théorie du choc des civilisations qui est aujourd’hui la doctrine officielle d’un certain nombre de stratèges de la première puissance mondiale et de quelques autres pays, que, dorénavant, « dans le monde nouveau, la politique locale est “ethnique”, et la politique globale “civilisationnelle” ».

Cette origine, sans doute nombre de mes collègues l’ignorent-ils ; c’est pourquoi je veux la leur apprendre.

La charte, adoptée en 1992 par le Conseil de l’Europe, a été préparée, débattue et rédigée par plusieurs groupes de travail de cette instance qui étaient animés par des parlementaires autrichiens, flamands et allemands tyroliens. Leur point commun était d’être tous issus de partis nationalistes ou d’extrême droite et d’être membres de l’Union fédéraliste des communautés ethniques européennes, la FUEV selon l’abréviation allemande. Cette organisation est aujourd’hui dotée d’un statut consultatif au Conseil de l’Europe, et elle se présente elle-même comme la continuatrice du Congrès des nationalités, instrument géopolitique du pouvoir allemand dans les années trente ! Un des principaux laboratoires de l’élaboration de la charte fut ainsi le groupe de travail officiel du Conseil de l’Europe sur la protection des groupes ethniques, dont la création a été obtenue par la FUEV et qui est également connu pour ses travaux sur le « droit à l’identité », le Volkstum.

Pour toutes ces raisons, la République française n’a donc rien à gagner à modifier sa Constitution pour ratifier la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires. Elle ne pourrait que se renier en le faisant. Elle doit, tout au contraire, continuer sa politique bienveillante et intégratrice, qui donne aux cultures et aux langues régionales toute leur place dès lors que la République est première chez elle !

 

Lettre aux Sénateurs
30 mai 2008

Paris, le 30 mai 2008

Cher(e) collègue,

Je souhaite attirer ton attention sur l’amendement adopté le 22 mai à l’Assemblée nationale qui conduit à inscrire les langues régionales dans l’article 1er de la constitution.

Voici le texte de l’article 1er de la Constitution ainsi amendé : « La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale. Elle assure l’égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d’origine, de race ou de religion. Elle respecte toutes les croyances. Son organisation est décentralisée. Les langues régionales appartiennent à son patrimoine. »

Je pense que l’adoption de cet amendement est une erreur et je souhaite te faire part des raisons qui me conduisent à proposer sa suppression dans le débat sur la révision constitutionnelle qui se tiendra au sénat à partir du 17 juin.

Je tiens d’emblée à préciser que la question n’est pas ici de savoir s’il faut être pour ou contre les langues régionales – personnellement je n’ai rien contre – ni même si elles doivent être soutenues dans leur pratique et leur enseignement. Car elles le sont déjà et les lois et règlements qui le permettent peuvent être modifiés si besoin. J’ai déjà eu l’occasion de le préciser dans le débat organisé au sénat à ce sujet le 13 mai et je joins donc à la présente mon discours pour ton information.

Pour moi, la question posée est de savoir si les langues régionales ont leur place dans la Constitution de la République, et a fortiori dans son premier article. J’y vois personnellement trois objections principales.

L’article 1er de la constitution n’est pas anodin. Il définit la République. Il vise à ce que celle-ci appartienne à tous et soit l’œuvre de tous, quelles que soient les particularités de chacun. La République s’occupe de que nous rapproche, pas de ce qui nous divise. C’est d’ailleurs une protection pour les particularismes eux-mêmes dont la libre expression privée est ainsi protégée de toute ingérence publique. L’article 1er précise d’ailleurs pour cela que « la République assure l’égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d’origine ». Il est donc contradictoire d’introduire dans ce même article la reconnaissance d’un particularisme, quel qu’il soit, dans la mesure où celui ne concerne pas tous les citoyens, et en distingue certains par rapport à d’autres.

…/…

Cet amendement introduit en l’occurrence une préférence constitutionnelle en faveur d’une seule particularité, la particularité linguistique régionale, à l’exclusion de tout autre particularisme. Beaucoup de citoyens pourraient dés lors légitimement se réclamer d’autres particularismes et demander leur reconnaissance dans la constitution. De quel droit pourrait-on le leur refuser, dès lors que l’on aura reconnu la particularité linguistique régionale ? Il y aurait en effet un grand nombre de spécificités qui pourraient être reconnues comme faisant partie du patrimoine de la France. Et des spécificités concernant bien plus d’habitants que la pratique d’une langue régionale qui n’en concerne au plus que 15 % (10 millions de locuteurs avancés par les défenseurs des langues régionales). Ne serait-ce qu’en matière linguistique, les personnes qui parlent des langues dites des migrants, plus nombreuses au demeurant que celles parlant une langue régionale, ne seraient-elles pas victimes d’une discrimination ? Toutes sortes de spécificités culturelles, linguistiques, philosophiques, vestimentaires, culinaires, sportives, artistiques, politiques font partie du patrimoine de la France. Pourquoi ne mentionner que les langues régionales ? Cette préférence régionaliste n’a aucun sens et elle ouvre la voie à une division entre citoyens contraire à la République.

La constitution évoquerait désormais les langues régionales (article 1er) avant même de parler du français qui n’est mentionné qu’à l’article 2 de la constitution. Au nom de quoi peut-on justifier un tel renversement symbolique et politique ? La valorisation et la promotion de la langue française est-elle devenue à ce point subalterne ?

A ces trois objections s’ajoute à mes yeux un risque. Cet amendement ouvre en effet une brèche dans la constitution en faveur de la ratification de la charte européenne des langues régionales. Le Conseil constitutionnel a en effet considéré en 1999 que cette Charte est contraire à la constitution, dans la mesure où, en violation du principe d’égalité, elle conduit à accorder des droits particuliers à des groupes de locuteurs, dont le droit à pratiquer la langue régionale est reconnu par la Charte dans la vie publique. D’autres arguments républicains militent contre la ratification de cette Charte par la France et de nouveau je me permets de te renvoyer à mon intervention à la tribune du Sénat pour plus de détails à ce sujet.

Pour toutes ces raisons, je souhaite proposer la suppression de cet amendement lors de la discussion au sénat de la révision constitutionnelle. Je tenais à t’alerter à ce sujet et à te faire part de mes arguments avec le souhait que nous puissions partager une conclusion commune.

Je reste à ta disposition pour en parler et je t’adresse mes meilleures salutations républicaines.

 

Débat dans Le Figaro Magazine
14 juin 2008

Langues régionales et Constitution : le face à face Henriette Walter/Jean-Luc Mélenchon

« C’est la manifestation de l’intérêt pour les langues régionales » dit Henriette Walter. «C’est contraire à notre constitution, absurde et dangereux » rétorque Jean-Luc Mélenchon.

Les langues minoritaires dans la constitution?

Surprise : le 22 mai dernier, lors de l’examen du projet de loi constitutionnelle de modernisation des institutions, l’Assemblée nationale décidait d’adopter un amendement introduisant dans l’article 1 de la constitution française la phrase suivante : « les langues régionales appartiennent au patrimoine de la France ». Une erreur historique pour les uns, une bénédiction pour les autres. Dans tous les cas, une révolution.

Que représentent les langues régionales et minoritaires en France ?

HW : En 1999, selon les critères de la charte européenne des langues régionales ou minoritaires, le rapport Bernard Cerquiglini en a recensé 75. Leur caractéristique est qu’elles ne doivent pas être les langues officielles de pays étrangers – ce ne peut donc être l’Espagnol, l’Anglais ou l’arabe classique par exemple- ou émaner de populations récemment immigrées, ou ne plus être pratiquées. Il s’agit donc de langues régionales et traditionnelles, encore parlées et attachées à un espace géographique, comme par exemple l’occitan, le basque, le breton, le catalan, l’alsacien, le corse, le créole. Mais on trouve aussi, dans les langues minoritaires et en raison de l’histoire, le berbère, l’arabe dialectal ou le yiddish.

JLM : Le flou sur les critères les rend souvent difficiles à identifier. Il n’existe pas une langue créole ou kanak, mais plusieurs dialectes. En Nouvelle Calédonie, on compte par exemple 32 aires langagières différentes ! Ce qui brise net le roman venu de Paris qui voudrait que l’on puisse témoigner au tribunal dans la langue du « pays ». Pour le breton, les 5 langues d’origine ont été unifiées pendant l’occupation. Et le breton dit unifié, à côté du gallo, est une langue parfaitement artificielle qui est au breton ce que le poisson surgelé est au poisson de pêche ! Au total les langues minoritaires ne sont parlées que par 7% de la population. Vouloir introduire, dans le registre politique, des droits particuliers au motif de la langue est contraire à l’esprit de nos institutions. En 1999, le Conseil constitutionnel ne s’y est pas trompé : il a rejeté la charte européenne – qui introduisait notamment ces langues dans nos services administratifs et judiciaires- au motif qu’elle était incompatible avec l’unité et l’indivisibilité de la communauté légale. Quatorze membres du Conseil de l’Europe ne l’ont pas signée du tout comme la Belgique, le Portugal, la Grèce ou l’Irlande.

Q : Le 22 mai dernier l’amendement de Jean-Luc Warsmann, président de la commission des lois, a pourtant été adopté à la quasi-unanimité…

JLM : C’est une décision absurde et dangereuse ! Les ethnicistes mélangent les genres. Les langues régionales ou minoritaires font partie de notre culture. Personne ne peut le nier ou s’y opposer. Je serai le premier à me battre pour qu’elles aient toute capacité de s’exprimer. Mais les introduire dans notre Constitution est dangereux. L’article 1 est centré sur la notion d’universalité. Introduire de la différence à ce niveau est d’une totale aberration. Pourquoi reconnaître cette particularité-là ? Demain, d’autres demanderont qu’on y fasse figurer la religion ou l’origine ! Et progressivement on va introduire l’idée qu’il y aurait une définition ethnique possible du peuple français.

Hw : En tant que linguiste, et passionnée de toutes les langues, je ne peux au contraire que me féliciter de la référence aux langues régionales dans notre constitution. Il me semble qu’il y a là surtout la manifestation d’une prise de conscience générale de l’intérêt de ses langues régionales dans notre patrimoine.

JLM : Vous exposez un principe tout à fait respectable. Mais le problème est qu’il ne faut pas en faire un principe institutionnel. C’est une chose d’être croyant ; c’est une autre de vouloir créer un gouvernement religieux. La décision du 22 mai a montré un gouvernement, pris sous la pression d’une assemblée nationale, elle-même sous l’influence des communautaristes. Droite et gauche ont cédé. Même des socialistes sont devenus ethnicistes. En filigrane, le risque désormais est de voir resurgir cette fameuse charte des langues minoritaires que le Conseil constitutionnel a rejeté en 1999. Cette charte était faite pour les minorités linguistiques aux Balkans, dans les Etats baltes, dans les anciens pays de l’est, etc… Mais en France, le contexte est radicalement autre avec tout un appareil législatif protecteur depuis la loi Deixonne en 1951, complétée par les lois Toubon et Jospin. On peut choisir désormais une de ces langues en option pour le bac. En Corse, les élèves ont droit à 3 h de corse par semaine. Les écoles diwan enseignent du matin au soir le breton. On peut difficilement nous reprocher de brimer ces langues.

H W : Cela n’a pas toujours été le cas. Le Français a été imposée sans ménagement. On interdisait dans les écoles régionales tout mot de patois ou de dialecte par des punitions et des humiliations. Ces mêmes élèves, une fois adultes et parents, n’ont plus voulu transmettre leurs dialectes à leurs enfants par peur qu’ils ne subissent ces brimades. Aujourd’hui encore, lors de nos enquêtes, j’ai constaté que les gens hésitaient à dire qu’ils parlaient un dialecte. Il fallait les mettre en confiance pour qu’ils avouent pratiquer une autre langue –encore précisaient-il qu’il ne s’agissait pas d’une langue. Est-il absurde, aujourd’hui, de rappeler la place que ces dialectes tiennent dans notre patrimoine et la construction de notre langue? Pour ne prendre qu’un exemple, Les langues d’oc, très raffinées, ont influencé toute la littérature du Moyen-Age…

JLM : Oui mais parler Français a aussi été un mode d’émancipation, notamment pour les femmes. Ce fut la manière d’éviter l’enfermement dans un petit lieu clos, où l’on devait se marier et mourir comme avaient fait les parents. Lorsque François 1er décide par l’ordonnance de Villers-Cotterêts d’imposer partout le Français, plus populaire que le latin, il libère finalement le serf. C’est le parler commun qui fonde notre liberté, dit à juste titre Robert Badinter. L’enracinement qu’idéalisent aujourd’hui les urbains était avant tout porteur d’aliénation. Quiconque a vécu dans un village sous l’œil de la bonne du curé saura de quoi je parle !

Hw : A l’époque de Villers-Cotterêts, deux habitants sur dix seulement savaient parler Français. Il a fallu l’école publique pour que la langue s’impose en mettant en sourdine les langues régionales. Sans réussir à les faire disparaître. Dès que l’on gratte un peu, elles sont encore là.

Q : A traiter de la même manière une langue, un dialecte, un patois, ne risque-t-on pas de favoriser le communautarisme ?

HW : Pour le scientifique, cette question ne se pose pas. A chaque fois, c’est le même outil, avec des mots et des phonèmes. La différence tient à la taille des territoires concernés : langue pour un pays ou une zone vaste, dialecte pour des régions et territoires plus limités, patois pour les villages. Ce dernier terme n’est jamais péjoratif même s’il a pu parfois être ressenti comme tel.

JLM : Le risque politique est bien celui d’un communautarisme officialisé. La France a inventé les droits universels de l’homme. Avec la spécificité commencent l’horreur de l’enfermement, les affrontements sanglants, l’obscurantisme. La langue est un domaine de passion et de culture. Mais aussi un enjeu de pouvoir et de liberté. On doit s’interroger quand on est républicain sur l’origine de la charte européenne par exemple. Qui l’a proposée au conseil de l’Europe ? Une commission animée par un groupe composée d’élus d’extrême droite autrichiens, flamands et allemands. Ses origines plus que suspectes devraient mettre en garde tout le monde sur le délire qui consiste à créer un droit particulier pour ceux qui parlent une langue particulière. Tout cela risque finalement d’aller au détriment des langues minoritaires : car si la charte à terme devait être adoptée, demain l’Etat, empêtré dans ses obligations de traductions, n’aura d’autre choix que de dire quelle est la bonne langue bretonne, catalane,… Les ethnicistes sont à l’œuvre. Il faut s’opposer à eux au nom de l’unité et de l’indivisibilité de la République française. Je proposerai donc prochainement un amendement de suppression de cet article au Sénat.

 

Discours dans le cadre du débat au Sénat sur la révision de la Constitution
18 juin 2008
Intervention de Jean-Luc Mélenchon

M. le président. La parole est à M. Jean-Luc Mélenchon, pour présenter l’amendement n° 145.

AMENDEMENT présenté par M. MELENCHON

ARTICLE 1ER A

Supprimer cet article.

Objet

Issu d’un amendement de l’Assemblée nationale, l’article 1er A du projet de loi introduit dans l’article 1er de la Constitution une référence aux langues régionales, en indiquant qu’elles « appartiennent » au « patrimoine » de la France.

Cette référence n’a pas sa place dans l’article 1er de la Constitution qui définit la République comme « une et indivisible » en précisant que celle-ci assure « l’égalité de tous les citoyens » « sans distinction d’origine, de race ou de religion ».

Cette définition de la République, qui remonte à sa proclamation en septembre 1792, n’a jamais été contredite par aucune des constitutions républicaines de notre pays. Elle s’oppose à la reconnaissance par la constitution d’un particularisme, quel qu’il soit, dans la mesure où celui ne concerne pas tous les citoyens, et en distingue certains par rapport à d’autres.

Rien ne permet de surcroît de justifier la préférence constitutionnelle ainsi accordée à la seule particularité linguistique régionale, par rapport à d’autres particularités culturelles qui font tout autant partie du patrimoine de la France.

Rien ne justifie enfin que la Constitution reconnaisse les langues régionales avant même de faire référence au français qui n’est mentionné que dans l’article 2 de la Constitution. Cette préséance des langues régionales sur le français renverse la priorité publique accordée dans notre pays à la langue française depuis l’ordonnance de Villers-Cotterêts du 10 août 1539.

M. Jean-Luc Mélenchon. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, notre assemblée connaît déjà ma position à propos des langues régionales. En effet, j’ai eu le privilège d’intervenir sur cette question lors du débat consécutif à la question orale – fort opportune – posée par notre collègue Nicolas Alfonsi.

Récemment, j’ai pris la liberté d’adresser à chacun d’entre vous une présentation argumentée de mes idées. Comme j’ai pu l’observer, nos travaux sont suivis avec beaucoup d’attention par les partisans, qui ne sont pas toujours très raisonnables, de la pratique des langues régionales : ils ont bruyamment fait connaître leur opinion, le plus souvent de manière injurieuse à mon égard et quelquefois de façon plus respectueuse du point de vue que j’exprime ici.

Je ne peux donc faire moins à cet instant que de rappeler qu’il n’est pas question dans mon esprit, ni sans doute dans celui de beaucoup d’entre vous, d’opposer la langue française aux langues régionales ou de nier leur existence, leur intérêt et leur contribution à la constitution même de l’identité des Français.

À la bataille de Valmy, nos ancêtres ne parlaient pas tous la même langue, n’adoraient pas les mêmes dieux, ne pesaient pas dans les mêmes unités de mesure. Pourtant, ils ont contribué tous ensemble à faire l’histoire de la France, et singulièrement la grande rupture républicaine, qui fonde son identité contemporaine.

Nous ne raisonnons pas ici en termes d’opposition entre langue nationale et langue régionale. À l’origine de ce débat, il y a une décision prise dans le cadre du Conseil de l’Europe dont l’objectif était de protéger les minorités nationales dans les pays où celles-ci subissaient des discriminations et des répressions. Notre pays n’est pas concerné car nul en France n’a jamais été poursuivi ou inquiété du fait de son parler maternel, ni interdit d’accès à quelque fonction que ce soit.

Certes, il y a eu autrefois des pratiques « pédagogiques » fort rudes dont on nous rebat les oreilles. Mais il est temps de rappeler que, à l’époque, la pédagogie était dure quelle que soit la matière enseignée. Je ne crois pas qu’il faille sans cesse nous opposer ces exemples pour prouver que notre pays aurait jeté un opprobre particulier sur ceux qui ne parlaient pas la langue française dès leur plus jeune âge. Laissons maintenant cela de côté !

En tant que socialiste – je demande un instant de bienveillance à mes collègues qui ne partagent pas mes convictions –, il serait absurde que je me soustraie à cette communauté intellectuelle qui associe les hommes de gauche à la promotion des langues régionales, dans la droite ligne de Jean Jaurès – prenant la défense de l’occitan – et du communiste Marcel Cachin – faisant de la propagande en breton. Je le rappelle, la première loi qui a reconnu ces langues en France est l’œuvre du député socialiste Maurice Deixonne. La loi Toubon a, certes, permis par la suite que soit élargi le champ des dispositions de la loi Deixonne, mais c’est Lionel Jospin qui, le premier, a permis l’enseignement du corse à tous les niveaux et créé une option langues régionales au baccalauréat ouverte à tous les élèves.

M. Adrien Gouteyron. C’est vrai !

M. Jean-Luc Mélenchon. Par conséquent, il n’y a pas d’ambigüité sur la volonté qui, me semble-t-il, est unanimement partagée de protéger et développer les langues régionales en France. La République française n’opprime personne ; tout au contraire, elle donne les moyens de développer les langues régionales.

M. Michel Charasse. Exact !

M. Jean-Luc Mélenchon. La seule question qui vaille est de se demander si le cadre légal existant permet ou non la pratique et le développement de ces langues. Et c’est bien le cas avec l’ensemble de lois que je viens de rappeler. Cet argument ne peut donc pas nous être opposé.

Certains ont rappelé, avec humour, que bien des particularités appartiennent au patrimoine. Quelles sont donc les intentions de ceux qui veulent introduire les langues régionales dans la Constitution ? Ils estiment certainement que la langue régionale, parce qu’elle est la langue maternelle ou supposée telle, est constitutive de l’identité particulière des personnes. À cette argumentation, nous devons répondre de manière très précautionneuse car il faut respecter ce sentiment si humain, si spontané, si noble. Mais nous devons aussi préciser que bien d’autres particularités sont considérées par nos concitoyens comme définissant leur identité la plus profonde. C’est le cas par exemple de la foi : elle peut être considérée comme étant « reçue » dans des conditions qui s’apparentent à celles de la transmission de la langue.

La République française respecte et garantit la liberté de conscience ; il n’est donc pas besoin d’introduire cette particularité dans la Constitution.

Alors, je le répète, pourquoi nous le demande-t-on ? Je crains que la bonne volonté de ceux qui s’enthousiasment à juste titre pour le développement des langues régionales n’ait été surprise. Il existe un parti « ethniciste » qui veut faire introduire dans la Constitution une référence à ces langues. Aujourd’hui, cette inscription à l’article 1er peut paraître inoffensive mais, il faut le rappeler, c’est le Gouvernement qui a fait retirer les premiers amendements déposés sur ce sujet à l’Assemblée nationale visant explicitement à permettre l’application possible de la Charte des langues régionales. La rédaction proposée pour l’article 1er est une version rendue « inoffensive » de ces amendements.

M. le président. Veuillez conclure, monsieur Jean-Luc Mélenchon.

M. Jean-Luc Mélenchon. Il n’empêche : il est temps d’affirmer avec fierté que la patrie républicaine ne réprime pas les langues et que nous n’avons donc pas besoin d’introduire une telle disposition dans la Constitution. Ce seul fait ferait porter un soupçon sur l’équanimité de cette République. Par voie de conséquence et en toute logique, cette mention pourrait, à terme, être intégrée à l’article 2, et la charte des langues régionales être inscrite dans la Constitution.

La France appliquait l’essentiel des dispositions de la Charte avant même qu’elle soit promulguée.

M. Michel Charasse. Absolument !

M. Jean-Luc Mélenchon. Celles qu’elle n’applique pas sont celles qui ont été déclarées anticonstitutionnelles au motif qu’elles créaient une différence de droits fondée sur la locution.

Nous n’admettons pas que des différences de droits soient créées à raison de particularités. La laïcité de la République, son unité, son indivisibilité l’exigent autant que le simple bon sens et la raison. (M. Robert Bret applaudit.)

M. Michel Charasse. Très bien !

 

Communiqué de presse
18 juin 2008

Suppression de la mention des langues régionales dans la Constitution

J’avais déposé dans la discussion de la réforme des institutions au Sénat un amendement visant à supprimer de l’article 1er de la Constitution la mention des langues régionales qui y avait été introduite par un amendement de l’Assemblée nationale.

Je me réjouis vivement de la décision que vient de prendre le Sénat de voter cet amendement de suppression et donc de renoncer à donner des droits particuliers aux langues régionales dans notre constitution.

Cette décision a été prise à une large majorité après un débat où des sénateurs issus de tous les groupes politiques de notre assemblée ont exprimé leur attachement à l’égalité des citoyens et à l’unité et indivisibilité de la République et donc leur refus de voir mentionner les langues régionales dans la Constitution. Ce refus ne constitue nullement un rejet des langues régionales elles-mêmes. Il manifeste la volonté de préserver notre Constitution de tout particularisme qui diviserait les Français. Il était en effet totalement injustifié d’accorder à la particularité linguistique régionale une préférence constitutionnelle à l’exclusion de toutes les autres particularités qui peuvent faire partie du patrimoine de la France.

En renonçant à toute référence constitutionnelle aux langues régionales, ce vote a permis que la République continue bien d’être l’espace public de tous, par tous et pour tous.

Le 18 juin 2008, 19h.

 

« La France en tête »
Tribune dans Ouest France
2 juillet 2008

Un malentendu offensant est artificiellement entretenu depuis le vote du Sénat concernant les langues régionales. A en croire les officines régionalistes le Sénat aurait « rejeté les langues régionales ». Il n’en est rien. Personne au Sénat ne s’oppose à l’usage ou au développement des langues et cultures régionales. Il n’existe aucune persécution en France du fait de leur usage. Nul ne conteste qu’elles font bien partie du patrimoine de notre pays. Mon discours au Sénat souligne la richesse qu’elles apportent à notre pays et à l’identité personnelle de leurs locuteurs. Le Sénat ne leur a pas non plus refusé une reconnaissance officielle qui leur ferait défaut. Car elles sont déjà reconnues et protégées par la loi. Et depuis longtemps : dès 1951 la loi du socialiste Deixonne permet qu’elles soient enseignées à l’école publique. De nouvelles langues ont été reconnues depuis en plus du breton, du basque, du catalan et de l’occitan. Leur enseignement est désormais proposé à tous les niveaux, y compris pour le baccalauréat.

Si le nombre de locuteurs des langues régionales diminue et que leur âge moyen s’élève, il faut donc en chercher la cause ailleurs que du côté de la République et des parlementaires. Et il faut cesser de s’en servir comme paravent d’une mise en cause de l’unité linguistique de la Nation. Car l’usage du français, langue officielle de notre République, est le principal ciment de l’unité nationale que nous avons tous en charge et nous spécialement élus de la nouvelle France en brassage que sont nos banlieues.

A quoi nous opposons nous alors ? Nous nous opposons à l’adoption de la « Charte des langues régionales ». C’est tout autre chose. Certes une bonne partie de ses dispositions sont d’ores et déjà appliquées en France. Mais celles qui ne le sont pas ont été repoussée par le Conseil constitutionnel parce qu’elles remettent en cause l’égalité des citoyens en conférant des droits particuliers à des groupes de locuteurs. Ces dispositions ont été imaginées pour des pays où existent des minorités nationales. Il n’y en a pas en France. Le danger que représentent ces articles pour les Etats unitaires comme le notre explique que 23 pays membres du Conseil de l’Europe aient refusés de les signer. La référence aux langues régionales dans la Constitution n’aurait aucune autre conséquence pratique que de rendre possible l’adoption des ces articles dangereux de la Charte. C’est cela qu’a rejeté le Sénat dans son vote du 18 juin. Et non les langues régionales. Le Sénat a dit qu’elles n’avaient pas leur place dans l’article 1er de la Constitution qui dispose que la République « une et indivisible » assure « l’égalité de tous les citoyens sans distinction d’origine, de race ou de religion ».

Cette définition remonte à septembre 1792. Elle s’oppose à la reconnaissance par la constitution d’un particularisme, quel qu’il soit, fut-il linguistique, dans la mesure où celui-ci ne concerne pas tous les citoyens, et en distingue certains par rapport à d’autres. Sinon pourquoi seules les langues régionales seraient-elles mentionnées dans la Constitution à l’exclusion d’autres particularités personnelles qui font tout autant partie du patrimoine de la France. Enfin, comme s’en est ému l’Académie française, rien ne justifiait que la Constitution évoque les langues régionales avant même de faire référence au français qui n’est mentionné que dans l’article 2 de la Constitution. Cette préséance renversait la priorité publique accordée dans notre pays à la langue française depuis l’ordonnance de Villers-Cotterêts du 10 août 1539.

J’appelle mes compatriotes à la vigilance. Qu’ils ne se laissent pas abuser. Je sais qu’ils ne voudraient pas voir leur attachement légitime à l’identité de terroir être détourné pour injurier l’amour de leur patrie républicaine et nuire à l’égalité laïque des citoyens de France.

Jean-Luc Mélenchon est sénateur (PS) de l’Essonne

 

Argumentaire sur la Charte des langues régionales et minoritaires
Note de blog Europe – 19 septembre 2013

C’est reparti ! Sans vergogne est orchestrée contre moi une attaque mensongère, mille fois recommencée, à propos des langues régionales. Dans cette mêlée confuse, on trouve, d’un côté, des progressistes ainsi que quelques amis trop rapides dans leurs analyses et, de l’autre, d’odieux ethnicistes d’extrême droite identitaire, qui reprennent à intervalle régulier le même procès calomniateur contre mes positions sur le sujet. En cause cette fois ci : mon vote mercredi dernier au Parlement européen contre un rapport de M. Alfonsi préconisant la ratification par les Etats de l’UE de la Charte des langues régionales du Conseil de l’Europe. Contrairement à ce que prétendent mes calomniateurs, mon vote n’était nullement dirigé « contre » les langues régionales ». Il l’est contre la Charte des langues minoritaires. En atteste mon explication de vote. Confondre les deux questions est le signal d’une volonté de manipulation. Car j’ai déjà expliqué mes positions et les distinguos qu’elle contient à de nombreuses reprises, non depuis huit jours mais depuis quatorze ans. Jamais aucun de mes détracteurs ne s’est donné le mal de répondre sur le fond de mes arguments. Tous ont préféré les vociférations et invectives : cela leur permet de se dispenser d’être obligés d’assumer le contenu des articles de la Charte dont je condamne l’application.

Oui, je suis absolument opposé à la ratification des articles de cette Charte que le Conseil Constitutionnel français a condamnés. Notez que je parle des articles retoqués, non de la Charte dans l’ensemble de ses dispositions. Notez également qu’une bonne partie des dispositions de la Charte s’appliquaient en France avant la Charte et s’appliquent depuis sa promulgation. Personne ne demande que ces dispositions-là soient abolies. Je dois le répéter : le problème que me posent ces articles n’a rien à voir avec la diffusion des langues régionales. Il concerne la nature républicaine des institutions que cette charte entend abroger. En effet, son contenu comme ses origines contredisent plusieurs principes républicains, à commencer par le plus essentiel : le principe d’égalité des citoyens devant la loi et les services publics. Mes arguments à ce sujet sont connus car je les ai déjà clairement exposés à plusieurs reprises. Je l’ai fait dès 1999, quand cette Charte a été signée par la France et que le Conseil constitutionnel s’est opposé à sa ratification, en rappelant que « les principes fondamentaux de la République s’opposent à ce que soient reconnus des droits collectifs à quelque groupe que ce soit, défini par une communauté d’origine, de culture, de langue ou de croyance ». Ceux qui m’attaquent depuis cette époque connaissent parfaitement mes prises de position et mes arguments. La campagne qu’ils mènent contre moi, en confondant volontairement la discussion de la Charte avec celle sur la diffusion des langues régionales, est donc clairement malhonnête et politicienne. Pour ceux qui veulent connaître mes arguments dans le détail, je vous renvoie à la note que j’ai publiée à ce sujet en 2008 sur mon autre blog, où se trouve l’intégralité du discours que j’avais fait au Sénat à l’époque. Je résume ici mes arguments, en partant précisément de ce discours.

Pour moi, la question n’est pas de savoir si l’on est pour ou contre les langues régionales. Ce serait absurde. Comment peut-on être « contre les langues régionales » ? Qu’est-ce que cela pourrait vouloir dire concrètement ? Abroger les lois existantes qui les protègent ? Je ne l’ai jamais ni demandé ni souhaité. Être contre le bilinguisme ? Pourquoi ? Je suis moi-même bilingue. Encore plus ridicule serait le fait d’être « contre la diversité culturelle ». En réalité, je suis dans la position de celui qui défend cette diversité contre une vision étroitement ethniciste de la diversité en France. Pourtant, il semble que quiconque refuse la Charte et n’obtempère pas immédiatement et sans discussion à l’ordre de l’adopter les yeux fermés est aussitôt accusé d’être « contre les langues minoritaires » et « contre la diversité culturelle ». Dans la foulée, les mêmes en profitent pour garnir leurs accusations de quelques insultes contre le « jacobinisme », dans une définition de ce dernier qui démasque souvent l’origine réactionnaire de ces imprécateurs. Les amis de la « Charte » oublient de faire connaître le contenu de celle-ci et les problèmes qu’elle soulève dans la conception républicaine. Ils posent aussi un voile d’oubli très inquiétant sur les origines politiques sulfureuse de ce document. Pour moi, une attitude rationnelle et argumentée consiste au contraire à se demander si le cadre légal existant est adapté, car il en existe déjà un, ou si la France a besoin de ratifier l’ensemble de cette Charte européenne des langues régionales ou minoritaires pour faire progresser la diffusion de celles-ci.

En premier lieu, je veux rappeler que la République protège les langues régionales. Je n’accepte donc pas la caricature qui voudrait faire croire que la République française réprime ou méprise ces langues. Ce n’est pas vrai ! La France s’est dotée dès les années cinquante d’un cadre législatif très favorable aux langues régionales. Elle a été et reste, aujourd’hui encore, en avance sur beaucoup de pays d’Europe dans ce domaine. La loi du 11 janvier 1951 relative à l’enseignement des langues et dialectes locaux, qui porte le nom du socialiste Maurice Deixonne, a officiellement autorisé et favorisé l’apprentissage des langues régionales de France dans l’enseignement public. C’est le cas, dès cette époque, du basque, du breton, du catalan et de l’occitan, auxquels se sont ajoutés ensuite le corse en 1974, le tahitien en 1981, et quatre langues mélanésiennes en 1992. De sorte qu’aujourd’hui, et depuis 1970, tous les élèves qui le souhaitent voient ces enseignements pris en compte pour l’obtention du baccalauréat. La loi Toubon de 1994 a confirmé ce cadre légal favorable. Lionel Jospin, par la loi du 22 janvier 2002, a mis des moyens particulièrement importants à la disposition de l’enseignement de la langue corse, si bien que quiconque le veut peut suivre un enseignement en corse à l’école, au collège et au lycée, à raison de trois heures par semaine. Ici, la Charte n’apporte strictement rien de plus à cette situation. La question posée est plutôt de savoir si les moyens de ces enseignements sont mis à disposition ou pas.

La République a aussi contribué, en lien avec les collectivités locales qui le demandaient, à rendre possibles les signalisations routières bilingues, ce qui permet, dans certains départements, de pouvoir enfin lire les indications rédigées en français, qui étaient jusque-là surchargées de graffitis en langue locale. Par ailleurs, de nombreuses régions font preuve d’innovation pour favoriser le développement des cultures et des langues régionales. Jamais leurs initiatives n’ont été brimées ou abrogées par l’Etat. Par conséquent, rien dans le cadre légal et réglementaire actuel, ni dans la pratique effective, n’est de nature à brider la pratique et la transmission des langues régionales. Et il n’existe pas une voix en France – et certainement pas la mienne ! – qui s’oppose à ce que soient pratiquées les cultures ou les langues régionales. Si le nombre de locuteurs diminue et si leur âge moyen s’élève, il faut en chercher la cause ailleurs que du côté de la République et de la loi ! Cependant il est tout à fait clair que je m’oppose à ce que l’on soit obligé d’apprendre ou de parler sur notre territoire une autre langue que le français. Tout doit être proposé, et non imposé, avec la plus large palette de choix possibles. Ce qu’il faut dénoncer à cet instant, c’est la domination de l’enseignement de l’anglais comme seconde langue et la volonté a peine cachée des élites libérales et solfériniennes d’y soumettre tous les jeunes français. Celles-là n’ont aucun mal à voter tout ce qui leur est suggéré au Parlement européen, alors qu’elles font le contraire et organisent la marginalisation de leur propre langue nationale. Je note que mes détracteurs n’ont rien à dire à leur sujet.

La domination croissante de l’anglais est pourtant la seule véritable menace qui pèse aujourd’hui sur la diversité linguistique. Avec le développement de l’enseignement des langues étrangères à l’école primaire, l’anglais est aujourd’hui la langue étrangère enseignée dans 93% des cas à l’école, alors que qu’elle ne représentait que 76% en 2002. Résultat : l’enseignement de l’espagnol et de l’italien ont été réduits de moitié dans le primaire, et celui de l’arabe a quasiment disparu, au point que la statistique de l’Education nationale affichait dans cette langue un chiffre de 0 % à la rentrée 2012 contre 0,2 % à la rentrée 2006. Dans le secondaire, ce n’est pas mieux puisque l’anglais est désormais la 1ère langue étrangère enseignée dans 95 % des cas. Alors que l’arabe est la 2ème langue parlée en France, elle n’est enseignée qu’à 9 000 élèves dans le secondaire, soit à peine 0,1 % des effectifs. C’est trois fois moins que le chinois et près de deux fois moins que le russe. Et surtout, c’est 20 % de moins que dans les années 1980, alors que les demandes non satisfaites sont toujours importantes. Faute de places dans l’Education nationale, les demandeurs doivent se tourner vers le secteur privé, confessionnel ou associatif, où le nombre de jeunes qui apprennent l’arabe est désormais 10 fois supérieur à celui des élèves auxquels il est enseigné en classe. Et la situation s’aggrave, puisque les postes ouverts par l’éducation nationale au concours de professeur d’arabe sont en chute libre : vingt postes en 2002, cinq en 2006 et aucun en 2011, le concours ayant carrément été fermé, avant d’être rouvert en 2012 mais sans qu’aucun candidat n’ait été admis. Avec l’arrivée de Vincent Peillon au ministère, on ne compte que deux postes ouverts en 2013. Par comparaison, quatre postes ont par exemple été ouverts par le même ministre au concours de professeur d’occitan. Alors que l’enseignement de la deuxième langue de France est donc sinistré, à l’inverse, la demande d’enseignement en langues régionales est largement satisfaite, y compris grâce à des classes à très faibles effectifs, ce qui permet à 400 000 élèves d’apprendre une langue régionale en France. On réalise avec ces quelques chiffres que le vrai problème de diversité linguistique en France ne tient pas seulement au sort réservé aux langues régionales, mais à la domination de l’anglais et à la relégation de la langue arabe.

Un argument souvent asséné est que la France serait l’un des «rares» pays européens à ne pas avoir ratifié la Charte. Pourquoi ce mensonge ? Cette Charte est très loin de faire l’unanimité dans notre continent. Quatorze pays membres du Conseil de l’Europe ne l’ont pas signée, dont la Belgique, le Portugal, la Grèce ou l’Irlande, qui ne sont pas des États réputés liberticides. Et puis, de quoi parle-t-on ? La France a signé la Charte ! Parmi ceux qui ont signé cette charte, comme la France, neuf États ne l’ont pas ratifiée, dont l’Italie. Au total, vingt-trois pays membres du Conseil de l’Europe se refusent donc à rendre applicable cette Charte sur leur territoire. Cela peut être attribué non pas exclusivement à leur « mépris pour les langues régionales minoritaires », mais probablement à d’autres causes. Pourquoi ne pas les examiner ? Pourquoi se contenter de condamner tout le monde en bloc sans examen des motivations ? Et, surtout, sans considérer quelle est la situation réelle sur le terrain de ces Etats ! La France, par exemple, applique déjà beaucoup d’articles de la Charte sans avoir eu besoin de sa ratification pour le faire.

Comment ne pas voir que la définition des langues minoritaires donnée par cette Charte est extrêmement discutable et confuse ? Elle exclut de son champ d’application toutes les langues des migrants – je pense à l’arabe, à la langue berbère, et à bien d’autres –, comme si les citoyens qui les parlent du fait de leurs liens familiaux, alors qu’ils sont Français, devaient considérer ces langues comme des langues étrangères ! Aurait-on l’intention de dire aux Algériens, aux Sénégalais, aux Maliens et à combien d’autres encore, de considérer la langue française, langue officielle de leur pays, comme une langue étrangère à leur culture ? Veut-on ignorer que la langue française est dite « langue en usage commun » pour 29 pays dans le monde, dont 13 qui la considèrent comme la langue officielle et 16 comme la co-langue officielle ? Dès lors, en sens inverse, pourquoi les langues de ces pays seraient-elles considérées comme des langues « étrangères » en France si elles sont parlées par des centaines de milliers de personnes ? C’est pourtant ce que fait cette Charte ! Elle instaure donc ainsi entre les langues minoritaires une discrimination ethniciste qui ne veut pas dire son nom mais qui est bien réelle !

Cette définition discriminatoire exige aussi des arrangements avec l’histoire des langues minoritaires des régions de France. Ils sont eux aussi très marqués, et même connotées, du fait de mécanismes de domination plus violents que ceux dénoncés contre les méthodes de diffusion de la langue française. Ainsi, quand on parle de « la » langue bretonne. Il en existait en fait cinq, dont une avec une racine latine, comme celle parlée à Rennes. Depuis l’édition du dictionnaire dit « unifié » de 1942, une seule langue est institutionnalisée. Parfois au prix du ridicule. Ainsi, par exemple, quand la double toponymie des lieux est faite dans une langue « bretonne » qui n’a jamais été parlée dans le secteur où on prétend l’imposer ! C’est le cas à Rennes, par exemple. Même arrangement quand on va prétendre imposer à tous la création d’un mot par tel ou tel original en vue de désigner des lieux comme « parking » ou quelques-uns des milliers de mots manquant dans le vocabulaire scientifique et technique ! Dans un registre tout aussi perplexe, dois-je signaler la difficulté qu’il y aurait à proclamer « un » créole officiel dans les Caraïbes, et même parfois sur le territoire d’un même département français des Amériques ? Par conséquent, la Charte, sur le terrain même de la reconnaissance de l’identité linguistique d’un parler et de sa culture de référence, n’est pas l’instrument d’intégration que décrivent ses admirateurs. Elle est au contraire aussi un moyen très blessant de choisir, trier, exclure, discriminer de nouveau, au moment où l’on croirait intégrer.

Je voudrais enfin souligner qu’il ne saurait être question d’ignorer l’origine de cette charte. Dans le contexte du néo libéralisme triomphant, la différence des droits est un élément essentiel de la guerre de chacun contre tous. Donner des droits et des exclusivités à certains du fait de leur pratique d’une langue est un habile moyen d’instaurer ce droit à géométrie variable et cet empire des lois « locales » dont rêvent les libéraux. L’ancrage de ces aberrations dans des identités locales largement reconstruites, et pourtant réputées indépassables et quasi-génétiquement transmises, donne un contenu ethnique identitaire très glauque à cette démarche. Ce n’est pas étonnant. La Charte n’est pas adaptée à notre réalité. Elle n’a pas été mise au point pour elle. Elle a été rédigée pour garantir les droits de peuples minoritaires dans les pays de l’est. Elle a été mise au point du temps du « camp socialiste », pour le déstabiliser depuis l’ouest. Pour autant, l’intention manipulatrice ne doit pas faire perdre de vue le bien-fondé de l’idée dans le contexte des minorités nationales. Car les découpages de frontières qui avaient partagé des peuples comme les Hongrois ou les Roumains dans des Etats différents donnaient lieu à de véritables politiques culturelles éradicatrices dans ces pays, au contraire de celles pratiquées en France à la même époque. Mais c’est une chose qu’une langue minoritaire et une autre qu’un peuple minoritaire. Il n’y a pas de peuple minoritaire en France. Il ne peut pas y en avoir. Car le peuple, en République, n’est décrit que par un seul critère : la citoyenneté et l’unité de la communauté légale qui en résulte. Mais que l’on s’accorde ou non sur ce point, il n’en reste pas moins que le travail de préparation de la « Charte des langues régionales » a été confiée à des personnages plus que discutables. La Charte, adoptée en 1992 par le Conseil de l’Europe, a été préparée, débattue et rédigée par plusieurs groupes de travail de cette instance qui étaient animés par des parlementaires autrichiens, flamands et allemands tyroliens. Leur point commun était d’être tous issus de partis nationalistes ou d’extrême droite. Tous ces groupes étaient membres de « l’Union fédéraliste des communautés ethniques européennes ». Le titre ne peut être plus clair. Cette union se retrouve sous le nom de « FUEV » selon l’abréviation allemande. Cette organisation est aujourd’hui dotée d’un statut consultatif au Conseil de l’Europe, et elle se présente elle-même comme la continuatrice du « Congrès des nationalités ». De quoi s’agit-il ? D’un instrument géopolitique du pouvoir allemand dans les années trente, dissous après la défaite des nazis à la Libération ! Un des principaux laboratoires de l’élaboration de la Charte fut ainsi le groupe de travail officiel du Conseil de l’Europe sur « la protection des groupes ethniques », dont la création a été obtenue par la FUEV et qui est également connu pour ses travaux sur le « droit à l’identité », le Volkstum. Tout cela ne peut être considéré comme une référence acceptable par des consciences de gauche héritières des « Lumières » (Aufklärung en allemand). J’ai d’ailleurs alerté sur ces origines problématiques de la Charte dès 1999, dans une question écrite au gouvernement dont la réponse n’a démenti aucune des informations que j’avançais.

Il a été question, quelques lignes plus haut, de « la » langue bretonne qui entend se substituer aux cinq langues bretonnes qui existaient et continuent d’exister, en dépit de la publication du dictionnaire établissant une langue « unifiée ». Ce dictionnaire est paru en 1942. Son principal auteur, Roparz Hemon, est dans la veine des personnages inacceptables à l’origine de la Charte. C’était en effet un collaborateur des nazis, mettant au point ce dictionnaire en accord avec l’occupant qui le finança. Dans cette période-là, cette variété de collabos misait sur un découpage de la France par les vainqueurs du moment, et ils leur en avaient fait la proposition. Cet homme a été condamné à l’indignité nationale à la Libération. Il s’est enfui et n’est jamais revenu dans notre pays. Pour moi, célébrer l’œuvre d’un collabo, c’est oublier et mépriser la Bretagne rouge, et même la bleue, c’est-à-dire la Bretagne résistante. Laquelle parlait tous les bretons et combattait les armes à la main les partisans du dictionnaire unifié en raison de l’identité et du projet politique de leurs commanditaires.

Dans le contexte actuel, ce genre de tentation ethniciste prend un relief singulier. Celui que lui a donné Samuel Huntington et sa « théorie du choc des civilisations ». Pour ses partisans, dorénavant, « dans le monde nouveau, la politique locale est “ethnique”, et la politique globale “civilisationnelle” ». Derrière le fatras des bavardages mal ficelés sur la prééminence de l’ethnique dans la définition de civilisations, de son fondement culturel ancré dans la religion, Huntington est un théoricien de la balkanisation des Etats-nations et de la fracturation de l’unité de leur cadre juridique. Dans cette théorie, la Nation cesse d’être une communauté légale une et indivisible où la loi est la même pour tous puisqu’elle est décidée par tous. Les nations sont alors des collections provisoires de peuples différenciés par la diversité de leurs langues et de leurs religions et des droits y afférents. Nicolas Sarkozy avait traduit en français cette doctrine quand il déclara, dès son élection, que le premier risque que courrait notre pays était celui d’une « confrontation entre l’islam et l’occident » mettant face à face la deuxième religion de notre pays avec une région et ses supposés natifs « enracinés ».

J’aborde donc ce qui constitue pour moi le cœur du problème. Il ne saurait être question, sous prétexte de respect de la diversité culturelle, d’admettre une différence de droits entre citoyens égaux. Ce serait en contradiction absolue avec la pensée républicaine. Il n’y a pas lieu de créer des droits particuliers pour une catégorie spécifique de citoyens. Le fait de parler une langue différente ne suffit pas à instituer des droits particuliers en faveur de ses locuteurs ! Or, c’est ce que prévoit explicitement la Charte. Elle prétend encourager la pratique de ces langues « dans la vie publique et la vie privée ». L’expression a l’air banale. Elle ne l’est pas du tout.

S’agissant de la vie privée, je rappelle que le caractère laïque de notre République interdit que les institutions gouvernementales et étatiques fassent quelque recommandation que ce soit concernant la vie privée des personnes. Quant à la « vie publique », la Charte demande aux Etats de « prendre en considération les besoins et les vœux exprimés par les groupes pratiquant ces langues ». […] Va-t-on pour cela élire des représentants des locuteurs de telle ou telle langue ? Créer un sénat des nationalités ? Non ! Ce serait en totale contradiction avec l’idée d’égalité républicaine ! Mais le pire est cette idée de « faire bénéficier de procédures en langues régionales devant les autorités judiciaires », comme le prévoit l’article 9 de la Charte, ou devant les services publics, comme l’exige l’article 10. Témoigner, poursuivre en justice, signer des contrats dans une autre langue que la langue française constituerait un recul par rapport à l’ordonnance de Villers-Cotterêts de François Ier. Pourtant, c’est ce que prévoit cette Charte européenne des langues régionales ou minoritaires !

Le Conseil constitutionnel a donc eu raison de dire, en 1999, qu’en conférant « des droits spécifiques à des “ groupes ” de locuteurs de langues régionales ou minoritaires, à l’intérieur de “ territoires ” dans lesquels ces langues sont pratiquées, [cette Charte] porte atteinte aux principes constitutionnels d’indivisibilité de la République, d’égalité devant la loi et d’unicité du peuple français ». Pour toutes ces raisons, la République française n’a donc rien à gagner à ratifier la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires. Elle ne pourrait que se renier en le faisant. Elle doit, tout au contraire, continuer une politique bienveillante et intégratrice, qui donne aux cultures et aux langues régionales toute leur place, dès lors que la République est première chez elle ! S’il faut avoir une discussion sur le sujet en France, elle doit porter sur les moyens à mettre en œuvre pour favoriser l’apprentissage des langues, la connaissance, la pratique et la création dans les cultures que l’histoire du pays nous a léguées. Pas de créer des discriminations, des dominations et, pour finir, faire de l’ethnicisme un horizon contre la nation républicaine.

 

Lettre aux députés à l’occasion du vote sur la Charte des langues régionales et minoritaires
22 janvier 2014
Voir cette lettre

Courrier adressé par Jean-Luc Mélenchon à l’ensemble des députés français à l’occasion du vote sur la charte des langues régionales.

Cher(e) collègue,

Mercredi 22 janvier vous discuterez en première lecture d’une proposition de loi constitutionnelle visant à autoriser la France à ratifier la Charte européenne des langues régionales et minoritaires. Les fortes réserves constitutionnelles déjà exprimées par le Conseil constitutionnel et le Conseil d’Etat contre cette ratification vous sont sans doute connues. Le vote sur ce texte est prévu mardi 28 janvier prochain.

J’ai suivi ce projet depuis sa gestation en 1996 et je suis intervenu à plusieurs reprises sur le sujet, au Sénat puis au Parlement européen. J’ai donc à cœur de vous transmettre quelques arguments qui plaident en faveur de la plus grande vigilance face à ce texte et aux dangers qu’il contient pour l’unité de la communauté légale que constitue notre République. En effet il n‘est pas demandé de valider une Charte prévue pour les minorités nationales mais déjà largement mise en œuvre. Il s’agit de rendre applicables celles de ses dispositions aujourd’hui anticonstitutionnelles pour d’excellentes raisons.

Contrairement à ce qu’insinue cette proposition de loi dans son exposé des motifs, le débat qui s’ouvre n’est pas un débat pour ou contre les langues régionales, leur pratique et leur diffusion. Ce serait absurde. Comment peut-on être « contre les langues régionales » ? Qu’est-ce que cela pourrait vouloir dire concrètement ? Abroger les lois existantes qui les protègent ? Ni moi ni les autres critiques de la Charte ne l’ont jamais ni demandé ni souhaité. Être contre le bilinguisme ? Pourquoi ? Je suis moi-même bilingue comme beaucoup d’entre vous. Encore plus ridicule serait le fait d’être « contre la diversité culturelle ». En réalité, je défends ardemment cette diversité contre la vision étroitement ethniciste et régionaliste de la diversité qui résulterait en France de l’application de certains articles de la Charte. Pourtant, il semble que quiconque refuse ces articles de la Charte et ne l’adopte pas immédiatement les yeux fermés est aussitôt accusé d’être « contre les langues minoritaires » et « contre la diversité culturelle ».

Pour servir cette manipulation cette proposition de loi multiplie les mensonges concernant la situation et le cadre légal des langues régionales en France. Il prétend ainsi à ce sujet que « la France enfermée dans les certitudes d’un autre âge ». Que « la position de la République sur les langues régionales, traditionnellement réservée pour ne pas dire hostile, n’est plus tenable. ». Et que « la pluralité linguistique et culturelle » doit « obtenir enfin droit de cité dans notre pays ». Pour justifier ces graves accusations contre la République, l’exposé des motifs ne cite que deux exemples, qui s’avèrent tous les deux lourdement erronés. Il affirme que « toutes les avancées en faveur des langues régionales consenties par le Gouvernement de Lionel Jospin, notamment dans le domaine éducatif, ont été systématiquement invalidées par le Conseil d’État et le Conseil constitutionnel ». Il prétend aussi que « les langues régionales ne bénéficient à ce jour d’aucun statut légal. Leur prise en compte par l’État relève beaucoup plus de la circulaire et de l’arrêté que de la loi ». Tout cela est totalement faux et il est consternant de voir des députés signer un tel texte mensonger concernant la loi française dont ils sont censés être les meilleurs connaisseurs et garants. La République protège les langues régionales. Je n’accepte donc pas la caricature qui voudrait faire croire que la République française réprime ou méprise ces langues. Ce n’est pas vrai !

La France s’est dotée dès les années cinquante d’un cadre législatif favorable aux langues régionales. Elle a été et reste, aujourd’hui encore, en avance sur beaucoup de pays d’Europe dans ce domaine. La loi du 11 janvier 1951 relative à l’enseignement des langues et dialectes locaux, qui porte le nom du socialiste Maurice Deixonne, a officiellement autorisé et favorisé l’apprentissage des langues régionales de France dans l’enseignement public. C’est le cas, dès cette époque, du basque, du breton, du catalan et de l’occitan, auxquels se sont ajoutés ensuite le corse en 1974, le tahitien en 1981, et quatre langues mélanésiennes en 1992. De sorte qu’aujourd’hui, et depuis 1970, tous les élèves qui le souhaitent voient ces enseignements pris en compte pour l’obtention du baccalauréat. La loi Toubon de 1994 a confirmé ce cadre légal favorable. Quant au gouvernement de Lionel Jospin, par la loi du 22 janvier 2002, il a mis des moyens particulièrement importants à la disposition de l’enseignement de la langue corse, si bien que quiconque le veut peut suivre un enseignement en corse à l’école, au collège et au lycée, à raison de trois heures par semaine. Ici, la Charte n’apporte strictement rien de plus à cette situation. La question posée est plutôt de savoir si les moyens de ces enseignements sont mis à disposition et elle ne relève pas du législateur mais du gouvernement.

La proposition de loi est également mensongère quand elle prétend que la France serait isolée car l’évolution conduisant à ratifier la Charte aurait été accomplie « partout en Europe ». C’est totalement faux. Cette Charte est très loin de faire l’unanimité sur le continent. 14 pays membres du Conseil de l’Europe ne l’ont pas signée, dont la Belgique, le Portugal, la Grèce ou l’Irlande, qui ne sont pas des États réputés liberticides. Et parmi ceux qui ont signé cette charte, comme la France, 9 États ne l’ont pas ratifiée, dont l’Italie. Au total, 23 pays membres du Conseil de l’Europe se refusent donc à rendre applicable cette Charte sur leur territoire. Cela peut être attribué non pas exclusivement à leur « mépris pour les langues régionales minoritaires », mais probablement à d’autres causes. Pourquoi ne pas les examiner ? Pourquoi se contenter de condamner tout le monde en bloc sans examen des motivations ? Et, surtout, sans considérer quelle est la situation réelle sur le terrain de ces Etats !

La France applique déjà beaucoup d’articles de la Charte sans avoir eu besoin de sa ratification pour le faire. La proposition de loi se garde bien de le préciser. Il existe deux types de dispositions : les préconisations impératives et celles qui sont optionnelles. Un grand nombre de préconisations impératives sont déjà appliquées par la France, par exemple les articles 7-1-f et 7-1-g concernant l’enseignement scolaire et l’apprentissage tout au long de la vie de ces langues. Mais aussi l’article 7-2 visant à éliminer les discriminations ou restrictions qui pourraient viser des locuteurs. Et parmi les préconisations optionnelles que la France respecte, on peut citer les articles 8-1-b (enseignement primaire), 8-1-c (enseignement secondaire), 10-2-g (toponymie et signalisation).

Il n’est donc pas vrai que nous ayons besoin de ratifier la charte pour en appliquer les dispositions qui ne sont pas contraires à notre Constitution. Mais le fait de parler une langue différente ne suffit pas à instituer des droits particuliers en faveur de ses locuteurs. C’est là où certains articles de la Charte visant à encourager la pratique de ces langues « dans la vie publique », posent problème. La Charte indique par exemple que les États doivent « prendre en considération les besoins et les vœux exprimés par les groupes pratiquant ces langues ». À l’évidence, ce texte a été écrit à l’intention de pays où des secteurs entiers de la population parlent une autre langue que la langue nationale et seulement celle-là, comme c’est le cas des minorités hongroises ou autres, qui existent dans divers pays de l’Union européenne. Mais en aucun cas il n’a été écrit pour la France ! Dans quel cas, dans quelles conditions pourrait-on désigner les représentants de ces groupes ? Va-t-on maintenant élire des représentants des locuteurs de telle ou telle langue ?

Pour la même raison il ne peut être question de faire bénéficier de procédures en langues régionales devant les autorités judiciaires, comme le prévoit l’article 9 de la charte, ou devant les services publics, comme le décide l’article 10. Témoigner, poursuivre en justice, signer des contrats dans une autre langue que la langue française constituerait un recul par rapport à l’ordonnance de Villers-Cotterêts qui représente une avancée fondamentale dans l’égalité des Français devant la justice et le service public. Y renoncer conduirait à des situations ingérables pour les administrations et les collectivités locales et à des divisions et incompréhensions absurdes entre administrés. Pourtant, c’est ce que prévoient ces articles de la Charte.

Le Conseil constitutionnel a donc eu raison de dire, en 1999, qu’en conférant « des droits spécifiques à des “ groupes ” de locuteurs de langues régionales ou minoritaires, à l’intérieur de “ territoires ” dans lesquels ces langues sont pratiquées, [cette Charte] porte atteinte aux principes constitutionnels d’indivisibilité de la République, d’égalité devant la loi et d’unicité du peuple français. »

Il n’y a donc pas lieu de remettre en cause la Constitution à ce sujet. Les exemples de pays cités en références par la proposition de loi (Espagne, Italie, Grande-Bretagne) pour justifier l’octroi de droits spécifiques à des locuteurs sont d’ailleurs particulièrement peu concluants. La décomposition de l’Etat et les inégalités qui en résultent entre territoires et citoyens dans ces pays sont parmi les plus graves en Europe. Pour ne pas connaître un tel sort la France a donc tout intérêt à se tenir éloignée de telles évolutions constitutionnelles.

J’ajoute un dernier argument décisif contre la ratification proposée de cette Charte. Les dispositions précitées conduiraient à un traitement discriminatoire des langues en France. Certains défenseurs des langues régionales s’en sont d’ailleurs inquiétés au point de remettre en cause l’utilité de la proposition de loi qui vous est soumise. Le réseau ELEN-EBLUL France, qui rassemble les grandes fédérations de défense des langues régionales de France a ainsi « exprimé sa vive inquiétude qui l’amène à être en total désaccord avec des formulations de propositions de loi », qui conduiraient à une « limitation discriminatoire » du droit des langues en France. Avec d’autres arguments que ce réseau dont je ne partage pas les autres analyses, j’exprime la même inquiétude. En effet les langues pratiquées par les migrants ou leurs descendants, sont exclues de la Charte. Elles sont pourtant elles aussi « minoritaires » mais elles ne sont pas protégées par la Charte qui ne conçoit les langues qu’en lien avec un territoire particulier. Une définition particulièrement discutable et problématique pour des Républicains attachés à la valeur des principes quel que soit leur territoire d’application. L’application de la Charte poserait donc un grave problème vis à vis des locuteurs de la 2ème langue parlée en France, qui n’est pas régionale, puisqu’il s’agit de l’arabe. Le sort aujourd’hui réservé à la pratique, à la promotion et à l’enseignement de la langue arabe en France, me semble d’ailleurs tout aussi décisif que celui des langues régionales. D’autant que cette langue aux côtés du français forme un espace linguistique commun a des millions de binationaux et de locuteurs des deux rives de la Méditerranée unis par des liens familiaux et économiques intense et prometteurs ! Il est pourtant totalement ignoré par les promoteurs de cette proposition de loi. Leur invocation de la diversité linguistique semble donc à géométrie variable.

Ainsi une telle ratification de la Charte conduirait le pays à de nouvelles divisions absurdes entre immigrés et non immigrés, cette fois quant au statut des langues parlées. Notre pays a-t-il vraiment besoin de cette nouvelle discrimination volontaire ? Je ne le pense pas et c’est pour cela que j’ai souhaité vous alerter sur les conséquences de votre vote. Je fais donc appel, au nom de l’intérêt général, à votre sens républicain, quelles que soient nos préférences partisanes ou nos origines régionales.

En espérant avoir retenu votre attention, je reste à votre disposition pour tout échange à ce sujet et je vous adresse, cher(e) collègue, mes cordiales salutations républicaines.

 

Débat à l’Assemblée nationale
« Modernisation des institutions – Débat portant sur les langues régionales »
Première lecture
22 mai 2008

M. le président. Je suis saisi d’un amendement n° 273.

présenté par

M. Mamère, Mme Billard, MM. Yves Cochet et de Rugy

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ARTICLE ADDITIONNEL

AVANT L’ARTICLE PREMIER, insérer l’article suivant :

Après la première phrase de l’article 1er de la Constitution est insérée une phrase ainsi rédigée : « Elle se reconnaît comme plurielle et garante de la diversité qui la compose. »

EXPOSÉ SOMMAIRE

Afin de lever les objections du Conseil constitutionnel à la ratification de la Charte européenne des langues régionales et minoritaires, il apparaît nécessaire de reconnaître la diversité de la République sans que son unicité ne soit remise en cause.

La parole est à M. Noël Mamère, pour le soutenir.

M. Noël Mamère. Cet amendement vise à la reconnaissance des langues régionales.

Voilà déjà longtemps que nous discutons de ce sujet. Nous savons qu’une partie de la majorité est favorable à l’introduction de la reconnaissance des langues régionales dans la Constitution. Personne n’a dit ici qu’il s’agissait de démanteler l’unité nationale et de ne plus faire du français la langue de notre pays. Mais nous savons aussi qu’il y a des langues de France qui doivent pouvoir être protégées.

Les Verts ont souvent réclamé l’application dans le droit français de la Charte européenne des langues régionales et le présent amendement vise à ce que le Conseil constitutionnel ne puisse plus opposer la Constitution à l’application de cette charte.

Il s’agit non pas de favoriser ce que certains vont sans doute appeler le « communautarisme », mais de tenir compte du fait que notre pays se nourrit de sa diversité. Je veux parler non seulement de sa diversité culturelle, y compris celle venue de l’autre rive de la Méditerranée, mais aussi de la diversité des langues sur nos territoires. Si nous voulons rejoindre de nombreux autres pays de l’Union européenne, dont la construction politico-administrative est bien différente de la nôtre, beaucoup moins centralisée, beaucoup moins jacobine, pour employer une expression française, je pense que nous pourrions nous accorder pour garantir par la Constitution la reconnaissance des langues régionales.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Jean-Luc Warsmann, rapporteur. Avis défavorable. Je défendrai tout à l’heure un amendement n° 605 concernant les langues régionales.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme la garde des sceaux. Défavorable, pour les mêmes raisons.

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 273.

(L’amendement n’est pas adopté.)

[…]

M. le président. Je suis saisi de cinq amendements, nos 304, 605, 569, 276 et 262, pouvant être soumis à une discussion commune.

L’amendement n° 605 fait l’objet de deux sous-amendements, nos 606 et 607.

La parole est à M. Noël Mamère, pour soutenir l’amendement n° 304.

présenté par

M. Mamère, Mme Billard, MM. Yves Cochet et de Rugy

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ARTICLE ADDITIONNEL

AVANT L’ARTICLE PREMIER, insérer l’article suivant :

Le premier alinéa de l’article 2 de la Constitution est ainsi rédigé :

« Le français est la langue officielle de la République. Les langues régionales de France sont également reconnues par la République. »

EXPOSÉ SOMMAIRE

Les langues régionales et minoritaires sont aujourd’hui tolérées mais sans statut. Il s’agit de sortir de cette situation pour permettre enfin la reconnaissance officielle des langues minorisées en admettant leur égale dignité avec le français, langue officielle de la République.

La richesse des différentes modalités linguistiques de la France est un patrimoine culturel qui doit être respecté et protégé de façon particulière.

M. Noël Mamère. Il s’agit d’un amendement de repli, après le refus qui nous a été opposé d’inscrire dans la Constitution la Charte européenne des langues régionales et minoritaires.

Cet amendement vise à rédiger ainsi le premier alinéa de l’article 2 de la Constitution : « Le français est la langue officielle de la République. Les langues régionales de France sont également reconnues par la République ». Cela nous permettrait de sortir du statut de simple tolérance de ces langues pour arriver à une reconnaissance. Certes, il ne s’agirait pas d’une reconnaissance au sens de la Charte européenne, comme elle existe dans de nombreux pays de l’Union européenne, mais cela constituerait un petit progrès. Je n’insisterai pas sur le fait que les écoles dispensant l’enseignement de ces langues, qu’il s’agisse des écoles Diwan ou des Iskatola, sont très peu aidées par rapport à d’autres pays comme l’Espagne. Reste que toutes les enquêtes menées auprès des élèves de ces écoles montrent que la maîtrise d’une langue régionale, loin de nuire à l’apprentissage du français, le nourrit et le renforce.

Je n’ignore pas que le rapporteur va présenter un amendement à ce sujet, mais sa rédaction est très différente.

M. le président. La parole est à M. le rapporteur, pour soutenir l’amendement n° 605.

présenté par

M. Warsmann, rapporteur
au nom de la commission des lois

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ARTICLE ADDITIONNEL

AVANT L’ARTICLE PREMIER, insérer l’article suivant :

L’article 1er de la Constitution est complété par une phrase ainsi rédigée :

« Les langues régionales appartiennent à son patrimoine. ».

EXPOSÉ SOMMAIRE

Cet amendement propose de tenir compte du souhait d’inscrire dans la Constitution l’existence de langues régionales, qui a été exprimé par un grand nombre de parlementaires, notamment à l’occasion du récent débat qui a eu lieu à l’Assemblée nationale sur les langues régionales (séance publique du mercredi 7 mai 2008).

Il est proposé d’insérer la mention des langues régionales dans l’article 1er de la Constitution, qui a été complété par la révision constitutionnelle du 28 mars 2003 afin de préciser que « son organisation est décentralisée ».

M. Jean-Luc Warsmann, rapporteur. Comme vous le savez, la commission des lois travaille à résoudre les difficultés soulevées pour essayer de trouver des points d’équilibre qui soient les plus constructifs possible.

Certains de nos collègues, dont M. Mamère et M. Folliot, ont manifesté leur grand attachement à la reconnaissance des langues régionales dans notre Constitution. Comme l’a très bien dit M. Mamère, il ne s’agit dans l’esprit de personne de remettre en cause l’article 2 de notre Constitution posant le principe que « la langue de la République est le français ». Il s’agit de donner un ancrage à la richesse linguistique régionale de notre pays.

Lors du débat sur les langues régionales, il y a quelques semaines, le Gouvernement a pris l’engagement de faire voter une loi en ce domaine. Et certains collègues se sont inquiétés du fait, que sans ancrage constitutionnel, cette loi risquait de paraître fragile au Conseil constitutionnel.

M. Marc Le Fur. Tout à fait !

M. Jean-Luc Warsmann, rapporteur. Loin de toute idée de concurrence entre les langues régionales et le français, cet amendement vise à introduire dans notre Constitution la richesse que constitue le patrimoine des langues régionales en affirmant à l’article 1er de notre Constitution, qui pose les principes auxquels la France est attachée, que ces langues appartiennent au patrimoine de notre pays.

M. Marc Le Fur. Très bien !

M. Jean-Luc Warsmann, rapporteur. Nous voulons ainsi marquer l’attachement de la France à ce patrimoine sans pour autant créer un droit pour les particuliers d’exiger de la part des administrations l’usage d’une autre langue que le français ou des droits spécifiques pour des groupes.

Cet amendement permettra demain de voter la loi que le Gouvernement s’est engagé à présenter, répondant aux attentes de nombreux collègues sur tous les bancs. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à M. Camille de Rocca Serra, pour soutenir l’amendement n° 569.

présenté par

M. de Rocca Serra, M. Le Fur, M. Almont, M. Loïc Bouvard, M. Boënnec, M. Calvet,
M. Christ, M. Dassault, M. Decool, M. Descoeur, M. Hillmeyer, M. Ferry, M. Grall,
M. Gandolfi-Scheit, M. Goulard, Mme Grosskost, Mme Irles, M. Herth, Mme Lamour,
M. Lett, M. Loos, M. Alain Marc, M. Mach, M. Mariani, M. Mariton,
M. Maurer, M. Mourrut, M. Christian Ménard, M. Reitzer, M. Remiller,
M. Reiss, M. Spagnou, M. Strautmann et M. Sordi

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ARTICLE ADDITIONNEL

AVANT L’ARTICLE PREMIER, insérer l’article suivant :

Le premier alinéa de l’article 2 de la Constitution est complété par les mots :

« dans le respect des langues régionales qui fondent sa diversité ».

EXPOSÉ SOMMAIRE

Un débat historique s’est tenu le 7 mai 2008 à l’Assemblée Nationale à l’initiative du Gouvernement qui a ainsi tenu l’engagement du Premier Ministre lors du précédant débat constitutionnel.

Ce débat a enfin permis à l’Assemblée nationale d’envisager de manière sereine, loin des préjugés condescendants et des images d’Épinal le statut de 79 langues de France pratiquées par 10 millions de locuteurs, et qui sont enseignées à 400 000 élèves par 9 000 enseignants.

La Ministre de la culture a annoncé l’élaboration d’un cadre de référence qui prendra la forme d’une loi dans un calendrier proche, ainsi que le Président de la République en avait émis l’idée.

Si l’on peut se féliciter de cette avancée qui devrait se traduire par de nouveaux droits concrets en matière d’enseignement, de création et de diffusion de supports culturels, de signalétique, il n’en demeure pas moins que certaines réserves pourraient demeurer sur la constitutionnalité de cette loi, notamment au regard de la décision n° 99-412 DC du 15 juin 1999 du Conseil constitutionnel.

La loi que votera le Parlement pourrait en effet être vidée de sa substance à l’occasion d’un contrôle de constitutionnalité pour violation de l’article 2 du texte suprême.

Les avancées législatives que les parlementaires pourraient être amenées à voter sont donc sous la menace d’une véritable insécurité juridique.

Le seul moyen de lever cette insécurité juridique sur une loi-cadre tant attendue est dès lors la modification de l’article 2 du texte suprême, modification qui permettra de reconnaître que le mot égalité qui figure dans la devise de la République ne signifie pas uniformité.

M. Camille de Rocca Serra. Nous pouvons nous reconnaître dans nombre des amendements qui sont présentés, car nous avons pour ambition commune de défendre des identités qui nous rassemblent et d’appartenir à une nation qui s’enrichit de sa diversité. Pour ma part, je me rallierai volontiers à un amendement qui, au prix de grands efforts, permet le consensus.

Mesdames, messieurs de l’opposition, j’espère que nous saurons nous retrouver sur un sujet essentiel puisque, pour la première fois, nous allons introduire les langues régionales dans notre Constitution, leur donnant par là même une portée considérable. Nous devons comprendre qu’il s’agit d’un patrimoine vivant, que ces langues doivent retrouver leur vitalité et que la nation doit les soutenir. À aucun moment il ne s’est agi, dans notre esprit, d’opposer les langues régionales au français.

Je me rallie donc à l’amendement de M. Warsmann qui vise à mentionner dans la Constitution l’existence de nos langues régionales auxquelles nous sommes tous attachés. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Jacques Urvoas, pour soutenir l’amendement n° 276.

présenté par

M. Lurel, Mme Lebranchu, M. Olivier-Coupeau, M. Urvoas, M. Montebourg
M. Valls, M. Caresche, M. Vallini, M. Roman, M. Le Bouillonnec, M. Le Roux
M. Derosier, Mme Guigou, Mme Karamanli, M. Giacobbi
et les membres du groupe Socialiste, radical, citoyen et divers gauche

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ARTICLE ADDITIONNEL

AVANT L’ARTICLE PREMIER, insérer l’article suivant :

Le premier alinéa de l’article 2 de la Constitution est complété par les mots :

« dans le respect des langues régionales qui font partie de notre patrimoine ».

EXPOSÉ SOMMAIRE

Pour parodier Stendhal, le génie d’un peuple, ce sont ses langues, dans la richesse de leur diversité et de leur dialogue.

La protection de ce patrimoine ne saurait être considérée comme étant indigne du régime juridique qu’offrent les normes de l’Union Européenne.

Cet article, initialement destiné à préserver la langue française face à la langue anglaise, a en effet fait obstacle à l’usage et au développement des langues régionales. Il sera un signe fort en faveur de la diversité et de la richesse culturelle de notre pays.

Tel est l’objet de cet amendement qui ne fait que reprendre l’article unique de la proposition de loi n° 657 du groupe SRC.

M. Jean-Jacques Urvoas. Nous retirons l’amendement n° 276 au profit de celui du président de la commission des lois (« Très bien ! » sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire), en nous félicitant du chemin parcouru depuis la dernière réunion de la commission. Nous avions en effet beaucoup argumenté pour convaincre et nous avions échoué de peu. Je veux y voir un bon signe pour ce débat. Quand la majorité fait des efforts, l’opposition sait les reconnaître. Nous ne serons donc pas parcimonieux dans nos compliments si vous les méritez, madame la garde des sceaux.

M. Jean-Marie Le Guen. Mais il reste encore des progrès à faire !

M. Jean-Jacques Urvoas. Effectivement, pour l’heure, le compte n’y est pas !

Il était évident que, sans modification de la Constitution, la loi sur les langues régionales que Mme Albanel nous a annoncée rencontrerait des obstacles. Du reste, notre passé juridique nous rappelle que quand Jack Lang, alors en charge de l’éducation nationale, avait signé, le 5 septembre 2001, un protocole avec l’association Diwan qui pratique la langue bretonne par immersion, montrant ainsi son attachement aux langues et cultures régionales, le Conseil d’État, saisi en référé par une ordonnance du 20 octobre 2001, avait estimé que c’était méconnaître l’article 2 de la Constitution. Il faisait ainsi naître un doute sérieux quant à la légalité du protocole et l’application de la mesure avait été suspendue, ce qui avait contribué à fragiliser durablement ce réseau d’établissements scolaires gratuit et laïc.

L’amendement du président de la commission des lois va dans le bon sens. Nous espérons qu’il permettra d’assurer non seulement la protection des langues régionales, mais aussi sur leur épanouissement.

Malheureusement, la loi qui nous est annoncée ne suffira pas puisque je rappelle qu’un demi-siècle après le vote de la loi Deixonne de 1951, qui avait prévu la généralisation progressive de l’enseignement bilingue dans les régions de France, nous n’y sommes pas vraiment.

M. le président. L’amendement n° 276 est retiré.

La parole est à M. Philippe Folliot, pour soutenir l’amendement n° 262.

présenté par

M. Folliot

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ARTICLE ADDITIONNEL

AVANT L’ARTICLE PREMIER, insérer l’article suivant :

Le premier alinéa de l’article 2 de la Constitution est complété par deux phrases ainsi rédigées :

« Les langues régionales appartiennent au patrimoine de la nation. La République les protège. »

EXPOSÉ SOMMAIRE

Cet amendement vise d’une part à reconnaître les langues régionales et d’autre part à les protéger. Il s’agit ainsi d’éviter qu’au nom de la rédaction actuelle de l’article 2 de la Constitution, on puisse continuer à remettre en cause l’enseignement des langues régionales ou encore repousser la ratification souhaitable de la charte européenne des langues régionales.

Avec cet amendement une action sérieuse de défense et de promotion de nos patrimoines linguistiques régionaux, précieux et pourtant compromis, pourra enfin être engagée préalablement à toute autre initiative législative que nous appelons de nos voeux.

M. Philippe Folliot. Enfin, les langues régionales vont être reconnues dans notre Constitution ! Des millions de Français attendaient ce moment depuis longtemps, car ces langues font partie de notre patrimoine, au même titre que le patrimoine culturel ou bâti. Notre patrimoine linguistique caractérise notre pays. Pendant des siècles, la nation s’est constituée d’apports successifs avec des parlers différents. Reconnaître dans la Constitution la richesse de ce patrimoine linguistique constitue une avancée particulièrement importante et significative.

Beaucoup de choses sont liées. L’enseignement permet de maintenir les langues régionales vivantes. C’est un enjeu fondamental. En Occitanie, des jeunes issus d’autres régions et dont les parents ne parlent pas forcément ces langues régionales s’y mettent petit à petit. Au fond, ce combat pour les langues régionales est parallèle à celui que nous menons pour la défense du français. Défendre les langues régionales, c’est en effet un peu comme défendre le français par rapport à la toute-puissance de l’anglais au plan international. Dans ce cadre, l’amendement du rapporteur constitue une avancée intéressante.

Un sous-amendement prévoit d’aller plus loin encore en reconnaissant explicitement que la République protège les langues régionales. Certes, par définition, la République protège tout ce qui a trait aux éléments fondamentaux qui sont inscrits dans les premiers articles de la Constitution. Mais, au regard de l’histoire, il nous paraît utile d’apporter cette précision supplémentaire.

M. le président. Quel est l’avis de la commission sur ces amendements ?

M. Jean-Luc Warsmann, rapporteur. La commission ayant adopté l’amendement n° 605 rectifié, j’émets un avis défavorable sur les autres amendements qui seraient maintenus.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme la garde des sceaux. Monsieur le rapporteur, vous souhaitez que l’on mentionne les langues régionales dans notre Constitution. Cette question avait déjà été débattue lors de la révision constitutionnelle liée à la ratification du traité de Lisbonne. Le Gouvernement s’était alors engagé à organiser un débat à l’Assemblée sur les langues régionales. Il a eu lieu le 7 mai dernier. À cette occasion, Christine Albanel s’est engagée à présenter une loi afin de mettre en œuvre les dispositions existantes.

M. Marc Le Fur. Tout à fait !

Mme la garde des sceaux. Vous souhaitez aller plus loin en inscrivant les langues régionales dans la Constitution et nous y sommes favorables. Il me semble logique de le faire à l’article 1er, qui prévoit que la France est une République décentralisée, plutôt que d’opposer le français aux langues régionales à l’article 2.

Le Gouvernement est donc favorable à l’amendement n° 605 rectifié et défavorable aux autres amendements. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à M. Marc le Fur.

M. Marc Le Fur. Je tiens à remercier le Gouvernement et le président de la commission des lois.

Par trois fois, à l’occasion de trois débats constitutionnels successifs, je me suis exprimé pour introduire les langues régionales dans la Constitution. Par trois fois, nous avons échoué, mais à chaque fois plus de collègues, de différents groupes, se joignaient à nous.

Aujourd’hui, les choses ont fondamentalement changé. En janvier dernier, le Premier ministre s’était engagé à organiser un débat, engagement qu’il a tenu. Et le débat du 7 mai a abouti puisque Mme Albanel s’est engagée à ce qu’une loi soit votée dès 2009. Mais pour qu’elle le soit en toute sécurité juridique, il fallait introduire la notion de langues régionale dans la Constitution, ce que l’on fait, et dès l’article 1er, ce qui a une grande portée symbolique.

Mes chers collègues, je suis convaincu que l’unité n’est pas l’uniformité, que l’égalité est non pas la confusion, mais la possibilité pour chacun d’être soi-même. Pour bon nombre de nos concitoyens, les langues régionales signifient quelque chose, même pour ceux qui ne les maîtrisent pas totalement.

Je conclurai mon intervention en évoquant un souvenir historique. En juin 1940, un quart des marins et des soldats français qui avaient rejoint le général de Gaulle venaient de l’île de Sein qui se trouve à l’extrémité ouest de la pointe la plus occidentale du pays. Si ces hommes ne maîtrisaient pas parfaitement les subtilités de la langue française, il n’en demeure pas moins qu’ils se sont battus pour la France, que nombre d’entre eux n’ont pas revu leur île et qu’ils parlaient une langue à laquelle ils étaient attachés. Aujourd’hui, non seulement nous leur rendons hommage, mais nous faisons évoluer positivement notre droit objectif. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à M. Patrick Braouezec.

M. Patrick Braouezec. On ne peut que se féliciter que le Gouvernement accepte l’amendement de M. Warsmann.

Considérer que les langues régionales font partie de notre patrimoine, comme les monuments historiques et les archives, cela ne les rend pas pour autant vivantes. Aussi, à l’amendement n° 605 rectifié, je propose d’ajouter, après le mot : « patrimoine » le mot : « vivant ». Cela permettra peut-être à M. Bayrou de retirer son sous-amendement dans la mesure où l’on n’a pas forcément besoin de protéger quelque chose qui vit.

M. Charles de Courson. Si !

M. Patrick Braouezec. Sans cette précision, on pourrait considérer que ces langues régionales font partie de notre patrimoine folklorique passé, sans pour autant les rendre vivantes. On peut les protéger, comme on protège les monuments historiques, car ce sont des témoignages du passé. Le mot « vivant » apporterait une précision et montrerait que les langues régionales ont toujours vocation à être parlées. Même si nous considérons qu’il faut une langue unique à notre nation, l’unité n’est pas l’uniformité. Du reste, j’espère que cela nous fera réfléchir sur la pratique des langues étrangères sur notre territoire, car j’ai l’impression qu’on est attaché aux langues régionales mais pas à la culture des étrangers.

M. le président. La parole est à M. Claude Goasguen.

M. Claude Goasguen. L’amendement de M. Warsmann remplit parfaitement son rôle. Comme nos débats parlementaires sont une source subsidiaire du droit et que je vois bien qu’un contentieux naîtra sur l’interprétation de la formule que nous allons adopter, je voudrais apporter quelques précisions.

D’abord, l’amendement n’a rien à voir avec la charte. La ratification d’une charte est un acte complètement indépendant d’une stipulation dans la Constitution.

Ensuite, il faut préciser ce que l’on entend par « langues régionales ». Avec le mot « région », on a un critère d’implantation géographique sur le territoire de la République. Avec celui de « langue », on suppose, par opposition aux dialectes et au patois, que cette langue est suffisamment ancrée dans la culture nationale pour qu’elle possède un patrimoine écrit.

Enfin, monsieur Braouezec, le terme « vivant » est superflu : l’objectif est non pas de donner une crédibilité à la politique des langues régionales, mais de rendre juridiquement possible l’application de textes visant à mettre en œuvre – ou non, suivant le souhait du législateur – une telle politique. Celle-ci n’est pas obligatoire ! En revanche, les futurs gouvernements pourront se dégager de l’étreinte du Conseil constitutionnel, qui aurait probablement annulé les dispositions non seulement de la future loi, mais aussi des suivantes, en raison de son interprétation souvent restrictive de la Constitution sur ce sujet. Le terme « patrimoine » traduit parfaitement cette volonté de lever par voie législative les obstacles posés par le Conseil constitutionnel ou par le Conseil d’État, afin d’ouvrir la voie non seulement à des mesures législatives, mais aussi à des actes réglementaires pris par des régions ou des collectivités locales souhaitant défendre activement les langues régionales. Aussi ce « patrimoine » est-il nécessairement « vivant ». (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. Jean-Luc Warsmann, rapporteur. Très bien !

M. le président. La parole est à M. Camille de Rocca Serra.

M. Camille de Rocca Serra. Les choses allant mieux en le disant, et comme je crains d’avoir été mal compris, je précise que, compte tenu de l’accord qui vient d’avoir lieu, je retire mon amendement au profit de celui du président de la commission des lois. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. L’amendement n° 569 est retiré.

La parole est à M. le rapporteur.

M. Jean-Luc Warsmann, rapporteur. Monsieur le président, je souhaite rectifier l’amendement n° 605. La phrase qu’il vise à introduire à l’article 1er de la Constitution sera dès lors la suivante : « Les langues régionales appartiennent à son patrimoine ».

M. le président. L’amendement n° 605 est donc ainsi rectifié.

Nous en venons à l’examen des sous-amendements à l’amendement n° 605 rectifié.

Je suis saisi d’un sous-amendement n° 606.

La parole est à M. François Bayrou, pour le soutenir.

M. François Bayrou. Je souhaite tout d’abord exprimer ma satisfaction : je suis, avec Marc Le Fur, de ceux qui, dans cet hémicycle, mènent depuis longtemps le combat en faveur de la reconnaissance des langues régionales. Et je tiens à rassurer M. Goasguen : certaines langues régionales possèdent une littérature antérieure de cinq siècles à l’apparition du français !

M. Claude Goasguen. Je n’ai pas dit le contraire, monsieur Bayrou !

M. François Bayrou. À cet égard, monsieur Warsmann, l’amendement que vous proposez constitue un important pas en avant.

Cela étant, et même si la rédaction de l’amendement mériterait d’être complétée, une chose me trouble infiniment : qu’on veuille inscrire la mention des langues régionales dans l’article 1er de la Constitution, qui édicte les principes fondamentaux de la République – l’égalité, la laïcité, le respect des croyances… Dieu sait que je me suis toujours battu en faveur des langues régionales. C’est ainsi moi qui, en tant que ministre de l’éducation nationale, ait apporté le soutien de l’État aux écoles Ikastola, Diwan et Calendretas, alors moribondes, en leur faisant bénéficier, à l’issue d’une longue lutte, des dispositions de la loi Debré ; et cela reste pour moi un combat de tous les jours. Pourtant, la reconnaissance des langues régionales ne me semble pas avoir sa place à l’article 1er de la Constitution, car il ne s’agit pas d’un principe fondamental de la République – ou alors il fallait adopter l’amendement de M. Mamère sur la diversité.

M. Noël Mamère. Tout à fait !

M. François Bayrou. Il s’agit, au contraire, de régler un problème technique né d’une mauvaise interprétation du premier alinéa de l’article 2 – « La langue de la République est le français » –, qui a donné lieu à une jurisprudence du Conseil d’État et du Conseil constitutionnel hostile aux langues régionales.

Cette assemblée devrait avoir suffisamment l’amour du droit et des principes pour ne pas placer dans l’article 1er une chose qui ne devrait pas y être ! Je suis ravi que les langues régionales soient inscrites dans la Constitution, mais il faudrait qu’elles figurent à un autre article, car cette bizarrerie me semble être de nature à troubler le bon ordonnancement de la Constitution, au motif de régler un problème, certes réel et profond, mais qui ne tient pas aux principes de la République.

Cela dit, le sous-amendement n° 606 vise à modifier l’amendement du rapporteur en indiquant que ces langues régionales appartiennent au patrimoine « de la Nation » – plutôt que « national » – et en ajoutant : « La République les protège ». L’emploi d’un tel verbe d’action permet d’affirmer les devoirs qu’a la République à l’égard des langues formant notre patrimoine culturel.

M. le président. Je suis saisi d’un sous-amendement n° 607.

La parole est à M. Philippe Folliot, pour le soutenir.

M. Philippe Folliot. Les interrogations de notre collègue François Bayrou sur le positionnement de la reconnaissance des langues régionales dans la Constitution sont tout à fait intéressantes. Cependant, l’essentiel est que ces langues soient effectivement reconnues. Il sera toujours temps, dans le cadre de la navette parlementaire, de procéder à des ajustements. Mais ce qui est acquis reste acquis !

Le sous-amendement n° 607, qui reprend en fait la deuxième partie de l’amendement n° 262, vise à ajouter la phrase suivante : « La République les protège ». Cette notion de protection qui, comme on vient de le rappeler, suppose une action, doit être affirmée et précisée : si nous débattons aujourd’hui des langues régionales, c’est probablement parce que, durant des décennies, la République n’a pas assez « protégé » cette part importante de son patrimoine vivant. Inscrire ce devoir de protection dans la Constitution me semble être une garantie supplémentaire utile et attendue par celles et ceux qui tiennent aux langues régionales.

M. le président. Quel est l’avis de la commission sur ces deux sous-amendements ?

M. Jean-Luc Warsmann, rapporteur. Le sous-amendement n° 606, présenté par M. Bayrou, n’est pas compatible avec l’amendement n° 605 tel que je viens de le rectifier : « Les langues régionales appartiennent à son patrimoine de la Nation », ce n’est pas français !

M. François Bayrou. Le sous-amendement n° 606 portait sur l’amendement n° 605 avant rectification. Il suffit désormais de préciser : « La République les protège. ».

M. Jean-Luc Warsmann, rapporteur. Monsieur le président, si j’ai bien compris, M. Bayrou rectifie son sous-amendement et supprime les mots « de la Nation. » ?

M. le président. C’est exact, monsieur Warsmann.

M. Jean-Luc Warsmann. Soit : il devient alors identique au sous-amendement n° 607 que vient de nous présenter M. Folliot. Je ne suis favorable à aucun des deux, car une telle précision est totalement inutile.

En effet, l’article 1er de la Constitution commence ainsi : « La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale. ». L’amendement n° 605 rectifié vise à le compléter par la phrase : « Les langues régionales appartiennent à son patrimoine. ». Pourquoi ajouter : « La République les protège » ? On parle de la France !

M. Claude Goasguen. C’est la Constitution qui les protège !

M. Jean-Luc Warsmann, rapporteur. En outre, on ne va pas préciser à chaque mention d’un principe fondamental que celui-ci est protégé par la République ! Il suffit de dire : « La France est une République démocratique » et « Elle respecte les croyances » !

Notre débat vient de le montrer, notre objectif commun est d’inscrire l’existence des langues régionales dans la Constitution. Il suffit, en droit, de l’exprimer clairement et sobrement : « Les langues régionales appartiennent à son patrimoine. ». Une telle formulation leur permet de faire leur entrée dans la Constitution, tout en apportant, je crois, satisfaction à tous.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme la garde des sceaux. Même avis que la commission.

M. le président. La parole est à M. François Bayrou.

M. François Bayrou. J’accepte de retirer le sous-amendement n° 606. J’espère toutefois que la navette parlementaire permettra de remettre un peu d’ordre dans cette affaire.

M. le président. Le sous-amendement n° 606 est retiré.

La parole est à M. Marc Le Fur.

M. Marc Le Fur. Je suis contre ces deux sous-amendements.

M. Claude Goasguen. Ils viennent d’être retirés !

M. Marc Le Fur. D’abord, l’évolution en cours est positive : ne la ternissons pas !

Ensuite, le verbe « protéger » ne me convient pas, car il évoque les monuments historiques ! Il s’agit ici non pas de protéger, mais de promouvoir. Je préfère donc la rédaction de la commission, plus claire.

Enfin, je ne doute pas de l’engagement militant de mes collègues en faveur des langues régionales, en particulier celui de François Bayrou, mais, contrairement à lui, je trouve judicieux que cette reconnaissance intervienne précisément à l’article 1er, car cela nous évite toute ambiguïté dans l’article 2 : nous ne sommes pas opposés à la langue française, bien au contraire, nous militons en sa faveur, ainsi qu’en faveur des langues régionales. L’article 1er de la Constitution est le plus important, ce qui est une très bonne chose pour les langues régionales.

M. Jean-Luc Warsmann, rapporteur. Très bien !

M. le président. La parole est à M. Pierre Lellouche.

M. Pierre Lellouche. Je voudrais préciser deux points.

D’abord, si, bien entendu, je suis très favorable à la notion de « langues régionales », il me semble que les critères géographiques évoqués par Claude Goasguen sont fondamentaux pour la suite des événements. Eu égard aux évolutions que connaît notre pays, les langues régionales d’aujourd’hui ne sont pas forcément celles de demain. (Exclamations sur les bancs du groupe de la Gauche démocrate et républicaine et sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche.)

M. François Bayrou. Ce n’est pas bien de dire cela !

Plusieurs députés du groupe de la Gauche démocrate et républicaine. Qu’est-ce que cela signifie ?

M. Pierre Lellouche. Ensuite, une chose me gêne : la langue de la République est actuellement mentionnée à l’article 2 de la Constitution, puisqu’elle définit l’identité de la nation et, partant, sa souveraineté. En évoquant les questions linguistiques à l’article 1er, on les sépare des autres instruments de la souveraineté nationale que sont l’emblème, l’hymne ou la devise. Je souhaite donc que la mention des langues régionales apparaisse au titre XII, relatif aux collectivités territoriales, et que la définition de la langue de la République demeure liée à la souveraineté.

M. Jean-Marie Le Guen. Vous faites de la surenchère !

M. Marc Le Fur. Cela n’a aucun rapport !

M. le président. La parole est à M. Jean-Yves Le Bouillonnec.

M. Jean-Yves Le Bouillonnec. Ce débat est extrêmement important. Comme l’a souligné Claude Goasguen, non seulement cette rédaction alimentera des contentieux, mais elle contribuera à l’élaboration de nombreux dispositifs, à l’échelle nationale comme à l’échelle régionale.

François Bayrou a rappelé que la langue figurait à l’article 2 au titre d’élément de souveraineté. Or, l’amendement n° 605 rectifié vise à inscrire les langues régionales à l’article 1er : nous ne sommes donc pas dans la même situation. Selon moi, la place de ce dispositif est bien à l’article 1er, le sous-amendement n° 607 devant permettre de répondre aux demandes de chacun.

Toutefois, madame la garde des sceaux, il vous appartient, les députés ne pouvant se mettre à la place du Gouvernement, de nous indiquer quels seront les effets de cette disposition sur la protection des langues régionales. Quelle conséquence concrète aura le fait que la phrase : « Les langues régionales appartiennent à son patrimoine » soit placée à l’article 1er de la Constitution, c’est-à-dire, en quelque sorte, dans le patrimoine de celle-ci, sur les dispositifs qui sont actuellement en cours d’élaboration et qui permettront, demain, de protéger les langues régionales et d’initier des pédagogies ? Nous attendons votre réponse sur le sujet afin d’éviter qu’après avoir célébré cette avancée votée par notre assemblée le législateur ou les régions ne soient de nouveau confrontés à des obstacles, notamment d’interprétation constitutionnelle. Madame la garde des sceaux, il vous appartient de clarifier ce point, ou plutôt de confirmer que nous sommes sur la bonne voie, celle que la majorité d’entre nous, manifestement, souhaite emprunter.

M. le président. Monsieur Folliot, souhaitez-vous retirer votre sous-amendement ?

M. Philippe Folliot. Plus on parle des langues régionales, plus on fait progresser leur cause, qui est essentielle. Or non seulement nous avons passé du temps à les évoquer, mais j’ai pris également bonne note des propos de M. le rapporteur et des différentes interventions qui ont enrichi le débat. Je retire le sous-amendement n° 607, ne serait-ce que parce que, sur tous les bancs de notre assemblée, l’avancée que représente l’amendement n° 605 rectifié fait l’unanimité ou presque : je ne voudrais pas la ternir en maintenant un sous-amendement qui, manifestement, fait débat. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. Le sous-amendement n° 607 est retiré.

Je mets aux voix l’amendement n° 605 rectifié.

(L’amendement est adopté.)

M. le président. En conséquence, les amendements n°s 304 et 262 tombent.

M. Arnaud Montebourg. Je demande la parole pour un rappel au règlement.

Rappel au règlement

M. le président. La parole est à M. Arnaud Montebourg, pour un rappel au règlement.

M. Arnaud Montebourg. Une fois n’est pas coutume, monsieur le président, ce rappel au règlement aura un caractère quelque peu solennel. Je tiens en effet à souligner que le travail que nous avons effectué en commission sur la question des langues régionales, au cours duquel tous les groupes ont émis des propositions, a non seulement permis de déblayer le terrain, mais également conduit l’Assemblée nationale à adopter à la quasi-unanimité une avancée décisive, dont les conséquences concrètes, en termes de protection des langues régionales, apparaîtront au fur et à mesure de l’adoption, par chaque institution compétente, de nouvelles normes juridiques. Je le répète : c’est pour nous, socialistes, une avancée positive.

Cette méthode, empreinte d’une certaine lenteur et faite d’écoute mutuelle et de travail en commun, en dépit, parfois, d’une certaine confusion entre amendements, amendements rectifiés et sous-amendements, nous a conduits à nous rassembler autour de la position du président de la commission des lois, rapporteur du texte.

J’ai de nombreux désaccords avec le président Warsmann comme avec la majorité, mais je serais heureux si nous maintenions, à titre de précaution, la méthode employée pour les langues régionales en vue de traiter d’autres points du projet de loi constitutionnelle – j’en ai identifié un certain nombre –, lesquels, à la suite de nos débats en commission, ont donné naissance, sur tous les bancs, à de nombreux amendements qui rejoignent parfois les nôtres et que nous aurons à examiner dans les prochains jours.

Monsieur le président de la commission, c’est ici que nous devons le décider. Le président du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche, Jean-Marc Ayrault, et l’ensemble des membres du groupe, quelle que soit leur sensibilité, souhaitent donner à ce débat toutes ses chances d’aboutir. Monsieur le secrétaire d’État chargé des relations avec le Parlement, vous qui nous regardez d’un œil attentif, vigilant même, sachez que telle est l’optique dans laquelle nous souhaitons travailler jusqu’au bout pour que nos discussions soient fructueuses. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche.)

M. Jean-Marie Le Guen. Très bien !

 

Débat au Sénat
« Modernisation des institutions de la Ve République – Débat sur les langues régionales »
Première lecture
18 juin 2008

Article 1er A

L’article 1er de la Constitution est complété par une phrase ainsi rédigée :

« Les langues régionales appartiennent à son patrimoine. »

M. le président. Je suis saisi de onze amendements faisant l’objet d’une discussion commune. Les six premiers sont identiques.

L’amendement n° 3 rectifié est présenté par M. Charasse, Mme N. Goulet et M. Fortassin.

L’amendement n° 77 est présenté par MM. Gélard, Portelli et Lecerf.

L’amendement n° 145 est présenté par M. Mélenchon.

L’amendement n° 157 est présenté par Mmes Borvo Cohen-Seat, Assassi, Mathon-Poinat et les membres du groupe Communiste Républicain et Citoyen.

L’amendement n° 250 rectifié ter est présenté par M. Gouteyron, Mme B. Dupont, MM. Gournac et Retailleau et Mme Papon.

L’amendement n° 260 rectifié est présenté par MM. Détraigne, Deneux et Merceron, Mme Morin-Desailly et MM. Biwer, Fauchon, J.L. Dupont, C. Gaudin, Zocchetto et Pozzo di Borgo.

Ces amendements sont ainsi libellés :

Supprimer cet article.

La parole est à M. Michel Charasse, pour présenter l’amendement n° 3 rectifié.

M. Michel Charasse. Lorsque l’on parle de réviser la Constitution, les propositions les plus inattendues sont souvent formulées. Je ne suis pas le seul dans cette assemblée à avoir été surpris par l’apparition dans ce projet de révision constitutionnelle, à l’issue des débats de l’Assemblée nationale, d’une mention visant à classer les langues régionales dans le patrimoine de la France.

Car, après tout, on pourrait profiter de la révision de la Constitution pour classer dans le patrimoine national tout ce qui est considéré comme monument historique depuis la loi de 1913, y compris la gastronomie dont la France demande officiellement à l’UNESCO de la reconnaître comme patrimoine de l’humanité ! Si la gastronomie entre dans le patrimoine de l’humanité, elle entre nécessairement dans le patrimoine de la France puisque la France fait partie de l’humanité. Enfin, la potée auvergnate classée monument historique !

M. le président. Et la choucroute !

M. Michel Charasse. C’est une chose que je n’aurais pas cru voir avant ma mort ! (Sourires.)

En tout cas, nous voyons bien que cette mention des langues régionales n’a rien à faire dans la Constitution. (Applaudissements sur plusieurs travées de l’UMP.)

M. Alain Gournac. Rien du tout !

M. Michel Charasse. Que la Constitution dise que le français est la langue de la République – grâce au roi François Ier –, cela va de soi, c’est la base et c’est ce qui définit le mode des échanges, notamment juridiques et officiels. Mais qu’on aille au-delà en ajoutant cette précision concernant les langues régionales, c’est véritablement inouï !

Et si, en plus, cette mention se limite à préciser que les langues régionales font partie du patrimoine, de deux choses l’une : soit il ne sert à rien de l’inscrire dans la Constitution puisque l’on peut parvenir au même résultat par d’autres voies législatives, soit quelque chose d’inavouable se cache derrière.

Certes, notre collègue rapporteur, M. Gélard, nous dit…

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. C’est moi le rapporteur !

M. Michel Charasse. Mon cher ami, veuillez excuser cette erreur !

M. Patrice Gélard. Je ne suis pas vexé !

M. Michel Charasse. Notre collègue rapporteur, M. Hyest – je rends à César ce qui est à César –, nous dit que cette mention n’a pas de portée normative et c’est ce que je crois personnellement.

Mais je suis persuadé que ceux qui l’ont introduite sous cette forme ne sont pas assez naïfs pour introduire dans la Constitution des dispositions non normatives et qu’ils nous cachent quelque chose. En fait, ils cachent leur intention de contourner la décision du Conseil constitutionnel…

M. Adrien Gouteyron. Bien sûr !

M. Michel Charasse. …concernant la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires dont nous savons tous que, compte tenu de ses règles actuelles, la République ne peut pas la ratifier, en raison de certaines de ses dispositions en tout cas, dont le Conseil constitutionnel a dit qu’elles portaient atteinte à l’unicité du peuple français, à l’indivisibilité de la République et au principe d’égalité des citoyens devant la loi, trois fondements essentiels de la République.

Ou cette mention ne veut rien dire et il faut la supprimer, ou elle signifie que l’on pourrait demain considérer, par exemple, que cet élément du patrimoine nécessitant une protection particulière et renforcée, celle-ci passe nécessairement par la ratification de la Charte. Dans le premier cas, c’est inutile, dans le deuxième cas, c’est dangereux, c’est pourquoi je propose la suppression de cet article qui n’a pas sa place dans la Constitution ! (Applaudissements sur plusieurs travées de l’UMP.)

M. le président. La parole est à M. Patrice Gélard, pour présenter l’amendement n° 77.

M. Patrice Gélard. Je suis en parfait accord avec les propos de notre collègue Michel Charasse. J’ajouterai simplement ceci : je ne sais pas très bien ce qu’est le patrimoine national et je crains que, si nous insérons ce type de disposition dans la Constitution, nous n’y retrouvions aussi demain la franc-maçonnerie, le christianisme, les cathédrales, toutes choses qui font aussi partie de notre patrimoine !

M. Jean-Luc Mélenchon. Pas de la même manière, mon cher !

M. Guy Fischer. Provocation !

M. Patrice Gélard. C’est la raison pour laquelle les auteurs de cet amendement demandent la suppression de l’article 1er A.

M. Michel Charasse. Très bien !

M. le président. La parole est à M. Jean-Luc Mélenchon, pour présenter l’amendement n° 145.

AMENDEMENT

présenté par M. MELENCHON

ARTICLE 1ER A

Supprimer cet article.

Objet

Issu d’un amendement de l’Assemblée nationale, l’article 1er A du projet de loi introduit dans l’article 1er de la Constitution une référence aux langues régionales, en indiquant qu’elles « appartiennent » au « patrimoine » de la France.

Cette référence n’a pas sa place dans l’article 1er de la Constitution qui définit la République comme « une et indivisible » en précisant que celle-ci assure « l’égalité de tous les citoyens » « sans distinction d’origine, de race ou de religion ».

Cette définition de la République, qui remonte à sa proclamation en septembre 1792, n’a jamais été contredite par aucune des constitutions républicaines de notre pays. Elle s’oppose à la reconnaissance par la constitution d’un particularisme, quel qu’il soit, dans la mesure où celui ne concerne pas tous les citoyens, et en distingue certains par rapport à d’autres.

Rien ne permet de surcroît de justifier la préférence constitutionnelle ainsi accordée à la seule particularité linguistique régionale, par rapport à d’autres particularités culturelles qui font tout autant partie du patrimoine de la France.

Rien ne justifie enfin que la Constitution reconnaisse les langues régionales avant même de faire référence au français qui n’est mentionné que dans l’article 2 de la Constitution. Cette préséance des langues régionales sur le français renverse la priorité publique accordée dans notre pays à la langue française depuis l’ordonnance de Villers-Cotterêts du 10 août 1539.

M. Jean-Luc Mélenchon. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, notre assemblée connaît déjà ma position à propos des langues régionales. En effet, j’ai eu le privilège d’intervenir sur cette question lors du débat consécutif à la question orale – fort opportune – posée par notre collègue Nicolas Alfonsi.

Récemment, j’ai pris la liberté d’adresser à chacun d’entre vous une présentation argumentée de mes idées. Comme j’ai pu l’observer, nos travaux sont suivis avec beaucoup d’attention par les partisans, qui ne sont pas toujours très raisonnables, de la pratique des langues régionales : ils ont bruyamment fait connaître leur opinion, le plus souvent de manière injurieuse à mon égard et quelquefois de façon plus respectueuse du point de vue que j’exprime ici.

Je ne peux donc faire moins à cet instant que de rappeler qu’il n’est pas question dans mon esprit, ni sans doute dans celui de beaucoup d’entre vous, d’opposer la langue française aux langues régionales ou de nier leur existence, leur intérêt et leur contribution à la constitution même de l’identité des Français.

À la bataille de Valmy, nos ancêtres ne parlaient pas tous la même langue, n’adoraient pas les mêmes dieux, ne pesaient pas dans les mêmes unités de mesure. Pourtant, ils ont contribué tous ensemble à faire l’histoire de la France, et singulièrement la grande rupture républicaine, qui fonde son identité contemporaine.

Nous ne raisonnons pas ici en termes d’opposition entre langue nationale et langue régionale. À l’origine de ce débat, il y a une décision prise dans le cadre du Conseil de l’Europe dont l’objectif était de protéger les minorités nationales dans les pays où celles-ci subissaient des discriminations et des répressions. Notre pays n’est pas concerné car nul en France n’a jamais été poursuivi ou inquiété du fait de son parler maternel, ni interdit d’accès à quelque fonction que ce soit.

Certes, il y a eu autrefois des pratiques « pédagogiques » fort rudes dont on nous rebat les oreilles. Mais il est temps de rappeler que, à l’époque, la pédagogie était dure quelle que soit la matière enseignée. Je ne crois pas qu’il faille sans cesse nous opposer ces exemples pour prouver que notre pays aurait jeté un opprobre particulier sur ceux qui ne parlaient pas la langue française dès leur plus jeune âge. Laissons maintenant cela de côté !

En tant que socialiste – je demande un instant de bienveillance à mes collègues qui ne partagent pas mes convictions –, il serait absurde que je me soustraie à cette communauté intellectuelle qui associe les hommes de gauche à la promotion des langues régionales, dans la droite ligne de Jean Jaurès – prenant la défense de l’occitan – et du communiste Marcel Cachin – faisant de la propagande en breton. Je le rappelle, la première loi qui a reconnu ces langues en France est l’œuvre du député socialiste Maurice Deixonne. La loi Toubon a, certes, permis par la suite que soit élargi le champ des dispositions de la loi Deixonne, mais c’est Lionel Jospin qui, le premier, a permis l’enseignement du corse à tous les niveaux et créé une option langues régionales au baccalauréat ouverte à tous les élèves.

M. Adrien Gouteyron. C’est vrai !

M. Jean-Luc Mélenchon. Par conséquent, il n’y a pas d’ambigüité sur la volonté qui, me semble-t-il, est unanimement partagée de protéger et développer les langues régionales en France. La République française n’opprime personne ; tout au contraire, elle donne les moyens de développer les langues régionales.

M. Michel Charasse. Exact !

M. Jean-Luc Mélenchon. La seule question qui vaille est de se demander si le cadre légal existant permet ou non la pratique et le développement de ces langues. Et c’est bien le cas avec l’ensemble de lois que je viens de rappeler. Cet argument ne peut donc pas nous être opposé.

Certains ont rappelé, avec humour, que bien des particularités appartiennent au patrimoine. Quelles sont donc les intentions de ceux qui veulent introduire les langues régionales dans la Constitution ? Ils estiment certainement que la langue régionale, parce qu’elle est la langue maternelle ou supposée telle, est constitutive de l’identité particulière des personnes. À cette argumentation, nous devons répondre de manière très précautionneuse car il faut respecter ce sentiment si humain, si spontané, si noble. Mais nous devons aussi préciser que bien d’autres particularités sont considérées par nos concitoyens comme définissant leur identité la plus profonde. C’est le cas par exemple de la foi : elle peut être considérée comme étant « reçue » dans des conditions qui s’apparentent à celles de la transmission de la langue.

La République française respecte et garantit la liberté de conscience ; il n’est donc pas besoin d’introduire cette particularité dans la Constitution.

Alors, je le répète, pourquoi nous le demande-t-on ? Je crains que la bonne volonté de ceux qui s’enthousiasment à juste titre pour le développement des langues régionales n’ait été surprise. Il existe un parti « ethniciste » qui veut faire introduire dans la Constitution une référence à ces langues. Aujourd’hui, cette inscription à l’article 1er peut paraître inoffensive mais, il faut le rappeler, c’est le Gouvernement qui a fait retirer les premiers amendements déposés sur ce sujet à l’Assemblée nationale visant explicitement à permettre l’application possible de la Charte des langues régionales. La rédaction proposée pour l’article 1er est une version rendue « inoffensive » de ces amendements.

M. le président. Veuillez conclure, monsieur Jean-Luc Mélenchon.

M. Jean-Luc Mélenchon. Il n’empêche : il est temps d’affirmer avec fierté que la patrie républicaine ne réprime pas les langues et que nous n’avons donc pas besoin d’introduire une telle disposition dans la Constitution. Ce seul fait ferait porter un soupçon sur l’équanimité de cette République. Par voie de conséquence et en toute logique, cette mention pourrait, à terme, être intégrée à l’article 2, et la charte des langues régionales être inscrite dans la Constitution.

La France appliquait l’essentiel des dispositions de la Charte avant même qu’elle soit promulguée.

M. Michel Charasse. Absolument !

M. Jean-Luc Mélenchon. Celles qu’elle n’applique pas sont celles qui ont été déclarées anticonstitutionnelles au motif qu’elles créaient une différence de droits fondée sur la locution.

Nous n’admettons pas que des différences de droits soient créées à raison de particularités. La laïcité de la République, son unité, son indivisibilité l’exigent autant que le simple bon sens et la raison. (M. Robert Bret applaudit.)

M. Michel Charasse. Très bien !

M. le président. La parole est à M. Ivan Renar, pour présenter l’amendement n° 157.

M. Ivan Renar. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, nous, sénateurs communistes, souhaitons tout d’abord réaffirmer que nous avons toujours été de fervents militants du plurilinguisme et de la diversité culturelle. À cet égard, les langues régionales font indiscutablement partie de cette riche et indispensable diversité qu’il convient de préserver. C’est pourquoi nous avons toujours soutenu leur pratique et leur enseignement. Pour autant, nous ne sommes pas favorables à leur inscription dans l’article 1er de la Constitution : cela ne contribuerait pas pour autant à les rendre plus vivantes, mais conduirait avec certitude à écorner les grands principes de notre République.

Le premier article de la Constitution définit la République comme l’œuvre de tous et appartenant à tous, quelles que soient les particularités de chacun. Ainsi, la République consacre ce qui rapproche les citoyens contre ce qui les divise. La meilleure façon de protéger les particularismes est bien de garantir leur libre expression privée en les protégeant de toute ingérence publique.

Pourquoi alors introduire ce particularisme et pas un autre ? Et demain, est-ce que ce sera le tour de la religion ? Cela risque d’apparaître discriminatoire et d’ouvrir la voie à une division entre citoyens contraire à l’esprit de notre République.

Ne serait-ce qu’en matière linguistique, les personnes pratiquant des langues dites des migrants, d’ailleurs plus nombreuses que celles qui pratiquent une langue régionale, ne pourraient-elles pas légitimement par exemple se sentir victimes de discriminations ?

Le français est une langue mouvante qui ne cesse d’évoluer et, aujourd’hui comme hier, c’est le parler populaire qui lui apporte ses nouvelles lettres de noblesse. Les nouveaux mots courants apparus ces dernières années doivent beaucoup aux parlers, aux métissages des cultures et à la culture des quartiers populaires. Les langues importées par l’immigration ont en effet introduit une syntaxe, une prononciation et un lexique nouveaux qui ont une incidence certaine sur notre langue.

Pourquoi la Constitution évoquerait les langues régionales, qui plus est avant le français qui n’est mentionné qu’à l’article 2 ? Et ce, alors même que notre langue nationale est de plus en plus menacée, y compris dans les instances internationales ou européennes où elle est pourtant l’une des langues officielles. Dans le contexte de mondialisation actuelle où de nombreuses langues nationales sont de plus en plus mises en danger par l’usage de l’anglais qui devient hégémonique, la priorité reste de consolider la place du français, y compris sur l’échiquier international. « Union européenne : alerte sur les langues » titrait Le Monde en date du 10 juin : l’article soulignait que le français et l’allemand, deux des trois langues de travail de l’Union européenne qui compte vingt-trois idiomes officiels, continuent de perdre du terrain à Bruxelles au profit de l’anglais.

En mars 2006 à Bruxelles, Jacques Chirac, alors Président de la République, avait quitté la salle du Conseil, refusant d’entendre le français Ernest-Antoine Seillière, président du patronat français, s’exprimer en anglais, qui est devenu la langue de l’économie dominante. Le président Chirac avait bien raison, car, comme le disait Stendhal, « le premier instrument du génie d’un peuple, c’est sa langue ».

Comment ne pas relayer l’inquiétude de l’Académie française quant à la reconnaissance des langues régionales dans la Constitution ? C’est une démarche extrêmement rare de la part de cette vénérable institution.

L’Académie « qui a reçu le mandat de veiller à la langue française dans son usage et son rayonnement » demande « le retrait de ce texte dont les excellentes intentions peuvent et doivent s’exprimer ailleurs, mais qui n’a pas sa place dans la Constitution ». Les académiciens contestent en particulier la primauté donnée aux langues régionales, désormais inscrites dans l’article 1er de la Constitution alors que la langue française reste mentionnée dans l’article 2. « Depuis plus de cinq siècles, la langue française a forgé la France. Par un juste retour, notre Constitution a, dans son article 2, reconnu cette évidence : “ La langue de la République est le français”. »

Même si elle ne l’a pas ratifiée, la France applique de nombreux articles de la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires. La législation française prend déjà en compte le fait linguistique régional, même si cette législation doit être encore améliorée car unité du pays ne signifie pas pour autant uniformisation. Les langues régionales font bien sûr partie du patrimoine de la France ! C’est tellement évident ! Mais pourquoi l’inscrire dans la Constitution ?

Le français est avant tout une langue fédératrice, qui permet de donner corps aux principes de liberté, d’égalité et de fraternité de notre République. Tous différents, nous sommes tous égaux en droits. Ainsi, l’ordonnance de Villers-Cotterêts qui a institué sous François Ier le français comme langue du royaume permet à chacun de se faire comprendre et de comprendre les autres, de se défendre, de témoigner, d’ester en justice. Remettre en question cette ordonnance, ainsi que le prévoit pourtant la Charte européenne, constituerait un net recul, comme l’a d’ailleurs confirmé le Conseil constitutionnel en 1999. L’usage du français pour les actes législatifs et les autres documents est une nécessité politique démocratique.

M. le président. Veuillez conclure, monsieur Renar.

M. Ivan Renar. Si, depuis la révision constitutionnelle de 1992, l’article 2 du texte fondamental précise que « la langue de la République est le français », c’est pour lutter non pas contre les langues régionales, mais contre l’envahissement de l’anglais.

Mme Christine Albanel a annoncé le dépôt d’un projet de loi destiné à « normaliser et organiser l’apprentissage et l’emploi des langues régionales ».

M. Adrien Gouteyron. Tout à fait !

M. Ivan Renar. Alors que l’État ne cesse de se désengager et que de nombreux enseignements sont aujourd’hui en souffrance, on peut craindre qu’une telle loi ne voie ses effets limités si elle n’est pas accompagnée des moyens nécessaires de l’État qui font déjà cruellement défaut. Alors qu’il n’y aurait aucun intérêt à faire lire La Princesse de Clèves à l’école, comment croire alors que les poètes Frédéric Mistral et Jules Mousseron trouveraient soudain une place de choix dans les programmes ?

M. le président. Concluez, monsieur Renar !

M. Ivan Renar. La promotion des langues et des cultures régionales est un élément de culture important. Je dis souvent que l’universel, c’est le local sans les murs. En revanche, cela ne doit pas s’apparenter à un enfermement régionaliste ou communautariste, bien au contraire ! Posséder des racines ne doit pas empêcher d’avoir des ailes. On ne rappellera jamais assez que nous appartenons à une communauté qui s’appelle l’humanité. Pour cette raison, nous devons tous voter les amendements qui visent à supprimer la phrase proposée à l’article 1er A pour compléter l’article 1er de la Constitution. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC. – MM. Jean-Luc Mélenchon et Michel Charasse applaudissent également.)

M. le président. La parole est à M. Adrien Gouteyron, pour présenter l’amendement n° 250 rectifié ter.

M. Adrien Gouteyron. Tout d’abord, je me réjouis que plusieurs amendements de suppression de l’article 1er A du projet de loi constitutionnelle émanent des différentes travées de la Haute Assemblée. C’est déjà un signe.

Tout à l’heure, plusieurs orateurs ont fait référence à « ce qui nous rassemble ». À mon sens, l’article 1er de la Constitution est fait pour rappeler ce qui nous rassemble, et non ce qui nous distingue.

Mes chers collègues, prenons le texte. Actuellement, l’article 1er dispose : « La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale. Elle assure l’égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d’origine, de race ou de religion. Elle respecte toutes les croyances. Son organisation est décentralisée. » L’article 1er A du projet de loi vise à ajouter les mots : « Les langues régionales appartiennent à son patrimoine. »

Sentez-vous, comme moi, le décalage et la chute ? (M. Michel Charasse acquiesce.) Une telle mention est-elle à la hauteur d’une loi constitutionnelle ? Je pense véritablement que non.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. L’organisation « décentralisée » de la République n’en est pas à la hauteur non plus !

M. Adrien Gouteyron. C’est la première raison pour laquelle j’ai déposé cet amendement de suppression.

Pour ma part, je suis également attaché aux langues régionales. D’ailleurs, je fais partie de membres de cette assemblée qui en parlent une correctement, et qui la comprennent parfaitement.

Simplement, je songe en ce moment à ceux qui, chez moi, m’ont enseigné le français. Même s’ils parlaient une langue régionale, ils considéraient que la langue de notre pays, c’est le français.

Mes chers collègues, je crois sincèrement que le sujet dont nous débattons actuellement n’est ni mineur ni anecdotique. Il est essentiel.

À l’article 1er de la Constitution, nous devons, me semble-t-il, affirmer ce qui nous rassemble, et non ce qui nous distingue. Or, avec le dispositif que le présent article 1er A vise à instituer, nous sommes, je le crois, dans ce qui nous distingue.

S’agissant de la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires, je rejoins totalement la position qui a été défendue par plusieurs de nos collèges. En réalité, même s’il n’est pas avoué, le véritable motif de l’insertion d’une telle disposition à l’article 1er de la Constitution est bien de conduire la France là où elle ne veut pas aller.

Si nous nous engagions dans une telle voie, ce n’est pas un quelconque document interprétatif – je rappelle que Jacques Chirac et Lionel Jospin, qui étaient alors respectivement Président de la République et Premier ministre, avaient déjà signé une déclaration interprétative en 1999 – qui nous empêcherait d’être soumis aux obligations de la Charte, car il n’aurait pas une valeur juridique suffisante.

Par conséquent, mes chers collègues, ne nous laissons pas aller et supprimons la référence aux langues régionales qui nous est ici proposée. (Applaudissements sur plusieurs travées de l’UMP et de l’UC-UDF. – M. Michel Charasse applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. Yves Détraigne, pour présenter l’amendement n° 260 rectifié.

M. Yves Détraigne. Moi aussi, je me réjouis de constater que des amendements identiques ont été déposés par des collègues venant de tous les groupes politiques représentés dans notre Haute Assemblée. En effet, il s’agit d’un sujet important.

Naturellement, je partage ce qui a été souligné par la plupart de nos collègues.

Certes, et je ne le conteste pas, les langues régionales appartiennent à notre histoire. À ce titre, elles sont l’un des éléments constitutifs de notre patrimoine.

Pour autant, je ne vois pas – ou, plutôt, je ne le vois que trop bien – pourquoi certains voudraient leur attribuer une existence constitutionnelle. Comme cela a été rappelé à plusieurs reprises, la Constitution est la loi fondamentale. Nous ne pouvons pas en faire un texte déclaratif qui contiendrait un certain nombre de dispositions uniquement destinées à faire plaisir aux uns ou aux autres.

La Constitution est la loi qui régit le fonctionnement de nos institutions. Or je ne vois pas en quoi la pratique des langues régionales relève du fonctionnement de nos institutions. Plus précisément, je redoute que l’on ne prenne ensuite prétexte d’une telle disposition pour rendre obligatoire l’apprentissage des langues régionales ou pour imposer la communication des documents publics dans deux langues, le français et la langue régionale locale. Nous mettrions ainsi le doigt dans un engrenage qui conduirait à une remise en cause de notre unité nationale.

En outre, et cela a été soulevé par plusieurs orateurs, si nous devions reconnaître l’appartenance des langues régionales à notre patrimoine, pourquoi nous limiterions-nous à celles-ci ? Pourquoi ne pas également mentionner nos paysages ou notre patrimoine bâti ?

M. le président. Vosgien, par exemple !

M. Yves Détraigne. En tant que Marnais, je pourrais par exemple exiger la reconnaissance constitutionnelle de la cathédrale de Reims, qui a accueilli le baptême de Clovis par Saint Remi. C’est évidemment également un élément constitutif de notre patrimoine.

M. Nicolas About. Et le château de Versailles !

M. Yves Détraigne. En effet, pourquoi ne pas évoquer aussi dans la Constitution le château de Versailles ? Nous pourrions même y faire figurer nos spécialités culinaires. Le cassoulet, c’est important ; cela participe à notre réputation ! (Rires.)

M. Philippe Marini. Et le champagne ! Ne l’oublions pas ! (Mêmes mouvements.)

M. Yves Détraigne. Effectivement, mon cher collègue.

Quoi qu’il en soit, préservons notre loi fondamentale. N’entrons pas dans ce jeu qui consisterait à y faire figurer de simples déclarations – ce n’est pas l’objet d’une Constitution – pour faire plaisir aux uns ou aux autres. (Applaudissements sur plusieurs travées de l’UC-UDF et de l’UMP.)

M. le président. Six des onze amendements faisant l’objet d’une discussion commune ont déjà été présentés.

L’amendement n° 95, présenté par M. Hyest, au nom de la commission des lois, est ainsi libellé :

Rédiger comme suit cet article :

I. L’article 1er de la Constitution est complété par une phrase ainsi rédigée :

« Les langues régionales appartiennent à son patrimoine. »

II. – Le même article est complété par un alinéa ainsi rédigé :

« La loi favorise l’égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et fonctions électives, ainsi qu’aux responsabilités professionnelles et sociales. »

III. En conséquence, le dernier alinéa de l’article 3 de la Constitution est supprimé.

La parole est à M. le rapporteur.

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale, rapporteur. Cet amendement a deux objets. C’est en cela que la situation est un peu plus compliquée.

D’ailleurs, si les amendements identiques tendant à supprimer l’article 1er A étaient adoptés, nous serions amenés à scinder cet amendement en deux, pour n’en conserver que la seconde partie.

La commission des lois du Sénat a décidé de maintenir l’article 1er A dans sa rédaction issue des travaux de l’Assemblée nationale, où les débats ont été extrêmement longs et parfois vifs. En effet, les commissaires ont estimé que la reconnaissance constitutionnelle de l’appartenance des langues régionales à notre patrimoine n’aurait pas pour effet d’obliger la France à ratifier la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires. De ce point de vue, j’ai suivi les débats sur le sujet à l’Assemblée nationale.

La commission a jugé qu’il n’était pas nécessaire de supprimer la disposition adoptée par nos collègues députés.

Un autre point a été très débattu. Faut-il mentionner les langues régionales dès l’article 1er de la Constitution, alors que la disposition selon laquelle la langue de la République est le français ne figure qu’à l’article 2 ? C’est effectivement une question importante.

Certes, la solution retenue par nos collègues députés me laisse un peu sceptique. Mais il est vrai que l’article 2 de la Constitution fait partie des dispositions relatives à la « souveraineté ». Or, si la langue française relève bien de la souveraineté, ce n’est certainement pas le cas des langues régionales. Vous le voyez, nous sommes dans une situation difficile.

Ce qu’il nous faudrait, ce serait, en quelque sorte, un « article-balai » qui contiendrait des dispositions à caractère déclaratif, mais sans grande portée juridique. Malheureusement, un tel article n’existe pas dans la Constitution… (Sourires.)

Telle est la difficulté dans laquelle nous nous trouvons. J’ai écouté les différents arguments qui ont été échangés. D’ailleurs, des problèmes similaires risquent d’apparaître dans quelques instants, lorsque nous examinerons les propositions ayant trait à la francophonie, sujet sur lequel notre collègue Legendre a émis des suggestions extrêmement intéressantes.

En revanche, la seconde partie de l’amendement vise à insérer les dispositions relatives à l’égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et aux fonctions électives, ainsi qu’aux responsabilités professionnelles et sociales, à l’article 1er de la Constitution.

Dans sa rédaction actuelle, le projet de loi constitutionnelle tend à faire figurer « l’égal accès des femmes et des hommes aux responsabilités professionnelles et sociales » à l’article 34. Pour ma part, je pense qu’une telle disposition a tout à fait sa place à l’article 1er.

Monsieur le président, si vous le permettez, je propose de vous donner tout de suite l’avis de la commission sur les amendements tendant à supprimer l’article 1er A.

Comme vous l’avez compris, la commission souhaite le maintien de la mention des langues régionales dans la Constitution. (Murmures ironiques.)

M. Michel Charasse. Le rapporteur rapporte !

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Dès lors, je suis tenu d’émettre un avis défavorable sur les amendements de suppression.

Toutefois, comme d’éminents membres de la commission qui avaient voté le maintien de l’article 1er A en demandent à présent la suppression, je suis extrêmement embarrassé sur le sujet. (Exclamations amusées.)

M. le président. L’amendement n° 95 est assorti de huit sous-amendements.

Le sous-amendement n° 304 rectifié, présenté par MM. Béteille et de Richemont, est ainsi libellé :

Supprimer le I de l’amendement n° 95.

La parole est à M. Laurent Béteille.

M. Laurent Béteille. J’aurais pu reprendre la plupart des arguments qui ont été évoqués par les différents orateurs ayant défendu des amendements de suppression de l’article 1er A.

Cela dit, j’ai préféré déposer un sous-amendement à l’amendement de la commission. J’en profite pour signaler à M. le président de la commission que je regrette de n’avoir pas pu assister à la réunion au cours de laquelle cet amendement a été approuvé.

L’amendement n° 95 a deux objets. Il vise, d’une part, à reprendre le texte relatif aux langues régionales adopté par l’Assemblée nationale et, d’autre part, à insérer des dispositions relatives à l’égalité professionnelle et sociale des femmes et des hommes.

Pour ma part, je ne souhaite pas la suppression de la seconde partie de cet amendement. En effet, dès lors que l’article 1er de la Constitution vise à proscrire toute discrimination, on peut y faire figurer une disposition destinée à lutter contre les discriminations entre les hommes et les femmes.

Certes, le texte qui nous est proposé manque un peu de concision. Personnellement, j’aurais volontiers suivi les explications que M. Robert Badinter nous a apportées tout à l’heure. Nous aurions ainsi pu insérer les mots « de sexe » après les mots « d’origine, de race ou de religion » à l’article 1er de la Constitution.

Ce sous-amendement vise à supprimer la référence totalement incongrue et baroque aux langues régionales. Je ne reprendrai pas les arguments qui ont été énoncés de manière tout à fait convaincante par les différents intervenants. Mais je pense qu’une telle phrase n’a sûrement pas sa place dans notre Constitution. (Mme Janine Rozier et M. Jackie Pierre applaudissent.)

M. le président. Le sous-amendement n° 38 rectifié bis, présenté par M. Cointat et Mmes Garriaud-Maylam et Kammermann, est ainsi libellé :

Compléter le second alinéa du I de l’amendement n° 95 par le mot : culturel

La parole est à M. Christian Cointat.

M. Christian Cointat. J’aurais été tenté de soutenir les amendements tendant à supprimer la référence aux langues régionales dans la Constitution.

Mais, nous devons en être bien conscients, l’histoire des peuples et celle de leur langue sont intimement liées. Nos concitoyens qui vivent dans des régions sont très attachés à cet héritage du passé que représentent les langues régionales.

Certes, le patrimoine de la République française est très vaste. Mais les langues doivent faire l’objet d’un traitement séparé, car elles font partie des racines de certains de nos concitoyens.

Un poète breton a prononcé cette phrase très belle : « La Bretagne est une province de l’âme avant d’être une terre que l’on habite. » Cela vaut également pour toutes les autres régions. L’histoire de la langue fait également partie intégrante de l’individu.

Dans ces conditions, faut-il supprimer l’article 1er A du projet de loi constitutionnelle ? Peut-être.

Mais n’y a-t-il pas une autre manière de contourner l’obstacle ? Si nous devons faire en sorte que les langues régionales ne deviennent pas un outil de communication, car cela créerait des frontières linguistiques portant atteinte à l’unité de la République, elles constituent également une richesse culturelle.

C’est pourquoi ce sous-amendement a pour objet d’ajouter l’adjectif « culturel » après les mots « Les langues régionales appartiennent à son patrimoine » Ce n’est pas anodin. Une telle précision a pour vocation de démontrer que les langues régionales sont un élément de richesse culturelle, et en aucun un vecteur de communication.

La langue française fait également partie du patrimoine. Mais, en plus d’un élément culturel, c’est un outil de communication. Les langues régionales, quant à elles, doivent seulement faire partie de la richesse culturelle.

M. le président. Le sous-amendement n° 4 rectifié bis, présenté par M. Charasse, Mme N. Goulet et M. Fortassin, est ainsi libellé :

Compléter le second alinéa du I de l’amendement n° 95 par une phrase ainsi rédigée :

Leur usage et leur pratique ne peuvent remettre en cause les principes constitutionnels d’indivisibilité de la République, d’égalité devant la loi et d’unicité du Peuple français.

La parole est à M. Michel Charasse.

M. Michel Charasse. Monsieur le président, lorsque vous consulterez le Sénat tout à l’heure, nous aurons finalement deux solutions.

La première, c’est la suppression de l’article introduit par l’Assemblée nationale. Là, ce sera clair et net. Et nous venons de voir l’ensemble des amendements de suppression, auxquels je rajouterai celui qui a été défendu voilà quelques instants par M. Béteille, qui est un sous-amendement, mais qui revient au même, pour la première partie de l’amendement de la commission.

Ou bien, seconde solution, adopter l’amendement de M. Hyest. Le sous-amendement que je vous propose est la transformation d’un amendement qui figure un peu plus loin dans le dérouleur distribué.

Dans l’hypothèse où l’amendement de la commission serait adopté, je vous proposerais d’en préciser le paragraphe I en ajoutant la phrase suivante : « Leur usage et leur pratique ne peuvent remettre en cause les principes constitutionnels d’indivisibilité de la République, d’égalité devant la loi et d’unicité du Peuple français. »

Il s’agit exactement des mentions utilisées par le Conseil constitutionnel dans sa décision du 15 juin 1999, décision qui nous met à l’abri de toute tentative de transposition « à la hussarde » des dispositions de la Charte européenne des langues régionales qui ont été jugées incompatibles avec les grands principes de la République française.

[…]

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Je rappelle que la disposition votée par l’Assemblée nationale ne porte en rien atteinte aux principes constitutionnels d’indivisibilité de la République, d’égalité devant la loi et d’unicité du peuple français.

Il s’agissait, pour les députés, d’indiquer dans notre Constitution la valeur et la place des langues régionales dans notre patrimoine.

Ce patrimoine linguistique est le plus riche d’Europe, avec soixante-dix-neuf langues identifiées, notamment celles qui existent dans les collectivités d’outre-mer et dont certaines sont d’ailleurs en voie de disparition.

M. Michel Charasse. Certaines sont de vraies langues, d’autres ne le sont pas !

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Je pense ainsi au marquisien, mais il en est beaucoup d’autres, que certains de nos collègues élus de l’outre-mer parlent quasiment sans difficulté.

Les questions liées aux langues sont délicates et complexes, car la langue est un élément important de notre identité nationale et un instrument de communication.

Je rappelle la décision du Conseil constitutionnel en date du 15 juin 1999, que certains ont évoquée et qui affirme l’obligation d’utiliser le français, langue de la République, dans la sphère publique. Elle autorise par ailleurs les enseignements en langue régionale, sous réserve qu’ils ne soient pas obligatoires et ne portent pas préjudice aux exigences du service public de l’enseignement.

La disposition adoptée par l’Assemblée nationale ne diminue aucunement la place du français dans notre sphère publique, place qui est affirmée depuis l’ordonnance de Villers-Cotterêts de 1539, laquelle en a imposé l’usage aux parlements et aux tribunaux.

La commission des lois a donc considéré qu’il ne fallait pas exagérer la portée de la reconnaissance qui serait ainsi accordée aux langues régionales. Même si le débat qui a eu lieu à l’Assemblée nationale n’a certes pas été des plus limpides sur ce sujet, la disposition introduite ne permettrait nullement de ratifier la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires.

Tel est le point de vue de la commission des lois. C’est d’ailleurs pour cette raison que l’amendement n° 95 reprend cette disposition, sans la modifier.

À ce titre, et sans vouloir rouvrir un débat qui a été extrêmement complexe à l’Assemblée nationale, la commission émet un avis défavorable sur les amendements identiques de suppression.

Si ceux-ci étaient adoptés, l’amendement de la commission ainsi que les sous-amendements afférents deviendraient sans objet. Dans ce cas, afin d’inscrire dans l’article 1er la référence à l’égalité professionnelle et sociale entre les femmes et les hommes, je déposerais au nom de la commission des lois un nouvel amendement tendant à insérer un article additionnel, qui ne comprendrait que la seconde partie de l’amendement n° 95.

[ …]

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Rachida Dati, garde des sceaux, ministre de la justice. Si vous me le permettez, monsieur le président, je traiterai d’abord les amendements relatifs aux langues régionales, puis les autres.

Les langues régionales sont abordées dans les amendements nos 3 rectifié, 77, 145, 157, 250 rectifié ter, 260 rectifié, les sous-amendements nos 304 rectifié, 4 rectifié bis et 38 rectifié bis ainsi que les amendements nos 57 rectifié et 356.

L’article 1erA relatif aux langues régionales résulte d’un amendement introduit par les députés. Il dispose que les langues régionales appartiennent au patrimoine de la France. Je constate, en cet instant, l’existence d’un profond désaccord entre le Sénat et l’Assemblée nationale sur cette question.

Plusieurs sénateurs UMP. Heureusement !

Mme Rachida Dati, garde des sceaux. Je tiens à préciser que, initialement, cet article ne faisait pas partie du projet de loi constitutionnelle. Nous avons trouvé un compromis relatif à l’inscription des langues régionales dans la Constitution.

M. Dominique Braye. On va vous aider ! (Sourires.)

Mme Rachida Dati, garde des sceaux. Plusieurs amendements, qui vont d’ailleurs bien au-delà de la position de la commission des lois, tendent à la suppression de cette mesure.

Pour plusieurs d’entre vous, mesdames, messieurs les sénateurs, une telle disposition n’est pas normative et n’a donc pas sa place dans la Constitution. Selon vous, monsieur Gouteyron, elle remet même en cause les principes d’égalité des citoyens, d’indivisibilité et d’unicité de la République.

Comme vous le savez, de nombreux députés ont manifesté leur grand attachement à la reconnaissance des langues régionales – ils voulaient même que l’on aille bien au-delà – et ils ont souhaité que celui-ci se traduise par une inscription dans la Constitution. Ils ont estimé que le projet de loi annoncé par le Gouvernement tendant à faire mieux vivre les langues régionales dans notre pays était positif, mais qu’une reconnaissance plus solennelle était nécessaire.

Cet amendement répond également aux souhaits émis par nombre d’entre vous lors du débat sur les langues régionales qui a eu lieu ici même le 13 mai dernier.

Il ne s’agit absolument pas de remettre en cause l’article 2 de la Constitution qui dispose que « La langue de la République est le Français ». C’est pourquoi le Gouvernement n’a pas souhaité que les langues régionales soient visées à cet article. Ce point a également fait l’objet d’un débat à l’Assemblée nationale.

Il ne s’agit pas non plus de créer le droit pour les particuliers d’exiger des administrations l’usage d’une autre langue que le français ou des droits spécifiques pour des groupes.

Il s’agit de reconnaître que les langues régionales sont une richesse de notre patrimoine. Elles font partie de notre identité.

M. Michel Charasse. Comme la bouillabaisse !

Mme Rachida Dati, garde des sceaux. Il convient donc de les préserver.

Monsieur Charasse, vous dites que l’usage et la pratique des langues régionales ne doivent pas remettre en cause les principes constitutionnels d’indivisibilité de la République, d’égalité devant la loi et d’unicité du peuple français. Je suis entièrement d’accord avec vous. C’est pourquoi il est proposé de faire figurer ces langues à l’article 1er de la Constitution.

Les principes constitutionnels que vous avez rappelés doivent demeurer, et l’amendement adopté par l’Assemblée nationale ne les remet absolument pas en cause, puisqu’il s’agit, je le rappelle, d’un compromis entre le Gouvernement et les députés. Il ne reconnaît en aucune manière des droits particuliers à des groupes de locuteurs. L’indivisibilité du territoire, l’unicité du peuple français, l’égalité devant la loi ne sont donc pas écornées.

Pour toutes ces raisons, j’estime que les amendements de suppression ou de précision qui ont été présentés sont inutiles.

Monsieur Cointat, vous proposez d’ajouter l’adjectif « culturel » après le mot « patrimoine ». Je ne crois pas que cet ajout soit nécessaire. Le terme « patrimoine » est suffisamment clair et global. (M. Christian Cointat fait un signe de dénégation.) Le patrimoine de la France est notre héritage commun. Il n’est pas nécessaire de le qualifier. Si l’expression « patrimoine culturel » était retenue, demain pourrait être demandée la reconnaissance du patrimoine architectural ou historique. Le Gouvernement émet donc un avis défavorable sur votre sous-amendement n° 38 rectifié bis.

Certains d’entre vous, mesdames, messieurs les sénateurs, font valoir qu’une telle disposition aurait mieux sa place à l’article 2 de la Constitution. Tel fut le débat à l’Assemblée nationale. Nombre de députés ont d’ailleurs hésité. J’estime que le choix effectué, à savoir le maintien de cette disposition à l’article 1er, fut le bon.

En effet, l’article 2 de la Constitution concerne la République et s’inscrit dans le titre Ier, consacré à la souveraineté. Le français est la langue de la République française, comme il est la langue de la France, ainsi que vous l’avez rappelé tout à l’heure, monsieur Renar, depuis l’ordonnance de Villers-Cotterêts de 1539.

L’article 1er est relatif à la France, dans toute sa diversité, acceptée et assumée, au nom du principe d’égalité devant la loi et du respect des différences. Cette diversité est prise en compte sur le plan administratif, notamment par l’organisation décentralisée. C’est pourquoi le Gouvernement a estimé que les langues régionales avaient leur place dans cet article, qui mentionne l’organisation décentralisée de la République.

Dans cette reconnaissance de notre diversité, les langues régionales ont toute leur place. Le Gouvernement émet donc un avis défavorable sur les amendements et sous-amendements que j’ai cités au début de mon intervention. […]

M. le président. La parole est à M. Nicolas Alfonsi, pour explication de vote sur les amendements identiques de suppression.

M. Nicolas Alfonsi. En premier lieu, je serai beaucoup plus mesuré que ceux des orateurs précédents qui ont comparé, de façon quelque peu abusive, les langues régionales avec la gastronomie, les cathédrales ou le champagne. Le sujet dont nous discutons me paraît suffisamment sérieux pour que nous évitions ce genre de comparaisons.

Il me semble, en second lieu, que si nous devons parvenir à un accord sur un point, c’est bien celui de l’inscription de ces mesures à l’article 1er de la Constitution ; nous partageons en effet tous le même sentiment à cet égard. Seul persiste le problème de l’opportunité de cette inscription.

Il faut remettre les choses en perspective et simplifier le débat qui nous occupe.

Au fond, ces deux heures de discussion symbolisent la politique de « l’entrisme », si j’ose dire, permanent menée par ceux qui souhaitent inscrire les langues régionales dans la Constitution.

J’ai noté, sur ce point, une évolution très sensible de la position du Gouvernement. En effet, à l’occasion d’une question orale avec débat que j’avais posée le 13 mai dernier, j’avais cru comprendre que le Gouvernement, qui avait anticipé ce débat en faisant une déclaration sur les langues régionales le 7 mai, souhaitait, par cette initiative, déminer le débat pour ne plus avoir à en parler à l’occasion de la révision constitutionnelle.

Or l’Assemblée nationale a saisi l’opportunité de cette réforme pour insérer dans la Constitution ces mesures relatives aux langues régionales. S’agit-il, de la part du Gouvernement, d’une faiblesse ou d’une décision de circonstance consistant à s’en remettre à la sagesse des parlementaires, compte tenu des difficultés qu’il rencontre par ailleurs ? Je n’en sais rien ! Toujours est-il que le Gouvernement est revenu sur sa position : alors qu’il refusait le débat voilà un mois, il a subitement changé d’avis et décidé d’inscrire ces dispositions à l’article 1er A du projet de loi constitutionnelle.

Notre collègue Adrien Gouteyron a parlé d’un sentiment de chute. J’ajouterai que le mot « culturel » accentue la chute. Nous avons l’impression d’un effilochage du texte constitutionnel, notamment s’agissant de l’article 1er de la Constitution.

Quel est le vrai débat qui nous occupe aujourd’hui ?

Compte tenu de la politique de l’entrisme – par précaution, je ne parle pas de lobbying car, à titre personnel, je voterai l’article 1er A – et de bouclage permanent menée par ceux qui souhaitent l’inscription des langues régionales dans la Constitution, le seul problème qui se pose concerne la position qu’adoptera, à l’avenir, le Conseil constitutionnel.

Notre ami Michel Charasse a rappelé quels étaient les principes essentiels du Conseil constitutionnel, dans le cadre de l’indivisibilité de la République. Si la phrase concernant les langues régionales avait été inscrite à l’article 2 de la Constitution, peut-être aurait-on pu en conclure qu’une évolution sensible s’était produite. On voit bien quelle précaution le Gouvernement a voulu prendre en l’inscrivant à l’article 1er : il a souhaité manifester sa volonté de dire au Conseil constitutionnel : ne touchons à rien et ne ratifions surtout pas la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires !

Le débat est engagé ! Je n’ai pas de réponse à la question, mais je sais que je voterai contre ces amendements de suppression.

M. le président. La parole est à M. José Balarello.

M. José Balarello. En ce qui me concerne, je suis partisan de la suppression pure et simple de la mention des langues régionales dans la Constitution.

J’attire en effet votre attention, mes chers collègues, sur le fait que, si nous acceptons cette rédaction, nous risquons de favoriser l’apparition de très nombreux contentieux, émanant de personnes qui pratiquent quelquefois la démagogie et qui, au prétexte de défendre l’identité du territoire, l’appartenance à un comté – et je sais de quoi je parle ! – ou à une province, exigeront que les arrêtés municipaux, voire préfectoraux, soient rédigés dans la langue régionale ou locale.

M. Michel Charasse. Comme au Moyen Âge !

M. José Balarello. Ils pourront également exiger que la langue locale soit utilisée pendant les débats municipaux et, si les autorités le leur refusent, lancer d’interminables contentieux, largement médiatisés.

M. Dominique Braye. Absolument !

M. le président. La parole est à M. François Fortassin.

M. François Fortassin. Je souhaite tout d’abord expliquer pourquoi j’ai cosigné les amendements déposés par Michel Charasse.

Pratiquant une langue régionale, en l’occurrence le gascon, langue que j’ai même enseignée dans une vie antérieure, et en tant que militant de la défense des langues régionales, je comprends parfaitement ceux qui ont souhaité le renforcement de la reconnaissance de ces langues, dont l’usage s’étiole dangereusement.

Je suis malgré tout favorable à ces amendements de suppression, car le danger existe de voir apparaître de nombreuses dérives. Pour ma part, je défends tout ce qui peut renforcer l’unicité de la République et le principe de laïcité.

On peut être pour les langues régionales sans, pour autant, graver leur appartenance au patrimoine dans le marbre de la Constitution.

Pour conclure sur un mode plaisant, je dirai qu’au fond, si nous ne nous exprimons pas aujourd’hui en gascon dans cette assemblée, comme je pourrais le faire, c’est tout simplement parce que cette langue merveilleuse, qui était celle de la cour de Nérac, a été abandonnée en raison du trop grand succès d’Henri IV. (Rires et applaudissements sur des travées du RDSE, de l’UC-UDF et de l’UMP.)

M. le président. La parole est à M. François Marc.

M. François Marc. Le président Jean-Jacques Hyest nous a dit tout à l’heure que beaucoup de choses avaient été dites et redites sur ce sujet. Pour notre part, nous sommes peu intervenus dans le débat, car l’amendement voté par l’Assemblée nationale a été repris par la commission des lois du Sénat. À partir du moment où nous étions favorables à l’inscription de ce dispositif dans la Constitution, nous nous sommes sentis confortés par la position adoptée par la commission des lois.

Existe-t-il néanmoins, dans notre pays, un problème majeur et récurrent concernant les langues régionales ? La réponse est oui, tout le monde en convient.

Le débat qui s’est instauré au cours des dernières semaines sur ce sujet est-il, comme le disait François Fillon, le 9 juillet 1999, dans un article intitulé Ne perdons pas notre temps, « un débat entre ceux qui regardent l’avenir avec ses priorités et ceux qui pensent que la France a du temps à perdre pour vagabonder dans le passé » ? Je crains que cette présentation des choses ne soit totalement contraire à la réalité. Je pense, pour ma part, que cette question doit être considérée avec beaucoup plus de sérieux que ne le fait M. Fillon.

Ce sujet ne me paraît ni dérisoire ni anodin. Nous sommes tous des citoyens du monde et il nous importe à tous de connaître le regard que porte le monde sur la situation de notre pays. Je me suis penché, à cet égard, sur la dernière réunion du Comité des droits économiques, sociaux et culturels des Nations unies, qui s’est réuni il y a quelques jours. Que dit ce comité concernant la France d’aujourd’hui ?

« Le Comité constate avec préoccupation que l’État partie – la France – n’a pas fait d’efforts suffisants dans le domaine de la préservation et de la promotion des langues et du patrimoine culturel régionaux et minoritaires. »

M. Patrice Gélard. C’est n’importe quoi !

M. François Marc. « Le Comité constate aussi que l’absence de reconnaissance officielle des langues régionales et minoritaires a contribué au déclin constant du nombre des locuteurs de ces langues. […]

Et le comité conclut : « Le Comité réitère les recommandations formulées dans ses observations finales précédentes […] que l’État partie accroisse ses efforts pour préserver et promouvoir les langues et le patrimoine culturel régionaux ou minoritaires, entre autres en assurant que des financements et des ressources humaines suffisants soient alloués dans l’enseignement public et à la télévision et à la radio dans ces langues. Le Comité recommande aussi que l’État partie envisage de réviser sa position concernant l’absence de reconnaissance officielle des langues régionales ou minoritaires dans la Constitution de l’État partie. »

Telle est la position des Nations unies !

M. Patrice Gélard. C’est un comité qui n’a aucune valeur !

M. François Marc. Cela met en exergue deux points essentiels, me semble-t-il.

Tout d’abord, 50 % des langues régionales sont menacées de disparition d’ici à cinquante ans selon les prévisions officielles. Le risque est réel !

Ensuite, pour inverser cette tendance, une reconnaissance officielle des langues régionales est nécessaire.

C’est dans cet esprit que, depuis des années, plusieurs de mes collègues et moi-même réclamons, ici même, une reconnaissance constitutionnelle de ces langues.

Le Gouvernement a annoncé, voilà quelques jours – mon collègue Nicolas Alfonsi y a fait allusion – un projet de loi visant à la mise en valeur des langues minoritaires. Une avancée remarquable a été obtenue à l’Assemblée nationale, à la quasi-unanimité des députés ; il s’agit d’un compromis.

Cette inscription dans la Constitution nous paraît essentielle.

J’estime, quant à moi, que si le Sénat, aujourd’hui, prenait la décision de supprimer une avancée qui a été particulièrement appréciée dans de nombreuses régions de France, cela aurait certainement des conséquences très graves pour les habitants de nombreuses régions françaises.

C’est la raison pour laquelle je suis tout à fait opposé à ces amendements de suppression.

M. le président. La parole est à M. Robert Badinter.

M. Robert Badinter. J’exprimerai une forte conviction et je procéderai à un rappel historique.

La France s’est faite aussi – certains disent beaucoup – autour de la langue française. Cela n’a pas été facile. C’est une très longue histoire, un très long combat, et qui a mobilisé de nombreux républicains.

Dans le grand texte du rapport à la Convention sur l’éducation nationale, les premiers mots de Condorcet étaient, si j’ai bonne mémoire, ceux-ci : « La France compte vingt-six millions de Français, six seulement savent lire et écrire dans notre langue. »

M. René Garrec. C’est vrai !

M. Robert Badinter. Toute l’histoire de la République, particulièrement de la IIIe République, est marquée par la lutte pour que la France se soude autour de la langue française. Telle est la tradition républicaine !

Je suis, pour ma part – je le dis franchement – pénétré par la langue française : mon père et ma mère étaient des immigrés ; mon père, républicain farouche et patriote ardent, interdisait que l’on parle une autre langue que le français chez lui.

Pourquoi ce rappel ? Certainement pas pour dénier la très grande richesse des langues régionales : chacun connaît les grands chefs-d’œuvre que nous leur devons ; c’est un hommage que je leur rends volontiers. Et il est bon que ces langues soient enseignées, qu’elles fassent l’objet de thèses, de travaux, notamment dans nos meilleures universités, particulièrement régionales.

Toutefois, cela implique-t-il que ces langues doivent trouver leur place dans la Constitution ?

Je rappelle qu’une constitution est un instrument qui sert à gouverner un pays, en définissant les pouvoirs, leurs rapports, et, dans son préambule, figurent les valeurs fondamentales sur lesquelles repose cet équilibre constitutionnel.

Il ne s’agit donc pas d’un catalogue des richesses culturelles nationales ou des différents aspects de la communauté nationale. Tout ce qui est inscrit dans une constitution entraîne ensuite, s’il s’agit de principes généraux, des conséquences.

S’agissant des langues régionales, qui nous occupent aujourd’hui, nous constatons qu’elles trouvent parfaitement leur place dans les universités, dans l’enseignement – je ne vais pas reprendre le détail des propos qui ont déjà été tenus –, et que, dans le domaine des associations, à plus forte raison dans le domaine privé, elles ont plein et entier exercice.

Alors, quelle serait la raison d’être de cette constitutionnalisation ? Je le dis franchement, je n’en vois qu’une, sur laquelle je m’attarderai.

Vous savez tous – cela remonte à 1999 – que, lorsque le gouvernement Jospin a signé la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires – elle porte toujours ce nom –, la question s’est posée de la conformité à la Constitution de son éventuelle ratification, et c’est d’ailleurs le Président de la République qui a saisi le Conseil constitutionnel. Ce dernier a rendu une décision dont je me dois de rappeler les termes, tant ils sont importants.

« Considérant qu’il résulte de ces dispositions combinées que la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires, en ce qu’elle confère des droits spécifiques à des « groupes » de locuteurs de langues régionales ou minoritaires, à l’intérieur de « territoires » dans lesquels ces langues sont pratiquées, porte atteinte aux principes constitutionnels d’indivisibilité de la République, d’égalité devant la loi et d’unicité du peuple français. […] » J’ai rarement trouvé, dans les décisions du Conseil constitutionnel, des mots d’une telle force !

« Considérant que ces dispositions sont également contraires au premier alinéa de l’article 2 de la Constitution en ce qu’elles tendent à reconnaître un droit à pratiquer une langue autre que le français non seulement dans la « vie privée » mais également dans la « vie publique », à laquelle la Charte rattache la justice et les autorités administratives et services publics. […] » On ne peut pas être plus explicite : cela veut dire, très précisément, que la charte est incompatible avec la Constitution française.

Je tiens à rappeler un principe, et à éclairer très précisément tous mes collègues. Le Conseil constitutionnel statue à Constitution constante. Dès l’instant où l’on modifie la Constitution, le Conseil constitutionnel n’est plus tenu par l’interprétation qu’il a donnée antérieurement.

Disons-le clairement : si le constituant a voulu reprendre, ici, la question des langues régionales, c’est qu’il était animé d’une certaine volonté, et l’on s’interroge sur cette volonté.

Si, d’aventure, la question était à nouveau posée, le Conseil constitutionnel l’examinerait essentiellement au regard de l’adjonction effectuée. Je ne sais pas ce qu’il déciderait, mais je m’inscris en faux contre l’affirmation de certains d’entre vous selon laquelle il ne faut avoir aucune crainte, la jurisprudence du Conseil étant fixée. Ce n’est pas vrai ! Elle est fixée dans l’état actuel de la Constitution ; elle ne peut être fixée au regard d’une modification de la Constitution.

Je conclurai en interrogeant Mme la garde des sceaux. Le Conseil constitutionnel étudiera les travaux préparatoires, si nous adoptons ce texte, pour essayer de dégager la pensée du constituant ; c’est son devoir. Mme la garde des sceaux peut-elle, d’une façon très précise, nous dire que le Gouvernement, en se ralliant à ce qui est à l’origine un amendement parlementaire, considère que l’on ne peut, en aucune manière, ratifier la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires ?

Il faut, à cet égard, une réponse très claire du Gouvernement, car, en apportant cette précision, celui-ci s’interdit de le faire – mais il éclairerait le Conseil constitutionnel –, et, selon moi, il l’interdit également à ses successeurs. (Applaudissements sur certaines travées de l’UC-UDF, de l’UMP et du RDSE.)

M. le président. La parole est à Mme Nicole Borvo Cohen-Seat.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Notre groupe, à l’unanimité, a déposé un amendement de suppression de la mention des langues régionales à l’article 1er de la Constitution, donc avant celle de la langue française.

Néanmoins, une majorité d’entre nous souhaitaient faire preuve d’une certaine ouverture, s’agissant de l’identité de notre pays, et proposaient de citer les langues régionales comme l’une des richesses de notre patrimoine dans un autre article, éventuellement à l’article 2.

J’entends bien les réserves qui s’expriment, encore que je ne sois pas vraiment convaincue.

J’ai déposé un sous-amendement à l’article 2, qui n’a pas été retenu – je n’ai pas très bien compris pourquoi, mais peu importe – visant à inscrire dans la Constitution que les cultures et langues régionales font partie du patrimoine de la République, même si la langue fait partie de la culture.

M. le président. La parole est à M. Robert Bret.

M. Robert Bret. Fidèle défenseur de la langue française en tant que langue nationale, et par là même en tant qu’entité de l’histoire de notre pays, je ne suis pas favorable à ce que des groupes de locuteurs aient des droits inscrits dans la Constitution, et ce par principe républicain.

La France, riche de sa diversité culturelle, grâce, notamment, à ses langues régionales, doit rester, comme le définit la Constitution, « une et indivisible », car entre la loi et la personne il n’y a pas d’intermédiaire.

Or quiconque intercale une communauté crée alors des droits particuliers pour ses membres et rompt avec l’unité et l’indivisibilité constitutionnelles de la République.

De ce droit particulier, plusieurs, dont je fais partie, ne veulent pas.

« Le français est la langue de la République », comme l’a rappelé le Conseil constitutionnel dans sa décision de 1999, sachant que ce même Conseil constitutionnel, en la matière, ne peut être un recours, puisqu’il ne peut se prononcer sur la révision de la Constitution. Nous avons donc à prendre nos responsabilités en tant que parlementaires.

Enfin, des dispositions favorisant la découverte et l’apprentissage des langues régionales existent et sont mises en œuvre ; je pense, notamment, au fait que l’État républicain finance des postes pour l’enseignement de ces langues dans les régions où elles se pratiquent.

On peut toujours considérer que ce n’est pas suffisant et, éventuellement, se demander s’il ne serait pas judicieux et nécessaire de développer ces actions. Pour autant, comme législateurs, nous n’avons pas à répondre aux spécificités de chacun, puisque le propre de la loi est justement d’organiser la vie en société pour assurer collectivement la liberté et les droits de chacun.

Pour toutes ces raisons, je suis favorable à la suppression de l’article 1er A, adopté à l’Assemblée nationale, tendant à inscrire la reconnaissance des langues régionales dans la Constitution. Je ne souhaite cette inscription ni dans l’article 1er, qui définir la République, ni dans l’article 2, qui concerne la souveraineté de notre pays. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC – M. Jean-Luc Mélenchon applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Fourcade.

M. Jean-Pierre Fourcade. Je n’ai pas l’habitude de ne pas suivre la commission ou de voter contre ce qu’a décidé le Gouvernement. Toutefois, je considère qu’intégrer les langues régionales dans la Constitution serait une erreur. Un certain nombre d’orateurs de grand talent, notamment MM. Gouteyron, Balarello et Badinter, ont parfaitement cerné le sujet. Depuis que j’ai été élu sénateur en 1977, j’ai participé à de nombreuses révisions constitutionnelles et j’ai appris deux choses.

Premièrement, il est très difficile de toucher à l’article 1er de notre Constitution.

M. Gérard Delfau. Bien sûr !

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Oui !

M. Jean-Pierre Fourcade. C’est un article essentiel, que beaucoup de gens connaissent, à défaut, souvent, de connaître la suite. On ne peut donc pas le modifier sous un quelconque prétexte et y insérer la référence aux langues régionales, surtout après avoir consacré dans la Constitution, voilà quelques années, sur l’initiative de M. Raffarin, l’organisation décentralisée de la République.

Deuxièmement, il y a trois degrés de législation : la loi, la loi organique et la Constitution. À mon sens, la protection et le développement de l’enseignement des langues régionales relèvent de la loi, et non de la loi organique ou de la Constitution.

M. Adrien Gouteyron. Très bien !

M. Jean-Pierre Fourcade. Je suis tout à fait prêt à voter une loi, comme l’a annoncé le Gouvernement, pour améliorer l’enseignement des langues régionales.

Au demeurant, ce débat sur les langues régionales me paraît un tout petit peu dépassé, à l’heure où nos enfants et nos petits-enfants parlent plus volontiers le texto que le français. (Sourires.)

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Le texto, une langue régionale ?

M. Jean-Pierre Fourcade. Si nous voulons améliorer l’indivisibilité de la République et la cohésion sociale, mieux vaut renforcer l’enseignement du français et lutter contre toutes les déformations constatées à l’heure actuelle.

M. Adrien Gouteyron. Très bien !

M. Jean-Pierre Fourcade. Ce n’est pas en mentionnant les langues régionales dans la Constitution que nous améliorerons la place du français ! (Bravo ! et applaudissements sur les travées de l’UMP, ainsi que sur certaines travées de l’UC-UDF et du RDSE.)

M. le président. La parole est à M. François Autain.

M. François Autain. Je souhaiterais attirer l’attention sur l’utilisation qui est faite dans ce texte des termes « langues régionales ». Ces termes ne rendent pas compte, me semble-t-il, de la diversité des parlers qui peuvent exister dans une même région. Je dirais même que l’emploi de tels termes tend, paradoxalement, à contribuer à l’appauvrissement de la richesse de notre patrimoine linguistique.

En ma qualité d’élu d’un département dont l’identité bretonne fait l’objet d’un débat passionné qui n’est toujours pas tranché, je prendrai l’exemple des différents parlers pratiqués en Bretagne. Il apparaît en effet qu’il y existe non pas une langue régionale unique, mais un nombre important de parlers, lesquels se rattachent à cinq grands types de dialectes.

Dans la région rennaise, on pratique le gallo, qui est un dialecte de langue d’oïl parlé en Bretagne orientale. Dans le reste de la Bretagne, que l’on nomme la Bretagne bretonnante, on dénombre quatre grands dialectes, qui, eux, sont celtiques : le trégorois, le vannetais, le léonard et le cornouaillais.

Il faut le savoir, chaque dialecte se décompose en sous-familles. Leurs différences sont telles que les linguistes ont pris l’habitude de se référer aux parlers qui composent ces sous-familles. Ainsi, pour prendre l’exemple du cornouaillais, il faut y distinguer les parlers du pays Bigouden, du Poher, du Cap Sizun, ou encore du pays de l’Aven.

Les choses se compliquent encore plus si l’on considère qu’à l’intérieur même de ces zones il existe des sous-dialectes spécifiques. Ainsi, le sous-dialecte du pays Bigouden diffère entre les locuteurs issus du pays Glazik, c’est-à-dire de Quimper et de ses alentours, et ceux de la région de Douarnenez, autrement dit, du pays Penn Sardin.

Aussi, en organisant la promotion des langues régionales en Bretagne par le biais des écoles bilingues, qui enseignent une forme d’espéranto composé des différents parlers bretons et qui présente le paradoxe d’être incompréhensible par ceux qui ont l’un d’entre eux pour langue maternelle, on contribue à la liquidation d’un patrimoine linguistique bien plus riche, bien plus divers encore dans la réalité que dans la description sommaire que je viens de réaliser. Par parenthèse, je vous rappelle que cet espéranto breton a été constitué en 1941 par un admirateur du régime nazi.

Pour toutes ces raisons, je considère que les langues régionales ne doivent pas figurer dans la Constitution. C’est la raison pour laquelle je voterai ces amendements de suppression.

M. le président. La parole est à Mme Marie-Christine Blandin.

M. Josselin de Rohan. Bienvenue chez les Ch’tis ! (Sourires.)

Mme Marie-Christine Blandin. Les débats sur le mot « race », d’abord, et sur les langues régionales, ensuite, étaient d’une telle qualité que j’ai déserté une réunion de la commission des affaires culturelles, regrettant, au passage, la simultanéité de nos travaux.

J’ai bien entendu tous les arguments de ceux qui plaident en faveur de la suppression de l’article 1er A. Plusieurs auteurs des amendements ont d’ailleurs pris la peine de préciser qu’ils n’avaient aucun compte à régler avec ces langues de pays.

Je constate néanmoins qu’à partir d’une unanimité sur ces travées contre le concept de « race » le Sénat a choisi de le maintenir dans la Constitution. Pour de bonnes raisons, certes ! Et maintenant, à partir d’une relative bienveillance pour les langues régionales, le Sénat s’apprête à exclure celles-ci de la loi fondamentale.

Je souhaite donc soutenir la rédaction initiale du texte qui nous est parvenue, quitte à ce qu’elle soit améliorée et cadrée par un certain nombre de sous-amendements. Une fois n’est pas coutume, j’apprécie la proposition annexe de M. Charasse. (Ah ! sur certaines travées de l’UMP.)

En revanche, il n’y a pas lieu, me semble-t-il, de faire référence à la notion de « racines ». Nous parlons non pas de racines – le terme était d’ailleurs cher à Barrès –, mais de mémoire collective, ce patrimoine d’histoires et de vies croisées qui fait notre identité française, cette diversité qui fait richesse.

Le pédiatre Aldo Naouri, proche de la majorité, connu pour son attachement à la rigueur éducative et son aversion pour les choix « post-soixante-huitards » trop permissifs, décrit très bien, dans son dernier ouvrage – tous les linguistes le savent –, comment le très jeune enfant acquiert sa ou ses langues maternelles par l’abandon de plusieurs dizaines de phonèmes, qui auraient permis, à lui comme aux Auvergnats, de maîtriser très tôt le « th » anglais ou la jota espagnole ou arabe.

En France, en 2008, l’existence durable des parlers locaux n’est pas une atteinte au français. C’est une initiation aux autres phonèmes, utiles pour l’acquisition des futures langues étrangères, c’est une fenêtre ouverte sur la diversité. Nous sommes ici au niveau de la comptine, et non au niveau de l’ébranlement de l’école de la République ou du conseil municipal en catalan.

La sauvegarde des langues régionales n’est pas une quête d’ancrage, c’est le soin donné à un patrimoine fragile, humain, culturel, terrain d’ouvertures, de curiosités, de voyages intellectuels, poétiques.

Le succès inédit d’un film populaire, presque populiste, caricatural, mais chaleureux, Bienvenue chez les Ch’tis,…

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Cela faisait longtemps !

Mme Marie-Christine Blandin. …a révélé chez nous l’évidence de résonances humaines intimes pour des accents ou des parlers privés qui font lien, et même sens. Ce film, qu’un journaliste du Monde diplomatique a qualifié de premier film populaire depuis La bête humaine, a fait du bien, sans faire de mal.

Inscrire les langues régionales dans la Constitution fait sens et constitue un message symbolique, sans engendrer de fragilisation.

C’est pourquoi les Verts voteront contre la suppression. (Applaudissements sur certaines travées du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. David Assouline.

M. David Assouline. Ce débat est très riche, mais j’ai tout de même le sentiment, au travers des différentes interventions, que les uns et les autres combattent plus souvent des démons que des réalités.

Chacun ici, me semble-t-il, – à l’exception peut-être de quelques-uns, mais ils ne se sont pas exprimés – est très attaché aux principes fondamentaux, aux éléments constitutifs de la République que sont la laïcité et la langue française.

À mon sens, c’est un combat inachevé. Je peux donc comprendre que nombre d’orateurs expriment leurs convictions et cherchent à dénicher, dans cette affaire des langues régionales, le moindre petit indice révélateur de la volonté de fragiliser ce qui n’est jamais acquis. En même temps, lorsqu’autant de doutes ou d’alertes se font jour, c’est que l’on sent monter dans la société un courant de pensée qui pourrait fragiliser l’unicité de la République, la laïcité ou la langue française.

Cela étant, je reste perplexe. L’exacerbation des nationalismes constatée dans un certain nombre de pays, notamment en Europe et tout particulièrement dans les Balkans, constitue un réel danger de destruction de nations telles qu’elles se sont constituées au xxe siècle. Mais quand j’analyse les raisons d’une telle montée en puissance, j’en arrive à chaque fois à la même conclusion : il s’agit d’États autoritaires qui ont imposé, d’une manière totalement hermétique et antidémocratique, l’écrasement de minorités, y compris au travers des langues. Avec une telle façon de faire, toutes ces langues, bien loin de s’éteindre, ont « explosé à la figure » des dirigeants à la fin du xxe siècle, dans tout un tas d’endroits où l’on pensait que la question était réglée.

La France a agi autrement. Il n’y a pas, aujourd’hui, de baïonnettes aux portes de la langue française pour imposer un séparatisme avec des langues régionales. Par conséquent, je ne vois pas pourquoi on serait sur la défensive.

En revanche, et cela a été évoqué tout à l’heure, je constate que la langue française est actuellement fragilisée, y compris de plus en plus dans des actes courants de la vie publique. Mais cette fragilisation est plutôt le fait de la langue anglaise.

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Ne rouvrons pas le débat !

M. Patrice Gélard. Ce n’est pas une explication de vote !

M. David Assouline. Loin de moi l’idée de la critiquer, car elle aussi a ses charmes. Malgré tout, elle fait peser une menace, et ce dans de multiples domaines. Il n’est qu’à voir le grand nombre d’offres d’emplois pour des postes où il faut écrire la moitié du temps en anglais. Il n’est qu’à voir le grand nombre d’anglicismes introduits en français. C’est cela, et non les langues régionales, qui fragilise notre langue.

Moderniser la Constitution, c’est veiller à défendre les socles fondamentaux, tout en reconnaissant la nécessité de prendre en compte, cinquante ans après, un certain nombre d’évidences.

Je n’étais pas présent lors du débat sur le mot « race ». Lorsque j’étais professeur d’histoire-géographie et d’éducation civique, j’avais énormément de mal à aborder la question du racisme, car comment expliquer que les races n’existent pas, comme tout le monde le sait, mais que leur mention figure dans la Constitution ?

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Nous avons voté sur le sujet !

M. David Assouline. On me rétorque, avec de grands discours, que l’article 1er de la Constitution est intangible. Pour ma part, je préférerais que l’on fasse œuvre de pédagogie pour lutter contre le racisme.

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Ce n’est pas la question !

M. David Assouline. Je le sais bien, monsieur le rapporteur, mais je fais le lien entre ces deux thèmes !

Certains nous mettent en garde : si l’on touche aux socles tels qu’ils ont été définis à l’origine, on fragilise l’édifice. C’est une façon défensive d’aborder le problème. À mon avis, personne, dans cet hémicycle, ne veut fragiliser la langue française.

L’argumentation selon laquelle il est fâcheux de mentionner dans la Constitution les langues régionales avant la langue française est, certes, recevable. Mais si celles-ci avaient été placées au même niveau, on aurait alors entendu cette autre argumentation, tout aussi recevable : le français et les langues régionales ont la même valeur, et l’on sème la confusion sur la façon dont doit être appréhendée la question de la langue dans la Constitution.

Au final, je suis très embarrassé par ce débat, car j’ai l’impression que l’on se bat aujourd’hui non pas contre ce qui menace la langue, la République et son unicité, mais contre des épouvantails. (Marques d’exaspération sur plusieurs travées de l’UMP.) Nous abondons tous dans le même sens : il faut veiller à ne pas fragiliser aujourd’hui la République et la laïcité. Mais, en France, comme ailleurs dans le monde, le vrai danger, ce sont les intégrismes religieux, et pas les langues minoritaires régionales ! (M. François Marc applaudit.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Luc Mélenchon.

M. Jean-Luc Mélenchon. Je serai bref, car je me suis déjà beaucoup exprimé. Je tiens surtout à remercier le président et ceux de mes collègues qui ont bien voulu répondre aux arguments que j’ai fait valoir au cours du débat sur la place des langues régionales.

Je salue l’engagement de mon camarade et collègue François Marc. Il aura finalement convaincu la majorité du groupe socialiste, faute de me convaincre, comme vous avez pu le constater.

Je déplore, cependant, le recours à la citation d’un comité de l’ONU, qui ne me semble pas fondé à donner des appréciations sur la nature de la Constitution de la République française dans la mesure où lui-même méconnaît l’importance de la laïcité.

De plus, l’ordre du monde et son état justifient que nous soyons extrêmement précautionneux sur les conditions qui rendent possible l’unité et l’indivisibilité de la République française.

L’unité linguistique de la France est un bien précieux. Elle ne signifie pas l’uniformité, ni la répression des différences ; elle signifie l’unité, avec tout le sens inhérent à ce mot, donc la possibilité d’un espace public commun, que l’on nomme la République.

Pour avoir entendu largement s’exprimer la sensibilité de tous ceux qui voient dans cette culture régionale une partie constitutive de leur identité, je voudrais faire entendre à mon tour qu’il s’agit de 7 % de la population. Le reste, la nouvelle France, issue, comme moi, de l’immigration, parle avec passion le français, la langue, pour elle, de l’égalité, celle qui l’a libérée individuellement, comme elle a libéré collectivement chacun des Français.

Je tenais à ce que cela soit dit aussi ! Entendez à leur tour ceux qui sont blessés de voir sans cesse mettre en cause la France, qui ne le mérite pas : elle a fait son devoir à l’égard du développement de la diversité linguistique, mais elle a surtout fait son devoir à l’égard de tous les enfants qu’elle accueillait et qu’elle intégrait comme moi-même, qui vous parle à cet instant.

M. Jacques Legendre. Très bien !

M. le président. La parole est à M. Jean-René Lecerf.

M. Jean-René Lecerf. Dans la mesure où la référence à la francophonie a été rejetée au mieux par la commission dans l’espace, après l’article 31, au pire par le Gouvernement dans le temps, après le comité de réflexion sur le Préambule de la Constitution, présidé par Mme Veil, il va de soi que nous n’avons plus la possibilité de faire remonter la référence au français avant la mention des langues régionales.

Dans ces conditions, je n’ai pas d’autre solution, en ce qui me concerne, que de voter les amendements de suppression de cette référence.

M. André Lardeux. Très bien !

M. le président. La parole est à M. Philippe Dallier.

M. Philippe Dallier. En entendant notre collègue François Marc faire état de l’avis d’un comité Théodule du grand machin new-yorkais qui devait probablement s’exprimer dans quelque volapük intégré (Rires sur les travées de l’UMP.), je n’ai pas pu résister au plaisir de me demander en ce 18 juin, à dix-huit heures, soit l’heure de l’appel ou presque, ce qu’en penserait le général de Gaulle s’il nous entendait.

Pour en revenir à des choses plus concrètes, je me dois de rappeler que, pendant la dernière campagne des municipales, certains candidats ont cru bon de rédiger leur propagande électorale dans des langues étrangères. Ce genre de pratique devrait nous interpeller, les uns et les autres, et nous convaincre de la nécessité qu’il y a de renforcer toujours et partout l’usage du français.

Représentant d’un département où nous avons beaucoup de difficultés à intégrer un certain nombre de jeunes, de toutes origines d’ailleurs, venus du monde entier, et que la langue française peut rassembler, je sais le mal que nous avons à faire en sorte que la langue française soit correctement utilisée. Il me semble que la référence aux langues régionales dans la Constitution ne pourrait que compromettre nos efforts. (Bravo ! et applaudissements sur de nombreuses travées de l’UMP.)

M. le président. La parole est à M. Bruno Retailleau.

M. Bruno Retailleau. Je voudrais dire pourquoi je voterai les amendements de suppression de la mention des langues régionales à l’article 1er de notre Constitution. Il s’agit non pas de se prononcer pour ou contre ces idiomes régionaux, mais de savoir si cette mention a bien sa place dans notre loi fondamentale. Je ne pense pas que tel soit le cas, et ce pour deux raisons.

Premièrement, je suis convaincu que le premier souci dans notre pays est aujourd’hui l’apprentissage et la maîtrise de la langue française. Et je suis également persuadé que nous, Français, avons une responsabilité au regard de la francophonie. En octobre prochain, se tiendra à Québec le sommet de la francophonie. Dans cette perspective, M. Yvon Bourges a fait seize propositions intelligentes pour passer d’une position défensive à une position offensive.

Au moment où il faut défendre la langue française, ce serait un très mauvais signe que de laisser, à l’article 1er, la référence aux langues régionales. Elle précéderait ainsi celle à la langue française, bien commun de tous les Français depuis l’édit de Villers-Cotterêts. Ce serait un mauvais service à rendre à notre pays, à la langue française et à la francophonie. (Applaudissements sur plusieurs travées de l’UMP.)

M. le président. La parole est à M. Joseph Kergueris.

M. Joseph Kergueris. En écoutant avec une extrême attention les échanges qui ont été les nôtres cet après-midi, mes chers collègues, j’ai constaté qu’il y a eu, formulé ou informulé, un double débat. L’un, conduit avec le talent qui est le sien par notre collègue Robert Badinter, a posé la question de la pertinence de l’inscription de cette préoccupation dans la Constitution. L’autre, contenu dans une multitude d’interventions, nous interrogeait sur le bien-fondé de cette demande, qui paraissait attentatoire à l’unicité et à la laïcité de la République, en un mot comme en cent, à la République elle-même.

En ce jour du 18 juin, on a même invoqué les mânes du général de Gaulle, un homme qui a terminé le discours de Quimper en breton, un homme dont je puis attester qu’il portait une grande considération aux langues régionales. (Marques d’approbation sur diverses travées.)

M. Michel Charasse. Vive le Québec libre !

M. Joseph Kergueris. Ce n’est pas ce qui m’a choqué le plus !

Profitant de l’une de mes rares interventions dans cet hémicycle, je voudrais vous dire que j’appartiens à une région qui a son histoire, sa particularité, son identité. Ce qui fonde cette histoire, cette particularité, cette identité, c’est en grande partie sa langue : c’est l’un de ses socles ; c’est l’une de ses valeurs.

Enfant de cette région, ayant appris les deux langues, j’ai le profond sentiment d’avoir été porté par tous ceux qui parlaient cette langue, par tous ceux, hussards noirs de la République qui nous l’ont apprise, par ceux qui ne la parlaient pas et qui le regrettaient, par les pères de ceux-là. J’ai le sentiment d’avoir été conduit par tous, par ceux que j’ai connus, mais aussi par ceux qui ont précédé ceux que j’ai connus, vers un pays auquel nous étions profondément attachés, dont nous voulions qu’il fût républicain, unique et laïc.

Le souhait, que vous pouvez ou non partager, de faire inscrire cela dans notre patrimoine, c’est-à-dire dans ce que nous avons reçu de nos pères, quelle que fût la langue qu’ils aient parlée – et je reconnais aux autres le droit de demander la même chose pour leurs pères – ce souhait, dis-je, ne croyez pas qu’il puisse être porteur de risques là où nous nous trouvons. Ne croyez pas qu’il puisse être attentatoire à une quelconque unicité de la République et ne nous ramenez surtout pas aux années quarante !

Les régions à forte identité – il n’y a pas que la Bretagne ; je pense également à l’Alsace, à la Lorraine, à la Corse, à la Catalogne, aux régions ultramarines – sont des régions profondément républicaines, profondément laïques. Si vous en doutez, comptez les morts et regardez ce que les enfants de ces régions ont donné à la France ! (Bravo ! et applaudissements sur diverses travées.)

M. le président. La parole est à M. Josselin de Rohan.

M. Josselin de Rohan. Troisième Breton à m’exprimer dans cet hémicycle, je voudrais dire combien je partage le propos de mon collègue et ami Joseph Kerguéris sur le fait que la langue bretonne a été le ciment de notre identité.

Puisqu’on a fait allusion au 18 juin, je voudrais dire aussi que les premiers à rejoindre le Général de Gaulle étaient des pêcheurs de l’île de Sein. Ces hommes-là ne parlaient pas tous le français, mais avaient le cœur français. (Applaudissements sur diverses travées.)

M. Jean-Luc Mélenchon. C’est vrai !

M. Josselin de Rohan. Et je ne voudrais pas que l’on vienne ici, dans cet hémicycle, dire à ceux qui s’opposent à l’article que nous allons voter tout à l’heure et qui inscrit les langues régionales dans la Constitution qu’ils sont des ennemis des langues régionales.

J’appartiens à la partie francophone de la Bretagne. En ma qualité d’ancien président du conseil régional de Bretagne, je puis indiquer que nous avons consacré beaucoup de crédits à l’enseignement du breton. Nous avons créé un office de la langue bretonne. Nous avons financé des émissions audiovisuelles en breton, même si certaines chaînes de télévision croient intelligent de doubler en breton Columbo ou des dessins animés japonais (Rires.), faisant ainsi un très curieux usage de l’argent du contribuable pour promouvoir la langue bretonne.

Le problème évoqué tout à l’heure, c’est que la loi que nous allons, je l’espère, voter donnera les moyens de conforter l’enseignement du breton, de diffuser la culture bretonne pour les locuteurs qui veulent le faire. Mais c’est dans la loi que se trouve la solution. Les langues régionales n’ont pas leur place dans la Constitution ! (Bravo ! et applaudissements sur diverses travées.)

M. le président. La parole est à M. Philippe Marini.

M. Philippe Marini. Je dirai simplement quelques mots pour expliquer mon vote en faveur des amendements de suppression, car je ne voudrais pas que l’on se trompe sur l’interprétation à lui donner.

J’estime que la Constitution doit définir des procédures, des règles, des normes pour permettre l’organisation des pouvoirs publics et le fonctionnement de l’État. Elle n’a pas à qualifier et à commenter notre patrimoine !

M. Dominique Braye. Absolument !

M. Philippe Marini. Peut-être est-ce le rôle du préambule de la Constitution, mais il s’agit d’un autre débat, qui n’est pas ouvert aujourd’hui.

M. Dominique Braye. On dresse le catalogue de La Redoute !

M. Philippe Marini. C’est simplement en fonction de cette vision concrète et utile de la Constitution que je vote contre l’article ajouté à l’Assemblée nationale, sans doute avec d’excellentes intentions, mais qui risque de poser une infinité de problèmes, comme on l’a vu au cours de notre excellent débat. (Applaudissements sur de nombreuses travées de l’UMP et de l’UC-UDF.)

M. le président. La parole est à M. Henri de Raincourt.

M. Henri de Raincourt. Monsieur le président, je demande une suspension de séance pour réunir mon groupe.

M. le président. Le Sénat va, bien sûr, accéder à votre demande, monsieur le président.

Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à dix-huit heures trente, est reprise à dix-huit heures cinquante.)

M. le président. La séance est reprise.

La parole est à Mme le garde des sceaux.

Mme Rachida Dati, garde des sceaux. Je souhaite répondre à la question posée tout à l’heure par M. Badinter et M. Alfonsi, afin de les rassurer : le Gouvernement n’a absolument pas l’intention de ratifier la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires.

Je vous renvoie d’ailleurs à la décision de 1999 du Conseil constitutionnel, qui avait considéré que cette Charte était contraire aux « principes d’égalité, d’unicité et d’indivisibilité de la République ».

M. le président. La parole est à M. Henri de Raincourt.

M. Henri de Raincourt. Monsieur le président, je souhaite expliquer en quelques mots la position du groupe UMP du Sénat.

Comme sans doute la plupart – sinon la totalité – de nos collègues, j’ai énormément appris au cours de cet après-midi, et je pense que nos échanges ont été extrêmement instructifs.

Il est clair que nous avons des préoccupations communes : loin d’être partisanes, celles-ci sont d’abord et avant tout nationales. Nous nous demandons tous comment servir notre pays tout en laissant les libertés locales s’exprimer sous les formes les plus diverses et en respectant les territoires.

Toute la question est donc de savoir jusqu’où nous pouvons aller s’agissant de la traduction de ce souci dans l’organisation de nos institutions. Pour notre part, nous considérons, eu égard à ce qui a déjà été fait ou voté et aux perspectives que vient de tracer Mme le garde des sceaux, qu’en cet instant nos convictions – même si, je le répète, nous ne critiquons pas ceux qui pensent autrement que nous – nous conduisent à nous prononcer en faveur des amendements identiques de suppression de l’article 1er A.

M. le président. Je mets aux voix les amendements identiques nos 3 rectifié, 77, 145, 157, 250 rectifié ter et 260 rectifié.

Je suis saisi d’une demande de scrutin public émanant du groupe socialiste.

Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.

(Le scrutin a lieu.)

M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…

Le scrutin est clos.

(Il est procédé au comptage des votes.)

M. le président. Voici le résultat du dépouillement du scrutin n° 98 :

Nombre de votants 324

Nombre de suffrages exprimés 319

Majorité absolue des suffrages exprimés 160

Pour l’adoption 216

Contre 103

Le Sénat a adopté. (Applaudissements sur les travées de l’UMP, sur plusieurs travées de l’UC-UDF, du groupe CRC et du groupe socialiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

En conséquence, l’article 1er A est supprimé et les amendements nos 95, 315, 57 rectifié et 356, 376 rectifié, ainsi que les sous-amendements nos 304 rectifié, 38 rectifié bis, 276 rectifié, 156, 349, 399 rectifié, 400 rectifié et 4 rectifié bis n’ont plus d’objet.

 

Débat à l’Assemblée nationale
« Révision de la Constitution – Débat sur les langues régionales »
Deuxième lecture
9 juillet 2008

Après l’article 30 sexies

M. le président. Je suis saisi de sept amendements, nos 38, 86, 117, 305, 302, 250 rectifié et 303, pouvant être soumis à une discussion commune.

Les trois premiers sont identiques et portent article additionnel après l’article 30 sexies.

Les quatre autres, précédemment réservés, tendent à modifier l’article 1er B.

La parole est à M. le rapporteur, pour soutenir l’amendement n° 38.

M. Jean-Luc Warsmann, rapporteur. Cet amendement vise à réintroduire dans le projet de loi constitutionnelle l’alinéa concernant les langues régionales que l’Assemblée nationale avait inséré en première lecture à l’article 1er de la Constitution et que le Sénat a supprimé.

C’est après l’article 75 de la Constitution, que serait introduit un nouvel article 75-1, ainsi rédigé : « Les langues régionales appartiennent au patrimoine de la France. »

M. le président. La parole est à M. Le Fur, pour défendre l’amendement n° 86.

M. Marc Le Fur. Cet amendement, identique à celui de notre rapporteur, est cosigné par de nombreux collègues.

À l’occasion de précédentes révisions constitutionnelles, nous avons été plusieurs à tenter d’introduire dans la Constitution une référence aux langues régionales. Nous avons rencontré un succès d’estime avant que cette idée ne progresse puis ne gagne les esprits, ce dont je me réjouis. Ce succès est probablement dû aussi à des initiatives du Gouvernement. Ainsi, le 7 mai dernier, un débat a été organisé dans cet hémicycle sur les langues régionales et sur l’éventualité d’une loi qui permettrait de les défendre et d’en assurer le rayonnement. Ce texte très attendu serait, je crois, le bienvenu.

Le 22 mai, lors de la première lecture du projet de loi constitutionnelle, l’Assemblée nationale a adopté à la quasi-unanimité une disposition relative aux langues régionales. Mais, ensuite, le Sénat nous a beaucoup déçus.

L’idée du rapporteur qui consiste à reprendre le texte adopté par l’Assemblée et à le placer ailleurs dans la Constitution me semble excellente. Que les langues régionales figurent à l’article 1er ou a l’article 75-1 ne change rien puisqu’il n’y a pas de hiérarchie entre les articles de la Constitution. Ce geste sera apprécié par bon nombre de nos concitoyens et chacun ici a des langues régionales qui lui sont chères.

Je tiens à saluer le soutien constant du Gouvernement sur ces questions et l’initiative heureuse du rapporteur et président de la commission des lois. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à M. Yves Bur.

M. Yves Bur. Je souhaitais remercier le rapporteur, qui a pu nous réunir sur une position consensuelle, et saluer la ténacité de Marc Le Fur.

Il est important de reconnaître ce que les langues régionales ont apporté et apportent encore au patrimoine linguistique de notre pays. Cependant, leur inscription dans la Constitution ne suffira pas à les sauver. La meilleure manière de le faire reste encore de les parler.

Il n’est pas question en introduisant ce nouvel article dans la Constitution de créer des droits nouveaux qui pourraient se retourner contre les langues régionales déjà pratiquées. Il faut rassurer ceux qui auraient pu avoir des craintes, comme dans ma région où l’alsacien – qui reste, sans doute, la langue régionale la plus parlée de France – est encore très couramment pratiqué.

M. le président. La parole est à M. Jean-Jacques Urvoas.

M. Jean-Jacques Urvoas. Nous pouvons nous féliciter de retrouver ce soir le consensus qui avait régné lors de la première lecture. Il est enfin admis qu’inscrire les langues régionales dans la Constitution ne porte pas atteinte à l’unité de la République, et que cette démarche est en revanche indispensable pour permettre leur développement.

Le groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche regrette donc le comportement du Sénat, et singulièrement, pour des raisons numériques qui n’ont échappé à personne, de sa majorité, qui a supprimé du texte transmis par l’Assemblée la disposition que nous y avions inscrite. Il fallait donc revenir sur le vote du Sénat, et un amendement n° 302 a été déposé par les membres de notre groupe afin d’introduire les langues régionales à l’article 2 de la Constitution.

Notre position à ce sujet est constante car, selon nous, l’inscription des langues régionales dans la Constitution ne doit pas avoir un simple effet déclaratif mais doit emporter des conséquences juridiques. Nous avions accepté, dans un esprit de compromis, que les langues régionales figurent à l’article 1er ; vous nous proposez maintenant qu’elles soient inscrites dans un article additionnel 75-1. Franchement, il n’y a pas plus de raisons que les langues régionales soient mentionnées dans le titre de la Constitution consacré aux collectivités territoriales que dans son article 1er. On pourrait même y voir comme un aveu que la promotion des langues régionales n’est pas une préoccupation du Gouvernement, et qu’il confie simplement cette compétence aux collectivités territoriales, ce qui jetterait un doute sur la loi promise par Mme Albanel. Introduire cet article à cet emplacement, c’est explicitement attribuer une compétence supplémentaire aux collectivités locales, sans leur donner les moyens de l’assumer.

Certes, Marc Le Fur a raison, les articles de la Constitution ne sont pas juridiquement hiérarchisés ; il n’empêche qu’un problème symbolique est posé. Le passage de l’article 1er à l’article 75-1 est un fâcheux symbole du peu d’intérêt que le Gouvernement porte à ce sujet.

En commission des lois, il a été dit que promouvoir les langues régionales constituait un risque d’enfermement régionaliste ou communautariste. Je voudrais, une fois pour toutes, tordre le cou à cette allégation. Et au moins au nom des Bretons, je rappelle que tous ceux qui étaient à Valmy ne parlaient pas la même langue, n’adoraient pas les mêmes dieux, n’utilisaient pas les mêmes unités de mesure. Comme le soulignait Condorcet, la France de l’époque comptait 26 millions de Français, 6 millions seulement savaient lire et écrire notre langue, ce sont pourtant eux qui ont fait la République.

M. le président. La parole est à Jean-Christophe Lagarde pour soutenir l’amendement n° 117.

M. Jean-Christophe Lagarde. Nous n’en sommes pas à la première tentative d’inscription des langues régionales dans la Constitution. Certains de nos collègues s’y étaient déjà essayés, sans y parvenir.

Depuis plusieurs dizaines d’années, l’UDF était favorable à cette évolution ; les députés du groupe Nouveau Centre ont évidemment conservé la même position. Je me réjouis que nos efforts paient enfin, et je tiens à vous faire part de la particulière satisfaction de mes collègues Francis Hillmeyer, Alsacien, Thierry Benoit, Breton, et Philippe Folliot, du Sud-Ouest de la France – ils comptaient participer à ce débat, mais nous avons avancé très vite.

J’avoue ne pas comprendre la réaction du Sénat, qui représente théoriquement – puisqu’il paraît qu’il a une légitimité – les territoires, mais qui refuse la reconnaissance de cet élément constitutif majeur des territoires que sont les langues régionales.

L’adoption à la quasi-unanimité de cet amendement conclura un long combat et sera une belle avancée si le projet de loi constitutionnelle est adopté à Versailles.

M. le président. Je considère, monsieur Lagarde, que vous aurez ainsi également défendu l’amendement n° 355 de M. Folliot.

La parole est à M. Dominique Raimbourg, pour soutenir l’amendement n° 302.

M. Dominique Raimbourg. Je veux faire quatre observations pour justifier l’inscription de la défense des langues régionales à l’article 2 de la Constitution.

Tout d’abord, cette inscription ne porterait pas atteinte à la prééminence du français, puisque celle-ci est réaffirmée.

Ensuite, ce choix donnerait une plus grande force aux effets juridiques de cette reconnaissance car nous ne voulons pas nous contenter, comme le disait Jean-Jacques Urvoas, d’un effet déclaratif.

Troisièmement, cette position dans la Constitution donnerait une place prééminente à des langues régionales dont les locuteurs ont pu considérer, à juste titre, qu’ils n’étaient pas suffisamment reconnus.

Enfin, à l’heure ou l’anglais est devenu la langue internationale, le français va mécaniquement, comme l’allemand ou l’italien, se transformer en langue minoritaire. Notre capacité à défendre notre langue comme langue minoritaire dans le monde sera mesurée à l’aune de la défense de nos langues régionales, devenue en quelque sorte une préfiguration de la défense du français et de sa place internationale.

M. Hervé Mariton. Ce n’est pas le meilleur argument !

M. le président. La parole est à M. Paul Giacobbi, pour soutenir l’amendement n° 250 rectifié.

M. Paul Giacobbi. Ce sujet, nous le savons, n’a fait l’objet d’aucune négociation.

Marc Le Fur a rappelé l’histoire de l’amendement consacré aux langues régionales, car il s’agit bien d’une disposition historique. Depuis le vote unanime de notre assemblée – consensus rare –, le Sénat puis l’Académie française se sont illustrés par leur ignorance. À croire que l’Académie n’a jamais lu Villon qui parle l’argot, Hugo qui le magnifie, Balzac qui donne une force remarquable aux parlers régionaux ou Molière qui montre à quel point la langue française peut faire l’objet de pratiques diverses. Les langues régionales font partie de l’identité française : il n’est pas besoin d’avoir lu Braudel pour s’en rendre compte.

J’ai été stupéfait, en lisant les débats du Sénat, d’y trouver des vulgarités d’expression et même des sottises comme rarement on en a entendu.

M. Jean-Christophe Lagarde. Sauf au Sénat ! (Sourires.)

M. Paul Giacobbi. Oui, des sottises et des vulgarités ! Penser que les langues régionales menacent le français, c’est ignorer que la richesse des langues, leur créativité, ne naît que de leur diversité. Vouloir unifier une langue en en faisant un parler pur, parfait et immuable, c’est la tuer. Partout chacun le sait, sauf, apparemment, en France.

La disposition que nous allons voter ce soir a une portée juridique au moins indirecte. Elle n’ajoute certes rien au droit actuel mais, si elle n’était pas adoptée, et dans la mesure où l’on nous annonce un projet de loi sur les langues régionales, dont nous acceptons volontiers l’augure, le Conseil constitutionnel pourrait s’appuyer sur la reconnaissance constitutionnelle du français comme langue de la République – expression d’ailleurs assez curieuse dont on voit mal ce qu’elle ajoute à l’ordonnance de Villers-Cotterêts – pour censurer les dispositions essentielles de la future loi. La portée juridique de la disposition est donc réelle.

Aujourd’hui, il faut en être conscient, la pratique du français s’effondre dans le monde. Il suffit de voir ce qu’il en est dans les organisations internationales, ou de voyager et de constater la diminution effrayante du nombre de personnes qui apprennent notre langue – heureusement, il reste les Québécois. Quant aux langues régionales, elles ne menacent pas le français : elles disparaissent. En les intégrant au patrimoine, nous reconnaissons malheureusement aussi qu’elles sont menacées. Les langues régionales constituent une partie de la France ; avec elles, c’est la France qui disparaît. Nous ne pouvons qu’en être extrêmement tristes.

Ce que nous ferions aux langues régionales si nous ne les inscrivions pas dans la Constitution, c’est ce que fait le monde aujourd’hui à la langue française, devenue, à l’échelle internationale, une langue régionale supplantée par une autre langue. Tout en maîtrisant un peu moins bien cette autre langue que le français, je le parle suffisamment pour que cela ne me gêne pas, mais tout de même ! À quand l’anglais dans cette enceinte ?

M. Jean-Pierre Brard. Demandez à Mme Lagarde ! (Sourires.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Brard, pour soutenir l’amendement n° 303.

M. Jean-Pierre Brard. Nous devrions, s’agissant du recul du français dans le monde, nous interroger sur notre propre responsabilité et sur l’inanité des politiques menées en faveur de la francophonie : les moyens qui lui sont dévolus sont médiocres et nous sommes incapables d’utiliser l’espace francophone comme un levier de la coopération économique.

Pour en revenir aux langues régionales, il faut être clair : le plurilinguisme que nous connaissons dans notre pays ne remet pas en cause la place du français, qui est la langue de la nation, mais ouvre sur la richesse de la pluralité culturelle et humaine. Cette perspective doit nous conduire à accepter notre diversité linguistique, historiquement ancrée dans nos territoires et dans la construction de notre nation, même si cela s’est fait d’une façon contradictoire.

Contrairement à ce que nous avons pu entendre au Sénat, l’unicité du peuple français, l’indivisibilité de la République et le principe d’égalité des citoyens devant la loi, trois fondements essentiels de la République, ne seront pas remis en cause, au contraire. Ce qui importe aujourd’hui, c’est de ne pas enterrer le débat du 7 mai, puis ceux des 22 et 23 mai lors de la première lecture. Les discussions ont été riches et animées. Nous étions même parvenus à une proposition satisfaisante : en amendant l’article 1er de la Constitution, nous répondions à un grand nombre d’associations pour qui la reconnaissance officielle, puisque constitutionnelle, devait passer par l’inscription des langues régionales à l’article 1er ou 2 de la Constitution. Si vous nous aviez suivis, madame la garde des sceaux, vous auriez marqué une volonté indiscutable de respecter les langues régionales en tant que richesses actives et vivantes de notre patrimoine linguistique commun au même titre que le français, même si évidemment la graduation n’est pas la même.

Je ne m’attarderai pas sur les bienfaits du respect de la promotion des langues régionales, car ce sujet a déjà été abordé à plusieurs reprises. Je m’associe aux propos de Marc Le Fur.

La proposition adoptée par la commission des lois consacre un grand retour en arrière. Nous entendons bien les arguments des sénateurs, même si nous ne les partageons pas. Nous comprenons surtout qu’il est plus simple pour l’État de se décharger tant financièrement que constitutionnellement sur des collectivités territoriales déjà largement soumises aux pressions d’autres transferts qui ne sont pas accompagnés des moyens financiers nécessaires à leur mise en œuvre. D’une certaine manière, nous abdiquons la responsabilité de l’État, ce qui est tout à fait dommageable.

Madame la garde des sceaux, une politique linguistique n’a ni le même sens ni le même poids si elle émane de l’État, d’une région ou d’un département.

M. le président. Quel est l’avis de la commission sur les amendements n°s 305, 302, 250 rectifié et 303 ?

M. Jean-Luc Warsmann, rapporteur. Avis défavorable.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement sur l’ensemble des amendements en discussion commune ?

Mme la garde des sceaux. Le débat qui s’est déroulé le 7 mai dernier dans cet hémicycle a montré l’attachement des députés à la préservation et à la mise en valeur des langues régionales. En première lecture, vous aviez adopté un amendement qui complétait l’article 1er de la Constitution pour reconnaître cet héritage. Les sénateurs l’ont supprimé, certains considérant que cette disposition n’avait pas de valeur normative, donc n’avait pas sa place dans la Constitution, d’autres estimant qu’elle risquait de remettre en cause les principes d’égalité des citoyens, d’indivisibilité de la République et d’unicité du peuple français.

Vous proposez de reprendre cette disposition au sein du titre XII de la Constitution consacré aux collectivités territoriales. Cette solution de compromis éviterait que les langues régionales soient mentionnées dans notre Constitution avant le français, ce que certains avaient critiqué. Cela ouvre la voie à un compromis acceptable avec le Sénat.

Le Gouvernement est donc favorable à l’amendement n° 38, les amendements n°s 86 et 117 étant ainsi satisfaits. En revanche, il est défavorable aux amendements n°s 305, 302, 250 rectifié et 303.

M. le président. La parole est à M. Jacques Myard.

M. Jacques Myard. Je ne veux pas rompre ce beau consensus, mais vous me permettrez de m’interroger.

Nul ne conteste que les langues régionales appartiennent au patrimoine de la France. C’est une évidence, ces langues existent, elles sont parlées par certains de nos concitoyens. Elles apportent effectivement une richesse supplémentaire à la diversité linguistique de la France et je ne pense pas qu’elles fragilisent véritablement la primauté de la langue française inscrite à l’article 2 de la Constitution.

Il n’en demeure pas moins que ce texte n’est pas le seul : il ne faut pas oublier la fameuse Charte européenne des langues régionales ou minoritaires, issue des travaux menés dans l’entre-deux-guerres par la Société des Nations pour protéger les nations enclavées dans d’autres. Ce n’était donc pas un problème de langue régionale. Développer une argumentation politique en se basant sur le critère de la langue peut donc être extrêmement dangereux, ce que personne ne veut ici.

Voilà ce que je tenais à rappeler ce soir. C’est la raison pour laquelle je ne voterai pas cette disposition. Nous n’avons pas encore exactement apprécié la dynamique qui se cache derrière ces mots au regard de la Charte. Aussi, j’interroge le Gouvernement : proposerez-vous à notre assemblée de ratifier cette charte ? Si tel était le cas, ce serait mettre la main dans un engrenage que nous ne maîtrisons pas !

 

Mme la garde des sceaux. Il n’y aura pas de ratification de la charte !

M. le président. Je mets aux voix par un seul vote les amendements nos 38, 86 et 117.

(Ces amendements sont adoptés.)

 

Débat au Sénat
« Révision de la Constitution – Débat sur les langues régionales »
Deuxième lecture
16 juillet 2008

Article 30 septies

Après l’article 75 de la Constitution, il est inséré un article 75-1 ainsi rédigé :

« Art. 75-1. – Les langues régionales appartiennent au patrimoine de la France. »

Mme Alima Boumediene-Thiery. – L’extinction des langues régionales nous préoccupe, au même titre que celle de nombreuses traditions locales. La mention, par l’Assemblée nationale, des langues régionales à l’article premier de la Constitution n’était pas satisfaisante : nous avions proposé, en vain, de la déplacer après la référence au français.

En deuxième lecture, l’Assemblée nationale a pris en compte cette demande. La Charte des langues régionales du Conseil de l’Europe étant vouée à ne jamais être adoptée, il était impérieux de constitutionnaliser l’existence des langues régionales, afin de permettre la mise en place d’un cadre juridique assurant leur survie et leur développement. Je me félicite donc que le Sénat, contraint à un vote conforme, ne remette pas en cause cette mention.

M. le président. – Amendement n°91 rectifié, présenté par MM. Renar et Autain.

Supprimer cet article.

M. Ivan Renar. – Malgré mon attachement aux langues régionales, j’estime qu’elles n’ont pas leur place dans la loi fondamentale. Le sujet est suffisamment important pour faire l’objet d’une loi spécifique. Les langues régionales valent mieux que cette instrumentalisation ! Comme le dit Félix Leyzour, ancien député des Côtes-d’Armor, amoureux du breton, le problème des langues et cultures régionales doit être abordé avec l’objectif de servir la cause des langues régionales, et non pour s’en servir à des fins politiques.

L’inscription de la langue française dans la Constitution en 1992 n’a pas permis d’endiguer la régression de son usage, y compris dans les instances où elle est pourtant l’une des langues officielles.

Cela devrait faire méditer ceux qui veulent inscrire les langues régionales dans la Constitution. Ce n’est d’ailleurs pas non plus un passage obligé pour la ratification de la Charte des langues européennes. En revanche, la protection des langues ne doit pas faire de nos concitoyens des individus classés en fonction de leurs groupes ethniques au sein d’une Europe supranationale.

Alors que j’ai toujours été un partisan résolu du plurilinguisme et un ardent défenseur de la diversité culturelle, je m’inquiète de l’insuffisance des moyens pourtant indispensables à une réelle promotion de toutes les langues. Grâce aux langues régionales, de nombreux français apprennent à parler rapidement deux langues et l’éducation nationale a tout à gagner de ce bilinguisme qui est un atout car il favorise l’apprentissage d’autres langues. Avec la mondialisation, le monde est devenu un village et notre pays a grand besoin de personnes qui parlent le chinois ou l’arabe. Nous avons aussi la chance de pouvoir compter sur des immigrés dont c’est la langue maternelle.

L’introduction des langues régionales au sein titre XII de la Constitution relatif aux collectivités territoriales, loin d’être à mes yeux un compromis acceptable m’inquiète : c’est la porte ouverte à de nouveaux désengagements de l’État avec, à la clé, des transferts de charges sur des collectivités déjà asphyxiées. Ce serait alors un sérieux recul pour les langues régionales ! Une véritable décentralisation n’a de sens qu’accompagnée de moyens financiers et humains. C’est tout le sens de la proposition de loi que nous avons déposée car pour que les langues régionales vivent, elles n’ont pas besoin d’être inscrites dans la Constitution mais d’être parlées dans la rue, à l’école et dans les médias.

M. le président. – Il est temps de conclure !

M. Ivan Renar. – La diversité linguistique est un véritable patrimoine commun de l’humanité, aussi nécessaire pour le genre humain que la biodiversité dans l’ordre du vivant. La France doit valoriser sa propre diversité, d’autant qu’elle a ratifié la convention de l’Unesco sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles. Néanmoins, on peut être pratiquant et partisan des langues régionales sans pour autant vouloir les inscrire dans la loi fondamentale. D’autant que, sur le fond, nous aurons à nous prononcer sur un projet de révision de la Constitution qui, en amoindrissant les pouvoirs du Parlement, affaiblit la démocratie. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle vous avez bien du mal à trouver une majorité. Quel gain pour les langues régionales si la révision n’est pas adoptée à Versailles comme nous l’espérons ?

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. – Comme nous l’avons déjà dit, les langues régionales n’ont certainement pas leur place à l’article premier, ni à l’article 2 qui traite de la souveraineté. Le dialogue entre nos deux assemblées a permis de leur trouver une place plus adéquate, après les articles relatifs à la décentralisation. Nous reconnaissons ainsi les langues régionales sans pour autant leur donner un rang qu’elles ne peuvent avoir. L’avis est donc défavorable et je pensais que M. Renar allait retirer son amendement étant donné son vibrant plaidoyer en faveur des langues régionales.

Afin de rassurer M. Legendre, la francophonie figure à l’article suivant.

Mme Rachida Dati, Garde des sceaux. – Même avis défavorable.

M. Gaston Flosse. – J’aimerais entendre M. le rapporteur me confirmer que les multiples langues de l’outre-mer sont concernées par cet article. Même si la langue officielle reste le français, j’espère que dorénavant, nous pourrons nous exprimer dans nos langues natales au sein de nos assemblées, ce qui nous est aujourd’hui interdit.

Enfin, je voudrais dire à M. Renar qu’il manque un peu de cohérence : après avoir dit que les langues régionales étaient une richesse pour la Nation, il refuse de leur accorder la moindre reconnaissance dans la loi fondamentale. Nous ne sommes absolument pas d’accord avec lui, car nos langues sont le support de nos cultures.

M. Pierre-Yves Collombat. – Je suis d’accord avec cet article, mais ce qu’a dit M. Flosse m’inquiète. Est-ce que la reconnaissance des langues régionales implique la ratification de la Charte européenne des langues régionales et minoritaires ? Vont-elles pouvoir être utilisées à titre officiel dans les assemblées de Polynésie ?

M. Gaston Flosse. – Je n’ai pas dit officiel !

M. Pierre-Yves Collombat. – Excusez-moi, mais lorsqu’on veut employer une langue régionale dans une assemblée, cela signifie bien quelque chose !

M. Gaston Flosse. – Le français resterait la langue officielle !

M. Pierre-Yves Collombat. – Je m’adresse à M. le rapporteur et j’attends une réponse de sa part.

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. – La reconnaissance des langues régionales comprend bien entendu celles de l’outre-mer. D’ailleurs, si un rapport de 1999 rendu au ministre de l’éducation nationale fait état de 79 langues régionales, c’est bien parce que celles de l’outre-mer sont prises en compte. En revanche, cet article n’offre aucun nouveau droit et la jurisprudence du Conseil constitutionnel rappelle que le français doit être obligatoirement utilisé dans la sphère publique, conformément à l’article 2 de la Constitution. Certes, l’enseignement peut être dispensé dans une langue régionale, mais à condition qu’il ne soit pas obligatoire.

M. Ivan Renar. – Il n’est pire sourd qui ne veut entendre ! Je ne suis pas opposé aux langues régionales, monsieur Flosse, mais je m’interroge sur l’opportunité de les mentionner dans la Constitution et je pense même que cela risque d’être dangereux si cette inscription flatte les courants identitaires. En revanche, une loi spécifique serait nécessaire pour en assurer la défense et pour les développer. Mais je me sens un peu seul à défendre ce point de vue et j’ai un peu le sentiment d’exposer les rêveries d’un promeneur solitaire… (Sourires)

L’amendement n°91 rectifié n’est pas adopté.

L’article 30 septies est adopté.

 

Débat avec Jean-Jacques Urvoas
16 mai 2008
Note de blog de Jean-Jacques Urvoas
Butor

Voilà un élu qui n’honore pas sa fonction. Il y a quelques jours, nous avions découvert l’étendue de ses connaissances concernant les relations sino-tibétaines. Il vient de démontrer, lors d’un débat au Sénat, qu’il était tout aussi compétent en matière de langue bretonne.

Dans cette subtilité qui n’appartient qu’à lui, et qu’heureusement personne ne songe à lui disputer, il vient d’émettre un jugement à l’emporte-pièce dont il est certes coutumier, mais qui ne le rend pas pour autant recevable.

« La langue bretonne, a-t-il assené est celle qui résulte du dictionnaire dit unifié de 1942, qui se substitue aux cinq langues bretonnes existantes. » Il s’ensuit fort logiquement à ses yeux que le breton dont il est aujourd’hui fait usage dans la région est la langue de la « collaboration », et que les écoles qui l’enseignent, à l’instar de Diwan, sont des « sectes »…

Que répondre à ce tissu d’insanités sinon que ce petit monsieur, à dessein ou non, confond langues et dialectes, que le breton unifié n’a pas plus de raison d’être marqué au fer rouge de la collaboration que la fête des mères, instituée par le maréchal Pétain en mai 1941, et que si les écoles Diwan devaient être qualifiées de sectes, ce seraient bien les premières qui n’honoreraient ni idole, ni gourou.

Ces propos diffamatoires n’engagent évidemment que lui, et démontrent à nouveau, l’irrationalité d’une idéologie nationaliste qui, d’où qu’elle vienne, mérite d’être condamnée sans détours. Je regrette qu’il ne se soit pas trouvé une voix socialiste, par exemple, bretonne pour lui répondre.

 

Réponse de Jean-Luc Mélenchon en commentaire
20 mai 2008 à 9:27

La présentation faite de mon propos est totalement erronée. la lecture de mon discours suffit à le constater. Je n’ai jamais dit que la langue bretonne unifiée était la langue de la collaboration. Quant à la référence aux sectes il s’agit d’une interjection en séance, adressée à mon voisin, qui comme telle n’a pas été soumise à ma relecture car je ne l’aurai pas maintenue sachant trop comment d’aucuns y réduirait toute mon argumentation plutôt que d’ouvrir le dialogue avec moi sur le fond de ce que je démontre: la charte des langues régionales ne doit pas être appliquée dans ses parties déclarées anti constitutionnelles. Si l’on doit se prononcer sur ma position, que ce soit sur ce que je dis et non sur des interprétations dont l’unique but est de flétrir plutôt que de réfléchir. Quand à voir un socialiste m’insulter de cette façon sans prendre l’instant d’un contact personnel pour s’assurer de ce qui est en jeu cela montre dans quel état est dorénavant notre parti et la nature des relations qui existent entre les personnes qui le composent.

Je salue amicalement les lecteurs et commentateurs de ce blog et j’y ajoute de la cordialité pour ceux qui l’acceptent.

 

Nouvelle réponse de Jean-Jacques Urvoas en commentaire

J’invite ceux qui lisent cet échange à reprendre le texte intégral de mon interlocuteur. Ils se feront librement leur philosophie. Pour ma part, je connais trop le soin avec lequel Jean Luc Mélenchon prépare ses discours pour ne pas penser un instant à sa naïveté. Le rapprochement volontaire de l’évocation de la langue bretonne et le fameux dictionnaire, l’ellipse avec laquelle il mentionne l’auteur sont volontaires et relève d’une intention manifeste comme aurait dit un juriste.
Par ailleurs, il est juste que je n’ai pas cherché à le joindre. Je ne vois d’ailleurs pas pourquoi. Je commente des propos prononcés dans une enceinte publique et qui n’engagent que leur auteur. Cela aurait été différent si Jean Luc Mélenchon s’était exprimé au nom du PS ! Enfin, s’il me lis, je me permets de lui rappeler que dans le passé, je lui ai écrit une longue lettre suite à ses propos que j’avais déjà trouvé insultants sur le sens du vote positif de la Bretagne en faveur du référendum sur l’Union Européenne. J’attends toujours sa réponse.
Enfin sur l’état du parti, là encore, l’expérience parle d’elle-même. Il y a ceux qui le respecte en acceptant le vote des adhérents et il y a les autres. Du coup….

 

Articles de presse associés à ce débat

  • Langues régionales. Tension entre élus socialistes.

Le Télégramme – 20 mai 2008

Jean-Jacques Urvoas, député socialiste de Quimper, vient de répondre vertement, sur son blog, à Jean-Luc Mélenchon, sénateur socialiste, qui a qualifié Diwan de « secte », lors d’un récent débat sur les langues régionales au Sénat, le 14 mai. La réponse de Jean-Jacques Urvoas est cinglante. « Voilà un élu qui n’honore pas sa fonction, écrit Jean-Jacques Urvoas. Dans cette subtilité qui n’appartient qu’à lui, et qu’heureusement personne ne songe à lui disputer, il vient d’émettre un jugement à l’emporte-pièce dont il est certes coutumier, mais qui ne le rend pas pour autant recevable. « La langue bretonne, a-t-il assené, est celle qui résulte du dictionnaire dit unifié de 1942, qui se substitue aux cinq langues bretonnes existantes ». Il s’ensuit fort logiquement à ses yeux que le breton dont il est aujourd’hui fait usage dans la région est la langue de la « collaboration » et que les écoles qui l’enseignent, à l’instar de Diwan, sont des « sectes »… Que répondre à ce tissu d’insanités sinon que ce petit monsieur, à dessein ou non, confond langues et dialectes, que le breton unifié n’a pas plus de raison d’être marqué au fer rouge de la collaboration que la fête des mères, instituée par le maréchal Pétain en mai 1941 et que si les écoles Diwan devaient être qualifiées de sectes, ce seraient bien les premières qui n’honoreraient ni idole, ni gourou ». En conclusion, Jean-Jacques Urvoas « regrette qu’il ne se soit pas trouvé une voix socialiste, par exemple bretonne, pour lui répondre ».

  • Nom d’oiseau.

Le Télégramme – 18 mai 2008

Dans le vocabulaire politique, c’est devenu un mot à la mode : du Président aux députés, le terme « connards ! » est devenu très tendance. Mais il y a des variantes un peu moins prosaïques, pour peu qu’on s’en donne la peine. On salue, ainsi, le qualificatif utilisé par le député PS finistérien Jean-Jacques Urvoas qui, à propos de Diwan, a traité le sénateur PS Mélenchon de « butor ». Un qualificatif appartenant à la grande série des noms d’oiseaux qui ont fleuri dans l’invective française au fil des siècles. C’est quand même assez classe ! Donc, au Parlement, au lieu de créer le prix du plus gros connard, il conviendrait que nos députés et sénateurs lancent le titre de meilleur butor !

  • Jean-Jacques Urvoas aligne Jean-Luc Mélenchon

Ouest-France – 21 mai 2008

Quand un député PS réplique à un sénateur PS… Jean-Jacques Urvoas, député de Quimper, premier secrétaire de la fédération finistérienne du PS, a tenu, sur son blog, à rétorquer à Jean-Luc Mélenchon, sénateur PS de l’Essonne. Et, dit-il, « au tissu d’insanités de ce petit monsieur ». Jean-Jacques Urvoas vise des propos récents de Jean-Luc Mélenchon qui traite la filière Diwan d’enseignement du breton de « secte ». Une langue bretonne qui, pour le sénateur PS, n’est d’abord qu’une « pseudo-langue dont le vocabulaire et la grammaire furent fixés à la demande de l’occupant nazi en 1941 ». Pour l’élu finistérien, ces propos sont le fruit « d’une idéologie nationaliste ». Et il regrette, au passage, « qu’il ne se soit pas trouvé une voix socialiste, par exemple bretonne, pour lui répondre ». Jean-Jacques Urvoas s’en est donc chargé.

 

Réponse de Jean-Luc Mélenchon sur son propre blog
Butor et demi

Il y a eu un débat mardi 13 mai dernier au Sénat autour d’une question orale avec débat posée par Nicolas Alfonsi (sénateur rdse) à la ministre de la culture et de la communication à propos de la sauvegarde et la transmission des langues régionales ou minoritaires. J’y suis intervenu à la tribune. Mon intervention comme tout le débat est accessible sur le site du Sénat . Bien sûr, j’exprime un point de vue engagé. Je l’ai argumenté avec autant de soin que je le pouvais. J’ai reçu en retour l’habituelle série de mises en cause que des fanatiques m’adressent dans ce genre de circonstances avec la non moins traditionnelle mise en circulation d’interprétations abusives de mes propos. « Tous ceux qui sont en quête d’identité et d’unité ethnique ont besoin d’ennemis » affirme Samuel Huntington le théoricien du « Choc des civilisations » pour décrire la stratégie des groupes ethnicistes, reprenant à son compte l’adage grossier selon lequel : « A moins de haïr ce qu’on n’est pas, il n’est pas possible d’aimer ce qu’on est » Cette fois-ci il y a une nouveauté. Un député socialiste du Finistère, Jean-Jacques Urvoas, me met en cause sur son blog. Le montage de mes propos (avec guillemets mensongers à l’appui) est d’une telle malveillance et si manipulatoire qu’il me paraît extrêmement révélateur d’un état d’esprit. J’ai été très stupéfait de voir comment sa note considère comme acquis non seulement que je soutiens le régime chinois mais que je me prépare à soutenir le régime birman bientôt. Ces propos et les mots utilisés pour me désigner ont une tonalité nauséabonde. Elle n’est pas seulement blessante pour le militant de gauche que je suis. Elle révèle une étrange culture de référence. Je trouve également très significatif le contenu et le ton sur lequel sont faits les commentaires des violents qui approuvent ses propos alors même qu’ils ont eu le moyen de vérifier eux-mêmes l’inanité du montage d’Urvoas en allant vérifier mes propos sur le site du Sénat. Je recommande la découverte de ce visage du folklore local de la haine ethniciste. Le journal « le Télégramme de Brest », a aussitôt jugé intéressant de publier en intégrale la note d’Urvoas. Bien sûr il n’a pris aucun contact avec moi, ni vérifié si ce que disait le député était exact.

Je publie donc ici à la suite d’une part la note du député Urvoas, en premier, ensuite le texte de mon discours tel que le reproduit le journal officiel des débats, puis enfin le texte du « Télégramme de Brest ». J’estime que la confrontation de ces trois textes vaut mieux que bien des démonstrations sur le fonctionnement du lobby ethniciste.

Leur méthode est la suivante : les ethnicistes ne répondent jamais aux questions posées. Au lieu et place d’une confrontation d’arguments raisonnés, ils substituent une posture victimaire : ils sont la Bretagne, quiconque ne partage pas leur thèse est un ennemi des bretons et veut la mort de la culture et de la langue régionale. Un palier de décompression est nécessaire pour faire retour au réel après une immersion dans leur névrose identitaire. Bien sûr ils ne sont pas la Bretagne. Seulement une partie de son opinion. Bien sûr le refus de la Charte des langues régionales n’a rien à voir avec la négation des langues et cultures régionales. Tout cela je l’ai dit et expliqué à la tribune du Sénat sans aucune ambigüité. Cela ne rend que plus révélateur ce que signifie en réalité le texte d’Urvoas. Mes amis sur place me disent de n’en tenir aucun compte. Jean-Jacques Urvoas, récemment battus dans le vote des militants de sa fédération et contraint à la démission du poste de premier secrétaire fédéral serait en recherche d’une bagarre identitaire pour se ressourcer comme porte drapeau local. Je ne sais pas du tout si c’est vrai. Je sais seulement qu’il est comme moi parlementaire de la République française et que ses paroles ont donc un sens de portée nationale, destiné à la réflexion de tous, bien au delà de sa circonscription.

Sous le titre : butor

D’abord donc le texte du blog d’Urvoas à mon sujet.

« Voilà un élu qui n’honore pas sa fonction. Il y a quelques jours, nous avions découvert l’étendue de ses connaissances concernant les relations sino-tibétaines. Il vient de démontrer, lors d’un débat au Sénat, qu’il était tout aussi compétent en matière de langue bretonne. Dans cette subtilité qui n’appartient qu’à lui, et qu’heureusement personne ne songe à lui disputer, il vient d’émettre un jugement à l’emporte-pièce dont il est certes coutumier, mais qui ne le rend pas pour autant recevable. « La langue bretonne, a-t-il assené est celle qui résulte du dictionnaire dit unifié de 1942, qui se substitue aux cinq langues bretonnes existantes. » Il s’ensuit fort logiquement à ses yeux que le breton dont il est aujourd’hui fait usage dans la région est la langue de la « collaboration » et que les écoles qui l’enseignent, à l’instar de Diwan, sont des « sectes »… Que répondre à ce tissu d’insanités sinon que ce petit monsieur, à dessein ou non, confond langues et dialectes, que le breton unifié n’a pas plus de raison d’être marqué au fer rouge de la collaboration que la fête des mères, instituée par le maréchal Pétain en mai 1941, et que si les écoles Diwan devaient être qualifiées de sectes, ce seraient bien les premières qui n’honoreraient ni idole, ni gourou. Ces propos diffamatoires n’engagent évidemment que lui, et démontrent à nouveau, l’irrationalité d’une idéologie nationaliste qui, d’où qu’elle vienne, mérite d’être condamnée sans détours. Je regrette qu’il ne se soit pas trouvé une voix socialiste, par exemple, bretonne pour lui répondre. »

Mon intervention à la tribune du Sénat

« Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, en montant à cette tribune, je suis persuadé que, quels que soient les points de vue que vous exprimez sur ce sujet, tous ici vous vous sentez aussi patriotes que moi-même, aussi attachés à l’unité et à l’indivisibilité de la République française que je le suis et dignes continuateurs du progrès constitué par l’ordonnance de Villers-Cotterêts : ce texte a établi le français comme langue du royaume, permettant à chacun de se défendre, de témoigner, d’attaquer en justice et d’être compris par les autres.

Mais l’homme qui s’exprime en cet instant, fier d’être jacobin, ne parlant que la langue française pour s’adresser à vous ou bien l’espagnol, langue de ses grands-parents, et qui, s’il devait apprendre une autre langue, choisirait l’arabe, langue minoritaire la plus parlée dans la région d’Île-de-France dont il est l’élu, ne vient pas devant vous pour discuter de la question de savoir si l’on est pour ou contre les langues régionales – ce qui est absurde – ou, pire encore, si l’on est pour ou contre la diversité culturelle : il s’agit de savoir si le cadre légal existant est adapté, car il en existe déjà un, ou si la France a besoin de ratifier la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires pour faire progresser la diffusion de celles-ci.

Pour ma part, je n’accepte pas la caricature qui voudrait faire croire que la République française réprime ou méprise les langues régionales. Ce n’est pas vrai ! La France s’est dotée dès les années cinquante d’un cadre législatif très favorable aux langues régionales ; elle était même en avance sur beaucoup de pays d’Europe à cet égard.

La loi du 11 janvier 1951 relative à l’enseignement des langues et dialectes locaux, qui porte le nom du socialiste Maurice Deixonne, a officiellement autorisé et favorisé l’apprentissage des langues régionales de France dans l’enseignement public : le basque, le breton, le catalan et l’occitan, auxquels se sont ajoutés ensuite le corse en 1974, le tahitien en 1981, et quatre langues mélanésiennes en 1992. De sorte qu’aujourd’hui, et depuis 1970, tous les élèves qui le souhaitent voient ces enseignements pris en compte pour l’obtention du baccalauréat.

La loi Toubon de 1994 a confirmé ce cadre légal favorable et Lionel Jospin, par la loi du 22 janvier 2002, a mis des moyens particulièrement importants à la disposition de l’enseignement de la langue corse, si bien que quiconque le veut peut suivre un enseignement en corse à l’école, au collège et au lycée, à raison de trois heures par semaine.

L’État a aussi contribué, en lien avec les collectivités locales qui le demandaient, à rendre possibles les signalisations routières bilingues, ce qui permet, dans certains départements, de pouvoir enfin lire les indications rédigées en français, qui étaient jusque-là surchargées de graffitis. Par ailleurs, de nombreuses régions font preuve d’innovation pour favoriser le développement des cultures et des langues régionales.

Par conséquent, rien dans le cadre légal et réglementaire actuel, ni dans la pratique effective, n’est de nature à brider la pratique et la transmission des langues régionales. Et il n’existe pas une voix en France – pas même la mienne ! – qui s’oppose à ce que soient pratiquées les cultures ou les langues régionales. Si le nombre de locuteurs diminue et si leur âge moyen s’élève, il faut en chercher la cause ailleurs que du côté de la République et de la loi !

La Charte européenne des langues régionales ou minoritaires n’est pas un remède acceptable. Elle est loin de faire l’unanimité en Europe. Contrairement à ce que l’on entend souvent, trop souvent, la France n’est pas l’un des « rares » pays européens à ne pas avoir ratifié cette charte. Quatorze pays membres du Conseil de l’Europe ne l’ont pas signée, dont la Belgique, le Portugal, la Grèce ou l’Irlande, qui ne sont pas des États réputés liberticides. Je pense que personne ici n’a l’intention de comparer le comportement de la République française, quels que soient ses gouvernements, à ceux des gouvernements des pays baltes qui, eux, procèdent à une revanche linguistique à l’égard des russophones.

Parmi ceux qui ont signé cette charte, comme la France, dix États ne l’ont pas ratifiée, dont l’Italie. Au total, vingt-quatre pays membres du Conseil de l’Europe se refusent donc à rendre applicable cette charte sur leur territoire. Cela peut être attribué non pas exclusivement à leur mépris pour les langues régionales minoritaires, mais probablement à d’autres causes ; j’évoquerai l’une d’entre elles tout à l’heure. La France est donc loin de constituer un cas particulier.

La France applique déjà beaucoup d’articles de la charte sans avoir besoin de la ratifier. Vous savez qu’il existe deux types de dispositions : les préconisations impératives et celles qui sont optionnelles. Un grand nombre de préconisations impératives sont déjà appliquées ; je n’évoquerai, pour l’exemple – je vous en épargnerai la lecture –, que les articles 7-1-f, 7-1-g et 7-2. Parmi les préconisations optionnelles que la France respecte, on peut citer les articles 8-1-b, 8-1-c, 10-2-g.

Il n’est donc pas vrai que nous ayons besoin de ratifier la charte pour en appliquer les dispositions qui ne sont pas contraires à notre Constitution, et c’est de celles-ci qu’il faut parler !

J’ajoute, ayant été ministre délégué à l’enseignement professionnel et ayant eu à connaître de cette question, que la définition des langues minoritaires donnée par la charte est extrêmement discutable et confuse.

J’observe qu’elle exclut de son champ d’application toutes les langues des migrants – je pense à l’arabe, à la langue berbère et à bien d’autres – comme si les citoyens qui les parlent du fait de leurs liens familiaux, alors qu’ils sont Français, devaient considérer ces langues comme des langues étrangères, comme si l’on demandait aux Algériens, aux Sénégalais, aux Maliens et à combien d’autres de considérer la langue française comme une langue étrangère à leur culture ! (Mme Alima Boumediene-Thiery s’exclame.) Pourtant, c’est ce que fait cette charte !

Cette définition extrêmement confuse aboutit à ce que certaines langues soient reconnues comme minoritaires dans un pays et ne le soient pas dans l’autre, alors qu’elles sont parlées dans les deux pays dans les mêmes conditions. C’est le cas du yiddish, reconnu comme langue minoritaire aux Pays-Bas, mais pas en Allemagne ou dans certains pays de l’Est où il est tout autant parlé.

Cette définition très floue peut être, finalement, discriminatoire et elle aboutit à des reconstructions de l’histoire. Je veux bien, chers collègues, que l’on parle de la langue bretonne, mais encore doit-on préciser qu’elle résulte du dictionnaire dit « unifié » de 1942 et qu’elle se substitue aux cinq langues qui existent réellement dans la culture bretonne.

M. Gérard Le Cam. C’est vrai !

M. Jean-Luc Mélenchon. À cet instant, je ne ferai mention ni du fait que l’auteur dudit dictionnaire est un collaborateur des nazis, qui a été condamné à l’indignité nationale, s’est enfui et n’est jamais revenu dans notre pays, ni des conditions dans lesquelles ce dictionnaire a été rédigé et financé à l’époque.

La définition retenue par la charte aboutirait, par exemple, à des absurdités concernant le créole, et bien injustement. Je me souviens d’avoir demandé, en tant que ministre délégué à l’enseignement professionnel, quel créole on devait enseigner ; j’y étais prêt, car cela facilitait l’apprentissage des élèves. Eh bien, trois ans après, je n’avais toujours pas de réponse, parce qu’il n’y a pas un créole, mais des créoles ! Par conséquent, on est amené à choisir, trier, exclure, discriminer de nouveau au moment où l’on croit intégrer. Ce n’est pas pour rien que nos institutions écartent ce type de charte !

Enfin, j’aborde ce qui constitue pour moi le cœur du problème. Il ne s’agit pas de dire que la sauvegarde des langues et cultures régionales nous pousse sur la pente qui conduit automatiquement à la sécession, au particularisme et au communautarisme. Telle n’est pas mon intention ! Mais j’ai bien l’intention de dire que le risque existe. Il ne saurait être question, sous prétexte de respect de la diversité culturelle, d’admettre un point en contradiction absolue avec la pensée républicaine : il n’y a pas lieu de créer des droits particuliers pour une catégorie spécifique de citoyens en raison d’une situation qui leur est propre.

Le fait de parler une langue différente ne suffit pas à instituer des droits particuliers en faveur de ses locuteurs ! Or c’est ce que prévoit explicitement la charte : il s’agit d’encourager la pratique de ces langues « dans la vie publique et la vie privée ».

S’agissant de la vie privée, je rappelle que le caractère laïque de notre République interdit que les institutions gouvernementales et étatiques fassent quelque recommandation que ce soit concernant la vie privée des personnes.

Quant à la vie publique, il est précisé que les États doivent « prendre en considération les besoins et les vœux exprimés par les groupes pratiquant ces langues ».

À l’évidence, ce texte a été écrit à l’intention de pays où des secteurs entiers de la population parlent une autre langue que la langue nationale et seulement celle-là, comme c’est le cas des minorités hongroises ou autres, qui existent dans divers pays de l’Union européenne. Mais en aucun cas il n’a été écrit pour la France, car dans quelles conditions peut-on désigner les représentants de ces groupes ? Va-t-on maintenant élire des représentants des locuteurs de telle ou telle langue ? Non ! C’est en totale contradiction avec l’idée d’égalité républicaine !

Il ne peut être question de faire bénéficier de procédures en langues régionales devant les autorités judiciaires, comme le prévoit l’article 9 de la charte, ou devant les services publics, comme le décide l’article 10. Témoigner, poursuivre en justice, signer des contrats dans une autre langue que la langue française constituerait un recul par rapport à l’ordonnance de Villers-Cotterêts. Pourtant, c’est ce que prévoit cette Charte européenne des langues régionales ou minoritaires !

Le Conseil constitutionnel a donc eu raison de dire, en 1999, qu’en conférant « des droits spécifiques à des “ groupes ” de locuteurs de langues régionales ou minoritaires, à l’intérieur de “ territoires ” dans lesquels ces langues sont pratiquées, [cette Charte] porte atteinte aux principes constitutionnels d’indivisibilité de la République, d’égalité devant la loi et d’unicité du peuple français. »

Après l’exposé de ces raisons juridiques, philosophiques et républicaines, je voudrais enfin souligner, d’une façon plus personnelle, qu’il ne saurait être question de ne pas tenir compte de l’origine de la charte, à l’heure où beaucoup prétendent, à la suite de Samuel Huntington et de sa théorie du choc des civilisations qui est aujourd’hui la doctrine officielle d’un certain nombre de stratèges de la première puissance mondiale et de quelques autres pays, que, dorénavant, « dans le monde nouveau, la politique locale est “ethnique”, et la politique globale “civilisationnelle” ».

Cette origine, sans doute nombre de mes collègues l’ignorent-ils ; c’est pourquoi je veux la leur apprendre.

La charte, adoptée en 1992 par le Conseil de l’Europe, a été préparée, débattue et rédigée par plusieurs groupes de travail de cette instance qui étaient animés par des parlementaires autrichiens, flamands et allemands tyroliens. Leur point commun était d’être tous issus de partis nationalistes ou d’extrême droite et d’être membres de l’Union fédéraliste des communautés ethniques européennes, la FUEV selon l’abréviation allemande. Cette organisation est aujourd’hui dotée d’un statut consultatif au Conseil de l’Europe, et elle se présente elle-même comme la continuatrice du Congrès des nationalités, instrument géopolitique du pouvoir allemand dans les années trente ! Un des principaux laboratoires de l’élaboration de la charte fut ainsi le groupe de travail officiel du Conseil de l’Europe sur la protection des groupes ethniques, dont la création a été obtenue par la FUEV et qui est également connu pour ses travaux sur le « droit à l’identité », le Volkstum.

Pour toutes ces raisons, la République française n’a donc rien à gagner à modifier sa Constitution pour ratifier la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires. Elle ne pourrait que se renier en le faisant. Elle doit, tout au contraire, continuer sa politique bienveillante et intégratrice, qui donne aux cultures et aux langues régionales toute leur place dès lors que la République est première chez elle ! (Applaudissements sur certaines travées du groupe socialiste et de l’UC-UDF). »

Le Télégramme de Brest

Le journal le « Télégramme » reproduit la quasi totalité de la note du blog de Jean-Jacques Urvoas, accréditant ainsi la réalité du raisonnement que me prête le député et de la citation mensongère, entre guillemets sur la « langue de la collaboration ». Comme on le sait, les journalistes vérifient les informations et les sources de celles-ci avant de publier. J’en déduis que si le rédacteur en chef a considéré la vérité comme négligeable dans cet échange c’est peut-être qu’il avait un autre objectif. En l’occurrence il s’agirait de politique locale. La situation serait destinée à illustrer les « tensions entre élus socialistes » qui font le titre. Car les regrets de fin de note de Jean-Jacques Urvoas sur les voix bretonnes socialistes qui ne m’ont pas répliqué visent en fait les sénateurs socialistes du département qui viennent d’infliger un camouflet au député Urvoas également Premier secrétaire de la fédération socialiste du Finistère en battant sa liste à l’investiture des sénatoriales.

« Jean-Jacques Urvoas, député socialiste de Quimper, vient de répondre vertement, sur son blog, à Jean-Luc Mélenchon, sénateur socialiste, qui a qualifié Diwan de « secte », lors d’un récent débat sur les langues régionales au Sénat, le 14 mai. La réponse de Jean-Jacques Urvoas est cinglante.« Voilà un élu qui n’honore pas sa fonction, écrit Jean-Jacques Urvoas. Dans cette subtilité qui n’appartient qu’à lui, et qu’heureusement personne ne songe à lui disputer, il vient d’émettre un jugement à l’emporte-pièce dont il est certes coutumier, mais qui ne le rend pas pour autant recevable. « La langue bretonne, a-t-il assené, est celle qui résulte du dictionnaire dit unifié de 1942, qui se substitue aux cinq langues bretonnes existantes ». Il s’ensuit fort logiquement à ses yeux que le breton dont il est aujourd’hui fait usage dans la région est la langue de la « collaboration » et que les écoles qui l’enseignent, à l’instar de Diwan, sont des « sectes »… Que répondre à ce tissu d’insanités sinon que ce petit monsieur, à dessein ou non, confond langues et dialectes, que le breton unifié n’a pas plus de raison d’être marqué au fer rouge de la collaboration que la fête des mères, instituée par le maréchal Pétain en mai 1941 et que si les écoles Diwan devaient être qualifiées de sectes, ce seraient bien les premières qui n’honoreraient ni idole, ni gourou ».En conclusion, Jean-Jacques Urvoas « regrette qu’il ne se soit pas trouvé une voix socialiste, par exemple bretonne,pour lui répondre ».

 

« La revanche des langues régionales »
Article dans Le Monde
3 juin 2008

Jean-Louis Andreani

Si le projet de loi de révision constitutionnelle, assorti de l’amendement surprise adopté à l’Assemblée nationale le 22 mai, va au bout de son parcours parlementaire, la Ve République reviendra, pour une part, sur le chemin emprunté par la IIIe. Soucieux de cimenter définitivement l’unité nationale, les instituteurs, les « hussards noirs » de cette République-là, avaient mis beaucoup d’énergie, à la fin du XIXe et au début du XXe siècle, à extirper de la vie quotidienne des élèves de l’école publique tout ce qui était patois et parlers locaux.

Un siècle après, les régionalistes prennent une petite revanche sur les instituteurs républicains. Parti, il y a une vingtaine d’années, des seules mouvances régionalistes, autonomistes, voire indépendantiste pour la Corse, le militantisme en faveur des langues régionales s’est élargi pour gagner les sphères politiques classiques. Jusqu’à déboucher sur le vote presque unanime des députés, désireux d’inscrire dans la Constitution que les langues régionales font partie du « patrimoine » de la France. Quelques semaines auparavant, pour la première fois dans l’histoire de la Ve, un débat sans vote avait été organisé au Parlement, le 7 mai à l’Assemblée, le 13 mai au Sénat.

En Bretagne, des élus de tous bords, en particulier des socialistes comme Bernard Poignant ou Marylise Lebranchu, ancienne ministre de la justice, ont rejoint depuis longtemps les rangs des défenseurs du breton et des autres langues régionales. Ainsi, dans un rapport pour Lionel Jospin, alors premier ministre, M. Poignant affirmait déjà, en 1998, que ces idiomes faisaient partie du « patri moine » de la République. Même dans des régions comme la Picardie, à l’identité moins affirmée que l’Alsace, la Bretagne ou la Corse, les efforts en faveur du parler picard s’intensifient.

Pour tous les militants ou sympathisants des langues régionales, le symbole d’une garantie constitutionnelle est bien sûr très fort. Toutefois, le pas décisif, de leur point de vue, reste à franchir. Il s’agit de la ratification de la charte européenne des langues régionales et minoritaires.

En France, l’affaire de la charte a fourni la matière d’un long feuilleton. Ce texte a été adopté par le Conseil de l’Europe en 1992. Il est signé par dix-neuf Etats membres, ratifié par quinze. Au départ, la France ne figure dans aucune des deux listes. Jacques Chirac en 1996, puis M. Jospin en 1998, ont tenté de faire bouger les lignes, mais le Conseil d’Etat et le Conseil constitutionnel se sont toujours opposés à la ratification. En effet, depuis une révision constitutionnelle de 1992, l’article 2 du texte fondamental précise que « la langue de la République est le français ». Conçu au départ pour lutter contre l’envahissement de l’anglais, cet ajout s’est retourné contre les langues régionales.

En 1996, consulté par Alain Juppé, premier ministre de M. Chirac, le Conseil d’Etat juge que cette rédaction rend impossible l’adhésion à la charte. Dans une conversation avec des élus bretons, le président de la République s’était dit d’accord avec les principes du texte, mais avait demandé à M. Juppé d’y regarder de plus près. Deux ans plus tard, M. Jospin, alors premier ministre du même Jacques Chirac, s’appuie au contraire sur une expertise du constitutionnaliste Guy Carcassonne pour engager le processus de signature. Le 7 mai 1999, le gouvernement de cohabitation signe le document, avec un blanc-seing officiel du président de la République. Le texte doit être soumis à ratification en 2000. Mais, avant même la signature, le Conseil constitutionnel, saisi par M. Chirac, suit un raisonnement différent pour arriver au même avis que le Conseil d’Etat. M. Jospin propose une révision constitutionnelle, M. Chirac la refuse en juin 1999.

Depuis, le dossier est resté dans les cartons. Les adversaires de la charte mettent surtout en avant les obligations qu’elle entraînerait, par exemple la possibilité pour un justiciable d’exiger un procès dans sa langue régionale, qui paraissent contraires à la conception française de la République et imposeraient coûts et lourdeurs administratives inenvisageables. Les partisans de l’adhésion à la charte rétorquent que ce texte est une sorte de « libre-service », dans lequel les Etats choisissent les alinéas qu’ils souhaitent mettre en oeuvre sans aucune obligation de choisir les plus contraignants. C’est ce qu’avait fait valoir M. Carcassonne.

BESOIN DE RACINES

En fait, les langues régionales, ou en tout cas la ratification de la charte qui officialiserait leur reconnaissance, suscitent toujours un sursaut d’inquiétude chez certains politiques. Ainsi, pour refuser la révision constitutionnelle proposée par M. Jospin, M. Chirac avait jugé que celle-ci « porterait atteinte aux principes fondamentaux de notre République ». De même, le 7 mai à l’Assemblée, la ministre de la culture, Christine Albanel, avait précisé que la ratification serait « contraire à nos principes ». Lors du débat au Sénat, Jean-Luc Mélenchon (PS) avait été encore plus clair. « Fier d’être jacobin », il avait traité de « sectes » les écoles Diwan qui pratiquent un enseignement bilingue français-breton.

De façon plus ou moins explicite, les adversaires de la reconnaissance des langues régionales les jugent inutiles voire dangereuses, porteuses de ferments de communautarisme. Ils soupçonnent toujours le patriotisme ou même les convictions républicaines de leurs défenseurs. Ainsi les militants du breton traînent comme un boulet les sympathies pronazies, pendant la seconde guerre mondiale, d’un autonomiste historique, Olier Mordrel.

A l’inverse, les défenseurs des langues régionales qui, dans leur quasi-totalité, sont étrangers à toute idée d’indépendance, se prévalent d’un esprit de tolérance, d’acceptation des cultures minoritaires. Ils soulignent que le besoin de racines, la revendication d’une identité régionale, sont un corollaire de la globalisation. Ils ne pensent pas que la survie et l’usage des langues régionales menacent l’unité de la France. Au contraire, le refus de cette expression n’aboutirait selon eux qu’à exacerber un sentiment d’injustice.

Dans l’immédiat, les défenseurs des langues régionales se mobilisent déjà pour rouvrir le dossier de la charte. Le vote massif du 22 mai, s’il se traduit bien dans la Constitution, peut-il préfigurer un nouveau choix parlementaire en faveur de la charte, malgré le refus prévisible du gouvernement ? Dans ce cas, Mme Lebranchu « ne voit pas comment le Conseil constitutionnel pourrait s’oppo ser à la ratification » du texte européen.

 

« Le Sénat recale les langues régionales »
Ouest-France – 19 juin 2008

Jacques Rouil

Pour les élus du palais du Luxembourg, elles n’appartiennent pas au patrimoine de la nation. Le Sénat représente, en principe, la diversité des territoires et des collectivités françaises. Pas si sûr. Hier, par 216 voix contre 103, les sénateurs ont adopté, contre l’avis du gouvernement, un amendement supprimant la référence aux langues régionales que les députés avaient adoptée en première lecture, le 22 mai.

La majorité UMP, mais aussi les centristes, les communistes, les radicaux – dont l’ancien PS Michel Charasse – et quelques sénateurs PS, comme Robert Badinter ou Jean-Luc Mélenchon, ont voté la suppression alors que la majorité du PS, les Verts et quelques UMP ont voté « contre ». Mélenchon, à l’origine de l’amendement, n’avait pas hésité, dans un texte rendu public la veille, à mettre les langues régionales sur le même plan que le boeuf bourguignon ou le sauté de veau.

Hier soir, le député UMP breton Marc Le Fur, à l’origine de l’affaire des langues régionales à l’Assemblée, restait stupéfait devant un Sénat qu’il croyait « être l’assemblée des Régions, l’institution la plus étrangère au jacobinisme, la plus éloignée du parisianisme ».

Le 22 mai, l’Assemblée nationale avait décidé, à la quasi-unanimité, d’ajouter au premier article de la Constitution une phrase stipulant que « les langues régionales appartiennent au patrimoine » de la nation. Une disposition qui avait déclenché des applaudissements dans les Régions françaises, mais aussi un véritable feu roulant à Paris, notamment sous la Coupole, où siègent de grands experts de la langue et de la littérature.

Les académiciens, dans une démarche extrêmement politique, avaient estimé, lundi, que la reconnaissance des langues régionales portait « atteinte à l’identité nationale ». Ils avaient demandé le retrait de l’article. Entre la Coupole et le Luxembourg, il n’y a qu’un pas.

 

« Une précision du sénateur Mélenchon »
Ouest-France – 23 juin 2008

Hostile à la reconnaissance constitutionnelle des langues régionales, le sénateur socialiste Jean-Luc Mélenchon conteste avoir mis les langues régionales sur le même plan que le boeuf bourguignon ou le sauté de veau (voir Ouest-France du jeudi 19 juin). Il parle « d’une pure invention ». NDLR : précisons que dans un courrier envoyé aux sénateurs, Jean-Luc Mélenchon écrit : « Toutes sortes de spécificités culturelles, linguistiques, philosophiques, vestimentaires, culinaires… font partie du patrimoine de la France. Pourquoi ne mentionner que les langues régionales ? »

 

« Quand le régionalisme déstabilise les Etats »
A Gauche – 22 mai 2008

Partout les politiques libérales tentent de faire reculer la puissance publique et les solidarités. Mais les crises induites par cette mise au norme présentent des formes et des intensités diverses selon la puissance de la charge libérale comme l’histoire des sociétés concernées. Une des figures les plus extrêmes de ces crises est la dislocation d’Etats-nations sous l’effet du régionalisme. L’actualité brûlante fournit plusieurs exemples de déstabilisation régionaliste des Etats.

La Belgique à l’agonie

A force de durer et donc de sembler interminable, la crise de l’Etat belge est en train de laisser indifférente une bonne partie des élites comme des médias français. Le dernier rebondissement dans le contentieux autour de l’arrondissement bilingue de Bruxelles-Hal-Vilvorde est ainsi en partie passé sous silence alors qu’il a marqué une rupture politique majeure. Début mai 2008, pour la première fois dans l’histoire belge, les députés flamands se sont en effet coalisés à la chambre au-delà de leur appartenance partisane (chrétiens-démocrates, socialistes, libéraux, nationalistes) pour constituer une majorité numérique flamande pour tenter d’imposer la partition de cet arrondissement bilingue. Au passage, cette coalition ethnique, qui ne correspond pas à la coalition qui soutient l’actuel gouvernement (chrétiens-démocrates flamands, socialistes wallons et libéraux flamands et wallons), a exigé du premier ministre Leterme (flamand) qu’il présente d’ici le 15 juillet une réforme institutionnelle renforçant encore les pouvoirs de la région flamande. Refusant de se lancer dans un véritable affrontement ethnique à la chambre, les partis francophones ont choisi de ne pas se retirer de la coalition gouvernementale mais de bloquer provisoirement le vote en déposant des recours. Mais ils excluent toute évolution affaiblissant un peu plus l’Etat belge, ce qui place à nouveau le pays dans une impasse politique.

Un projet de partition ethnique qui recouvre un projet de classe

Pour les flamands, cet arrondissement bilingue est un verrou essentiel à faire sauter pour délimiter physiquement une frontière entre Flandres et Wallonie, et ainsi ouvrir la voix à une vraie partition du pays. Et la principale revendication flamande en matière de nouvelle autonomie porte sans surprise sur le domaine social où le patronat, appuyé par les médias flamands veut en finir avec les transferts sociaux de la Flandres prospère vers la Wallonie où le chômage est deux fois plus élevé. En matière de politiques publiques, la sécurité sociale est en effet tout ce qui reste de la Belgique, hormis la défense et les affaires étrangères. Tout le reste a été transféré aux régions mais sans maintenir aucune régulation fédérale, si bien que la Belgique est aujourd’hui un Etat sans hiérarchie des normes dans beaucoup de domaines. A tel point que la constitution elle-même qualifie de « compétences résiduelles » les attributions de l’Etat belge. Cette décentralisation-démantélement a placé de nombreux citoyens dans des situations de non droit sans recours possible : les services du logement discriminent ainsi ouvertement en fonction de la langue et il est devenu impossible pour un francophone d’obtenir un logement social en Flandres. Il en est de même pour acheter un logement ou un commerce. Et les entreprises pratiquent sans vergogne la préférence régionale dans leur recrutement. On voit à travers ces exemples comment une partition ethnique profonde est à l’œuvre derrière l’agonie de la Belgique.

Bolivie : l’autonomie régionale contre la gauche

La Bolivie est déchirée depuis l’arrivée au pouvoir d’Evo Morales en 2006 par un mouvement séparatiste qui dissimule sous couvert de régionalisme une dimension à la fois raciste et de classe. Les régions riches des plaines du sud du pays, qui concentrent les grandes propriétés terriennes et les hydrocarbures s’opposent aux deux principaux chantiers du gouvernement Morales : d’une part la réforme agraire qui vise à contrôler l’utilité économique et sociale des grandes propriétés, d’autre part la redistribution des revenus des hydrocarbures que les provinces du sud voudraient conserver à leur profit. Voyant ce risque régionaliste se profiler, Evo Morales a décidé dès juillet 2006 de convoquer un référendum sur l’autonomie régionale en même temps que l’élection de l’assemblée constituante. Résultat : 56 % du pays (soit 2 points de plus que le score d’élection Morales) a refusé l’autonomie régionale accrue. Mais la victoire du oui dans les 4 provinces riches du sud a été utilisée par leurs gouverneurs pour poursuivre l’agitation régionaliste contre le gouvernement. Le patronat est directement à l’initiative des comités civiques régionaux qui animent le mouvement, dont le plus virulent est le comité pro-santa-cruz présidé par Branko Marinkovic, le patron de la plus grosse entreprise d’huile alimentaire du pays. Les principaux médias sont aussi impliqués dans cette fronde régionaliste, à commencer par la 1ère chaine de télévision Unitel contrôlée par une famille de grands propriétaires fonciers de Santa-Cruz. Depuis 2006, cette épreuve de force n’a cessé de se durcir, avec la multiplication de violences contre des représentants du gouvernement et d’attentats contre des infrastructures. Les autonomistes ont également engagé une véritable guerre économique contre le reste du pays et n’ont pas hésité à organiser, en totale illégalité, un nouveau référendum en faveur de l’autonomie. La dimension ethniciste et raciste de ce mouvement régional est omniprésente, le maire de Santa Cruz, Percy Fernández, ayant récemment déclaré à la télévision : « Dans ce pays, bientôt, il faudra se peindre et se mettre des plumes pour exister ! ».

Les USA experts en autonomie régionale

Les Etats-Unis sont impliqués de très près la déstabilisation bolivienne. Des paramilitaires colombiens se sont infiltrés dans le pays et ne cachent pas leurs liens avec l’ambassadeur américain qui s’est fait photographié avec l’un d’entre eux. Début 2008, des médias américains ont aussi révélé que l’ambassade américaine utilisait des programmes de coopération éducative et culturelle pour financer et organiser des activités d’espionnage, en particulier le prestigieux programme Fullbright dont les représentants dans la région de Santa Cruz étaient chargés de dresser des rapports sur les noms et activités d’éventuels Cubains ou Vénézuéliens dans la région. A chaque fois, ces activités américaines illicites ont été condamnées publiquement par le président Morales et les auteurs expulsés de Bolivie, le tout sans la moindre excuse des Etats-Unis. Et pour cause. En effet ces derniers n’ont pas nommé n’importe qui comme ambassadeur à La Paz. Dès l’arrivée au pouvoir d’Evo Morales en 2006, Bush a nommé ambassadeur Philip Goldberg, un des principaux experts en autonomie régionale du Département d’Etat américain. Goldberg a été successivement ambassadeur adjoint en Bosnie, chef de la délégation américaine aux négociations de Dayton qui ont acté la pulvérisation ethnique de la Yougoslavie et enfin ambassadeur des Etats-Unis au Kosovo où il a directement préparé l’indépendance de cet Etat artificiel. L’arrivée de Philip Goldberg en Bolivie et la montée en puissance d’un mouvement séparatiste n’ont donc rien d’une coïncidence. L’agitation ethnique et régionaliste est une des stratégies des Etats-Unis pour déstabiliser tous les pouvoirs qui s’opposent à leur domination. On pourrait en multiplier à l’envie les exemples. Le Tibet en est une des illustrations emblématiques, avec le soutien tant financier que politique que le gouvernement américain apporte depuis des années au Dalaï Lama, de manière complètement déconnectée de la situation des Tibétains restés en Chine.

Les mouvements ethnicistes et les Etats-Unis ont en commun d’être engagés dans une lutte à mort pour la survie. Les premiers résistent au mouvement radical de sécularisation des sociétés et de progrès nationaux et internationaux d’une conception universelle et égalitaire de l’humanité née avec les Lumières. Les seconds font face à une redistribution durable des cartes de la puissance économique et essaient de conjurer leur déclin en entraînant le monde dans la logique du « choc des civilisations ». Cette articulation n’a pas échappé au théoricien du « choc des civilisations », Samuel Huntington, qui affirme que « dans le monde nouveau la politique globale est civilisationnelle et la politique locale est ethnique ».

Laurent MAFFEÏS

Les langues régionales vont-elles entrer dans la Constitution française ?

Jeudi 22 mai dernier, en pleine discussion sur la réforme des institutions, a été adopté à l’assemblée nationale un amendement à la constitution concernant les langues régionales. Présenté par le rapporteur UMP Wassermann, cet amendement ajoute une phrase à l’article 1er de la constitution qui serait désormais rédigé ainsi :

« La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale. Elle assure l’égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d’origine, de race ou de religion. Elle respecte toutes les croyances. Son organisation est décentralisée. Les langues régionales appartiennent à son patrimoine. »

Par son positionnement dans l’article 1er de la constitution qui définit la République, cet amendement accorde aux langues régionales une place disproportionnée. Surtout, cela manifeste une préférence pour un particularisme (le fait linguistique régionale), alors même que l’article 1er de la constitution garantit l’égalité des citoyens sans distinction d’origine. Alors que la République doit appartenir à tous, on instaure ainsi une préférence en faveur d’une certaine particularité (la particularité linguistique régionale) au détriment de toutes les autres. Il y aurait en effet un nombre infini de spécificités qui pourraient être reconnues comme faisant partie du patrimoine de la France. Et des spécificités concernant bien plus d’habitants que la pratique d’une langue régionale qui n’en concerne au plus que 15 % (10 millions de locuteurs avancés par les défenseurs des langues régionales). Toutes sortes de spécificités culturelles, philosophiques, vestimentaires, culinaires, sportives, artistiques, politiques font partie en effet du patrimoine de la France.

Avec cet amendement, la constitution évoquera les langues régionales avant de mentionner le français, qui ne figure qu’à l’article 2.

Au passage, est aussi instaurée une discrimination entre langues minoritaires, car les langues des migrants ne sont pas considérées en droit comme des langues régionales, alors qu’elles sont au moins autant parlé en France que les langues régionales !

Même si le gouvernement s’en défend, cet amendement ouvre aussi une brèche dans la constitution, en faveur de la ratification de la charte européenne des langues régionales. Depuis une décision de 1999 du Conseil constitutionnel, celle-ci était en effet considérée, comme contraire à la constitution, car violant l’égalité républicaine par l’octroi de droits particuliers à des groupes de locuteurs, dont le droit à pratiquer la langue régionale dans la vie publique (tribunaux, services publics, administrations etc)est reconnu par la charte.

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