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Ces juges qui font les yeux doux à Le Pen

Que se passe-t-il avec madame Le Pen dans les tribunaux ? Cette semaine, deux sénateurs frontistes sont passés à l’attaque contre le droit de se syndiquer dont bénéficient les juges. Mesure absurde destinée à réjouir la trogne des beaufs qui discutent en fin de banquet. On suppose qu’à la veille de ce qu’elle croit être sa prise du pouvoir, l’extrême droite veut créer une ambiance de peur. D’autant que les magistrats qui s’occupent des affaires de financements du FN sont sans doute très redoutés dans la petite camarilla familiale des Le Pen. On peut pourtant se demander si l’intimidation ne fonctionne pas déjà. Car madame Le Pen ne bénéficie-t-elle pas plutôt déjà d’une sorte d’impunité ? Deux informations récentes y font penser. Il semble devenu difficile de faire rendre gorge à Madame Le Pen pour ses atteintes aux règles de fonctionnement de la démocratie ou pour ce que nous considérons comme des incitations à la haine raciale ! Voyons cela.

On se souvient de l’affaire des prières de rue comparée par madame Le Pen à l’« occupation » nazie. Poursuivie pour incitation à la haine raciale, elle a bénéficié contre toute attente d’une demande de relaxe de la part du procureur de Lyon, Bernard Reynaud. Il a repris étrangement l’argumentaire de l’avocat de Marine Le Pen. Il a considéré qu’elle ne visait pas les musulmans ou l’Islam en général et n’avait donc « fait qu’exercer sa liberté d’expression ». Si condamnable que soit la pratique d’un culte sur la voie publique, comparer des compatriotes pratiquants avec les occupants pillards et violents de la seconde Guerre mondiale ne serait donc pas stigmatisant ? Comment une telle complaisance pour le discours de haine du FN est-elle devenue possible en République ?

Ce n’est pas la première fois que certains représentants de la justice se rangent de manière sidérante derrière les arguments fallacieux de Le Pen et de ses avocats. Déjà en mai dernier, j’avais dénoncé le fait que la Cour d’appel de Douai ait relaxé Marine Le Pen pour son faux tract xénophobe contre moi. Car sa culpabilité était indiscutable, puisqu’elle avait elle-même avoué à la télévision avoir fait faire et fait diffuser ce tract. A l’époque, j’avais alerté la Garde des Sceaux par courrier. J’avais décrit soigneusement les nombreux dysfonctionnements de la police judiciaire, du parquet et finalement de la justice dans cette affaire.

Cette fameuse cour d’appel de Douai vient justement de refaire parler d’elle. Le Canard enchaîné du 21 octobre nous apprend ainsi qu’un escroc en bande organisée avait dû être libéré après qu’un tiers du dossier d’accusation a disparu. C’est le même sort qui était justement arrivé à l’enquête de police judiciaire concernant le faux tract de Le Pen que je poursuivais. Dans la même région. Et c’est justement celle où Le Pen brigue la présidence et où elle est donnée gagnante. D’aucun anticiperaient-ils localement ?

En tout cas, j’attends toujours la réponse de la ministre. Je lui ai pourtant bien rappelé les manquements incroyables qui ont conduit pour finir à l’impunité de Le Pen dans ce dossier. Premièrement : alors que des plaintes ont été déposées au moment des faits en 2012, aucune suite ne leur a été donnée, ni de la part des services de police, ni de la part du parquet. Cela m’a contraint à devoir poursuivre moi-même Mme Le Pen par citation directe.
Deuxièmement : lors de l’audience en première instance devant le tribunal correctionnel de Béthune, le procureur de la République adjoint, M. Jean Pierre Roy, a fait part de son embarras de ne pouvoir disposer d’éléments d’enquête, en précisant bien que les services de police lui avaient indiqué avoir égaré toute trace de l’enquête… Pas un mot, pas une enquête interne, pas une sanction : rien. Et un procureur qui du coup ne donne aucun avis et laisse dire et faire sans réagir. N’empêche que par ses conclusions, le procureur révélait ainsi l’existence d’une enquête dont la justice n’a cependant pas pu être saisie. Toujours dans ces mêmes conclusions, le Procureur s’est abstenu de requérir des poursuites contre Le Pen. Et cela alors même qu’avait une nouvelle fois été établie à l’audience la responsabilité de Le Pen personnellement dans la rédaction et la diffusion du faux tract contre moi. Des faits d’ailleurs tellement évidents que le tribunal correctionnel de Béthune a condamné Mme Le Pen pour manœuvre électorale frauduleuse. Et lui a infligé la peine maximum prévue. C’est-à-dire une amende maximum.

Elle aurait pu être déclarée inéligible aussi. La loi le prévoit. Mais pour cela il aurait fallu que des instructions générales aient été données depuis le bureau du garde des Sceaux. Entendons-nous bien : pas des instructions particulières liées à cette procédure-là. Mais des instructions générales concernant la répression de la fraude électorale pour demander une sévérité maximale contre ceux qui s’en rendent coupables. Après tout, le nombre des fausses signatures d’électeurs dans la circonscription d’Hénin-Beaumont découvertes par le Conseil constitutionnel aurait justifié une vigilance. Et le cas du faux tract contre lequel j’agissais en justice était bien du même tonneau ! Je suppose que si madame Le Pen avait été reconnue inéligible, comme on pouvait le penser après qu’elle eut contesté le verdict de Béthune devant la cour de Douai, je crois bien que toute la situation politique serait différente. Et dans la région Nord-Pas-de-Calais aussi bien sûr.

Pourtant ce n’est pas ce qui s’est passé. Lors de l’audience à Douai, l’avocate générale, Mme Chantal Berger, s’est à nouveau abstenue de requérir des poursuites. Là encore alors même que les faits délictueux ont été clairement établis à l’audience, à commencer par la déclaration audiovisuelle de Mme Le Pen affirmant avoir fait et fait diffuser le faux tract incriminé. Contre toute attente et en méconnaissance manifeste des faits qu’elle avait pourtant établis, la Cour d’appel a ensuite relaxé Mme Le Pen. Aucune réaction nulle part à cette étrange situation.

Il y a au moins une conclusion à tirer de ces jugements. Alors même qu’elle a reconnu être l’auteur du tract et de sa diffusion, madame Le Pen n’a pas été condamnée. J’en déduis qu’il est dorénavant possible de faire des faux tracts. C’est-à-dire des tracts au nom de ses adversaires politiques dans une élection. Mais peut-être n’est-ce autorisé qu’à madame Le Pen. Et peut-être seulement dans le Nord et le Pas-de-Calais. Mais la justice ne pourrait tenir rigueur à ceux qui s’inspireraient de ses conclusions à Douai. Il me semble que cela fait jurisprudence.

En attendant de voir, pour ma part, j’attends toujours que la ministre de la Justice me réponde. Et qu’elle demande une enquête de l’inspection de services. Mais je ne rêve pas. Le garde des sceaux pourrait se dire que « la justice pour tous » aussi, c’est très bien. Mais la grève des avocats nous a aussi montré que ce n’était vraiment pas le chemin qui se prend.

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