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04.12.2015

« L’extrême droite et les islamistes ont un intérêt commun : couper la société en deux camps »

Interview parue dans Les Inrocks du 18 novembre 2015

Quelle a été votre réaction lorsque vous avez appris qu’une vague d’attentats avait frappé notre pays ?

J’ai compris aussitôt que l’on changeait d’époque. Les attentats qui ont frappé Charlie Hebdo nous avaient déjà fait entrer dans un autre espace-temps politico-psychologique. Mais quand on est passé au meurtre de masse coordonné, je sais qu’un seuil est franchi. Nous entrons dans une séquence de péril extrême. La manière de tuer a une grande importance dans cette histoire. Les victimes n’étaient pas des guerriers mais des gens sans défense pris par surprise. La gratuité du crime est un signal. L’objectif poursuivi par Daech est de faire exploser le pays en le polarisant la société entre ceux qui sont musulmans et ceux qui ne le sont pas. C’est le cœur du danger.

Comment pouvons-nous répondre à cette menace d’une montée des tensions communautaires ?  

Il faut d’abord lutter contre la panique en apaisant. Il faut rassurer ceux qui sont dans l’attente d’une parole qui les aide à se structurer face à l’inconcevable. Le dire, ce n’est pas sous-estimer l’intelligence collective. C’est comprendre l’importance des rites humains. C’est comprendre ce qui est attendu des porte-paroles, des prêtres, des tribuns du peuple. C’est dans cet esprit que je me suis exprimé. Dans ce cas chez moi, c’est la tête qui commande autant que le cœur. A l’instant même où j’apprends l’ampleur du carnage, je sais que la République est en danger. Pas ses institutions mais le sentiment d’appartenance à une chose commune, notre patrie républicaine. Bloquer la manœuvre de division de la société sur l’appartenance religieuse c’est la priorité. C’est grandiloquent ? Non car dans ces moments là, les grandes idées vous aident à vivre. Pour moi c’est un moment où tous les leaders de parole doivent être pénétrés par le sentiment de responsabilité. Rien ne doit être prononcée sans réflechir car nul auditeur n’en sortira indemne.

Comment vous analysez le choix de la cible des teroristes, notamment ce quartier de Paris (le Xeme arrondissement) dans lequel vous vivez ?

On voit bien qu’il s’agit de frapper le cœur de l’esprit français. Quand on s’attaque à la culture et à la musique, on frappe cette légèreté qui est le sel de notre existence. Surtout quand est visée la jeunesse à travers un concert de rock. Ces moments où on aime sortir, faire la fête filles et garçons sans se prendre la tête. La joie de vivre est frappée par un goût de la mort épouvantable Je crois que le choix des lieux n’est pas neutre. Les assassins se sont attaqués au 10eme également parce que c’est un quartier où les classes moyennes se mêlent aux classes populaires. Depuis Charlie Hebdo, les attaques ont toujours lieu entre Bastille et République, cet espace géographique pétri par la Révolution, les Lumières, les rebellions. Une partie de l’esprit français est concentré dans l’est parisien.

Si vous avez choisi de respecter un temps de recueillement et de respect de l’union sacrée, plusieurs responsables de droite et d’extrême droite n’ont pas manqué d’instrumentaliser ces évènements.

L’extrême droite et les islamistes ont un intérêt commun. Fracasser la société et la découper en deux camps, deux civilisations. Il y a une volonté d’ethniciser notre société. Ce n’est pas la première fois. Je garde un souvenir cruel de la campagne présidentielle de 2012. Lorsqu’elle est survenue, l’affaire Merah a effacé du tableau toutes les questions sociales, culturelles, écologiques que j’étais parvenu à introduire dans la campagne. Tout a été ramené à un conflit religieux et ethniciste. Tous les communautarismes se faisaient écho, chacun y allant de son couplet venimeux. Il n’y avait plus de citoyens, il n’y avait plus de peuple, il n’y avait plus que des ouailles. C’est un souvenir très violent pour moi. A l’époque, j’ai fait le choix de continuer à parler de social et de métissage. Et j’ai fait un discours au Prado à Marseille dans lequel j’ai dit que par sa mixité, Marseille est la ville la plus républicaine de France et la plus française. Face à l’extrême droite qui essaye d’instrumentaliser les peurs, je reste cet homme qui était au Prado. Je crois que Marine Le Pen ne comprend rien à l’existence du peuple français. La France c’est d’abord un affect collectif. Les raisons d’être français sont extrêmement immatérielles. « Liberté, Egalité, Fraternité », c’est abstrait si l’on oublie que c’est là un choix de vie, un affect commun, une manière d’abolir la transcendance et d’assumer la légèreté de vivre.

Notre société est-elle préparée à cette guerre contre le terrorisme ?

Une génération doit apprendre que l’existence entière est faite de rapports de forces numériques, psychologiques, affectifs et culturels. Collectivement, les mentalités ne sont pas préparées à la réalité de la violence pure telle qu’elle apparaît aujourd’hui sur notre territoire et qui règne pourtant partout dans le monde. En frappant des endroits de fête, d’affirmation de soi à travers l’art et la culture, la jeunesse française est meurtrie dans ce qui est le plus ontologique pour elle. Vous ne devez pas croire qu’il existe une recette qui va nous permettre de l’éviter. Chacun doit comprendre que sa responsabilité personnelle est engagée. Un mot d’ordre ne va pas nous libérer de nos angoisses et de nos peurs. Chacun d’entre nous peut faire obstacle au racisme, chacun d’entre nous peut empêcher que des bêtises soient dites, chacun d’entre nous en se comportant de manière digne et solidaire peut faire vivre d’autres valeurs. On ne peut pas vivre en société si l’on n’a pas une morale de cette pratique. Il faut savoir appliquer à titre personnel, les principes que l’on voudrait voir appliquer par la société. C’est une action de longue haleine. Pas seulement contre le terrorisme mais également contre la bêtise.

Est-ce la fin de l’insouciance pour une partie de notre génération ?

C’est possible. Nous avons déjà vécu la fin de notre insouciance sexuelle lors de l’apparition du Sida au début des années 80. Cette forme nouvelle d’angoisse est entrée dans une société qui n’en savait rien, qui n’imaginait pas que ce type de problèmes puisse exister. Je crois qu’il y a un rapport entre la joie de vivre et le substrat politique. Notre rôle avant de parler de programme politique est de protéger notre substrat culturel. Je repense souvent à la réponse du premier ministre de Norvège après les meurtres commis par Anders Breivik : « Notre réplique sera davantage de tolérance, d’humanité et de démocratie ». Je crois que l’amour et la tendresse sont des valeurs qui précédent la politique et lui donnent son sens.

Contrairement à d’autres responsables politiques, vous avez expliqué qu’il était important d’avoir peur. Pourquoi ?

L’assumer pour la dominer. Si l’on doit se protéger de la haine des autres qu’ils veulent introduire en nous, on a aussi le droit et le devoir d’haïr ceux qui ont assassiné. Mais la peur qu’on a d’eux, vous ne l’exorcisez pas par le refoulement. C’est l’inverse. Albert Camus dit que les « grandes terreurs périssent d’être reconnues ». Avouez-vous votre peur et  vous aurez fait un premier pas vers le courage. Les courageux sont ceux qui arrivent à dominer leur peur, pas ceux qui n’ont pas conscience du danger, ceux-là, ce sont des inconscients. Chaque occasion de la vie politique ou de la vie en société est une occasion de se transformer soi-même. Nous n’opérons pas notre construction individuelle autrement que dans les rapports sociaux. Mais ces rapports sociaux ne sont pas tous heureux.. La vie peut être aussi lue comme une suite de ruptures douloureuses. De celle qui vous éloigne du ventre de votre mère aux ruptures définitives de la mort… Mais elle est aussi la douceur des découvertes que chaque étape comporte également. Le point d’équilibre est à trouver en soi. On a toute une vie pour y arriver.

Dans son allocution, Manuel Valls a employé un vocabulaire martial et a appelé à « détruire Daesh ». Comment avez-vous réagi à son discours ?

Bien sûr, dans un tel moment de commotion, le discours de fermeté est nécessaire. Nous sommes agressés et nous devons vaincre nos agresseurs. Mais est-ce qu’il faut en rajouter ? J’en doute. Ce que nous vivons est inédit. J’ai commencé l’un de mes livres par une citation de Gabriel Garcia Marquez dans « Cent ans de solitude » qui dit « Les choses étaient tellement neuves que nous n’avions pas de mots pour les nommer.  Pour les désigner, il fallait les pointer du doigt ». Nous ne savons pas bien nommer ce que nous affrontons.. Nous n’avons pas affaire à un petit groupe d’illuminés. Daech est une organisation qui contrôle un territoire et des moyens immenses qui lui donnent toutes les apparences extérieures d’un État. Et pourtant ce n’est pas ni un État ni une secte qui nous agresse.

Comment vaincre ce nouvel ennemi invisible et recourant à des méthodes kamikazes ?

Il faut priver Daesh de ses moyens matériels et de ses alliés au niveau régional. Donc à la fois couper l’accès aux moyens financiers et ne pas accepter l’ambiguïté ou le double jeu de la Turquie, du Qatar ou bien encore de l’Arabie saoudite. Aujourd’hui ce qui me trouble c’est qu’on propose des méthodes dont l’échec est évident. Envoyer des militaires au sol, c’est ce que l’on a fait en Afghanistan et l’on a vu ce que cela a donné…

On a fait une erreur en participant à des frappes aériennes en Syrie ?

Oui, c’était une erreur totale. Nous sommes fascinés par le droit d’ingérence mais c’est une stupidité géopolitique dont on ne cesse de découvrir l’ampleur. Le droit d’ingérence suppose que des puissances extérieures viennent établir un ordre politique sain dans des sociétés qui en sont privées depuis longtemps et qui ont besoin de faire leur propre cheminement démocratique. Au nom de ce « droit », nous sommes intervenus en Irak sur la foi de mensonges désormais démasqués. Et ensuite dans toute une série de pays. Il n’y en a pas un qui se porte mieux depuis. Pour la raison que Robespierre avait expliqué : « Personne n’aime les missionnaires armés ». Ca n’a jamais marché dans l’Histoire. Croire qu’une démocratie flambant neuve peut sortir des ruines d’un État récent est une illusion. Quand on détruit des régimes-État, derrière il n’y a plus rien.

Malgré ce contexte, gardez-vous l’espoir que nous puissions dominer le terrorisme et la montée de tensions identitaires ?

Bien sûr que l’on va vaincre. Chaque génération est enfant de l’amour. L’amour est un principe plus fort que la rage de décimer les autres. Il faut que la gauche assume l’esthétisation de ses valeurs. Les êtres humains sont d’abord des êtres de culture. La conscience d’appartenir à une même espèce se renforce. L’universalisme garde toutes ses chances face aux communautarismes.

Propos recueillis par David Doucet

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