Décidément, dans cette loi « El Khomri », il y en a des choses… Je veux attirer l’attention sur un article de cette loi qui est une formidable aubaine pour le Medef en tant que bureaucratie subventionnée. C’est presque un putsch en sa faveur contre… les autres organisations patronales ! Gattaz s’en frotte les mains ! Il vient d’obtenir de Manuel Valls le gros lot dont rêvent tous les bureaucrates de la terre. Il s’agit rien moins que de trafiquer les règles de la future représentativité patronale pour permettre au Medef de conserver son hégémonie dans les bons postes des caisses et divers organismes sociaux. Au total, 700 000 « mandats » et sinécures de prébendier un peu partout dans ce petit monde discret des organismes paritaires du dialogue social et de la gestion de la protection sociale, retraites, assurance maladie, assurance chômage etc. Le tout, bien entendu, sans vérifier d’aucune façon quelle est la représentativité du Medef dans le monde patronal dont il se fait le porte-parole. On ne vérifiera donc pas la représentativité réelle parmi les 3,5 millions de patrons des entreprises françaises. Et pour cause. Car elle est pratiquement nulle chez les patrons de PME et TPE qui sont le gros de la troupe patronale.
Pourtant, aujourd’hui, le Medef contrôle 60 % de ces postes, de ces « mandats ». Alors que selon ses propres chiffres d’entreprises adhérentes (750 000), Gattaz ne représente au maximum que 21 % des entreprises françaises. Et encore ! Car ceux qui ont essayé de vérifier minutieusement la réalité du nombre d’entreprises adhérentes au Medef n’ont jamais réussi à atteindre ce chiffre. Par exemple, Michel Offerlé, politiste, professeur à l’ENS, a croisé les annuaires professionnels du Medef et les données de l’INSEE. Il en déduit deux scenarios, qui aboutissent à deux chiffres bien loin des 750 000 revendiqués : au minimum 111 463 adhérents, soit à peine 3% des entreprises du pays, et au maximum 334 390 adhérents, soit environ 10 % des entreprises. Le Medef serait donc en réalité sur-représenté entre 6 et 20 fois par rapport à son audience réelle.
Cette situation était possible tant qu’il n’existait aucun système officiel pour mesurer la représentativité patronale. Le patronat jouit ainsi d’une représentation de droit divin alors qu’il est demandé aux syndicats de salariés de faire la preuve de leur représentativité, notamment lors d’élections. Le patronat a ainsi été exempté en 2008 par l’UMP de la réforme de la représentativité des syndicats puisqu’un amendement pour y inclure le patronat a été retiré. Cette situation est dans les faits intenables pour les multiples autres organisations patronales, parfois plus représentatives en réalité que le Medef, notamment dans la masse des petites entreprises. Alors, sa majesté Medef a consenti à négocier avec elles un accord sur des critères de représentativité. Conclu en 2013, et signé par le Medef, cet accord prévoyait de mesurer désormais la représentativité patronale selon le critère du nombre d’entreprises adhérentes à chaque organisation. Donc selon la règle « une entreprise égale une voix. ». Le Medef craignait beaucoup l’impact immédiat de cette règle sur son portefeuille de « mandats ». Il est donc allé s’arranger en douce avec le gouvernement que l’application de cette « règle » soit reportée en 2017. Malin ! Sapin a immédiatement mis en musique le tour de passe-passe en 2014 dans sa loi sur « le dialogue social ».
C’était encore trop pour le Medef. Dans le dos d’une partie des signataires de l’accord de 2013, et en particulier de l’UPA (Union professionnelle des Artisans), il a donc négocié en douce avec le gouvernement Valls pour trafiquer les critères de représentativité à son profit. À la surprise générale, la loi El Khomri prévoit ainsi à son article 20 que la représentativité patronale ne soit plus calculée qu’à 20 % selon le nombre d’entreprises adhérentes et à 80 % selon le nombre de salariés de ces entreprises. Une façon directe de sur-représenter les plus grandes entreprises, c’est-à-dire celles qui adhèrent le plus au Medef. Avec une telle règle, une organisation qui regroupe 12 patrons du CAC 40 dont les entreprises comptent 10 000 salariés chacune serait aussi représentative qu’une organisation qui regrouperait 1 000 PME de 10 salariés ! Une entourloupe qui risque même d’aggraver la situation actuelle de non représentation d’une grande partie des entreprises dans la gestion des organismes sociaux.
J’ai déjà dit que des pans entiers de l’économie ne sont pas représentés par le Medef. Les professions libérales, soit le quart des entreprises françaises, représentées par l’UNAPL, et les 800 000 entreprises de l’économie sociale et solidaire représentées par l’UDES sont carrément exclues de la représentativité patronale et ne siègent donc dans quasiment aucun organisme paritaire ! Pourtant, lors des élections prudhommales de 2008, l’UDES avait remporté à elle seule 19 % des suffrages des employeurs. Les artisans, commerçants et très petites entreprises, représentés par l’UPA, ne disposent quant à eux que de 10 % des mandats patronaux dans les instances professionnelles, alors qu’ils pèsent 36 % des entreprises.
Face à une telle manœuvre conjointe du Medef et du gouvernement, tout ce monde des petites entreprises est donc en guerre contre la loi El Khomri. Les trois organisations que j’ai citées ont signé un communiqué commun pour dénoncer un texte établi « sans aucune concertation préalable avec l’ensemble des organisations patronales ». Bien sûr, vous ne les entendez pas souvent dans les médias où Pierre Gattaz et le fantôme de Mme Parisot monopolisent la parole patronale qui est celle des gros annonceurs de publicité, cela va de soi. Pourtant, ces patrons-là sont très remontés contre cette réforme. Surtout venant d’un gouvernement qui vante le dialogue social et piétine ainsi un accord professionnel signé en 2013. La président de l’UPA, Jean-Pierre Crouzet affirme ainsi sans détour que « les membres du gouvernement crient leur amour pour les TPE-PME et dans les faits font presque tout pour les entreprises du CAC 40 ». Pour son organisation, « le gouvernement a clairement choisi de favoriser les très grandes entreprises au détriment des autres et le Medef au détriment des autres organisations patronales. C’est particulièrement grave lorsque l’on sait que c’est au sein des TPE-PME que se situent la croissance et l’emploi ». Signe de la solidité du pacte qui lie Valls au Medef, la disposition critiquée par les petites entreprises n’a fait l’objet d’aucune inflexion dans les nouvelles versions du projet de loi. Et personne n’en parle. Bien sûr !