Interview donné à l’AFP à l’occasion des 80 ans du Front Populaire
Quelle est selon vous la principale réussite du Front populaire ?
Lui-même. Le peuple se donnant la preuve de la puissance de sa volonté de bonheur. Le Front populaire, c’est la combinaison des élections avec d’immenses manifestations, des grèves, des occupations d’usines. C’est la société presque tout entière mobilisée pour réaliser une rupture de mode de vie.
La principale victoire, c’est évidemment la réduction du temps de travail avec la semaine de 40 heures et les deux semaines de congés payés. Pour la première fois la question de la propriété du temps de la vie est posée en grand.
Le Front populaire avait-il des limites ?
Bien sûr. Il est d’ailleurs mort de n’avoir su y faire face. On pense évidemment à la limite des menaces extérieures : comment tenir le choc quand vous avez Hitler, Mussolini aux frontières ! Le refus d’affronter Franco les armes à la main à ouvert la voie à la déroute.
Mais la limite principale, c’est l’absence de transformation radicale et durable du système politique. La dissolution des ligues fascistes était vitale. A l’époque pas de cyniques pour en jouer comme aujourd’hui. Mais elle est restée essentiellement défensive. Puis le gouvernement Blum butte sur le « mur de l’argent », la Banque de France alors privée, le Sénat, les calomnies de la presse. L’arrêt de la mobilisation populaire après les accords Matignon de juin 1936 et l’absence de réformes des institutions politiques ont empêché le Front populaire d’atteindre un point de non-retour.
Vous aviez appelé à un Front populaire au soir du 2e tour des régionales. Les conditions sont-elles réunies aujourd’hui pour retenter une expérience comparable ?
La suite a prouvé que non. Aucun sursaut n’a eu lieu. Le PS a durci sa ligne libérale. Et le mouvement populaire qui se construit sous nos yeux contre la loi El Khomri se fait contre le PS, ses alliés politico-syndicaux et leur gouvernement. Un front populaire dans ces conditions serait une machine à diviser et à démoraliser. Mais il y a une leçon à tirer de cette période : on ne bat pas l’extrême-droite par des manœuvres tactiques mais par la bataille au grand jour pour le progrès social. Les sociaux-démocrates allemands ont cru contenir Hitler en déroulant le tapis rouge à la droite conservatrice. C’est pourtant elle qui a finalement appelé Hitler au pouvoir !
Cette logique, c’est celle du « il n’y a pas d’alternative », celle qu’applique Hollande dans un contexte évidemment différent. Celle qui dit : « votez Juppé sinon c’est Le Pen ». C’est une logique mortelle. Rien à voir avec Blum qui défendait la « transformation révolutionnaire de la structure sociale et de la propriété » et la prise du pouvoir « par tous les moyens y compris légaux » !
La dynamique du Front populaire a été une digue bien plus solide : il aura fallu un coup d’État en Espagne et la défaite militaire en France pour abattre la République. Le progrès social est la meilleure défense pour la patrie républicaine. C’est l’insoumission du peuple qui a permis à la France des années trente de proposer une autre voie pour l’Europe et de contenir le fascisme !