À Berlin, ce samedi 20 septembre, pour cette réunion à l’initiative de Die Linke à propos des politiques alternatives à l’Union européenne, le temps était comme à Paris : une hésitation entre l’été finissant et l’automne. Drôle de ville, Berlin, paisible et sans embouteillage le jour, je l’ai constaté, et assez agitée la nuit selon ce que l’on m’en a dit. J’ai dîné sagement avec Oskar Lafontaine et Sahra Wagenknecht, la présidente du groupe Die Linke au Bundestag. Nous avions conclu ensemble la journée d’étude de Die Linke commencée à 10 heures du matin et bouclée de la sorte à 20 heures.
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Dix heures de débat, c’est beaucoup. Pour Lafontaine comme pour moi, cette réunion s’inscrivait dans le cycle de rencontres pour le plan B. Mais elle n’y était pas vraiment intégrée dans la mesure où plusieurs parti membres du Parti de la Gauche européenne, dont son président Pierre Laurent, ne sont pas partisans de cette idée de conférence internationale du plan B. Syriza non plus, comme on le devine. Et comme Alexis Tsipras est toujours vice-président de ce PGE, on devine que nous ne parlons plus d’une seule voix. Et comme d’habitude la tendance à rechercher la formule la plus consensuelle entre points de vue opposés se traduit par des formules vagues et opaques sans autre portée que de permettre d’attendre la suite… dans l’espoir que tout s’arrange tout seul.
Dans ces conditions, Die Linke, parti lui-même divisé sur le sujet, affecte une sorte de « neutralité », invite tout le monde, prend sa part, mais ne tranche pas. Soit. Notre temps est si délabré qu’il ne faut pas s’en alarmer outre mesure. N’empêche que c’est utile. Car pour les cadres intermédiaires de Die Linke et pour les berlinois présents, c’était la première fois que les points de vue concrets étaient présentés et amicalement confrontés.
On a pu constater à cette occasion combien les points de vue étaient contrastés. Non sur le fond, car l’échec de l’Union européenne telle qu’elle est verrouillée par les traités est dorénavant très largement acté par tous. Nous en sommes plutôt à la phase suivante. Celle où tout le monde voyant s’approcher le mur, on discute des moyens de sortir de l’impasse. Sur ce plan, on voit se juxtaposer, comme toujours en pareil cas, ceux qui expliquent ce qui se passe, identifient ce qu’il serait bon de faire, mais s’en tiennent à ces énoncés sans dire comment faire entrer dans la vie réelle les bonnes idées. Et il y a ceux qui proposent des méthodes pour agir. On a besoin des deux, me semble-t-il.
Mais, bien sûr, la logique du plan B, comme on le sait, c’est une logique d’action. Ce n’était pas la conclusion de la journée de Berlin. Mais il faut dire aussi quand même que le déroulement de la journée a progressivement bien rapproché tout le monde sur l’angle de l’action. C’est cela la vertu de bien des réunions internationales. Elles cassent les codes et les routines qui anesthésient les discussions entre soi d’un même pays. Car souvent, diverses arrière-pensées nationales qui entrent en jeu dans des formes codées deviennent tout simplement impossibles à formuler quand il faut traduire son idée dans trois ou quatre langues.
Dans mon intervention en clôture de la réunion, je me suis efforcé de rendre lisible ce qu’est un point de vue qui veut être une ligne d’action et pas seulement un point de vue académique abstrait. Mais je dois dire que l’intervention inaugurale de Sahra Wagenknecht, puis l’intervention de Catarina Martins, coordinatrice du Bloco de ezquera du Portugal, et enfin le propos final d’Oskar Lafontaine convergeaient. Chacun enchaîne les mêmes constats : échec de la formule de l’Europe néo-libérale instaurée par les traités, menace d’effondrement politique de l’Union sous la direction des nationalistes, nécessité de se tenir à distance clairement face au point de vue euro bêlant et tactique d’affirmation d’un leadership sur la protestation contre les conséquences de la politique européenne sans être tétanisé par l’accusation d’être « anti-européen ».
La suite directe du plan B, canal historique, aura lieu d’ici quelques semaines à Copenhague. Ce sera l’occasion d’un élargissement de notre regroupement à de nombreux partis et groupes de l’Europe du nord qui jusque-là ne s’étaient pas impliqués dans le processus. J’estime que c’est un signal très encourageant pour ce que nous faisons et un vrai point d’appui dans le cas où nous gagnerions des élections générales dans un des pays concernés.
J’ai donc pu discuter de façon approfondie avec Oskar Lafontaine et Sahra Wagenknecht, la présidente du groupe Die Linke au Bundestag. Au menu : l’évolution de la situation et des états d’esprit. Sahra et Oskar savent qu’ils sont confrontés à des glissements de terrain que nous avons bien connu en France. L’extrême droite capte une représentation du monde ouvrier de droite, celui-ci à son tour pourrait entrainer les secteurs hésitants et peut-être contaminer ensuite le cœur de nos positions dans la société. Comme partout ceux qui ont armé le désastre sont évidemment les premiers à vouloir en tirer profit.
Les sociaux-démocrates allemands sont donc aux abois et cherchent de tous côtés des alliés pour la prochaine élection générale qui aura lieu en 2017, quelques mois après nous. Les chefs du SPD, partout en déroute en Allemagne, pensent trouver à l’extérieur de leurs rangs des gens accommodants prêts à les amnistier et disposés à porter leurs valises. Au nom de « l’unitéééé » et autres meuglements qui abolissent la pensée, quelques-uns font comme d’habitude un travail de confusion qui fonctionne là-bas aussi comme une campagne d’affolement extrêmement démobilisatrice. Évidemment, la manœuvre est rendue bien difficile par le fait que ces personnages interlopes du PS allemand gouvernent aujourd’hui avec Merkel.
Mais surtout, l’Histoire profonde de l’Allemagne est là pour rappeler où mènent les soi-disant « fronts républicains » contre l’extrême droite. Dans les années trente, le PS allemand appelait à voter pour le vieux maréchal conservateur Hindenburg « pour barrer la route à Hitler ». Ils préféreraient un maréchal de la droite conservatrice à une candidature commune avec les communistes dont ils avaient fait assassiner dix ans plus tôt les dirigeants Karl Liebknecht et Rosa Luxembourg. Hindenburg fut élu. Et c’est lui qui se chargea d’appeler Hitler au poste de Chancelier…
En tout cas, dans l’immédiat, les résultats de la collusion du PS avec la droite allemande sont là, comme on a pu le voir dans les dernières élections à Berlin. La « grande coalition » y a été bien sévèrement sanctionnée. Elle était au pouvoir dans le land entre 2011 et 2016. Elle passe de 51,6% en 2011 à 39% en 2016 perdant ainsi largement la majorité absolue. Certes, le PS allemand y reste en tête et cela suffira pour le pétrifier dans ses certitudes. Mais il a perdu sept points en route. De son côté, Die Linke arrive en troisième position, gagne quatre points et talonne le PS avec 15,6% des suffrages devançant les Verts et l’extrême droite.
À nous de ne pas nous en contenter et d’interroger aussi les méthodes et les mots d’ordre qui nous laissent si longtemps une main en arrière dans la compétition pour la représentation du peuple. Car la plus fulgurante progression de cette élection berlinoise, c’est bien celle de l’extrême droite qui surgit à 14 points alors qu’elle était inexistante en 2011. Oskar me dit « notre chance dans ce malheur c’est qu’ici l’extrême droite n’est pas comme chez vous collée aux discours de gauche et ne cherche pas à faire semblant d’être sociale ».