fukushima

Fukushima à table

J’ai déjeuné avec monsieur Naoto Kan, le Premier ministre du Japon au moment de l’accident de Fukushima. Mathilde Panot, députée insoumise du Val-de-Marne et animatrice de la campagne de « votation pour la sortie du nucléaire », nous avait réunis autour de cette table. Il y avait, avec les accompagnateurs du Premier ministre japonais et deux de mes collègues députés, Loïc Prudhomme, et Bénédicte Taurine insoumis de Gironde et de l’Ariège. Tout ce qui compte sur le sujet s’est dit dans la conférence de presse du groupe insoumis à l’assemblée et je me fais un devoir de vous donner le lien pour y revenir si vous souhaitez aller plus avant dans la compréhension de l’accident de Fukushima.

Le jour n’était pas favorable pour moi. Je crevais de grippe et grelottais de fièvre. On avait calculé avec soin chaque moment de mon activité dont le passage en séance plénière de l’Assemblée. Avant tout se protéger d’images trop pitoyables sachant quel usage en serait fait par les « journalistes éthiques du droit de savoir » blablabla. Je passais donc d’un rendez-vous à l’autre, sans montrer le bout du nez salle des quatre colonnes, avant mon départ pour le meeting de Montargis en soutien à mon camarade Jérôme Schmitt.

Mais Naoto Kan avait eu son effet. Je le scrutais pendant la conversation. Je le scrutais du regard tant que je pouvais pour vaincre ce foutu barrage de la langue et des cultures mimétiques pour deviner quelque chose du personnage et apprendre, passionnément. Car deux hommes savent de quoi il s’agit et seulement deux sur cette planète. Lui, et Mikhaïl Gorbatchev. Eux seuls deux ont eu sur les épaules le poids d’une telle situation quand il faut décider. Tout seul. Au milieu de gens qui s’affolent, d’experts qui ne sont pas d’accord, de gens qui mentent et d’autres qui cachent les informations. Seul avec des milliers de gens qui fuient et obstruent les routes, des directeurs qui refusent d’obéir et ouvrent leur parapluie personnel. Seul pour évaluer le rayon d’évacuation des populations sachant qu’à mesure que la catastrophe avançait, il s’élargissait de 30 à 50 puis 150 et 250 kilomètres jusqu’à inclure Tokyo. Des millions de gens à faire partir. Mais pour aller où et pour combien de temps ?

Au Japon, tout le monde pensait qu’un tel accident était impossible. C’est un miracle qu’il n’ait pas été deux fois pire quand on connaît le détail de l’histoire. Rien n’était donc sérieusement prévu car de toute façon on pensait que les exercices traditionnels d’évacuations anti-sismiques suffiraient à maitriser la population et ses réactions. Tout planta. Depuis le groupe électrogène amené sur place pour relancer le refroidissement qu’il était impossible de brancher sur la pompe ad hoc, jusqu’à l’évaluation sur l’état de fusion du cœur nucléaire et le risque de fusion sur le toit de la centrale avec les barres de carburant stockés dans une piscine qui n’était plus refroidie. Tout était planté car aucun plan traditionnel n’envisageait un rayon de 30 kilomètres d’évacuation de la population.

Voilà qui n’arriverait pas en France. Il n’y a en effet aucun plan d’évacuation. Ni aucun exercice populaire en la matière. Par conséquent, on ne pourra regretter aucune erreur puisque rien n’est prévu. Nogent-sur-Seine étant à 80 km de Paris, et si un des dix réacteurs situés en amont du fleuve qui dessert la capitale avait un problème, les gens n’auront qu’à courir vers le nord après avoir absorbé les pastilles d’iode qu’ils n’ont pas, deux heures avant la catastrophe pour que leur thyroïde soit saturée. De là où je parlais le soir même à Montargis, on se trouvait à 30 kilomètres de la centrale de Dampierre. Il ne s’est rien passé pendant que je parlais. Ouf.

Mais le 11 mars 2011, se déclenchait au large des côtes japonaises un séisme d’une magnitude exceptionnelle. Plusieurs heures après, un tsunami atteignait les côtes nippones. La vague atteignait par endroit 30 mètres de haut ! Le tsunami a coupé l’alimentation électrique du système de refroidissement des réacteurs. Il a aussi mis hors d’état de marche les groupes électrogènes de secours. Dès lors, les réacteurs n’étaient plus refroidis. Le combustible à l’intérieur de deux réacteurs est alors entré en fusion. L’augmentation de la température fit exploser du toit du réacteur et une bonne partie de l’enceinte de confinement. A partir de là se dégagèrent des fuites radioactives massives dans l’atmosphère. Dans l’urgence, et ne sachant que faire, il fut décidé de refroidir les réacteurs en fusion avec de l’eau de mer. Tout empira. Car il se trouve que le circuit ad hoc mis en place pour cette manœuvre souffrait de nombreuses fuites. Ainsi, de l’eau contaminée s’est largement répandue dans l’océan et les sous-sols. En avril 2011, les rejets d’eau contaminée furent 20 000 fois supérieur à la limite normalement autorisée annuellement. Aux dernières nouvelles, la solution pour éviter qu’une partie de l’eau contaminée ne s’infiltre dans les sous-sols et finisse dans l’océan pacifique n’a toujours pas été trouvée.

Le gouvernement japonais considère que 30 000 km2 ont été contaminés. Soit 8% de la surface totale de l’archipel japonais. Malgré cela, certaines zones rouvrent à la population qui souhaite y revenir. Greenpeace a récemment mesuré la radioactivité dans ces villes. Les niveaux de radiations y atteignent parfois 100 fois le niveau préconisé par la commission internationale de protection radiologique (CIPR). Les scientifiques de l’ONG considèrent qu’on n’y retrouvera pas un niveau de radiation normal avant les années 2050. Quant à la zone la plus proche de la centrale, toujours interdite, cela ne se produira pas avant le siècle prochain.

Les conséquences sur la santé humaine de tels niveaux de radioactivité sont aussi diverses que durables. Elles sont pour l’instant impossible à quantifier. Les cancers déclenchés par la radioactivité libérée au moment de l’accident peuvent se manifester jusqu’à soixante ans plus tard. Quoi qu’il en soit, le taux de mortalité des personnes âgées a été multiplié par 3 l’année suivant l’accident. Une augmentation du taux de mortalité infantile et d’anomalies de la thyroïde sur les nouveaux nés a été constatée jusqu’en Californie. La contamination océanique fut la plus importante jamais constatée. Avec les conséquences que l’on imagine sur les produits de la pêche.

À cette heure, la question même de la centrale de Fukushima n’est pas réglée. D’abord, personne ne sait que faire des 400 000 tonnes d’eau de mer utilisées pour refroidir continuellement les réacteurs jusqu’à ce jour et qui sont pour l’instant entreposés dans des cuves. Ou plutôt si : faute d’autre solution, le gouvernement japonais envisagerait de déverser cette eau dans l’océan pacifique. De même des 250 tonnes de combustibles nucléaires fondus dans les cuves. Pour le moment, les Japonais n’ont même pas réussi à localiser précisément ce magma. Il est pratiquement impossible d’introduire un robot ou une machine dans la cuve et de l’en faire sortir tant la radioactivité y est forte. Ainsi, il n’est pas possible de dire quand finiront les travaux de démantèlement de la centrale.

Je scrutais Naoto Kan assis en face de moi à table. J’essayais de m’imprégner de ce que cet homme contient en lui, qui lui a permis de tenir bon dans une telle épreuve. Aucun officiel français ne l’a jamais rencontré ni interrogé, aucun institut de recherche en sciences politiques, aucun ministre, président. Rien. Personne dans le pays le plus nucléarisé du monde ne s’est intéressé à ce que sa personne peut nous apprendre. Le type des basses besognes à l’Élysée qui passe son temps à s’occuper de nous n’a pas pensé une seconde à lui faire rencontrer Macron au moment où celui-ci doit prendre la décision du grand carénage pour relancer les vieilles centrales. Même juste pour aider cet homme, je parle de Macron, à se préparer au cas où il lui faudrait affronter quelque chose de cet ordre. La radio du pouvoir, France inter, s’est contenté d’un reportage minimaliste dans la ligne pseudo sarcastique du style fin de banquet pour ironiser sur le fait que Naoto Kan est devenu anti-nucléaire après avoir été très pronucléaire.

La France s’en fout ? La France a la tête ailleurs ? « On ne sort pas du nucléaire comme de sa douche » a même osé le journal du bureau politique du PCF, L’Humanité. Puisse ne jamais venir le jour où il faudra se souvenir que c’est à une telle coalition du silence, de la veulerie, de l’arrogance et du fric au bras long que l’on devra de subir ce qui adviendrait.

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