Selon le journal Le Monde du 1er juillet, un événement majeur mijote. La CGT et Force Ouvrière devraient tenir un bureau confédéral commun en début de semaine. Les connaisseurs de l’histoire syndicale et sociale du pays savent qu’il s’agit d’un évènement hors norme depuis la séparation de la CGT après-guerre. Celle-ci avait succédé à une période d’unité reconstituée avant les évènements de 1936 et comme une expression de ce qui mijotait alors.
Naturellement, il ne s’agit pas de cela à cette heure. Mais une heureuse conjonction se dessine. Celle d’une volonté unitaire de la CGT. Mais celle aussi d’une nouvelle direction de FO qui, sous l’impulsion de son nouveau secrétaire général Pascal Pavageau, prend des initiatives pour dépasser l’émiettement qui nous a coûté si cher dans la récente période et notamment face aux ordonnances contre le code du travail. Je ne crois pas qu’on doive faire une lecture idéologique ou même politique de ce qui se dessine. Je pense au contraire que nous sommes là sur un terrain des plus syndical. Le sentiment du danger fait son effet. Le régime macronien fait apparaitre une tendance autoritaire et anti-sociale d’un type nouveau. Elle vise à éradiquer les corps intermédiaires et tous les rythmes de la vie sociale organisée d’un pays développé. C’est la phase nouvelle dans laquelle entrent tous les libéraux du monde. Un article de la presse nord-américaine et une enquête menée sur le sujet montrent que, dans ce pays là, les libéraux sont ceux qui manifestent les tendances les plus hostiles aux mécanismes de la démocratie représentative. C’est stupéfiant mais avéré.
Cela fonctionne particulièrement mieux dans le cas d’une caste comme celle qui accompagne le régime, au sommet de l’État et dans l’Assemblée. Ceux qui croient que la nation est une start-up sont exaspérés par les rythme et procédures ralentissantes de la démocratie institutionnelle. La réforme de la constitution qui arrive à l’Assemblée en atteste. Sur le plan social, c’est pire. Non seulement les start-uppeurs du régime ne supportent pas que leurs décisions soient mise en cause alors qu’ils ont « gagné les élections », mais ils considèrent les syndicats comme l’essence de ce qu’ils combattent. Les syndicats défendent les acquis sociaux. Le pouvoir n’y voit que des archaïsmes et du conservatisme. Tout le discours officiel consiste à « libérer les énergies » et donc à détruire ce qui selon eux les entraves : les droits acquis, les règles et ceux qui les défendent.
Dans cette ambiance, les directions syndicales une après l’autre comprennent que la règle de vie commune négociée est abolie. Et cela au moment où l’offensive va prendre une dimension nouvelle avec le projet de retraite à points et la liquidation de la fonction publique. L’initiative entre FO et la CGT prend son sens dans ce contexte et avec ces sujets en vue.
Dès lors, un front syndical général se dessine qui part du constat réaliste qu’il n’y a de place pour aucun compromis dans l’esprit de Macron. Il pense avoir montré que le « rentre-dedans » des ordonnances sur le code du travail et le statut de la SNCF ont payé et que la suite viendra de même. C’est à cela que les syndicats comprennent qu’ils vont faire face. La CFDT à son tour manifeste des signes qu’elle a compris elle aussi. La concernant, je le sais, l’espérance est faible qu’elle entre en mouvement à son tour. Mais on ne peut exclure que l’attractivité et la visibilité d’un rassemblement CGT, FO, SUD, FSU ne joue son rôle.
L’article du Monde est naturellement signé par deux éminents journalistes proches de la « deuxième gauche » et ardents thuriféraires de la CFDT. Mais ils sont aussi bons connaisseurs. Leur papier fonctionne donc au service de la thèse adverse. Pour eux, le congrès de FO aurait montré une division entre « réformistes et contestataires » vocabulaire qui situe à lui seul l’embarras de l’analyse. Le syndicat ayant adopté le mandat de sa direction à 90%, il serait hasardeux d’en déduire que les contestataires soient aussi des révolutionnaires et non des réformistes… L’article souligne cependant l’influence de « la gauche » du syndicat. Un anonyme « haut gradé de FO » déclarerait : « pour l’heure, Pavageau donne des gages à son aile gauche qui l’a fait élire ». Il annoncerait même l’éclatement de la centrale en cas d’accord retrouvé entre FO et CGT. On sait que les déclarations anonymes sont en général des inventions des journalistes, car on ne voit jamais de quoi pourraient avoir peur ceux qui « préférèrent l’anonymat ».
On peut donc considérer que c’est là un avertissement donné de l’extérieur du syndicat. D’après moi, il est peu probable qu’il intimide. En effet, il faudrait pour cela qu’une alternative existe. Il n’y en a pas. Je veux dire que le pouvoir est déterminé à détruire le système des retraites par répartitions et le statut de la fonction publique. Il n’y a donc aucun « grain à moudre » dans les corporations concernées. Et celles qui ne le sont pas et qui ont fait fuiter l’information de cette rencontre d’un type nouveau entre FO et la CGT n’ont pas les moyens de montrer une autre perspective. Même le système de la négociation du « moins pire » version CFDT a montré en un an sa désuétude. Le « compte pénibilité » a disparu, les accords de branches routiers et énergie ne sont toujours pas en œuvre. Ils étaient pourtant les contre-parties officielles des accords sur la loi El Khomri et sur les ordonnances.
Dès lors, pour nous, la nouvelle de cette rencontre d’u type nouveau tombe comme une confirmation de notre évaluation et ligne d’action. Après la marche du 23 septembre, nous avions identifié les deux verrous qui nous clouaient. Évidemment le cloisonnement entre les organisations du mouvement social et celles du combat politique. Mais aussi la division syndicale qui bloquait la dynamique possible d’un mouvement du type de celui dont nous avons besoin. Avec le travail accompli depuis la manifestation générale de Marseille le 14 avril puis les marches du 5 mai et enfin du 26 mai, étape par étape, nous avons fait la démonstration commune de la force du rassemblement décloisonné.
Nous n’avons pas été dupes de l’origine de la sous-estimation syndicale de la mobilisation de la marée citoyenne. Mais cela n’a impressionné que les dupes qui croient à la propagande du parti médiatique et des agents d’influence qui les font parler. Ce fut d’ailleurs de leur point de vue une belle erreur. Car loin de démobiliser, le résultat réel a été connu de bas en haut. Et en haut aussi. Et même surtout. Le congrès FO tombait en plein milieu de cet évènement. Au total, donc, une nouvelle configuration se dessine à la veille du grand choc sur le régime des retraites et de la fonction publique.
Dans la même séquence arrive au plan purement politique la réforme de la Constitution. À cette heure, la droite n’en veut pas plus que nous, chacun pour ses raisons. Cette réforme va résonner dans les syndicats. D’abord à cause de la réforme du conseil économique et social qui les concerne directement. Ensuite parce que la diminution du nombre des membres de ce conseil fait écho à celle des députés et sénateurs. Et que le tout a le même sens autoritaire que j’évoquais plus haut.
Tout cela créé une ambiance, un contexte. Une tenaille peut se mettre en place contre le plan de marche du pouvoir. Et cela au moment où le régime est devenu beaucoup plus faible. En moins d’un an, le président de riches semble avoir déjà été aussi usé que Hollande en fin de mandat dans l’esprit des gens du commun. J’estime donc que nous avons tous bien travaillé. Et la suite sera à notre main, celle du front populaire que les évènements dessinent et que les agressions de Macron poussent à jaillir. Mais bien sûr, le référendum sur les institutions qui semble inéluctable n’est pas gagné d’avance. Ni perdu.