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Perquisitions, auditions, boue médiatique : ce qui ne nous tue pas nous rend plus forts – Par Antoine Léaument

Cet article a été publié par Antoine Léaument sur son blog

Quelle semaine ! J’ai enfin un peu de temps pour me mettre au clavier et écrire sur le moment si particulier que nous venons de vivre. J’en ressens le besoin. Non pas tant pour en faire le récit que pour faire le point. Après le moment de la surprise puis celui de la colère, voici venu celui de l’analyse. Il faut en passer par là pour clore la séquence et aller de l’avant.

Perquisitions

Le mardi 16 octobre 2018 à 7h30 du matin, on frappe violemment à la porte de mon domicile. BAM BAM BAM BAM BAM BAM BAM BAM BAM. Je dors comme une souche. Ce n’est que péniblement que je sors du sommeil profond dans lequel je suis plongé. BAM BAM BAM BAM BAM BAM BAM BAM BAM. Je me lève et me dirige vers la porte d’entrée.

Je demande qui frappe. « C’est la police ». Il n’y a pas d’oeilleton sur ma porte d’entrée. Je doute. Que peut bien venir faire la police chez moi à une heure pareille ? Je demande ce qui peut me le prouver. On me dit de regarder par la fenêtre. Mais aucune fenêtre ne donne sur le couloir de mon immeuble. Je dis que c’est impossible. Puis on me dit : « Vous êtes bien Antoine Léaument et vous travaillez bien pour Jean-Luc Mélenchon ? ». Je réponds positivement. On me redemande d’ouvrir. J’ouvre.

Quatre policiers entrent dans mon appartement. Quatre grands costauds avec d’énormes sacs à dos noirs. Ils portent un gilet pare-balle. Ils ont une arme à la ceinture ou à l’arrière de leur pantalon. On me montre un papier que je n’ai pas la présence d’esprit de regarder. « Nous venons perquisitionner votre domicile dans le cadre de l’enquête sur les assistants parlementaires de Jean-Luc Mélenchon ». Je demande un instant pour aller mettre un T-shirt et un pantalon. J’étais en caleçon depuis le début de cette scène.

Les policiers s’installent. L’un à mon bureau, l’autre sur la table où je mange, un autre encore sur la table à repasser que je n’avais pas rangée, le dernier commence à fouiller dans mes papiers. D’ailleurs, je ne sais lequel d’entre eux me présente mon propre passeport, qui devait trainer quelque part depuis mon retour de Liverpool. On n’aura même pas pris la précaution de me demander de présenter mes papiers ; on s’en est saisi, voilà tout.

On me demande si je dispose d’ordinateurs et/ou de téléphones. J’indique que oui. Les policiers me demandent de les leur donner. Je les leur donne. Ils commencent à télécharger mes données. Je n’ai pu, avant cela, passer aucun coup de fil. Ni à Jean-Luc Mélenchon, ni à mes parents, ni à un avocat, ni à personne. Je ne sais donc rien de ce qui se passe ailleurs. Et me voici en train de prendre mon petit déjeuner avec un policier armé à ma table. Scène surréaliste.

Puis on me rend une partie de mon matériel. J’envoie quelques messages pour informer mes collègues. Et je comprends rapidement l’ampleur de l’opération policière. Je demande aux policiers si je peux contacter un avocat pour connaître mes droits et ce que je suis censé faire dans ce genre de situation. Ils hésitent. Ils me disent que oui mais qu’il n’a pas le droit de venir. J’appelle. On discute brièvement.

Il me vient alors une question. Je demande aux policiers si la presse est informée de cette opération. L’un d’eux me dit, avec un sourire, que si elle ne l’était pas, elle l’est désormais. Il me montre son téléphone. J’y vois Jean-Luc Mélenchon en direct sur Facebook en train de montrer la perquisition qui se déroule à son propre domicile. Je regarde les vidéos déjà réalisées pour savoir ce qu’il a dit. Je prends alors vraiment et pleinement conscience de l’ampleur de l’opération et de son caractère politique.

La perquisition s’éternise. On a pourtant cessé de fouiller dans mes papiers. Je demande ce qui prend tant de temps. « Le téléchargement de vos mails », me dit-on. Je demande combien ils en téléchargent. « 55 000 ». Je suis abasourdi ; « 55 000 ?!? ». « Et encore, me dit-il, nous ne prenons que de 2009 à l’été 2017 ». Je demande pourquoi on prend mes mails depuis 2009 alors que je n’étais pas militant et que je n’ai commencé à travailler pour Jean-Luc Mélenchon qu’à partir de 2013. Réponse molle. Je dis qu’ils auraient dû me demander avant et que ça nous aurait à tous évité de perdre du temps. Je demande pour combien de temps il y en a. « On en est à 17 000 sur 55 000 », me dit-on.

C’est cette opération-là qui, au final, aura duré le plus longtemps. Régulièrement, je demande où on en est. Puis ça bloque à 21 600. Et ça n’avance plus. Il est 14h et on me dit qu’il y en a encore sans doute pour quatre à cinq heures de plus. Je n’en peux plus. J’ai juste envie de sortir de chez moi et d’aller aux côtés de mes camarades insoumis qui sont au siège du mouvement.

Et soudain ça se débloque ! Une opération a permis de tout télécharger d’un coup. On me dit que je vais pouvoir sortir. C’est pas trop tôt ! Sentiment étrange : me voilà presque soulagé que des inconnus aient enfin fini de télécharger ma vie. Les policiers rangent leur matériel. Ils me font signer un procès-verbal qui ne détaille rien de ce qu’ils ont pris comme données numériques. Je ne sais pas ce qu’ils ont pris de ma vie. Je sais juste qu’ils ont pris beaucoup. Et bien plus que ce qu’exigerait le seul cadre de leur enquête.

Avant de partir de chez moi, ils me remettent une convocation pour une audition au tribunal de Nanterre le lendemain à 10h. Puis ils s’en vont. Il est 15h. Leur opération aura au final duré 7h30. Et encore : avant d’arriver chez moi, ils ont toqué à la porte de plusieurs de mes voisins parce qu’ils ne trouvaient pas mon appartement. Imaginez les relations de voisinage après cela. Que peut bien avoir fait monsieur Léaument pour que la police le recherche à 7h00 du matin ?

Rendre les coups

L’opération policière étant finie chez moi, je me dirige vers le siège de la France insoumise. En chemin, j’achète de quoi manger. Je trouve les camarades du siège un peu sonnés. On me regarde avec un air peiné. On me demande si ça va. Certains me prennent dans leurs bras pour marquer leur affection et leur solidarité. Je raconte brièvement ce qui s’est passé. Puis nous nous installons autour d’un ordinateur pour écouter l’intervention de Jean-Luc Mélenchon sur le sujet à l’Assemblée nationale. En dépit du caractère exceptionnel de l’opération policière que nous avons subie, on lui coupe le micro avant la fin de son intervention. La République en marche n’aime pas qu’on parle des choses qui fâchent.

Je retranscris l’intervention de Jean-Luc Mélenchon et je la mets en ligne pour qu’elle puisse circuler de manière indépendante du système médiatique. Car sans avoir rien vu des chaînes d’info en continu jusqu’alors, je sais sans l’ombre d’un doute que l’opération « boue médiatique » a commencé et bat son plein.

Ce n’est que lorsque j’arrive à l’Assemblée, vers 17h00, que je comprends l’ampleur de l’opération médiatique en cours. Les bandeaux odieux. Les intervenants tous d’accord en plateau pour dire que nous sommes « excessifs », « inquiétants », « sanguins », que nous « allons trop loin », que nous « montrons notre vrai visage ».

Pas un pour se demander si oui ou non cette opération policière est disproportionnée. Pas un pour s’interroger sur la concordance entre cette opération et la nomination du nouveau gouvernement. Pas un pour dire que le ministre de l’Intérieur est forcément informé d’une opération de ce type et pour rappeler qu’il s’agissait alors d’Edouard Philippe, le même qui s’occupe aussi de la nomination du gouvernement après l’avoir repoussée et repoussée encore. Pas un pour dire que ce ministre de l’Intérieur choisit le jour des perquisitions pour nommer son gouvernement. Non, pas un seul pour signaler tout cela ! Plus c’est gros plus ça passe.

À l’Assemblée, je fais le point. Enfin, je peux voir Jean-Luc. On se demande comment ça va. On discute un peu. On échange des éléments d’analyse. Mais il y a à faire. On se remets à nos tâches. Pour ma part, elles sont de trois natures : premièrement, faire le point avec mon avocat pour mon audition du lendemain (au final, je réussis à la faire repousser à 15h30 pour des raisons d’agenda professionnel, mais j’y reviendrai) ; deuxièmement, filmer une vidéo dans laquelle Manuel Bompard fait le point sur les évènements ; troisièmement préparer l’émission à laquelle je suis censé participer le soir-même sur CNews.

Parlons-en de cette émission. Jusqu’à environ 15h, je ne savais même pas si je pourrais ou non y participer, étant physiquement bloqué à mon domicile par la perquisition pour une durée indéterminée. Puis, une fois sorti, se posait la double question de savoir si j’aurais matériellement le temps et physiquement la force après 7h30 de perquisition chez moi. Dans la balance pèse aussi cet élément : si j’annule, quel est le signal que j’envoie ? Celui que les coups portés contre nous peuvent nous atteindre et nous ramollir. Or c’est l’inverse qu’il faut montrer. Et par ailleurs, c’est aussi l’inverse qui se produit. Comme l’a justement dit Jean-Luc Mélenchon dans l’un de ses meetings : « Jusqu’à la victoire, il n’y a que des coups à prendre ». On est en plein dedans. Et quand un insoumis prend des coups, il les rend.

Je décide donc de faire l’émission. Je fais bien. Car sur le plateau j’ai affaire à une caricature de la majorité macroniste. Elle trouve les « petites phrases » du président « rafraîchissantes ». Je lui demande si elle trouve « rafraîchissant » de dire que certaines personnes « ne sont rien ». Elle bafouille et parle du « pognon de dingue ». Je lui dis que ce sont leurs cadeaux aux riches qui nous coûtent cher. Puis elle a le culot de parler du glyphosate. Je lui rappelle que la République en Marche a refusé l’amendement de la France insoumise visant à interdire cette molécule sous trois ans.

Et puis surtout, j’ai enfin la possibilité de parler de cette incroyable journée. J’explique, sur le plateau, ce que nous avons vécu. Je dénonce une opération politique évidente. Je dis aussi ce qu’on ressent dans ce genre de situation.

La journée s’achève. Dans la voiture qui me raccompagne à mon domicile, j’ai enfin le temps d’appeler mes parents. Ils me disent qu’ils sont fiers de moi et que j’ai bien parlé. Que ça faisait du bien de me voir combattif. Qu’il ne faut rien lâcher. Qu’ils me souhaitent bon courage. Et ces mots qu’ils me disent, ce sont aussi ceux que j’ai lus sur les réseaux sociaux. Partout. Des centaines, des milliers de messages de soutien nous parviennent. Partout une colère sans nom. Partout un soutien sans faille. Et je sais que nous formons comme une immense famille. Et je comprends que ces perquisitions, c’était comme si on les avait faites à toutes celles et ceux qui envoient ces messages.

L’honnêteté m’oblige ici à avouer (Mediapart, c’est le moment de prendre des notes !) que je suis ensuite allé boire une bière avec un ami. Histoire de décompresser un peu. Je savais que la journée du lendemain serait dure. Mais je ne savais pas alors à quel point.

Auditions

Le mercredi 19 octobre, au lendemain de ma perquisition – et surtout de la sienne ! – Jean-Luc Mélenchon est l’invité de Jean-Jacques Bourdin pour revenir sur ces évènements (raison pour laquelle j’ai fait décaler mon audition). Il dénonce la « volonté d’intimidation » et l’opération politique que représentait la disproportion du déploiement policier contre la France insoumise.

Après avoir live-tweeté l’émission et l’avoir mise en ligne, j’enchaîne en mettant en ligne celle que j’avais moi-même faite la veille. L’opération terminée, je quitte mon domicile pour me rendre à Nanterre où je suis convoqué dans le cadre de l’enquête préliminaire qui m’avait valu la perquisition.

J’arrive à Nanterre vers 13h et je m’installe dans un restaurant en attendant de pouvoir voir mon avocat. Lui-même accompagne un camarade à une autre audition. Je sais que quelques autres y sont déjà. C’est une sensation bizarre : des gens qui d’habitude sont en contact quasi permanents ensemble se retrouvent soudain dans l’incapacité d’échanger entre eux… au moment même où la situation exigerait de s’envoyer des messages, ne serait-ce que pour se soutenir mutuellement. Mais c’est comme ça.

13h45. Après avoir espéré pouvoir manger avec mon avocat pour faire le point, je me résous à manger seul. Devant passer à 15h30 et sachant que l’audition risque d’être une épreuve physique, je veux avoir le ventre plein avant d’entrer dans le tribunal. Mais je n’ai guère d’appétit. Je mange péniblement une demi-pizza. À 14h30, mon avocat arrive. Il est affamé. Lui-même sors d’une audition de 5h avec un autre client… Nous discutons. Il m’explique comment se passe une audition. Il me dit quels sont mes droits. Il engloutit une pizza.

Puis vient l’heure fatidique. Nous entrons dans le tribunal de Nanterre. Après une courte attente, l’un des policiers qui avait perquisitionné chez moi la veille vient nous chercher pour nous accompagner jusqu’au lieu de l’audition. Nous arrivons dans un bureau. Un deuxième policier est présent (ainsi qu’un troisième, mais qui finalement n’est pas resté). L’audition commence. Le processus est long et fastidieux car il n’y a pas d’enregistrement. Il faut donc tout retranscrire au fur et à mesure à la main.

Je ne peux ici raconter cette audition. Je ne suis pas Mediapart et je respecte le secret de l’enquête. Je peux seulement dire quelques petites choses à son sujet. D’abord qu’elle a duré 4h30. C’est beaucoup. Mais c’est peu comparé à d’autres de mes amis qui sont restés en audition parfois 7h et même 12h dans le pire des cas.

Ce que je veux surtout dire ici, c’est la sensation que l’on a lorsqu’on est une personne honnête et que l’on subit ce genre de situation. Chaque acte de votre vie professionnelle et militante se trouve soudain décortiqué, analysé, charcuté, tailladé. Je ne dis rien du contenu des questions. Mais je suis sorti de là complètement lessivé.

Une audition comme celle-ci est une épreuve physique et morale. Car alors que vous consacrez votre vie à défendre des idées dont vous estimez qu’elles seules peuvent apporter le bonheur à vos semblables, alors que vous consacrez votre temps à défendre ce que vous estimez être l’intérêt général, vous êtes soudainement mis en position de suspect pour chacun des actes que vous accomplisse dans ce but. Cette sensation – qui est une sensation de salissure, s’il fallait la nommer – c’est celle qu’a résumé parfaitement une camarade qui m’attendait à la sortie (après avoir elle-même été auditionnée bien plus longtemps que moi) lorsqu’elle m’a dit : « Nous sommes les gentils. Pourquoi on nous fait ça ? Pourquoi on nous traite comme des voyous ? On veut juste que le monde aille mieux. Nous sommes les gentils ! Les voyous, ce sont eux ».

Ici, bien sûr, « eux » ne veut pas dire les policiers qui nous auditionnent et qui font la besogne qu’on leur a demandée. « Eux », ce sont nos adversaires. Ceux qui fraudent le fisc. Ceux qui, même sans frauder, engloutissent l’argent dans leurs poches sans fond. Ceux à cause desquels d’autres meurent de froid, de faim ou de soif dans la rue. Ceux qui pourrissent nos vies et la planète qui va avec. Et surtout : ceux qui font la politique qui permet aux riches de l’être toujours plus et qui ne donne aucun horizon à tous les autres. « Eux », les vrais voyous de ce monde. Mais c’est nous qu’on perquisitionne et qu’on envoie en audition.

À 20h00, sorti du tribunal de Nanterre, j’ai bu une petite bière avec deux camarades (Mediapart, notez consciencieusement, ça fait beaucoup de bières à force, non ?). Ça m’a fait du bien. C’est là que l’une des deux m’a dit que nous étions « les gentils ». Et ça m’a tiré une larme. Et à elle aussi. Puis ils m’ont raccompagné chez moi. J’avais mal au cœur comme pas possible. Non pas que la conduite aurait été mauvaise. C’était un autre genre de mal au cœur. Un écoeurement.

Arrivé chez moi, j’ai craqué. Une giboulée de larmes. La pression de deux jours qui retombait d’un coup. Ça m’a fait du bien de lâcher un peu prise. J’en avais besoin. J’ai mangé vaguement. Une demi assiette de pâtes à l’huile. Histoire de ne pas se coucher le ventre vide après deux jours pareils.

Et là, Jean-Luc m’a appelé. Ça tombait bien. On a parlé. Je ne vais pas vous dire ce qu’on s’est dit, vous demanderez à Mediapart qui connaît probablement quelqu’un qui fait des écoutes téléphoniques. Mais ce qu’il m’a dit, lui, m’a fait du bien. Ça m’a remonté le moral et m’a donné la pêche.

Après cette journée bien chargée, j’ai regardé une série. J’avais envie de me vider un peu la tête. Puis je suis allé me coucher. Trop tard, évidemment, puisque je n’ai pas résisté à l’envie de regarder deux épisodes au lieu d’un. Game of Thrones est décidément une bonne série.

Boue médiatique

J’arrête ici le récit quasi linéaire de cette semaine hors norme. Les jours qui ont suivi n’ont pas impliqué d’opération politico-judiciaire pour ma part, même si elles continuaient pour d’autres – et qu’à travers eux, on les revit un peu. Non : les jours qui ont suivi ont entamé pour de bon à mes yeux la phase « boue médiatique ».

Car du fait que j’étais moi-même happé par l’appareil politico-judiciaire, je n’avais pas encore eu le temps de voir vraiment ce que donnaient les chaînes d’information en continu. Heureusement : ça m’aurait miné le moral. Mais arrivé au jeudi, ayant bien dormi et ayant subi ce que j’avais subi, j’avais une pêche du tonnerre et les horreurs qu’on racontait sur nous sur BFMTV ne m’atteignaient pas le moins du monde. Au contraire ! Ils me réaffirmait dans la conviction que j’ai toujours eue (et que démontre assez bien la section « critique des médias » de ce site) que les médias sont la deuxième peau du système. La caste s’en donnait à cœur joie !

Sur tous les plateaux, on voyait le calomniateur de Chalvron débiter à sa guise un tissu d’idioties. Vous ne connaissez pas cet homme ? C’est l’ancien rapporteur du compte de campagne de Jean-Luc Mélenchon. Il a démissionné en cours de route. Le président de la commission des comptes de campagne lui-même considère qu’il parle de choses qu’ils ne connaît pas et de factures qu’il n’a pas vues. Il affirme même que de Chalvron « élucubre ». Notez que cet homme est aussi l’ancien directeur de cabinet de Louis Mexandeau, un ministre socialiste qui a été un adversaire politique de Jean-Luc Mélenchon. Bref, quelqu’un qui nous adore, sans doute, et qui est responsable d’une partie des maux que nous subissons en ce moment par ses dénonciations calomnieuses.

L’homme, donc, était l’invité de tous les plateaux où on le laissait parler sans contradicteur. Vient enfin une proposition de LCI : un débat contradictoire entre de Chalvron et le député insoumis Adrien Quatennens. Ce gros nul de Chalvron refuse ! Petit bonhomme couard incapable de regarder dans les yeux un porte-parole de ceux dont il pourrit la vie pour rien ! Sombre personnage sans consistance et sans honneur ! Si vous lisez ces lignes, monsieur de Chalvron, j’espère que vous avez honte de la sale besogne que vous faites pour vos maîtres.

Je n’entre pas dans le détail de ce que j’ai vu dans les médias en une semaine. Restons sur l’ambiance. Partout, c’était le haro sur Mélenchon et les insoumis. L’exemple le plus caricatural que j’ai vu a sans doute été celui que j’ai vécu moi-même samedi matin sur le plateau de LCI. Tout y passait « sanguin », « trotskiste », « on ne lui confierait pas les codes nucléaires », « ulcéré », « Venezuela », « Chavez » (paix à ses cendres), etc. La grande trompette médiatique sonnait de toutes ses forces. Insupportable propagande dont l’unique objet était de finir le travail de sape d’une force politique qui se dresse face à Macron et au monde des riches qu’il représente.

Combien sont payés tous ces « journalistes » pour faire cette basse besogne ? Combien sont payés les éditorialistes qui versent leur bile sur nous ? Combien de fois mon salaire gagnent-ils ? Est-ce que j’arrive à gagner en un an ce qu’ils gagnent en un mois ? J’en doute. Ah ! Forcément ! Quand on est grassement payé comme l’est monsieur Aphatie, on peut passer sa journée à débiter des horreurs sur ceux qui voudraient partager les richesses. Monsieur Aphatie dit voter « blanc » par conscience professionnelle. Comme c’est beau ! Comme c’est honnête ! Du moins ça le serait s’ils ne votait pas Macron avec sa bouche chaque fois qu’il s’en sert pour parler.

Mais le jus d’égout le plus pur cette semaine est arrivé par Médiapart. On aurait pu attendre d’un journal comme celui-ci, qui se prétend indépendant du pouvoir, qu’il pose quelques questions intéressantes sur l’ampleur des perquisitions, sur la concordance avec la nomination du nouveau gouvernement, sur le fait que deux dossiers totalement distincts (les assistants parlementaires et les comptes de campagne) aient été regroupés pour faire 17 perquisitions en même temps avec des méthodes dignes d’une opération antiterroriste. Mais non. Médiapart a préféré hurler avec la meute. Et il a même accepté de faire la sale besogne que d’autres avaient refusés.

Car ce journal a brisé le secret de l’enquête. Et il l’a fait pour lancer une attaque sur la vie privée de Jean-Luc Mélenchon. L’article est de la bouillie intellectuelle sans grumeaux. À longueur de lignes, son auteur se sent d’ailleurs obligé de se justifier sur ce qu’il est en train de faire, laissant transpirer la honte qui est la sienne devant la basse besogne qu’il réalise. Et puis il y a la méthode. L’article est publié à 22h30 le vendredi soir. On se doute qu’après une semaine pareille, les insoumis sont soit sortis boire un verre (les pochetrons ! Médiapart, vite, un article!), soit en train de se reposer. Perdu. On ne se repose jamais. C’est pour ça que personne n’arrive jamais à venir à bout de nous. Le soir même, Jean-Luc Mélenchon publie une réponse qui décrypte avec justesse la « boucle macronie-parquet-média ».

Et c’est bien là ce qu’il nous faut maintenant analyser. Parce que cet épisode politico-médiatico-judiciaire est inédit dans notre pays et qu’il pose de nombreuses questions. J’en ai évoqué quelques unes en écrivant ce texte. Je veux maintenant les résumer pour faire le point. Car aucun des médias de la presse libre, neutre et objective ne s’y est arrêté. Et pour cause : ils font partie de ceux qui appuient l’agenda macroniste.

Les bonnes questions

Reprenons tout depuis le début. Le mardi 16 octobre 2018, dans une opération « coup de filet » digne d’une série policière ou d’une opération antiterroriste, dix-sept perquisitions sont menées partout en France. Elles concernent trois sièges politiques, une douzaine de personnes et, enfin, Jean-Luc Mélenchon, président d’un groupe d’opposition à l’Assemblée nationale et premier opposant à Emmanuel Macron. Pour le regard de toute personne honnête, une opération d’une telle ampleur menée contre une organisation politique de l’opposition est choquante. Elle mobilise une centaine de policiers (armés) et plusieurs magistrats. Un journaliste un peu farceur aurait peut-être pu s’intéresser au coût financier d’une telle opération. Mais pour l’instant il n’y a pas de farceur. Dommage.

Si cette opération pose question par son ampleur, elle pose aussi question sur les motivations qui ont poussé à regrouper deux enquêtes distinctes : d’un côté celle qui concerne les assistants parlementaires de Jean-Luc Mélenchon ; de l’autre celle qui concerne son compte de campagne. Pourquoi avoir ainsi groupé deux dossiers distincts sinon dans le but de faire une démonstration de force policière contre la principale force d’opposition au président de la République ? Question jamais posée par la presse libre.

Il y a aussi l’origine de ces enquêtes qui pourrait intéresser les journalistes. Pour les assistants parlementaires, il s’agit d’une dénonciation calomnieuse d’une élue du Front national, Sophie Montel. Or elle-même a fait cette dénonciation en disant qu’il s’agissait d’un pied-de-nez pour la justice. Et plutôt que d’ignorer la moquerie, voici que l’appareil d’État plonge dedans la tête la première. Où sont passés les fabricants de barrages d’entre les deux tours ? Évaporés. Personne pour prendre deux minutes de recul sur le sujet.

Concernant les comptes de campagne, pas mieux ! La dénonciation trouve son origine dans les déclarations de de Chalvron, rapporteur du compte de Jean-Luc Mélenchon. J’ai dit plus haut qui est ce personnage. Je n’y reviens pas. J’ajoute seulement qu’en parcourant les médias pour déblatérer ses mensonges, l’homme choisit de violer le devoir de réserve qui est le sien. Cela donne assez bien une idée des motivations égotiques qui le poussent à faire sa sale besogne. Pourrir Mélenchon et ses proches, voilà sans doute l’heure de gloire pour ce petit bonhomme sans consistance.

Mais si l’ampleur et les origines de l’opération politico-judiciaire judiciaire contre la France insoumise posent question, il faut aussi s’interroger sur le timing. Cette attaque contre les insoumis se produit le jour même où le nouveau gouvernement est nommé après près de quinze jours de tergiversations sur le sujet. L’évènement est censé être tellement important que le président choisit d’ailleurs de s’exprimer le jour-même, sur toutes les chaînes en même temps, dans un message glauque pré-enregistré et que tout le monde a déjà oublié. Je l’ai dit : il faut être naïf pour penser que le ministre de l’Intérieur, c’est à dire Edouard Philippe, n’est pas prévenu d’une opération policière de cette ampleur. Il faut être naïf également pour penser que la nomination du nouveau gouvernement, repoussée de plusieurs jours, coïncide par hasard avec les perquisitions. Mais là encore, tout le monde s’en fout. La question ne semble même pas intéressante à poser pour la presse neutre et objective. Même si l’annonce du gouvernement s’est faite alors que la principale force d’opposition à ce dernier était handicapée par la saisie de téléphones et d’ordinateurs chez nombre de ses membres. Mais tout va bien dans la Ve République.

Et d’ailleurs, « la justice est indépendante », nous dit-on. Mais comment le croire que quand ceux qui lancent ces opérations contre nous sont des proches de la macronie au pouvoir ? Le procureur de Paris, monsieur Molins, a failli être ministre du nouveau gouvernement d’Emmanuel Macron et Edouard Philippe en remplacement du démissionnaire Gérard Collomb (tiens, toujours pas de perquisitions à la mairie de Lyon, au fait). Et le procureur adjoint qui a assisté à la perquisition chez Jean-Luc Mélenchon, monsieur Perruaux, a été nommé par Emmanuel Macron en janvier 2018. C’est en somme de l’indépendance d’une justice directement liée au régime dont on parle. Voilà d’ailleurs pourquoi les avocats de la France insoumise ont demandé le dessaisissement du parquet au profit d’un juge d’instruction.

La deuxième peau du système

Par-dessus tout ceci arrive alors la deuxième couche. C’est la couche médiatique. Elle vient enrober l’opération politico-judiciaire d’un récit global et cohérent tendant en permanence à la justifier. Elle le fait en répétant en boucle des éléments de langage qui passent d’une chaîne à l’autre, d’une radio à l’autre, d’un journal à l’autre et d’un site à l’autre dans une boucle ininterrompue qui s’auto-alimente en permanence. Pas une voix discordante, pas une question qui met à distance tout ceci… sauf quand on invite un insoumis pour le flétrir avec deux, trois, quatre ou cinq contradicteurs qui pensent tous pareil et qui le reste du temps discutent entre eux et bavent tout ce qu’ils peuvent contre nous. Voici la presse libre, neutre et objective de notre pays, incapable de jouer le rôle indispensable de contrepouvoir qu’elle devrait exercer au moment où s’exprime avec violence l’arbitraire du pouvoir macroniste. Marat et Orwell doivent se retourner dans leur tombe à voir ce qu’ils ont fait de ce qu’on appelait autrefois le « journalisme ».

Mais ce n’est pas tout. Au-delà du récit cohérent, la sphère médiatique intervient en soutien du pouvoir en alimentant elle-même sa propre machine. Elle le fait par deux moyens. D’abord en sélectionnant des images ; ensuite en inventant des rebonds au fait premier constitué par les perquisitions du 16 octobre.

Parlons des images. « Les travellings sont affaire de morale », disait Godard. Les cadrages aussi. Et la sélection des séquences également. Et ici, la morale est affaire de choix éditoriaux. Dans la course au buzz effrénée qui caractérise désormais le monde médiatique, les images choisies sont toujours nécessairement celles qui vont apparaître comme « choquantes ». Un mot trop haut, une altercation, une scène tendue : tout ce qui hystérise le moment politique est bon à prendre pour les médias. Et particulièrement pour ceux qui en font leur spécialité, comme Quotidien, dont l’auto-qualification d’« infotainment » (composé de l’anglais « information », mot facile à traduire, et de « entertainment » qui signifie « divertissement ») dit assez bien le risque fondamental que fait peser ce mélange des genres sur la bonne information des citoyens. Ici, la critique des médias rejoint la critique globale du capitalisme que nous portons. Car c’est pour vendre de la publicité (c’est à dire pour faire du fric) que le buzz est recherché. Et c’est pour l’atteindre que la sphère médiatique en vient à réduire la complexité du monde à des moments-chocs, quand bien même ceux-ci n’en sont que la surface déformée par l’effet grossissant d’une loupe éditoriale. Le monde que présentent les médias modernes n’est pas le monde réel ; il est un monde incomplet, déformé, non-représentatif de la réalité. Car ce qui fait le buzz n’est pas le fond mais la forme, car ce qui fait vendre n’est pas ce qui devrait être vu mais ce qu’on choisit de nous montrer.

Puis viennent les rebonds. Quand la machine s’essouffle et ne trouve plus dans la matière première offerte par les évènements assez de carburant pour avancer, viennent les « révélations ». C’est la même logique qui reste à l’oeuvre. Celle qui consiste finalement et fondamentalement à vendre du papier. Peut-être aussi qu’intervient dedans la vanité des « journalistes d’investigation » dont le titre ronflant leur permet de briller dans les dîners mondains. Ce genre de journaliste ne tolère pas la moindre critique, la moindre remarque, le moindre avis discordant. Et il est toujours soutenu par ses pairs. C’est le propre du journalisme d’investigation tel que se le représentent les journalistes qui le commettent, et toute la profession avec : il dit toujours la vérité. Toute parole contradictoire est donc considérée comme une hérésie à châtier durement. L’article du journaliste d’investigation est ainsi au journalisme ce que la bulle papale est à l’Église catholique apostolique et romaine. Qu’on prouve par A + B que les allégations sont fausses et on sera accusé de se voiler la face. Qu’on demande, quand on nous parle de « surfacturation », pourquoi Macron et Hamon facturaient des prestations équivalentes à un tarif nettement supérieur et on nous répondra que ce n’est pas la question. Face à l’« investigation », face aux « révélations », tout esprit critique est sommé de disparaître instantanément pour laisser place à la foi dans la vérité révélé par le clerc médiatique qui l’a prononcée. Ite, missa est. Amen.

Attention cependant à ne pas excuser trop vite la responsabilité individuelle de certains médiacrates par des explications englobantes (économiques et/ou sociales) qui les dédouanerait de leurs actes. Car certains d’entre eux agissent comme de véritables militants politiques contre la France insoumise. Le « travail » d’un Yann Barthès, d’un Jean-Michel Aphatie, d’un Christophe Barbier, d’un Yves Calvi et de tous les autres qui nous flétrissent à longueur de plateau ne s’explique pas par la seule donnée économique. Bien sûr, ils sont grassement payés (plusieurs dizaines de milliers d’euros par mois) et n’ont pas intérêt à ce qu’arrivent au pouvoir ceux qui veulent partager les richesses. Mais leurs mots sont ceux de gens qui se comportent en adversaires politiques de la France insoumise. Ils sont parfaitement conscients de ce qu’ils font. Ainsi par exemple d’un Fabrice Arfi qui, en septembre de cette année, dénonçait dans un tweet le lien entre le parquet et le pouvoir politique mais qui le trouve parfaitement normal quand il s’applique à la France insoumise. Mais à vous qui me lisez, rassurez-vous : en régie, au maquillage, dans les couloirs où travaillent les agents d’entretien, on déteste cordialement tous ces médiacrates. Et les mots de soutien sont pour nous, les insoumis, et pour nous dire de ne rien lâcher face à eux. Le monde des médias a aussi sa caste ; et face à elle, les gens honnêtes savent vers qui va leur sympathie.

Voici dressé un tableau à peu près complet de la situation telle qu’on peut l’analyser avec un peu de recul. Il montre je crois assez bien comment s’articulent ici, pour des raisons diverses mais parfois intimement liées, le pouvoir politique (j’entends : l’exécutif), l’appareil d’État (policier et judiciaire) et le pouvoir médiatique qui vient en soutien direct des deux premiers. Le tout agit comme une machine à broyer les gens et les idées. C’est à dire, puisqu’il s’agit de nous : à broyer l’opposition politique la plus stable et sûre au régime macroniste. Cela pose un problème démocratique majeur. Et, en refusant de donner à voir aux citoyens toute la complexité du monde, en réduisant les évènements aux clapotis de leur surface, les médias jouent probablement le rôle le plus dangereux et le plus nuisible de la période. Car alors qu’ils devraient agir comme des digues interrogatives face à des abus politico-judiciaires, ils agissent au contraire unanimement comme les conteurs d’un récit qui justifie, cautionne et enjolive ces abus.

Briser le cadre

Face à une telle situation se pose la question de l’action pour celles et ceux qui ont à subir ces attaques. Qu’ils s’agisse de ceux qui les subissent très concrètement (j’entends : qui ont été perquisitionnés et/ou auditionnés) ou de ceux qui en subissent les conséquences politiques parce qu’ils ont fait le choix de l’insoumission. Il ne faut pas se voiler la face sur le sujet. L’enjeu est politique et on ne peut répondre à une attaque politique que par une contre-attaque politique. D’autant que, si l’on en croit ceux qui connaissent bien le domaine politico-judiciaire, de nouvelles attaques de ce type ne tarderont pas à recommencer – avec une violence redoublée.

Que faire, donc ? Briser le cadre qu’on essaye de nous imposer. C’est ce qu’a fait avec brio Jean-Luc Mélenchon à deux reprises le 16 octobre. D’abord en filmant en direct la perquisition à son domicile, en la diffusant sans aucun filtre médiatique possible sur les réseaux sociaux et en en expliquant le sens politique. Ensuite en imposant la présence de responsable politiques à la perquisition au siège de la France insoumise. Ces deux actions rompent le cadre qu’on a voulu nous imposer et qui était le suivant : perquisitions discrètes et tranquilles le matin et criminalisation de notre action politique par un récit médiatique venant en deuxième couche l’après-midi avec les « révélations » de l’existence de ces perquisitions (à l’aide de fuites opportunes).

Mais le cadre prévu a été rompu. Et de belle manière. Car les directs Facebook réalisés par Jean-Luc Mélenchon empêchent d’emblée de se faire imposer l’agenda politico-juridico-médiatique prévu d’avance. Premièrement parce qu’ils devancent la logique des « révélations » des médias sur les perquisitions. Deuxièmement, et c’est lié, parce que le récit qui est donné en premier n’est pas un récit médiatique mais un récit politique qui analyse politiquement ce qui est en train de se passer. Troisièmement parce que ces directs remettent de l’humain dans la machine à le broyer et à le faire disparaître ; car quand Jean-Luc Mélenchon filme la perquisition chez lui, il donne à chacune et chacun la possibilité de ressentir – donc de comprendre – ce que cet acte prévu pour être caché et discret représente en réalité. Et soudainement, ce n’est plus seulement lui qui est perquisitionné : c’est chacun de ceux qui le voient à cet instant et sentent par empathie ce que cela représente.

Même chose concernant le siège de la France insoumise. Bien sûr, les médias ont beaucoup glosé sur le sujet, sélectionnant les images « choc » – j’ai expliqué pourquoi plus haut – et truquant même parfois le sens de celles qui n’étaient pas tronquées. Mais que produit l’action spectaculaire de réinvestissement du siège du mouvement par ses responsables politiques ? Elle re-politise une question qui sinon aurait été traitée sous le seul angle juridico-policier. Car en démocratie, il n’est pas anodin que les forces de police perquisitionnent le siège d’un mouvement politique d’opposition et se saisissent de fichiers et de documents numériques sans préciser quoi que ce soit à qui que ce soit et en empêchant les responsables politiques de surveiller ce qui se passe. Sans action de ré-investissement du siège, pas de question : la police peut partir avec le fichier des adhérents du principal mouvement d’opposition sans que qui que ce soit en sache rien. Un problème démocratique majeur que seule la rupture du cadre qu’on a voulu nous imposer a pu empêcher.

L’agonie de la Ve République

Il faut noter enfin un dernier point. Il est sans doute le principal pour finir le tour d’horizon complet de la situation politique nouvelle qui émerge à l’issue de cette séquence. Il s’agit de la réaction populaire à ces évènements. Elle se déduit d’une infinité de petites choses. D’abord, et c’est la plus visible : des milliers de messages de soutien que nous avons reçus. Ensuite, et c’en est le pendant : des milliers de commentaires critiques qui ont été publié sur les articles, tweets, posts Facebook des médias qui alimentaient leur propre machine avec les méthodes que j’ai décrites plus haut. Enfin, par un certain nombre d’indicateurs chiffrés comme les signatures sur le site de la France insoumise qui ont explosé ou encore les compteurs des abonnés sur les réseaux sociaux de Jean-Luc Mélenchon et de la France insoumise qui ont connu partout un bond exceptionnel.

Tous ces éléments sont à noter pour ce qu’ils sont : dans l’attaque, la prise de conscience populaire de ce qu’est la caste que nous affrontons a progressé. Car quand le pouvoir politique utilise l’appareil d’État pour humilier et affaiblir des opposants avec le soutien actif de la sphère médiatique, on peut penser qu’il est difficile de résister et de marquer des points. Et pourtant : la violence de l’attaque a convaincu un grand nombre de personnes de passer à l’action à nos côtés ou bien encore d’augmenter leur implication dans une action qu’ils menaient plus faiblement ou soutenaient de plus loin. Pour que cela se produise dans une telle période et dans une telle ambiance, c’est donc dès lors que s’accroît encore et toujours davantage le rejet de l’ordre établi et de toutes celles et ceux qui en sont perçus comme les thuriféraires.

Cette réaction positive à une action agressive du pouvoir vient clore, au moins symboliquement, la séquence politique du quinquennat Macron commencée avec l’affaire Benalla. Une séquence dans laquelle on a vu des détenteurs du pouvoir exécutif mentir sous serment devant une commission d’enquête parlementaire et rejeter la faute sur les fonctionnaires qui obéissaient à leurs ordres. Une séquence dans laquelle on a vu le président de la République protéger ses proches (comme lorsqu’il a fait applaudir Benalla) et jouer de son statut constitutionnel « d’intouchable » pour défier le peuple en disant : « qu’ils viennent me chercher ». Une séquence dans laquelle on a vu un ministre de l’écologie expliquer que nous courrons droit à la catastrophe si nous continuons avec la politique que mène le président. Une séquence dans laquelle on a vu le ministre de l’Intérieur démissionner au moment même où se déroulait une opération antiterroriste. Une séquence, enfin, dans laquelle on a vu le premier mouvement d’opposition être traité comme un gang de malfaiteurs par une opération judiciaire directement liée au pouvoir exécutif.

Cette séquence, si on la qualifie politiquement, c’est celle de l’agonie de la Ve République se superposant à l’agonie de la macronie déjà commencée. Car quand le ministre de l’Intérieur refuse d’assumer sa responsabilité politique dans une affaire comme l’affaire Benalla, il participe de la déliquescence des institutions et de l’État. Quand le président de la République se pavane devant sa Cour en jouant les braves alors qu’il se sait protégé par une Constitution qui en fait un monarque intouchable, il pointe directement du doigt la Constitution qui le protège comme la principale cause de son arrogance. Quand le pouvoir en place montre qu’il est incapable de prendre la mesure du danger écologique qui menace la possibilité même de la vie sur terre, il montre combien il est détaché des enjeux qui concernent le peuple et pour lesquels le peuple se sent concerné. Quand un ministre démissionne contre l’avis du président de la République tout en affichant du mépris pour les fonctionnaires qui travaillent sous ses ordres, il montre à la fois la faiblesse politique du monarque présidentiel et l’absence de sens du devoir qui caractérise les gouvernants. Quand, enfin, le pouvoir exécutif dirige une attaque judiciaire contre son principal opposant, il montre que le seul moyen qu’il a de se maintenir en place est d’utiliser un autoritarisme inquiétant pour les libertés publiques.

La Révolution citoyenne

À l’aune de ce tableau d’ensemble institutionnel et politique, si l’on analyse maintenant les milliers de messages et de signatures de soutien que nous avons reçus (et les milliers de messages critiques reçus par les médias et la macronie), on comprend que le rejet de l’ordre établi a progressé. Car pour faire preuve d’un soutien si puissant à ceux qui subissent le feu nourri de la caste politico-médiatique, il faut n’avoir plus que du mépris pour ceux qui tirent les coups de feu et se sentir solidaire de ceux qui esquivent les balles.

Or, ceux qui esquivent les balles ont ici une double particularité : d’une part, ils fournissent une vision d’ensemble cohérente et structurée de la logique de caste que nous voyons à l’oeuvre dans cette période ; d’autre part, ils proposent aussi le moyen politique pour en venir à bout. Ce moyen, c’est l’Assemblée constituante pour une VIe République. Cela n’a rien d’anodin. Ce n’est pas d’un gadget institutionnel dont il s’agit mais d’une proposition dont le caractère est profondément révolutionnaire. Nous n’avons jamais eu peur des mots. Nous assumons d’appeler « Révolution citoyenne » le processus que nous appelons de nos vœux par lequel le peuple se rend maître de nouveau  des institutions qui lui ont été confisquées par une petite poignée de gens dans les sphères politique, économique et médiatique. Ce processus passe par l’Assemblée constituante dans laquelle c’est le peuple lui même qui décide des institutions par lesquelles il s’estimera de nouveau représenté dignement et sera maître des décisions qui concernent son avenir. Et un tel processus ne peut survenir qu’au terme d’un rejet complet des institutions existantes.

Ce rejet est là. Et il s’accroît. C’est ce que montraient déjà les 7 millions de voix recueillies par Jean-Luc Mélenchon et le programme L’Avenir en commun à l’élection présidentielle. C’est ce que montrent maintenant les milliers de messages de soutien que nous recevons ces jours-ci, et de secteurs toujours plus larges de la société. C’est ce que montrent encore l’afflux considérable de signatures de soutien qu’a reçu la France insoumise dans la semaine qui vient de s’écouler. Celles et ceux qui font la démarche de nous rejoindre dans une ambiance aussi agressive contre nous le font en sachant pertinemment ce qu’ils sont en train de faire. Ils apportent leur soutien à une force politique stable et structurée fournissant une lecture cohérente du monde qu’ils ont en ce moment sous les yeux. Ils apportent leur appui à un mouvement qui propose des solutions pour sortir par le haut de l’ornière dans laquelle notre pays est plongé par ceux qui le gouvernent – et par les propagandistes médiatiques qui les accompagnent. Ils apportent leur concours à celles et ceux qui disent que la solution aux problèmes du peuple réside dans le peuple et que celui-ci doit reprendre le pouvoir qui lui a été confisqué par la caste. Autrement dit : ils appliquent en connaissance de cause une démarche qui accélère le processus de la Révolution citoyenne. Ils sont dans une démarche révolutionnaire.

Voici pourquoi j’ai titré ainsi cette note de blog – dont je vous prie d’excuser la longueur. Car à la lumière de ce que j’ai dit ici, on constate que non seulement les soutiens de la France insoumise non seulement ne faiblissent pas mais qu’en plus ils s’accroissent. Ceux qui n’écoutaient pas tendent l’oreille. Ceux qui étaient intéressés deviennent des convaincus. Ceux qui étaient convaincus se renforcent dans leurs idées en voyant survenir des évènements qui correspondent à leur lecture du monde et au pire de ce qu’ils pouvaient imaginer voir arriver. Et pour tous ceux-ci, la lecture médiatique des évènements apparaît non pas comme un miroir honnête de ce qu’ils perçoivent mais au contraire comme un système cohérent pour les contraindre à penser autrement qu’ils le font. Avec le renforcement de leurs idées se développe donc en même temps un rejet redoublé de l’ordre politique et médiatique établi. La conscience critique augmente. Et, avec elle, la capacité d’un nombre toujours plus grand d’individus à décrypter ce qui se passe et à l’expliquer à d’autres. La Révolution citoyenne est une boule de neige. Elle roule plus vite aujourd’hui qu’hier.

Ce qui ne nous tue pas nous rend plus forts.

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