Mardi 22 janvier, Emmanuel Macron signera à Aix-la-Chapelle un traité engageant la France avec l’Allemagne. Pourtant, ce texte n’a été débattu par personne en France, ni à l’Assemblée nationale ni où que ce soit dans le pays. À ce jour, le contenu du traité n’a toujours pas été communiqué aux députés. Si nous avons pu en prendre connaissance, une semaine avant l’échéance, c’est parce qu’un site internet l’a publié. On déduit de cette situation au moins un élément de calendrier : pendant que Macron organisait déjà un grand débat, les « consultations citoyennes sur l’Europe », il négociait secrètement avec Merkel. Tenons-le-nous pour dit. Car dorénavant nous savons que le cynisme officiel n’a pas de limite.
Souvenons-nous ! Cet homme dit regretter aujourd’hui le viol de la démocratie entre 2005 et 2007 à propos du Traité constitutionnel européen. Cet homme prétendait rénover l’Europe en donnant aux citoyens le moyen de participer à son avenir. Et pourtant cet homme a accepté que les accords de libre-échange signé par l’Union européenne puissent désormais s’appliquer sans débat ni ratification par les Parlements nationaux. Au-delà des bavardages, plus que jamais, l’Europe de Macron se fait sans les peuples.
Inacceptable dans sa méthode, ce traité est nocif sur le fond. Il confirme l’obsession des libéraux français pour un tête-à-tête solitaire avec l’Allemagne comme politique européenne exclusive. Le traité d’Aix-la-Chapelle prévoit que la France et l’Allemagne doivent élaborer des « positions communes » et des « prises de paroles coordonnées » dans les institutions européennes.
Coller à l’Allemagne en toutes circonstances, Emmanuel Macron le fait depuis le début du quinquennat. Cela a valu plusieurs déconvenues à la France. Sur l’autorisation du glyphosate pour 5 années supplémentaires, c’est le vote de l’Allemagne qui a mis notre pays en minorité. De même, après avoir laissé Macron parler pendant des mois, madame Merkel lui a refusé son incompréhensible « budget de la zone euro ». Il a ridiculisé notre pays. Il a dû remballer piteusement sa trouvaille. Pourtant, il continue dans cette voie. Il ne cherche pas un jour à se tourner vers d’autres pays européens, comme ceux de l’Europe du Sud. Ainsi, le sommet organisé à Rome le 10 février 2018 entre la France, l’Italie, le Portugal et la Grèce n’a donné lieu à la signature d’aucun traité avec aucun de ces pays. La bêtise qui consiste à se ligoter avec des Allemands amusés par la situation tourne à l’offense pour ceux qu’on dédaigne. Pour finir, le spectacle d’un directoire franco-allemand est de plus un acte bien peu « européen » vu de Varsovie ou de Lisbonne. Il se retourne contre la France, car les autres savent qui avec qui il est devenu impossible de se fâcher.
Le second chapitre du traité aborde les questions de défense et de relations internationales. Les deux États y disent leur attachement à l’Europe de la Défense. Nous ne pouvons pas l’accepter. Notre doctrine est celle de l’indépendantisme français. Le texte qu’il signe fait référence explicitement à l’OTAN. En son temps, le général de Gaulle s’était battu pour exclure toute référence à l’alliance américaine du traité de l’Élysée qu’il signait en 1963 avec l’Allemagne. Les députés au Bundestag avaient rajouté au moment de la ratification un préambule incluant l’OTAN, provoquant la colère du général. Avec Macron, il n’y a aucune résistance à l’atlantisme. Mais le comble pour la France est sûrement ce passage où les deux parties se prononcent pour « la coopération la plus étroite possible entre leurs industries de défense ». Cette coopération signifie dans la réalité le transfert des technologies française à une Allemagne qui par ailleurs ne respecte pas ses accords. L’Allemagne a privilégié du matériel israélien plutôt que l’hélicoptère Tigre européen. Elle a trahi les accords sur le domaine spatial. Son gouvernement n’accorde pas de priorité aux tirs spatiaux de la fusée commune. Mais Macron a quand même signé un accord en juin dernier pour la production d’un char franco-allemand.
Sur les Nations-Unies, il n’est plus question de partager notre siège permanent au Conseil de sécurité, comme il en avait été un moment question, et comme un ministre allemand s’était permis de le demander. Le traité affirme cependant que nous sommes désormais favorables à ce que l’Allemagne devienne membre permanent du Conseil de sécurité. C’est-à-dire avec un droit de véto sur l’adoption des résolutions de l’ONU. Personne en France n’a été prévenu que nous défendrions l’entrée de l’Allemagne dans le saint des saints de l’ONU. C’est pourtant une orientation stratégique importante pour la France. Mais décidée apparemment par une seule personne, le monarque présidentiel. Pourquoi l’Allemagne donc ? On ne le saura pas. Actuellement, les membres permanents du Conseil de sécurité sont la Chine, la Russie, les États-Unis, le Royaume-Uni et la France. Il semblerait plus cohérent de faire rentrer l’Inde, pays qui compte un milliard d’habitant. Ou bien un État africain ou sud-américain, continents qui n’y sont pas représentés pour l’instant.
Le traité vient ensuite sur la question des régions transfrontalières. Il plaide pour une unification des normes et des règles dans les départements français et les Länders allemands qui bordent la frontière. Mais les règles qui s’appliquent dans les départements français sont votées par l’Assemblée nationale française et les mêmes que celles qui s’appliquent dans le reste des départements. C’est le principe d’unité de la loi et d’égalité de tous les citoyens devant celle-ci qui est un fondement de l’ordre républicain français. Or, le traité prévoit « des dispositions juridiques et administratives adaptées, notamment des dérogations, peuvent également être accordées. ». C’est-à-dire la fin du principe d’égalité devant la loi pour les départements frontaliers avec l’Allemagne. Début de partie. Car quel sera le statut des départements frontaliers de départements frontaliers ?
Enfin, le dernier chapitre du traité est celui de la soumission à l’ordolibéralisme. Il institue un « conseil économique franco-allemand » qui est censé « coordonner » les politiques économiques de nos deux pays. Son objectif est précisé : ce n’est pas le progrès social ou la transition écologique mais la « compétitivité ». En plus de la Commission européenne, désormais, un « conseil d’experts franco-allemands » formulera lui aussi des recommandations au peuple français sur ce qu’il convient de faire. Ces recommandations, on les connaît : moins de services publics et d’investissements publics, des baisses de salaire, la chasse des chômeurs. Le recul de notre indépendance et de notre souveraineté marche ici avec le recul social et écologique.