L’évènement algérien doit occuper le devant de nos analyses. En obtenant satisfaction sur la revendication qui concentrait son action, le peuple algérien apporte une contribution essentielle à l’idée que nous nous faisons de l’action révolutionnaire de masse. On objectera peut-être que la décision des milieux de pouvoir, qui avaient imaginé ce cinquième mandat pour le président Abdelaziz Bouteflika, était elle-même une telle aberration que l’issue paraissait plus accessible. Erreur. Les exemples abondent dans le monde où l’on voit des pouvoirs les plus déstabilisés tenir contre vents et marées et imposer leur durée sans limite dans les moyens pour y parvenir.
D’une façon certes bien différente mais comparable, le maintien de Macron sans dissolution ni élection d’aucune sorte au prix d’une violence d’État qui semble sans borne relève de ce type de situation. L’action du peuple algérien a réussi à percer le blindage. La perplexité puis la divergence s’est installée dans les superstructures traditionnelle de la société. Police, partis politiques et médias n’ont pas formé le bloc de haine anti populaire que l’on a observé en France. Dans tous les secteurs, les consciences se sont interrogées et ont choisi des options différentes. Ce simple fait aura suffi à propager comme une trainée de poudre le refus de la peur et le sentiment de vivre un moment exceptionnel de l’histoire du pays avec la volonté de l’assumer comme tel. En France, à l’inverse, toutes les « élites » sociales ont massivement joué le rôle de supplétifs de la répression des escadrons de CRS. Tous ont nié les faits, tous ont calomnié, insulté, et méprisé le peuple tout en applaudissant à sa répression féroce pendant quinze semaines avant que des médias commencent à évoquer le problème posé. Il y avait déjà eu quinze yeux crevés et quatre mains arrachées, 7000 gardes à vue et 1200 condamnations en comparution immédiate. Cela ne tient pas à des différences de tempérament national. Mais plutôt à la différence des structures de pouvoir.
L’oligarchie en France est déconcentrée au contraire de l’Algérie. Ici les journalistes, les juges et les policiers forment une structure diffuse dont les principales figures se connaissent, se fréquentent et alimentent mutuellement leur action. Elle forme une caste cohérente sinon dans ses choix mais à tous coups dans son idéologie commune, ses refus et ses rejets. Ce qu’ils appellent le refus du populisme est bel bien un avatar de la peur et du dégoût pour le peuple. Une perception de cette réalité et de ses abus s’est développée dans les 17 semaines précédentes davantage qu’au cours des dix dernières années. Certes, elle est encore bien moins forte que la claire perception par les Algériens de l’existence d’une caste tribale au pouvoir.
Ceci posé, les parallèles, corrigés des circonstances, sont encore nombreux. Le mouvement en Algérie, comme en France, est une mobilisation sans leader et n’en veut pas. C’est à ce prix qu’il parvient à se concentrer et à rassembler le plus largement qu’on puisse l’imaginer. Cette particularité, la victoire acquise par ce moyen et la situation totalement ouverte qui en résulte lui donne le caractère d’une révolution citoyenne. Mais comme le peuple algérien a remporté la victoire, la difficulté d’avancer une solution pour la suite est sans aucun doute d’une extrême difficulté pratique.
Le pouvoir y répond en avançant l’idée d’une conférence nationale et d’un report de l’élection présidentielle. On voit que la nature de la question posée est comprise mais que le besoin d’une solution de sauvetage à l’ancienne n’est pas abandonné. Bouteflika, comme Macron, espère sans doute diluer le mouvement dans les bavardages. Nous verrons ce que le peuple algérien va faire de cette proposition. Il me semble que nous voyons mieux de loin ce que nous ne voyons pas de plus près ici, sous nos yeux, en France. S’il doit y avoir une délibération sur les institutions, pourquoi serait-elle réservée au seul président Macron au terme du prétendu « grand débat » ? Peut-être les Algériens se disent-ils la même chose. Si Macron veut proposer des réformes institutionnelles, pourquoi s’en arroge-t-il le monopole ? Pourquoi l’initiative ne serait-elle pas donnée au peuple lui-même ? Bref : pourquoi la réponse à la disqualification des institutions dont l’existence même du grand débat est le symptôme ne serait-elle pas la convocation d’une Assemblée constituante ?
Il me semble donc que ce mot d’ordre résout le problème posé par l’existence d’un mouvement large et sans leader qui concentre son action principalement sur l’exigence d’un droit a l’initiative populaire. N’est-ce pas ce que demande le RIC (référendum d’initiative citoyenne) ? À mes yeux la revendication de tenir une Assemblée constituante, présente dans notre programme depuis 2012, a déjà eu une longue valeur de référence et de ligne d’horizon ces dernières années. Mais jamais aussi concrète et autant qu’aujourd’hui en tant que mot d’ordre capable de fédérer ici et maintenant l’activité politique populaire. Je crois que le moment est venu d’avancer l’idée par tous les canaux possibles comme issue du moment et comme façon de refuser la confiscation des aspirations démocratique du grand nombre et leur dilution dans les initiatives dont la formulation et l’ampleur est réservée au seul détenteur du pouvoir contesté.
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