lula prison

09.09.2019

J’ai parlé avec Lula à Curitiba

À l’entrée de la prison, dans le hall, une plaque rappelle que c’est Lula étant président qui a inauguré ce bâtiment ultra moderne. Ironie de l’histoire… À l’entrée on croise les fils de Lula. Ceux qui sortent et viennent le voir. Car tous ne sont pas là. Un de ses fils vit reclus depuis l’emprisonnement de son père. Il n’a plus la force de sortir. Histoire tragique comme celle de la fille de Cristina Kirchner, gravement anorexique depuis les persécutions contre sa famille. Nos ennemis aiment que nos enfants souffrent. Ils les persécutent aussi d’une façon spécialement perverse en leur rendant toute vie sociale pénible. La tactique consiste à les nier comme personnes pour les assigner à leur seule relation de parenté avec nous. Il leur faut une force de caractère immense pour tenir le coup et ne pas craquer. Tous ne l’ont pas, hélas et alors ils sont détruits psychologiquement. 

Dans la prison je suis d’abord reçu par un des deux types qui se relaient pour surveiller Lula. Ils sont considérés comme très dignes avec lui. On m’emmène jusqu’au bureau du directeur de la police fédérale de l’État de Paraná qui veut me saluer. Je le remercie pour sa courtoisie. Visiblement cet homme respecte son si célèbre prisonnier. Il veut donner une bonne image de son pays en recevant les gens avec amabilité. Comme si tout ça était banal. J’ai du mal. J’accepte un verre d’eau. Dans ma conception de la morale chacun est personnellement responsable de ses actes. Si ce type a des réserves avec son boulot, qu’il s’en aille. Puis la discussion a lieu avec les Brésiliens qui m’accompagnent. Car Jaïr Bolsonaro a décidé de nommer le directeur général de la police fédérale sans tenir compte de l’avancement normal qui prévalait jusque-là. Juste nommer un de ses amis politiques. Donc grosse émotion parmi les directeurs de la police fédérale. Celui-là garde ses distances dans l’entretien que je fais mine de ne pas comprendre, mon verre d’eau à la main. La vérité est que cette situation me saoule. Je prends la parole : « bon on y va ? Je suis venu voir Lula, pas vrai ? » Ça produit son effet. Le bavardage cesse et comme je me lève tout le monde est obligé d’en faire autant. 

On sort de ce bureau de convenances empesées. Direction la cellule de Lula. Elle est située derrière un système de portes ordinaires auquel je ne comprends rien.  

Lula m’accueille en tee shirt et jogging. Une cellule de 15 m2. Il y a une table au centre de la pièce. Une toilette séparée. Une machine à courir dans un angle. Il parait qu’il fait 9 Km par jour sur cette machine. Il semble en bonne forme. Le cheveu s’éclaircit. C’est tout.  Sinon : Lula sans changement depuis quatorze ans, dernière fois qu’on s’est salué amicalement sur la tribune du quatorze juillet à Paris… Je le lui dis. Il répond : « je vivrai jusqu’à cent vingt ans ». Je réplique : « moi seulement jusqu’à cent ans ». On se regarde, on rit. On s’est compris. Personne ne doit pouvoir se dire qu’il peut venir à bout de nous. Et chacun de nous doit faire du mieux qu’il peut pour mettre en échec la volonté de l’adversaire. Je regarde sa main, son doigt manquant écrasé par la machine sur laquelle il travaillait étant métallo. Je pense à d’autres ouvriers que je connais dont les doigts ont été brisés par leur machine. 

Je lui parle en espagnol. Il me répond en « portugnol », mélange de portugais et d’espagnol. Mais quand même plutôt en portugais.

Chemin faisant dans la conversation, il me félicite pour mon résultat à la présidentielle. Il dit ce que cela aurait changé pour le monde si nous avions eu un succès de notre famille politique en France. Il me remercie pour ma présence. Il me dit l’importance de la solidarité internationale. Elle le protège des tentations violentes du pouvoir. Je lui dis que les copains sont innombrables à m’avoir envoyé des messages de solidarité pour lui. Il dit qu’il est très touché.

Je lui remets (presque) tout ce qu’on m’a donné en chemin pour lui. Un livre. Un foulard dédicacé par les grand-mères de la place de Mai. Le voyant faire, je reconnais des gestes. Il déplie, il regarde les détails. Pour moi il est à l’affut de tout le contenu humain du cadeau. C’est comme s’il le flairait. Je lui donne un gilet jaune. C’est celui que porte dans les marches l’un de mes accompagnateurs. Dessus il a y a l’autocollant « fin du mois, fin du monde : mêmes responsables, même combat ». Il l’endosse aussitôt. Il passera presque tout l’entretien avec ce gilet sur lui. On part évidemment sur un bilan des gilets jaunes.

Dans cette cellule comme partout où je suis passé en Amérique du sud, les gilets jaunes sont un sujet de conversation important. Vu de loin ils sont identifiés comme la France de toujours, celle des rébellions et des révolutions. Les violences policières sont connues mais le nombre des éborgnés et des amputés laisse tout le monde pantois. Par contre la violence de la répression judiciaire est moins connue. Je la décris avec autant de détails possibles : les gardes à vues, perquisitions, jugements en comparution immédiate jusqu’à six heures du matin. J’ai appris les mots en espagnol. J’ai appris les chiffres. En les récitant je ressens de la honte pour mon pays. Et de même quand je lui raconte qu’un policier à Marseille met un insigne de la police brésilienne (qui maltraite les habitants des favelas), Lula reste carrément bouche ouverte. Mariella Franco, député de Rio de Janeiro assassiné par deux ex policiers de cette sorte est encore dans tous les esprits. Tout le monde est scotché. Partout c’est la même surprise : « comment est-ce possible en France ? » Ils ne savent pas ce que nous sommes devenus. Ils continuent à croire au mythe des « lumières » victorieuses, de la France de la déclaration des droits, etc…

À la fin je lui donne un triangle rouge et je lui en explique la signification sociale et antifasciste. Il me demande de le lui installer sur son tee-shirt. Décidément ça devient une décoration. J’en ai remis tout au long du chemin aux unes et aux autres. Pourquoi pas. En général je donne celui que je porte au moment où a lieu la rencontre et cela donne une sorte de valeur personnelle supplémentaire. Dans le combat politique, les symboles et les rites jouent un rôle important. Et d’autant plus quand il ne nous reste plus qu’eux pour nous lier les uns aux autres à cause de l’isolement de la détention, des défaites et toutes ces choses qui incarnent les mauvais moments où le doute ferait son nid destructeur si on n’y veillait pas. Mujica m’a dit ça en me recevant. Il m’a dit « on commence par la métaphysique ». Il avait préparé son coup. C’étaient les carnets du Che. Ceux de la fin. Un cahier à spirales rouges et un agenda. J’ai su ensuite que c’était un fac similé. Super réussi. Je me suis laissé prendre et pendant quelques instants, moi aussi je voulais flairer le Che le long de ses lignes écrites en bleu au petit trot.

Je reviens à Lula. Et à son présent. À sa lutte pour sortir. « Je ne sors pas d’ici tant qu’on ne m’a pas innocenté de toutes les accusations ». Son incarcération ? Il dit qu’il n’y a pas d’issue juridique à sa situation. Trop de monde a menti et devrait le reconnaître. Ce n’est pas possible. Pour lui c’est l’action politique du peuple brésilien qui le tirera de là. Au passage il engueule ses avocats. J’ai d’abord l’impression qu’il est sérieusement fâché. Mais ensuite ses yeux brillent en regardant de biais. Il me cligne de l’œil. Ça veut dire : « ce n’est pas eux qui décident, c’est moi ! » Je connais. 

Il a lu le texte de la déclaration internationale qu’on s’apprête à publier en France et dans une dizaine de pays. Il dit que c’est une super initiative. Il est impressionné par les signatures d’Asie et d’Afrique. Il insiste à plusieurs reprises : « Vous devez avoir votre récit complet sur l’affaire (« una narrativa »). Ripostez globalement, ne vous laissez pas enfermer dans les arguties sur le droit. Partez de la narration politique. Les gens apprendront quelque chose avec ça. Inutile de faire des cours de droit dans vos discours sur le sujet ». Je lui demande conseil en lui expliquant les positions diverses de mes proches sur cette bataille en ce qui me concerne. Il est sur la ligne :  démonter l’argumentation factuelle de nos adversaires et assumer la politisation de la bataille. « Sinon tu es le seul à faire du droit. Le juge, il fait de la politique et toi tu fais du droit. Tu payes les plats cassés ». J’en reste là ici car mon procès n’a pas encore eu lieu et je veux rester maître de mes choix, sans crier gare. 

On passe aux nouvelles que je lui donne des uns et des autres. Il me demande de saluer de sa part Rafael Correa. Il a pour lui beaucoup d’affection, je le vois à cet instant. Il me demande mon impression sur Andrés Manuel López Obrador. Je lui commente ce que j’ai vu et ma rencontre avec le président mexicain.

Il veut savoir comment évolue l’Europe. Il me demande si Macron a vraiment tourné vers la Russie. Il veut aussi savoir si Macron est sincère à propos du traité avec Mercosur. Certains de ses conseillers pensent que le Français et Bolsonaro jouent un jeu parallèle au service des USA qui ne veulent pas de cet accord. 

Il me donne son analyse inquiète sur l’état de l’Europe. Il a capté les progrès de l’extrême droite partout. Le succès de l’AFD en Allemagne le choque autant que moi. L’extrême droite allemande c’est pire que l’extrême droite où que ce soit. 

Je lui demande ce qu’il pense du fait que selon certains, des milieux d’affaires brésiliens et des militaires sont mécontents des provocations de Bolsonaro. Il n’y croit pas. Il reste fermé. Je ne lui cite pas mes sources et je n’aborde aucun sujet dans la conversation qui le mette dans en posture délicate par rapport au pouvoir. Car nous ne savons pas dans quelles conditions de confidentialité nous parlons.

Il me fait goûter son café. Il est fier de faire lui-même son café.

Il dit : « ma situation est meilleure que celle de millions de brésiliens. J’ai un toit. Certes, je paie mon papier hygiénique, mon café, et tout le reste, Mais ma situation est meilleure. Alors je n’ai pas le droit de me plaindre ». C’est l’heure. Il faut partir. On a eu juste une heure comme prévu par le règlement. Grande accolade avant de se quitter. Il me dit qu’il n’oubliera pas ma visite et la générosité des Français. Il me souhaite de la chance.  Je lui dis qu’il m’a donné des vitamines comme AMLO avant lui au Mexique. Il dit « nous on est tranquille parce qu’on est innocent. Et les gens le savent. Eux ne pourront jamais être tranquilles parce qu’ils ont mis les bras dans la manœuvre. La vérité éclate toujours. Ils ont peur et nous non. Le courage et la dignité ne s’achètent pas au magasin. Nous le cultivons en nous en résistant. Mais eux ? ». On sort en silence. Mais l’ambiance n’est ni noire ni tendue. J’ai rencontré un combattant à son poste de combat. Pas un vaincu nostalgique.

En bas du bâtiment, mes accompagnateurs sont fidèles au poste. Leurs yeux me scrutent : « Alors ? Comment est-il ? ». La suite vous l’avez vue et sinon vous la verrez en suivant le lien que je replace ici. 

Je réponds aux journalistes qui m’attendaient à l’entrée du site. Puis je me dirige vers le camp permanent des militants. À l’entrée du camp « le mouvement sans terre » me fait une haie d’honneur de drapeaux rouges. On me donne la parole. Je finis en chantant « la Marseillaise ». Incroyable : la plupart la connaissent et la chante avec moi. Notre hymne national est un chant révolutionnaire et ils l’apprennent dans notre langue comme nous en italien avec Bella Ciao. J’ai de nouveau la parole dans un établissement voisin qui sert d’école de formation. La déco est un peu gauchiste pour moi mais ce n’est pas grave. Ici c’est le règne de la fraternité. Thème de mon discours : « Ils ont perdu ! C’est Moro qui passe pour un corrompu, pas Lula. C’est Moro et Bolsonaro qui humilient la justice et l’image du Brésil dans le monde, pas Lula ! » Ensuite on goûte le fromage français d’une compatriote qui en produit dans le secteur. Le Comté était trop jeune pour moi mais la pâte était bien prometteuse. Il y a eu aussi de la Tome et elle était tout simplement parfaite. J’avoue que j’ai un peu exagéré dans la dégustation. La fromagère me dit qu’elle est la veuve de Jean-Pierre Chabrol. Et moi je sais que je lui dois « Les Fous de Dieu » un de ces livres jalons qui vous apprennent l’infinie profondeur des puits de résistance que l’on peut trouver en soi.

La nuit est tombée. Une petite pluie froide gâte le soir. Je frisonne sous les épaisseurs qui me couvrent. Ici c’est l’hiver. Il y a une semaine j’étais en été, à trente degrés. Il y a une heure je parlais avec Lula et ça me réchauffait l’esprit. On rentre en vitesse. J’ai rendez-vous avec le président du comité mondial « Lula libre » à l’hôtel. C’est aussi l’ancien ministre des Affaires étrangères puis de la Défense des gouvernements lullistes au Brésil. Celso Maurin. On a beaucoup à se dire.        

       

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