18.09.2019

Macron sait-il ce qu’est un métro ?

La semaine de la rentrée parlementaire se discutait dans l’hémicycle en seconde lecture le projet de loi d’orientation des mobilités. J’ai fait sur le sujet deux longues interventions (voir ici et ici). Cette loi, comme nous en sommes habitués depuis le début du quinquennat, est une loi de privatisation. Je me suis donc concentré sur les dangers pour le grand nombre de confier la gestion des réseaux de transports au privé. Les articles 38 et 39 de cette loi accompagnent l’ouverture à la concurrence des lignes de bus de la RATP. L’introduction du privé pour le réseau de bus de la RATP est prévu pour 2024 par un règlement européen. Ici la loi de Macron se contente de mettre  en œuvre une volonté de la Commission européenne Et cela jusqu’au gag. Notamment quand est permis  à l’entreprise publique de « créer » des filiales pour répondre aux appels d’offre sur des lignes qu’elle gère pour l’instant elle-même. Pour faire populaire, misère de la bureaucratie créée par le dogme de la concurrence partout.

L’article 40, lui, permet le transfert du personnel vers des entreprises privées. Ce n’est pas un petit marché que celui des lignes de bus en Ile-de-France. Cela représente 350 lignes, 16 000 salariés et 3,5 millions de voyageurs. Certains tronçons, certaines heures sont très rentables : sur ceux-là le privé se jettera en premier. C’est sa vocation que de faire du profit. Mais qu’en sera-t-il des lignes moins fréquentées, des fuseaux horaires moins rentables  ? Ils seront pris en charge par le service public, seul. Mais il aura par contre perdu les parties du réseau qui génèrent le plus de recettes et petit à petit, le service qu’il rend sur ces « petites lignes » se dégradera et progressivement elles fermeront. Avec la concurrence, c’en est fini de la péréquation en faveur des zones enclavées, pour l’accès égal de tous à la mobilité.

C’est une question essentielle de la modernité que celle de l’accès à la mobilité. J’ai développé la thèse dans L’Ère du Peuple selon laquelle la dépendance aux réseau est le cœur de la condition populaire dans les sociétés modernes. L’aménagement du territoire permet de comprendre pourquoi les transports sont dans ce cadre si centraux. Depuis plusieurs décennies, la tendance a été à l’étalement urbain. La conséquence de cette organisation de la ville est que les individus sont éloignés par des distances de plus en plus importantes des réseaux de services essentiels. C’est le cas par exemple des hypermarchés qui sont toujours implantés en sortie de ville. Mais c’est aussi le résultat des fermetures de services publics de proximité. Ces 10 dernières années, une école ainsi qu’un bureau de poste ont fermé chaque jour. Quant aux distances domicile-travail, elle sont en constante augmentation. La distance moyenne parcourue pour se rendre sur son lieu de travail est de 15 km. Et le nombre de ceux qui habitent à 200 km de leur lieu de travail a même augmenté de 35% depuis 1999. Dans ce contexte, on comprend pourquoi l’accès de tous à un réseau de transport performant et bon marché est un enjeu qui doit être confié au service public.

Le transfert au privé de cette mission aura une autre conséquence : l’augmentation des tarifs. Le privé est toujours plus cher. D’abord, une ligne de bus est un monopole : il n’en existe qu’une faisant un trajet particulier et à une horaire donnée, il n’y a qu’un seul bus qui passe. Une entreprise privée va donc se retrouver face à une clientèle captive. Sa tendance naturelle va être à augmenter le prix tout simplement parce que ses clients ne peuvent pas faire autrement que de payer, quel que soit ce prix. Par ailleurs, une entreprise privé a des coûts supplémentaires à supporter par rapport au service public. Il s’agit d’abord des actionnaires à rémunérer qui n’existent tout simplement pas dans le cas d’une entreprise publique. En situation de concurrence dans une activité, comme la gestion de ligne de bus où il n’y a pas beaucoup de possibilité de se différencier sur le service rendu – toujours le même – il faut donc aussi dépenser beaucoup d’argent en marketing et publicité.

Ces facteurs expliquent que les tarifs du gaz aient augmenté de 50% depuis la privatisation de GDF en 2006, ceux de l’électricité de 49% depuis l’ouverture à la concurrence, que le prix d’un billet de train de la Deutschbahnn soit deux fois plus cher que celui de la SNCF. Ou bien que les péages autoroutiers aient pris 20% depuis la privatisation des autoroutes. Cet impôt privé est la compensation des 26 milliards de dividendes que se sont partagé les actionnaires des sociétés concessionnaires d’autoroutes. Cette privatisation est aujourd’hui reconnue comme un terrible scandale par tout le monde sauf par le gouvernement. Lui, dans la loi qui a été votée, veut aller plus loin. Il a fait voter des dispositions qui vont permettre de céder certaines parties des routes nationales à ces sociétés rapaces.

Enfin, dans mon intervention, j’ai développé un thème que je veux faire entrer dans le débat  : celui de la sécession des riches. C’est un problème que l’on retrouve dans le domaine des transports comme dans de nombreux autres. Les riches ne s’intéressent plus aux réseaux empruntés par les pauvres et les classes moyennes car ils ne les utilisent plus. On le voit avec la construction d’une ligne de train «  Charles de Gaulle – Express  » permettant de se rendre directement du centre de Paris à l’aéroport international pour la modique somme de 24 euros, soit 13 fois le prix d’un ticket de métro. Et les investissements réalisés dans ce train réservés aux importants ne seront évidemment pas mis dans la rénovation des lignes de RER bondées utilisées par des millions de franciliens. Autre exemple : à Marseille, la mairie a développé une ligne de bus alternative à la ligne 19 surchargée. L’existence de cette ligne, ses arrêts, ses horaires étaient des informations non publiques. Elles étaient seulement données aux comités des quartiers bourgeois. Voilà comment les puissants s’extraient des réseaux communs. La privatisation encouragée par la loi sur les mobilités est un pas de plus dans ce sens.

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