Du 24 au 27 septembre se tenait le procès de Jean-Jacques Urvoas. Ce socialiste a été ministre de la justice de François Hollande en 2016 et 2017. En mai 2017, entre les deux tours de la présidentielle, il est accusé d’avoir envoyé à Thierry Solère des informations sur une enquête préliminaire déclenchée contre lui. Solère était à l’époque député LR. Il avait été porte-parole de François Fillon dans la campagne présidentielle. La cour de justice de la République, le tribunal qui juge des actes commis par un ministre, s’est réunie pour juger de ces faits. Précisément, il s’agissait pour la cour de déterminer si Jean-Jacques Urvoas en transmettant ce document à Thierry Solère, brisait un secret professionnel auquel il était astreint. En l’occurrence il s’agit de ce secret de l’instruction que tout le monde viole impunément dans la justice et dans la police. Autrement dit : la loi qui ne s’applique pas aux autres s’applique-t-elle à Urvoas du seul fait qu’il est militant politique ?
Mais pour nous, l’intérêt de ce procès est au-delà de ce seul débat juridique. Les faits mêmes, qui ne sont contestés par personne, mettent à mal les mensonges de Nicole Belloubet à notre égard. En effet, elle prétend n’avoir rien à voir dans les perquisitions montées contre nous en octobre 2018. Elle dit même qu’elle n’était pas au courant, et que le garde des sceaux n’est pas mis au courant d’enquêtes en cours. Jean-Jacques Urvoas, lui, était pourtant au courant de l’enquête préliminaire menée par le parquet sur Thierry Solère. Dans son bref rappel des faits au début de l’audience, le président de la cour a décrit la fiche transmise par Urvoas à Solère comme « un document rendant compte de l’état d’avancement et des perspectives d’évolution de l’enquête préliminaire ». C’est l’aveu de l’exact contraire de ce qu’avait déclaré la procureure Champrenault à notre sujet.
Pendant quatre jours se sont succédés à la barre des témoins appartenant à toute la chaine hiérarchique de l’administration judiciaire. Ceux qui expliquent d’habitude à longueur de plateaux que la justice est indépendante et que contester cette thèse est forcément complotiste ont cette fois, et sous serment, décrit en détail la façon dont les informations sur les enquêtes remontent jusqu’au ministre. Ainsi, la procureur de Nanterre, qui avait sous sa responsabilité l’enquête sur Thierry Solère, a raconté qu’elle avait produit de son initiative quatre rapports remis à sa hiérarchie sur l’enquête. Elle l’avait fait car selon elle, le cas de Solère rentrait dans les critères du genre d’enquête pour laquelle elle se sentait tenue de faire remonter les informations, du fait qu’il était parlementaire.
Elle ne fut pas la seule à être de cet avis. Les deux directeurs des « affaires criminelles et des grâces », direction effective du ministère de la Justice, en ont fait autant. Ces deux personnes ont servi sous Jean-Jacques Urvoas. Elles ont confirmé dans leurs dépositions que les remontées d’informations sur des enquêtes en cours sont courantes. L’un d’entre eux a même précisé qu’il s’agissait selon lui d’une « obligation légale » pour une affaire médiatisée. Le directeur de cabinet qui officiait au moment des faits n’a pas dit autre chose. Pour lui, la remontée d’informations spontanée jusqu’au ministre est « naturelle » s’agissant d’une enquête concernant un élu de la nation. Il n’est donc pas vrai, comme le prétend Belloubet dans notre cas, que le ministre de la Justice soit tenu dans le noir quand une enquête menée par ses subordonnés concerne un parlementaire. À plus forte raison quand il s’agit de mener des perquisitions contre le président d’un groupe parlementaire d’opposition et ancien candidat à l’élection présidentielle. Belloubet et Champrenault ont donc menti, délibérement.
Mais les témoignages ne s’arrêtent pas là. Plusieurs magistrats, y compris ceux ayant dirigé l’administration centrale des affaires criminelles et des grâces et le cabinet de M. Urvoas ont affirmé que le ministre de la Justice partage généralement les informations les plus sensibles avec le premier ministre et le président de la République. L’un des témoins précise qu’il le sait de première main puisqu’il a eu l’occasion de travailler dans le cabinet du Premier ministre. Par ailleurs, ils sont aussi plusieurs à préciser que cette pratique des remontées d’informations jusqu’au ministre ne concerne pas que l’administration judiciaire. Ce sont des pratiques courantes également au ministère de l’Intérieur. Pour mémoire, lorsque nous avons été perquisitionnés le 16 octobre 2018, le ministre de l’Intérieur par intérim était aussi le Premier ministre, Édouard Philippe. Belloubet a donc menti en prétendant le contraire.
Cette description du fonctionnement d’une administration consubstantielle à l’État a été faite à peu près dans les mêmes termes par plusieurs fonctionnaires, ayant servi à des échelons différents et qui avaient juré de dire la vérité devant la cour. Ainsi, quand j’affirme que Belloubet ment et qu’elle savait l’opération qui se préparait contre nous, ce ne sont pas des suppositions. Ce sont des faits : les plus hautes autorités de l’État ne sont pas étrangères à une opération de police menée contre le président d’un groupe parlementaire d’opposition. C’est la leçon du procès d’Urvoas. Ce n’est pas le « journalisme d’investigation » qui peut le révéler. Lui se contente de recopier ce que lui donnent les cabinets ministériels ou les étages intermédiaires dans l’administration judiciaire qui les leur « vend ». Une enquête aurait pu le montrer. Elle aurait tué le business de feuilletons politico-judiciaires. Mais cette fois-ci il suffisait de se rendre au procès, d’écouter et de prendre des notes. Ce qu’aucun des chroniqueurs judiciaires n’a eu l’audace de faire. Ou trouveraient-ils ensuite matière pour leur copié-collé.